UN ENTRETIEN AVEC THIERRY MEYSSAN
Du G20 à Durban II, le dessous des cartes
Le président de la
Confédération suisse Hans-Rudolf Merz et le président iranien
Mahmoud Ahmadinejad,
à Genève, le 19 avril 2009
Mardi 21 avril 2009
Sur fond de crise économique et financière, du G20 à Durban II,
les sommets et les conférences internationales se succèdent sans
que les médias dominants nous éclairent beaucoup sur ce qui s’y
joue et s’y décide vraiment. Silvia Cattori a demandé à Thierry
Meyssan son appréciation de l’évolution des rapports de force
induite par cette crise, et des politiques mises en œuvre par
les Etats-Unis et la finance anglo-saxonne pour maintenir leur
prééminence.
Silvia Cattori :
Quels étaient les
objectifs des États-Unis au récent G20 de Londres ? Dans quelle
mesure sont-ils parvenus à les atteindre ? Ont-ils réussi à se
rallier une majorité de dirigeants politiques ?
Thierry Meyssan :
Les deux sommets des chefs d’État et de gouvernement du G20 à
Washington, puis à Londres, ont consacré la suprématie de la
finance anglo-saxonne, et posé les prémisses d’un gouvernement
économique mondial sous leadership anglo-saxon.
Le troisième sommet est prévu
à New York en marge de l’Assemblée générale de l’ONU ; ce qui
est une manière d’humilier cette assemblée et d’affirmer
l’existence d’un directoire économique des 20, équivalent au
directoire politique du Conseil de sécurité, en dehors des
institutions de l’ONU.
Cependant, malgré les
embrassades publiques, aucun accord significatif n’a été conclu
entre les membres du G20. Les déclarations finales énumèrent des
principes généraux qui n’engagent personne et des actions
précises qui ont toutes été prises en dehors du sommet et dont
aucune ne concerne les 20 à la fois [1].
Le sommet de Londres pourrait donc s’avérer être un sommet de
dupes.
La politique financière et
économique de l’administration Obama est élaborée par un
ensemble complexe d’organismes. Elle se situe en totale
continuité de celle de l’administration Bush [2].
Vous vous souvenez d’ailleurs que les plans Bush-Paulson ont été
soumis au candidat Obama et approuvé par lui avant d’être
présentés au Congrès. Le secrétaire au Trésor Tim Geithner a
succédé à Henry Paulson avec lequel il travaillait depuis
plusieurs mois. Geithner a commencé sa carrière comme « nègre »
d’Henry Kissinger dont il écrivait les textes économiques. Bref,
le changement n’existe que dans les slogans de Barack Obama.
Le Conseil économique
national des États-Unis est présidé par Lawrence Summers,
l’économiste qui a organisé, en 1999, le démantèlement des
législations mises en place lors de la crise de 1929 pour en
empêcher la répétition. À l’époque, son but était de favoriser
une spéculation sans limites pour drainer les richesses du monde
vers Wall Street. C’est toujours avec le même objectif qu’il
poursuit son œuvre à travers les divers plans de sauvetage, de
stabilisation etc. qu’il a imaginé.
Le Comité des conseillers
économiques de la Maison-Blanche, dirigé par l’historienne
Christina Romer, considère que la guerre d’Irak a provoqué la
crise financière. Elle n’a pas rapporté grand-chose aux
Anglo-Saxons, mais les a très lourdement endettés. Selon Mme Romer,
qui est une spécialiste de la crise de 1929, la guerre n’est
donc pas la solution à la crise, c’est une de ses causes.
Contestant les analyses classiques de ses collègues historiens
de l’économie, Mme Romer affirme que ce n’est pas la Seconde
Guerre mondiale qui a permis aux États-Unis de sortir de la
crise de 29, pas plus que le New Deal de Roosevelt, mais
l’afflux de capitaux européens à partir de 1936 et de « la
montée des périls ». Il convient donc de provoquer un phénomène
identique aujourd’hui.
De son côté, le Comité de la
Maison-Blanche pour la reprise économique, présidé par Paul
Volcker et articulé aux autorités britanniques, se préoccupe de
profiter de la crise pour restructurer les transnationales et
leur permettre de racheter le maximum d’entreprises pour une
bouchée de pain. Les Français ont pu tester le goût amer de ses
recommandations avec la fermeture de l’usine Caterpillar de
Grenoble ; le patron de cette transnationale siège dans ce
Comité à la Maison-Blanche [3].
