Entretien avec
William Sacher
Urgence d'un
changement civilisationnel face à la
nouvelle ruée minière mondiale
Maxime
Combes
Samedi 30 juillet
2011
En 2008, les
éditions Ecosociété publiaient Noir
Canada. Pillage, corruption et
criminalité en Afrique d’Alain Deneault,
Delphine Abadie et William Sacher,
révélant les agissements hautement
critiquables des sociétés minières et
pétrolifères canadiennes en Afrique. Les
multinationales minières canadiennes
Barrick Gold (premier producteur d’or
mondial) et Banro poursuivent la maison
d’édition ainsi que les trois auteurs
pour diffamation en leur réclamant un
total de 11 millions de $ canadiens,
dans ce qu’il y a lieu de qualifier de
poursuites-bâillon (appelées SLAPP en
anglais). Le procès est prévu pour cet
automne. Derrière ce procès, ce sont la
liberté d’expression, le droit à
l’information, le droit à la
participation au débat public sans
intimidation et la possibilité de
publier des travaux de recherches de
qualité et sans complaisance, qui sont
remis en cause.
Afin de soutenir (http://slapp.ecosociete.org/)
les auteurs et la maison d’édition, et
pour contribuer à lever le voile sur les
agissements des entreprises minières sur
la planète, Mouvements publie une
interview de William Sacher, réalisée
par Maxime Combes dans le cadre du
projet Echo des Alternatives (www.alter-echos.org)
qui explique comment le Canada est
devenu un véritable "paradis judiciaire
et réglementaire" pour les entreprises
minières. Il contribue ainsi à une
"nouvelle ruée minière" visant à
satisfaire les besoins croissants en
matières premières de nos modèles de
consommation, sans tenir compte des
conséquences environnementales, sociales
et démocratiques sur les populations
directement impactées par l’extraction.
Là où, au contraire, un "changement de
paradigme civilisationnel" serait
nécessaire.
Mouvements : À l’échelle
internationale, on observe une véritable
ruée minière, que ce soit pour l’or,
l’argent, le cuivre ou des métaux plus
rares et spécifiques, dont les prix ne
cessent d’ailleurs de s’accroître sur
les marchés internationaux. Comment
l’expliquer ? Y a-t-il des régions
particulièrement concernées ?
Lesquelles ?
William
Sacher : Nous sommes en effet
dans une nouvelle ère minière. La
production de nombreux minéraux a
explosé au cours des dix dernières
années, tandis que les dépenses
d’exploration dans l’industrie
atteignent des sommets [1].
Il est possible
d’isoler une série de facteurs
explicatifs. Tout d’abord, il y a la
croissance soutenue des pays dits
« émergents » (e.g l’lnde, la Chine).
L’augmentation de la demande de biens de
consommation, l’explosion immobilière et
les grands travaux nécessaires à
l’industrialisation galopante que
connaissent ces pays exercent une forte
pression sur la demande mondiale en
minéraux de tous types [2].
Un autre facteur important concerne le
commerce des métaux précieux, et tout
particulièrement le recours à l’or comme
valeur-refuge. La Chine veut se
constituer un stock d’or [3]
afin de soutenir sa monnaie, se
positionner face à la menace
d’éventuelles crises ultérieures et de
dévaluation de ses réserves de change.
Les États, les grandes institutions
financières, les fonds
d’investissements, ou encore les
particuliers se tournent aussi vers le
métal précieux. À ceci s’ajoute la
possibilité de retours sur
investissements conséquents, ce qui a
déclenché une vague spéculative sur le
métal jaune, et l’inévitable
prolifération de produits financiers
dérivés. Résultat : les cours de l’or
explosent. Nombreuses sont les sociétés
d’exploration (dénommées juniors) qui
surfent sur cette vague, en promettant
des gains records à leurs éventuels
investisseurs [4].
On peut également citer l’augmentation
vertigineuse de la demande liée à
l’avènement des ordinateurs et
téléphones portables personnels, des
consoles de jeux vidéos, etc., ou encore
l’accroissement continu des dépenses
militaires mondiales [5].
Les équipements de défense high-tech
requièrent des alliages spéciaux à base
de métaux rares comme le titane ou les
métaux du groupe platine, auxquels il
faut bien entendu ajouter l’uranium.
