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Policamente
coretto
La
mort cruelle de Benazir Bhutto
Giovanna Canzano
Benazir Bhutto - Photo AP
« La
mort cruelle de Benazir Bhutto est un des épisodes qui
constellent une stratégie bien précise : celle de la déstabilisation
du Proche et Moyen Orient, en cohérence avec la reformulation récente
du projet étasunien
du Grand Moyen Orient ». (Tiberio Graziani)
Giovanna
Canzano interviewe Tiberio Graziani,
directeur de la revue Eurasia, Rivista di studi
geopolitici, (Revue d’études géopolitiques) (www.eurasia-rivista.org).
Canzano :
Benazir Bhutto, une mort annoncée ?
Graziani :
Certainement, oui. On pouvait s’y attendre. Souvenons-nous que
l’arrivée de B. Bhutto au Pakistan, le 18 octobre dernier, après
plusieurs années d’exil volontaire et doré entre Londres et
Dubaï, fut salué par un attentat qui
coûta la vie à 130 personnes environ…
Canzano :
L’homicide vient-il d’un projet de déstabilisation ?
Graziani :
La mort cruelle de Benazir Bhutto est un des épisodes qui
constellent une stratégie bien précise : celle de la déstabilisation
du Proche et Moyen Orient, en cohérence avec la reformulation récente
du projet étasunien du Grand Moyen Orient des débuts de
l’administration Bush. Le projet du Greater Middle East
ou aussi Broader Middle East
(Moyen Orient élargi) a été introduit, comme proposition, pour
donner un tournant radical à la politique vers le Proche et le
Moyen Orient, pendant le sommet du G8, en 2004. L’idée
cependant remonte aux accords d’Helsinki de 1975. Il vaut la
peine de re-parcourir la genèse de cette nouvelle reformulation
qui se traduit, en termes simplifiés, par la création d’un
nouvel arc d’instabilité conformément aux
directives de Zbigniew Brzezinski, le théoricien
du piège afghan contre l’Union soviétique et de
l’utilisation des talibans en fonction antisoviétique. Nombre
des cadres actuels de l’organisation d’Ossama Ben Laden ont été
entraînés et recrutés par Washington à l’époque
de la guerre soviéto-afghane. Un mois donc avant la rétorsion
israélienne agressive contre le Liban de juillet 2006, Condoleeza
Rice a reformulé le vieux projet du Grand Moyen-Orient en le dénommant
« Nouveau Moyen-Orient ». Cette même secrétaire d’Etat,
pendant les jours de la guerre israélienne contre le Liban,
informa les médias avec le premier ministre
israélien Olmert qu’au Liban avait été lancé un
projet pour un « nouveau » Moyen-Orient. Actuellement,
après la pénétration armée en Afghanistan et en Irak, les intérêts
géostratégiques des anglo-américains et de leurs alliés
occidentaux se concentrent, au nord, vers l’aire centrasiatique,
pour contenir et aiguillonner les intérêts géopolitiques de la
Russie, et pour tester le dispositif eurasiatique de sécurité
mis en acte par l’Organisation de Shanghai (SCO) ; et au
sud-est pour limiter certaines prises de position de l’allié de
toujours, le général Musharaff. Il faut se souvenir qu’en juin
2006, justement, le Pakistan et l’Iran ont été invités comme
observateurs de la SCO. Auparavant, en février, le Pakistan avait
avancé sa propre candidature comme membre effectif. L’adhésion
du Pakistan est soutenue évidemment
par la Russie à condition que l’Inde aussi, actuellement
observateur, devienne membre effectif de l’Organisation de
Shanghai. Si cela se réalisait, l’axe historique
Washington-Islamabad serait rompu. D’où l’initiative du
« Nouveau Grand Moyen Orient ».
Les USA veulent un Pakistan déstabilisé, à mettre, dans le
meilleur des cas, sous la tutelle de l’ONU, ou à occuper, comme
dans les cas de l’Afghanistan et de l’Irak.
L’attentat contre B. Bhutto a suscité une grande préoccupation
à Moscou. De fait, selon certaines agences, la Russie a condamné
« avec force »
l’attentat d’aujourd’hui (27 décembre). En particulier,
Mikhail Kaminin, porte parole du ministère des Affaires Etrangères,
en souhaitant que
« les dirigeants du Pakistan arrivent à prendre les mesures
nécessaires pour garantir la stabilité du pays », a rappelé
que Moscou « avait plusieurs
fois averti de prêter attention au fait que les autorités
pakistanaises auraient du s’employer au maximum pour garantir la
stabilité dans le pays dans
cette période cruciale ». Selon le vice-ministre des
Affaires étrangères, Aleksandr Lossiukov, « un tel
attentat peut devenir
un énième facteur d’instabilité dans un pays déjà fragile
à la veille d’élections importantes ».
