Algérie Résistance
Prof. Gary Leupp: « L’impérialisme
américain existait avant Daech et lui
survivra probablement. »
Mohsen Abdelmoumen
Le
Professeur Gary Leupp. DR.
Samedi 17 octobre 2015
English version here:https://mohsenabdelmoumen.wordpress.com/2015/10/17/prof-gary-leupp-u-s-imperialism-existed-before-daesh-and-will-likely-outlive-it/
Mohsen Abdelmoumen :
Comment expliquez-vous qu’Hillary
Clinton maintienne sa candidature à la
présidence des États-Unis alors qu’elle
a perdu un ambassadeur à Benghazi en
Libye lorsqu’elle était Secrétaire
d’État et qu’elle défraie la chronique
avec le scandale de ses emails ?
Pr. Gary Leupp :
Clinton est une figure de
l’établissement qui a un large soutien
de Wall Street, de la direction du Parti
démocrate, de la presse US grand public,
des fans de son mari l’ancien président
des États-Unis, des Afro-Américains qui
voient en elle et son mari leurs
avocats, et des femmes qui veulent tout
simplement voir une « femme forte » au
pouvoir.
Remarquablement, les médias et leurs
critiques politiques dans ce pays
prêtent peu d’attention à ses résultats
en tant que sénatrice US ou lors de son
mandat comme Secrétaire d’État. Ils ne
se concentrent pas sur son plaidoyer en
faveur d’armer « l’opposition » en
Syrie, qui a été mise en échec par
Obama, plus prudent, ni sur sa
responsabilité dans l’attaque aérienne
américaine désastreuse sur la Libye en
2011 et qui a produit le chaos total
dans ce pays. Au lieu de cela, ils se
concentrent sur la relativement mineure
« affaire Benghazi » et sur
l’utilisation de son téléphone portable
privé dans son activité officielle.
En bref, j’attribuerais le fait
qu’elle maintienne la viabilité de sa
candidature à la faillite totale du
système électoral des États-Unis
lui-même, qui est contrôlé, à l’instar
de la Presse qui crée l’opinion
publique, par des gros capitaux à chaque
niveau.
À votre avis, pourquoi les
bombardements de la coalition menée par
les États-Unis contre Daech-ISIL en Irak
ont-ils échoué ?
Tout d’abord, il y a eu un niveau
relativement faible de bombardements par
rapport, par exemple, à la campagne « Shock
and Awe » utilisée pour détruire
l’Irak en 2003. Comme l’ancien
ambassadeur britannique en Syrie l’a dit
à la télévision RT il y a
quelques jours, les attaques russes
contre les forces de Daech et connexes
ont accompli davantage en 4 ou 5 jours
que les attaques de la « coalition » en
autant de mois. De plus, les États-Unis
semblent confus au sujet de la nature
des forces sur le terrain en Syrie,
faisant une distinction entre
« l’opposition modérée », parfois
simplement appelée « opposition », et
Daech-ISIL, et la branche Al-Qaïda
appelée al-Nusra, occultant ainsi le
fait que la majeure partie de
« l’opposition » est constituée en fait
de forces radicales.
Beaucoup de journalistes, y compris
dans la presse mainstream, ont
noté que 80 % de “l’opposition” incluant
la collection hétéroclite et pauvrement
coordonnée de groupes qui composent
“l’armée syrienne Libre” sont des alliés
de Daech.
À l’intérieur du leadership
américain, il y a clairement des
divergences d’opinion sur la façon de
procéder. Elles sont devenues évidentes
quand Clinton a publié ses mémoires en
attirant l’attention sur sa position
belliciste contre la Syrie lorsqu’elle
était secrétaire d’État, et l’objection
d’Obama à augmenter l’aide à
l’opposition qui pourrait en fait être
« peu fiable ». Vous voyez cette
division dans les déclarations
pessimistes, même d’Obama et de Joe
Biden, sur la possibilité d’une
confrontation des « commerçants et des
enseignants » aussi bien avec le régime
d’Assad que les Islamistes d’ISIL et
al-Nusra, contrairement aux politiciens
appelant les bottes américaines sur le
terrain. Le lamentable échec du
programme annoncé de former 5000 Syriens
pour combattre Assad, désormais
abandonné après divers embarras, et plus
tôt, en 2013, la menace d’attaquer la
Syrie en raison du prétendu déploiement
d’armes chimiques par Assad et retiré à
la dernière minute en raison de
l’intervention habile de la Russie,
indique une administration embourbée
dans la confusion quant à la façon de
procéder.