L’avenir de ce dernier fait d’ailleurs
l’objet de grandes spéculations. Dans
ses applications civiles, en particulier
comme source alternative d’énergie aux
énergie fossiles, le métal radioactif
n’a sans doute pas dit son dernier mot,
bien qu’il n’ait pas particulièrement le
vent en poupe ces derniers temps. Il
faudra voir si le souvenir de Fukushima
pourrait s’estomper aussi rapidement que
celui de Tchernobyl.
Enfin, d’une manière générale, les
grands pays consommateurs sont soucieux
d’assurer leurs approvisionnements ou de
parer à d’éventuelles pénuries, et
s’emploient à sécuriser leur accès à des
minéraux économiquement et
stratégiquement sensibles qu’ils ne
peuvent substituer, et dont les
gisements se situent en grande majorité
hors de leurs frontières [6]...
Cette nouvelle fièvre minière se déploie
sur tous les continents. Certes, les
veines s’épuisent dans les régions
minières traditionnelles. Néanmoins, les
nouvelles techniques et les prix élevés
permettent encore d’extraire de façon
rentable les gisements de faible
concentration. C’est la raison pour
laquelle il y a un regain de projets
d’exploitation dans des pays comme le
Canada ou l’Australie. Cela dit,
l’Amérique Latine, l’Afrique ou encore
l’Indonésie se trouvent particulièrement
exposées à cette nouvelle avancée de la
frontière d’exploitation, vers des
territoires encore vierges
d’exploitation industrielle, et souvent
écologiquement et culturellement
sensibles. Dans nombre de pays
constituant ces parties du monde, les
réformes néolibérales impulsées par la
Banque Mondiale au cours des deux
dernières décennies ont créé des cadres
d’investissement très favorables aux
transnationales minières (en termes
légaux, de fiscalité et de soutien
gouvernemental), et ont
institutionnalisé leurs droits. S’en est
suivi une invasion massive d’entreprise
minières étrangères dans les pays de ces
régions.
Mouvements : Arrêtons-nous
sur la volonté des pays les plus
puissants, Etats-Unis, Europe et Chine
en tête, de "sécuriser l’accès aux
ressources". Pouvez-vous nous en dire
plus sur les stratégies qu’ils
développent et par quels moyens ils
parviennent à leur fin ?
William
Sacher : La Chine aurait
investit 9,2 milliards $ dans 33
opérations minières à l’étranger en
2009-2010 [7],
notamment en Afrique et en Amérique
Latine. Les chinois sont d’autant plus
en position de force que leur pays est
un gros producteur de minerais et
dispose à la fois d’énormes liquidités
pour développer les projets miniers, et
des capacités techniques faisant défaut
dans de nombreux pays du Sud, où ils
octroient des prêts à taux réduits en
échange de contrats miniers signés avec
ses entreprises minières d’État.
Une autre stratégie
consiste à acquérir des entreprises
minières étrangères. Des sociétés
juniors de Toronto ou de Londres sont
déjà tombées entre les mains des
chinois. Des offres hostiles ont même
récemment été faites sur des sociétés
majors canadiennes (e.g Equinoxe et
Lundin mining).
Une troisième voie
suivie par la Chine privilégie les
alliances stratégiques avec des sociétés
occidentales, dans le cadre de projets
d’exploitation mixtes. Les entreprises
chinoises étant moins frileuses que les
institutions financières occidentales
pour financer les projets miniers,
notamment suite à la récente crise et la
relative chute des cours, les juniors de
Toronto y voient un moyen de se
développer quand toutes les autres
portes se ferment.
Quant à l’Europe et
aux États-Unis, ils s’appuient sur les
cadres imposés dans les pays
géologiquement riches par les
institutions financières internationales
ou d’autres formes d’organisation
commerciale (OMC, traités de
libre-échange, …) et même de coopération
ou d’aide au développement. Pour
optimiser ces politiques de
flexibilisation, l’Union Européenne
s’est dotée en 2008 d’une stratégie
dénommée l’Initiative sur les Matières
Premières, dont l’objectif est notamment
de veiller à s’approvisionner à bon
marché en minéraux dans les pays du Sud
Global [8].