Canzano :
Le retour de Bénazir Bhutto était-il vu comme un déblocage
alternatif vers la démocratie ?
Graziani :
Oui, le retour de Bhutto a été « lancé » médiatiquement
comme une opportunité démocratique
pour le Pakistan. On a fait passer ad arte le message que
grâce à Bhutto allait
s’ouvrir pour le Pakistan une ère nouvelle, c’est-à-dire
qu’il était possible de réaliser l’irréalisable, à savoir
un Pakistan laïc et démocratique. Quand au contraire cet
avortement géopolitique qu’est le Pakistan a été créé par
les puissances occidentales justement sur une base
confessionnelle.
Canzano :
Pervez Musharraf devait-il accepter avec l’arrivée de Bhutto
d’être un demi-leader ?
Graziani :
Musharraf joue sur deux tableaux. Il a consenti à quitter son
uniforme et à fixer la date des élections présidentielles,
comme lui avait conseillé Negroponte, l’émissaire de Bush et
de Condoleeza Rice, et ex-homme fort de Reagan en Amérique du
Sud. Le général pakistanais
est cependant un homme de pouvoir qui n’acceptera jamais
un rôle de second plan. Pour cette raison aussi, en ce moment, il
est, peu fiable pour Washington.
Canzano :
Le Pakistan en 1947 devient indépendant de l’Inde britannique
et ensuite ?
Graziani :
Le Pakistan, plus que devenir indépendant, a été créé ex-novo
en tant que nation musulmane par les puissances occidentales qui
n’arrivent pas à contenir dans le Raj britannique, les
tendances sécessionnistes dirigées par les nationalistes
musulmans. Son nom même est un acronyme qui, inventé, dans les
années Trente, par un jeune nationaliste musulman, Choudary Ramat
Ali, est pris par le nouvel organisme en 1947, quand il se détache
de l’Inde. A cette époque le Pakistan était formé de deux
entités géographiques, le Pakistan occidental et celui oriental,
l’actuel Bangladesh, séparées de quelques milliers de kilomètres
par le territoire indien.
Le Pakistan a connu, au cours de sa brève histoire de soixante
ans à peine, au moins trois cycles
géopolitiques. Un premier cycle va de 1947 à 1971, quand
le Bangladesh conquit son indépendance. Pendant ces années là,
le Pakistan joua un rôle important dans le cadre de la doctrine
Truman, de contention de l’Urss : il est, de fait, membre
des deux systèmes distincts d’alliances : CENTO (Pacte de
Bagdad) et OTASE
(Pacte de Manille).
Après l’indépendance du Bangladesh, le Pakistan, d’un point
de vue géopolitique, se réoriente vers le Proche-Orient et le
monde musulman du Golfe. Sur la fin des années 70, avec la révolution
iranienne et l’invasion soviétique de l’Afghanistan,
Islamabad se confirme à nouveau comme un allié privilégié pour
les USA. Un troisième cycle s’est ouvert avec l’effondrement
de l’Union Soviétique. Le Pakistan, pendant ces dernières années,
semble vouloir renforcer ses rapports avec les républiques
centrasiatiques, dont il deviendrait la voie privilégiée
vers l’Océan indien : une voie qui étant fonctionnelle
aux intérêts eurasiatiques de la SCO, est contrecarrée par
Washington et Londres. Ce qui arrive aujourd’hui au Pakistan est
le miroir des tensions en cours dans le Myanmar.
Canzano :
Les frontières avec l’Afghanistan sont-elles à risque ?
Graziani :
Dans une perspective d’occupation du Pakistan par le forces
occidentales, oui certainement.
Canzano :
Les élections du 8 janvier sont-elles à risque ?
Graziani :
il est difficile de faire des prévisions.
Interview
réalisée le 27 décembre 2007
Edition
du 28 décembre 2007
http://www.policamentecoretto.com/index.php?nexs=1970
giovanna.canzano@email.it
Traduit
de l’italien par Marie-Ange Patrizio
Bibliographie :
Tiberio
Graziani est directeur de la revue Eurasia,
Rivista di studi geopolitici, (Revue d’études géopolitiques)
(www.eurasia-rivista.org).
Il a dirigé les livres entrevues : Serbie, tranchée
d’Europe, interview de
Dragos Kalajic et Irak, tranchée d’Eurasie,
interview à Père Jean-Marie Benjamin (Edizioni
all’insegna del Vetro). Il dirige en outre, pour les Edizioni
all’insegna del Vetro, la collection « Quaderni di
geopolitica ».
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