Le président Poutine a
déclaré que les Américains ont trouvé de
l’eau sur Mars mais n’ont pas été
capables de localiser les positions de
Daech-ISIL. Qu’en pensez-vous ?
Il y a manifestement une différence
d’opinion entre Moscou et Washington,
qui tous deux possèdent sûrement de
l’intelligence en Syrie à des degrés à
peu près égaux, au sujet de qui
constitue Daech-ISIL. Le mantra constant
des médias américains depuis que la
Russie a commencé les frappes aériennes
est que la Russie ne vise pas vraiment
ISIL mais plutôt « l’opposition ». Mais
cette opposition « modérée » est en
grande partie le fruit de l’imagination
de Washington, à mon avis.
Moscou, pour sa part, semble
appliquer une large définition
concernant les forces alignées d’ISIL.
Ceci est juste une manifestation de la
complexité de la situation et de la
multiplicité des forces au sol. Mais la
télévision russe conteste frapper
« l’opposition » non-ISIL, non Daech.
Daech-ISIL n’est-il pas vital
pour l’impérialisme US ?
Je ne suis pas sûr de savoir comment
interpréter cette question.
L’impérialisme américain existait avant
Daech et lui survivra probablement. Je
dirais qu’il est une source d’embarras
pour l’impérialisme américain, une
répercussion imprévue de l’invasion et
de l’occupation de l’Irak et des
politiques idiotes de l’occupation en
aliénant les Sunnites, ce qui a abouti à
l’implantation d’al-Zarqaoui dans la
province d’Anbar et à créer le
précurseur d’ISIL. Il n’y a pas si
longtemps, Obama l’a écarté comme une
équipe de sport de « collégiens
Junior ». Maintenant, il a montré
lui-même qu’il était beaucoup plus
féroce que le conventionnel al-Qaïda.
En soutenant des forces au sein de
l’opposition armée en Syrie, les
États-Unis se sont effectivement alignés
eux-mêmes avec al-Nusra. Le général
Petraeus a réellement suggéré
publiquement une alliance des États-Unis
avec cette branche d’Al-Qaïda contre
ISIL qui est encore pire, bouclant ainsi
la boucle depuis le 9/11.
Des informations évoquent un
redéploiement tactique du groupe
terroriste Daech-ISIL vers la Libye.
L’intervention de l’OTAN de 2011 en
Libye n’est-elle pas la source de la
déstabilisation de l’Afrique, voire de
l’Europe ?
C’est sûrement l’une des principales
sources. La déstabilisation de la Syrie
a produit encore plus de réfugiés en
Europe. La destruction de la Libye a
produit de toute évidence l’exode des
Touaregs vers le Mali et la
déstabilisation de ce pays, ce qui a
produit encore une fois l’intervention
militaire française.
L’idéologie des néocons
a-t-elle marqué à jamais la politique
extérieure des États-Unis ? Pensez-vous
que nous vivons une guerre froide qui ne
dit pas son nom ?
L’idéologie néoconservatrice – en
résumé, le plaidoyer en faveur de
l’intervention militaire américaine
continue partout dans le monde repose
sur un sentiment de supériorité morale
et profite de la suprématie militaire
temporaire des États-Unis, visant la
poursuite de l’hégémonie américaine de
l’après-guerre froide, avec l’appui
d’Israël et l’écrasement de ses ennemis
comme doctrine centrale – a entraîné la
politique étrangère des États-Unis
depuis au moins 2001.
Elle a été remise en question au fil
du temps. Elle était à son comble quand
Cheney était vice-président et que son
puissant bureau secret était une plaque
tournante des néocons. Mais son
influence s’est affaiblie ainsi que
celle de Cheney durant le second mandat
de Bush et pendant les années Obama.
Néanmoins, elle reste puissante dans le
département d’État d’Obama, comme en
témoigne de rôle de Victoria Nuland dans
le « changement de régime » en Ukraine.