Par ailleurs, des capitaux Etatsuniens
contrôlent la majorité des grandes
sociétés minières de Toronto, et
d’autres à Londres ou à Sydney,
l’exploitation minière étant largement
sous domination anglo-saxonne, et leur
garantie d’accès à de nouveaux gisements
repose largement sur la capacité de
déploiement des sociétés juniors,
authentique version moderne des
conquistadores de l’époque coloniale
hispanique. Mais, comme nous l’avons
mentionné, cette hégémonie est de plus
en plus contestée par les appétits
chinois.
L’ingérence
militaire permet aussi aux États-Unis de
maintenir un contrôle serré sur nombre
de ressources minérales, tandis que
l’Europe n’écarte pas cette solution si
la conjoncture l’exige [9].
On invoque souvent le pétrole, mais la
présence militaire de l’OTAN et des
États-Unis en Afghanistan et au Pakistan
est sans doute à interpréter aussi dans
ce sens. On peut enfin citer la
République Démocratique du Congo, dont
la déstabilisation à la fin des années
90 serait, selon de nombreux analystes,
l’œuvre de l’intelligence et l’armée
américaine et aurait eu pour dessein
l’accaparement des immenses gisements
congolais.
Mouvements : Quelles sont
les conséquences de cette ruée minière ?
Pourquoi voit-on aujourd’hui tant de
mines à ciel ouvert au détriment des
mines souterraines traditionnelles ?
Quelles sont les conséquences
environnementales d’une telle
exploitation ? Quelles réactions
suscitent-elles auprès des populations
locales ?
William
Sacher : Cette soif accrue pour
les minéraux se traduit par la
généralisation d’un nouveau modèle
d’extraction, bien loin de l’image
d’Épinal du chercheur d’or et de son
tamis : celui de la méga-exploitation
minière. Ce type d’exploitation concerne
les gisements où les minéraux « utiles »
se trouvent en très faibles
concentrations. Dans ce contexte, les
mines souterraines continuent de
représenter une alternative rentable
dans certains cas, mais la tendance
actuelle est le recours aux mines à ciel
ouvert, plus rentables, et aux
dimensions inouïes : des cratères de
plusieurs km de diamètre et de plusieurs
centaines de mètres de profondeur.
Les techniques
d’extraction se sont perfectionnées
(avec, par exemple, le recours
quasi-systématique au cyanure dans les
mines d’or) et, même si, à l’image des
sables bitumineux dans l’industrie
pétrolière, les besoins énergétiques et
en eau liés à ce type d’exploitation
sont colossaux, les prix des minéraux en
hausse constante permettent d’exploiter
avec de telles méthodes. Les déchets
générés, souvent toxiques, s’en trouvent
démultipliés au point d’atteindre des
proportions inimaginables. Une seule
mine, OK Tedi en Papouasie
Nouvelle-Guinée, génère chaque jour 200
000 tonnes de déchets, soit plus de que
toutes les villes du Japon, de
l’Australie et du Canada réunies [10].
Pour les métaux courants moins d’1% de
la roche est traitée, les 99% restant se
convertissant en déchets. Dans le cas de
l’or, le ratio frise l’absurde,
puisqu’on exploite actuellement des
gisements contenant moins de 0.5 grammes
d’or par tonnes de roches traitées.
Les risques sont
énormes en termes de pollution chronique
et accidentelle des eaux et des sols,
par drainage minier acide, métaux
lourds, et autres substances toxiques,
ou encore par le bruit et la poussière,
et les conséquences généralement
dramatiques tant pour les écosystèmes
environnants qu’en terme de santé
publique [11]
Le gigantisme de ce modèle
d’exploitation pose un problème pour la
science : celui de son incapacité à
diagnostiquer et à prévoir avec
précision tous ses effets en terme
d’extension spatiale et temporelle, due
à la complexité des systèmes naturels
ainsi physiquement et chimiquement
perturbés (les phénomènes à représenter
sont multilinéaires et souvent
chaotiques). Ceci pose un vrai problème
en terme d’héritage laissé aux
générations futures.
Quant aux impacts
socio-économiques, ils sont tout aussi
difficiles à caractériser, bien qu’on
sache que l’activité minière (et les
infrastructures d’énergie et de
transport qu’elle requiert),
s’accompagne souvent d’une série de
conséquences
psycho-socio-economico-culturelles
irréversibles pour les communautés
affectées. Elle détruit les économies
locales et les bases matérielles des
cultures autochtones, tout en implantant
de nouveaux imaginaires de consommation.