On remarque une alliance
entre les groupes néonazis d’Ukraine et
les fascistes de Daech-ISIL. Sommes-nous
dans un processus historique qui voit le
retour des mouvements fascistes et
l’absence de résistance des mouvements
progressistes ?
Je ne suis pas au courant de cet
alignement particulier qui, je pense,
serait inconfortable pour tous les
concernés. Mais je pense que Right
Sector et Svoboda représentent une
recrudescence du fascisme en Europe, un
fait ignoré par les grands médias US.
Quelle est votre lecture de
l’accord sur le nucléaire iranien ?
Les néoconservateurs américains ont
été une fois en mesure d’organiser un
vote de l’AIEA accusant l’Iran de
poursuivre le programme d’armes
nucléaires; les pays de l’OTAN ont voté
comme un bloc pour déclarer l’Iran « en
violation » avec l’accord de non
prolifération, bien que de nombreux
pays, y compris la Russie et la Chine se
sont abstenus. Cela a conduit à des
sanctions approuvées par l’ONU. L’Iran
ayant toujours insisté qu’il n’avait pas
un tel programme a négocié avec les 5+1
nations pour dissiper toute crainte, et
obtenir que les sanctions soient levées.
C’est en gros une chose positive et
rationnelle. Le fait que les membres du
Parti républicain aux États-Unis y
soient tous opposés indique une
ignorance totale.
Comment expliquez-vous
l’allégeance des USA à Israël ?
Dans un sondage récent, 55 % des gens
aux États-Unis ont soutenu la vision
selon laquelle « Dieu a donné la terre
d’Israël aux Juifs ». Parmi des
Américains juifs seulement près de 40 %
le pensent. Plus de 80 % des
Évangélistes Chrétiens le croient
pourtant. La population juive aux
États-Unis représente moins de 2 % et
elle est divisée, incluant des
antisionistes convaincus. Le problème
réside dans les fondamentalistes
chrétiens qui croient littéralement
l’Ancien Testament et pensent qu’ils ont
l’obligation religieuse de soutenir
Israël en se basant sur une lecture
particulière du texte religieux de la
Genèse 12:3. Ils ont beaucoup
d’influence politique. Les politiciens
de certains états plus que d’autres
craignent de se les aliéner. Et le lobby
d’Israël a des ressources financières
énormes pour influencer les avis des
politiciens, affecter les votes et punir
ceux qui dévient de la ligne de support
exigé.
En tant qu’historien, sur
quel sujet travaillez-vous en ce moment
?
Je suis avant tout un historien du
Japon, et je suis dans l’édition d’un
livre sur le début de l’histoire moderne
japonaise, pré-1868. Mais dans mes
colonnes politiques, je développe
diverses questions de l’histoire du
monde, du mieux que je peux.
Interview réalisée par Mohsen
Abdelmoumen
Biographie :
Gary Leupp est professeur d’Histoire,
spécialisé dans l’histoire du Japon, à
l’université de Tufts, à Medford dans le
Massachusetts. Il a obtenu son doctorat
à l’Université du Michigan. Il donne des
cours d’histoire du Japon avec un
intérêt de recherche principal sur les
sujets du travail, de la classe et du
genre dans la période Tokugawa
(1603-1868). Il a reçu également un
second poste au Département Religion. Il
contribue sur Counterpunch dans
des chroniques sur les guerres en Irak,
en Afghanistan et en Yougoslavie, les
croisades impériales.
Il est l’auteur de Servants,
Shophands and Laborers in the Cities of
Tokugawa Japan; Male Colors: the
Construction of Homosexuality in
Tokugawa Japan; Interracial Intimacy in
Japan: Western Men and Japanese Women,
1543-1900. Il a également contribué
à Hopeless: Barack Obama and the
Politics of Illusion, (AK Press).
Published in Oximity, October 17,
2015:https://www.oximity.com/article/Prof.-Gary-Leupp-L-imp%C3%A9rialisme-a-1
In Whatsupic:http://fr.whatsupic.com/sp%C3%A9ciale-usa/gary-leupp-daech-imp%C3%A9rialisme09.html
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