Elle marginalise les femmes, les
agriculteurs et les populations
autochtones, ces dernières étant
particulièrement menacées : nombre de
gisements encore inexploités sont situés
sur leurs territoires. Il convient
également de mentionner les impacts en
terme de santé publique dus aux
pollutions engendrées (auxquels il faut
ajouter l’alcoolisme, la toxicomanie, la
prostitution, et la forte prévalence des
MST).
Enfin, les pays su
Sud qui décident d’opter pour un modèle
économique d’extraction-exportation
s’exposent à une certaine condamnation
au « sous-développement » et à la
pérennisation de leur statut d’enclave
coloniale, malgré l’illusion de
« développement » que peut représenter
l’industrie minière. Se développe plutôt
une économie nationale rentière aux
mains de l’oligarchie locale autour d’un
secteur extractif hypertrophié, tandis
que les autres secteurs de l’économie ne
profitent pas de la manne. À cela il
faut ajouter la fragilisation
systématique des conditions d’exercice
de la démocratie, la prévalence de la
corruption, ou encore l’aboutissement à
des conflits armés, une série de tares
que l’universitaire américain Terry Karl
qualifie de « paradoxe de
l’abondance » [12].
Face à cette
nouvelle phase « d’accumulation par
dépossession » du Capital minier, pour
reprendre les termes de David Harvey [13],
basée sur la marchandisation, la
prédation et la destruction de
l’environnement, et perpétuant la
domination des grands centres
économiques de la planète sur leurs
périphéries, des centaines de
communautés se trouvent en résistance de
part le monde. Elles dénoncent la fuite
en avant de ce modèle en s’appuyant le
plus souvent sur l’écologie politique,
l’économie sociale et les cosmovisions
autochtones.
Mouvements : Vous qualifiez
le Canada de "paradis judiciaire et
réglementaire" pour les entreprises
minières. Pouvez-vous nous expliquer
pourquoi ? En quoi cette situation
concerne l’ensemble des citoyens de la
planète et pas les seuls citoyens
canadiens ?
C’est un concept
que nous développons avec mon collègue
Alain Deneault pour tenter d’expliquer
les raisons pour lesquelles le Canada se
trouve aujourd’hui en position de leader
mondial de l’industrie minière.
Au cours des
dernières décennies, le Canada s’est
progressivement mué en un havre
privilégié pour l’industrie minière à
l’échelle mondiale, une sorte de Suisse
du domaine extractif. Pas moins de 75 %
des sociétés minières de la planète sont
canadiennes, bien que leurs capitaux
soient australiens, belges, israéliens,
suédois, étatsuniens, etc. Nous avons
identifié 6 caractéristiques principales
qui font la particularité de cette
législation de complaisance :
1. La possibilité
de spéculer sans entraves sur les
ressources minières, grâce à la Bourse
de Toronto et sa réglementation
permissive, historiquement taillée sur
mesure ;
2. L’investissement massif de fonds
publics via des agences gouvernementales
et l’incitation soutenue par le
gouvernement auprès des particulier à
investir dans le secteur minier via de
multiples congés fiscaux ;
3. La couverture politique et judiciaire
systématique des sociétés minières au
point d’offrir une impunité de fait face
aux multiples externalités générées.
Malgré les nombreuses allégations d’abus
qui pèsent sur les sociétés de Toronto
de part le monde en matière de
violations de droits humains, de
criminalité financière, de pollution
massive ou encore d’association avec des
chefs de factions armées accusés de
crimes de guerre, les sociétés du
secteur ne sont jamais inquiétées par
les tribunaux canadiens ;
4. Rendre justiciable uniquement les
acteurs critiques. C’est une conséquence
de la préséance du droit à la réputation
sur celui de la liberté d’expression. Au
Canada, cette dernière est largement
menacée par l’instrumentalisation des
tribunaux de la part des sociétés
minières. Chercheurs universitaires,
journalistes, auteurs ou encore
militants se voient poursuivis en
diffamation, même s’ils ne font que
citer des sources publiques crédibles ;
5. Développer une propagande intérieure,
en particulier au sein de l’éducation.
Les universités se trouvent noyautées et
potentiellement bâillonnées par
l’omniprésence des financements de la
recherche provenant largement de
l’industrie minière ;
6. Assurer une diplomatie de
complaisance dans les pays où les
sociétés minières canadienne sont
présentes, ce qui se révèle dans les
pays du Sud un lobby minier officieux.
C’est cet État que
nous proposons de le qualifier de
"paradis judiciaire et réglementaire" de
l’industrie extractive mondiale, par
analogie avec le concept de paradis
fiscal.
Les affres de la
législation canadienne ont des
répercussions partout sur la planète.
Les sociétés inscrites dans ce havre
minier sévissent en Amérique latine, en
Afrique, en Asie, en Europe de l’Est et
même dans les DOM-TOM français (cf le
cas du projet aurifère à Kaw en Guyane).
Le Canada leur offre sa couverture et
son soutien, et constitue la plateforme
idéale à partir de laquelle des projets
miniers sont pilotés à travers le monde.
Mais l’Europe n’est pas en reste. Nombre
de projets miniers financés par la
Banque Européenne d’investissement, ou
encore des agences de financement
nationale telle que l’AFD et sa filiale
Proparco, ont été à l’origine développés
par des juniors canadiennes. Les
économies européennes, et celle de la
France en particulier, sont hautement
dépendantes de cette exploitation de
minerais à grande échelle, utilisés dans
tous les secteurs de l’économie :
agriculture, construction, transports,
électronique.
Mouvements : Vous êtes
extrêmement critique de l’industrie
minière. Pourtant, n’est-il pas possible
de réguler ce secteur et développer des
mines socialement et écologiquement
responsables ?
William
Sacher : Les stratégies
discursives de l’industrie minière et
des gouvernements qui la soutiennent
sont efficaces pour convaincre le grand
public d’une telle possibilité. Le
secteur minier soigne son image. La
sémantique est luisante comme les
couvertures de papier glacé des rapports
annuels : on parle de « responsabilité
sociale », « développement durable »,
« codes d’éthiques volontaires », etc.
Cependant,
l’histoire récente de l’exploitation
minière parlent d’elle-même. Au Canada,
pays qui se targue souvent de pratiquer
les meilleurs standards en la matière,
10.000 mines abandonnées menacent les
réseaux hydrographiques de pollutions
aux métaux lourds, et il n’existe aucune
mine ayant été fermée avec les
décontaminations qui s’imposent.
Malgré toutes les
précautions qu’on pourrait prendre, les
inévitables impacts sociaux et
environnementaux du modèle
d’exploitation à l’œuvre sont à l’image
de son gigantisme. Comme je l’ai
mentionné, dans de nombreux cas, ils
sont même incommensurables. Dans ce
domaine, il est urgent de se démarquer
de tout dogme techno-scientifique ou
autre mythe du progrès, auxquels
s’accrochent les sociétés minières.
Prétendre qu’il est possible de
« restaurer » un site d’extraction
minière est une véritable gageure,
puisqu’on ne sait pas exactement ce
qu’on détruit. Quant aux conditions de
travail, redevances et autres impôts, ce
sont sans doute les domaines où il
serait le plus aisé d’améliorer la
situation (en général, l’industrie
minière paie très peu d’impôts).
Cependant,
considérer les conséquences
environnementales, même si elles étaient
contrôlables, ou la question fiscale, de
façon isolées est insuffisant pour
répondre à votre question. Pour tenter
d’être complet, il est nécessaire
d’examiner les conditions économiques,
politiques, légales, et sociologiques
globales de l’avènement de l’actuel
modèle d’exploitation minière. Pour de
nombreux pays du Sud, l’implémentation
(ou la pérennisation) d’un modèle « extractivo-exportateur »
se fait dans un contexte de domination
économique de la part des pays
importateurs. D’une manière générale,
l’exploitation minière est le fait d’une
oligarchie transnationale qui dispose,
avec les paradis fiscaux et bancaires,
d’outils pour se soustraire aux
obligations imposées par les États de
droits, même les plus fortement
institutionnalisés. Quant aux
gouvernements de ces derniers, leur
marge de manœuvre est souvent réduite
tant ils sont assujettis aux intérêts de
puissantes sociétés transnationales.
Enfin, l’existence d’un paradis
judiciaire comme le Canada permet aux
sociétés minières de répondre aux
exigences de rentabilité de leurs
actionnaires en se livrant à une gestion
environnementale et sociale exécrable,
sans jamais être inquiétées par la
justice.
Mouvements : Quelles sont
vos préconisations ?
William
Sacher : Une première voie à
explorer serait celle du recyclage
intensif des minéraux déjà extraits, une
grande partie se trouvant d’ailleurs
dans nos déchets. Cela dit, le recyclage
est lui-même coûteux en énergie et
éventuellement polluant.
Ainsi, la remise en
question de notre mode de développement
et d’exploitation des ressources
naturelles est incontournable. Mais
cette remise en question va bien au-delà
d’une réduction de la consommation. Bien
entendu, on peut se cantonner au carcan
libéral et exiger l’abolition des
paradis fiscaux et bancaires,
l’information libre et transparente des
agents économiques, ou encore le
contrôle des marchés. Mais la crise
systémique aux multiples dimension à
laquelle nous sommes confrontés
(alimentaire, écologique, économique,
énergétique, migratoire, etc.), nous
montre qu’il apparaît urgent de remettre
en question la modernité et son bagage
techno-scientifique, de définir un
nouveau rapport à la nature, de prendre
en compte les générations futures et de
leur droit à disposer d’un environnement
sain, bref changer de paradigme « civilisationnel »,
tant s’accumulent ses limites à travers
les preuves de sa capacité de
destruction de multiples formes de
richesses mettant en péril les
conditions de de la continuité de la vie
humaine à moyen terme.
Notes
[1]
13 milliards de dollars en 2008, soit
près de 7 fois plus qu’en 2002, cf. La
montée en puissance des acteurs miniers
des pays émergents, Secteur privé et
développement, la revue de PROPARCO,
numéro 8, janvier 2011.
[2]
La Chine, par exemple, doit importer 75%
de ses besoins en cuivre et 50% de son
fer et 30% de son plomb et de son zinc,
cf. « Comment la Chine Profite de la
Crise », HEC Eurasia Institute, mars
2009.
[3]
La Chine a augmenté son stock d’or de
75% depuis 2003, portant ses actifs à
plus de 1000 tonnes (ce qui est peu
comparé aux États-Unis (8000 tonnes), ou
d’autres pays fortement industrialisés
comme la France, l’Allemagne ou
l’Italie, qui possèdent chacun entre
2000 et 3500 tonnes), « China admits to
building up stockpile of gold »,
Financial Post, Toronto, 24 avril 2009.
[4]
L’or représente à lui seul 40% des
dépenses totales d’exploration de
l’industrie minière, cf Rapport sur la
situation de l’industrie minière
canadienne faits et chiffres,
Association Minière du Canada, 200, p.
29.
[5]
plus de 1.500 milliards de $ en 2009,
une augmentation de 49% par rapport à
2000, cf. « 2009, année record pour les
dépenses militaires mondiales », Le
Monde, 2 juin 2010.
[6]
À titre d’exemple, l’est de la
République Démocratique du Congo, pays
en proie à une guerre civile depuis près
de 15 ans, détient près de 60% des
réserves mondiales de cobalt.
[7]
« Influence croissante de l’Asie dans la
production minière mondiale », Deloitte
et Touche, Montréal, 2010.
[8]
« Ressources naturelles : mettre l’Union
européenne et sa politique commerciale
sur les matières premières hors d’état
de nuire », AITEC, Oxfam Deutschland,
WEED, Traidcraft Exchange (UK), Comhlámh
(Irelande), février 2011.
[9]
cf. intervention d’Elmar Brook,
Commission des affaires étrangères au
parlement européen,
[10]
Scrapping Mining Dependence, Payal
Sampat, State of the World 2003, The
WorldWatch Institute.
[11]
on se souvient par exemple de Baia Mara
en Roumanie en 2000.
[12]
The paradox of plenty : Oil booms and
petro-states, Terry Karl, Berkeley, Los
Angeles et Londres, London, California
University Press.
[13]
« The ’New’ Imperialism : Accumulation
by Dispossession », David Harvey,
Socialist Register, Vol. 40.
Propos recueillis
par Maxime Combes, dans le cadre du
projet Echo des Alternatives (www.alter-echos.org)
Pour soutenir la
maison d’édition et les auteurs :
http://slapp.ecosociete.org/
Publié par
Mouvements, le 8 juillet 2011.
http://www.mouvements.info/Nouvelle-ruee-miniere-contre.html
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