Initialement, la mise en
œuvre de ces stratégies devait être coordonnée par le Conseil de
Summers. Mais en définitive, tout a échu au Conseil de sécurité
national du général James Jones où l’inévitable Henry Kissinger
et son ex-associé Brent Scowcroft supervisent quotidiennement
les décisions. Pendant que l’on distrait l’opinion publique en
discutant de la différence de couleur de peau entre Bush et
Obama, les mêmes individus continuent à exercer le pouvoir et à
l’exercer de la même manière.
Concrètement, au cours des
derniers mois, les Anglo-Saxons ont orienté la politique de
leurs « clients » (au sens impérial romain du terme,
c’est-à-dire de leurs protégés) pour qu’ils renflouent le
système bancaire international. Les États, donc les peuples, ont
dû payer les pertes des banquiers anglo-saxons. Dans certains
cas, les États ont nationalisé —partiellement ou totalement— des
banques, créant ainsi l’équivalent des fonds souverains des
États pétroliers. Le système spéculatif, qui est à l’origine de
la crise, a donc été validé et les États en sont devenus acteurs
directs.
Pour sauver le niveau de vie
des Anglo-Saxons, trois décisions ont été prises :
En
premier lieu, les moyens du FMI et de la Banque mondiale pour
pressurer le tiers-monde ont été augmentés. Les pays pauvres
sont les premiers mis à contribution pour renflouer les riches,
en espérant que leur population ne sera pas décimée par la crise
alimentaire à venir.
Deuxièmement,
la chasse a été ouverte pour contraindre les capitaux placés
dans des banques des pays hors G20 à migrer vers les États-Unis,
le Royaume-Uni et leurs paradis fiscaux [4].
Pour ce faire, les Anglo-Saxons et leur « idiot utile » Nicolas
Sarkozy ont proclamé « la fin du secret bancaire », c’est-à-dire
la fin de la protection de la vie privée. Il va de soi que
toutes les fraudes et les abus pourront continuer comme avant,
pourvu qu’ils aient lieu à l’abri des banques anglo-saxonnes,
aux Bahamas ou aux îles anglo-normandes. Les Suisses seront sans
aucun doute les premières victimes de ce grand racket.
Enfin,
si cela ne suffit pas, les Anglo-Saxons ont prévu de
déstabiliser des pays riches pour contraindre les capitaux qui
s’y trouvent à migrer à leur tour. Un test a été réalisé
grandeur nature en Grèce. La CIA et le MI6 ont acheminé en
autobus des voyous recrutés au Kosovo et en Albanie pour casser
des centre-ville en Grèce. On a immédiatement assisté à une
fuite des capitaux.
Il ne s’agit pas uniquement
d’une politique états-unienne, mais bien d’une politique
anglo-saxonne visant à sauver à la fois Wall Street et la City.
Les principaux des responsables économiques de l’administration
Bush (Geithner, Volcker, etc.) sont membres de la très discrète
Pilgrim’s Society, dont l’assemblée annuelle à Londres est
présidée par la reine Elizabeth II d’Angleterre et dont la
section US est vice-présidée par Henry Kissinger.
Silvia Cattori :
Le développement de
la crise économique, va-t-il, selon vous, entraîner un déclin
rapide et durable de la position des États-Unis dans le monde ?
Thierry Meyssan :
Je ne suis pas économiste, mais analyste politique. Au
demeurant, cela n’est pas un handicap pour vous répondre, car la
politique économique des États-Unis est aujourd’hui pilotée par
des politiciens et des militaires, pas par des économistes.
Washington a choisi la fuite
en avant. Henry Kissinger a affirmé que la crise était une
occasion inespérée pour terminer la globalisation en profitant
de l’affaiblissement de tous ceux qui s’y opposaient. Cette
manière de penser relève, selon moi, de l’hubris,
du délire de puissance. Ce genre de raisonnement a déjà poussé
plus d’un empire à sa perte. Washington veut sortir de la crise
en remodelant le monde à sa convenance, mais sans changer
lui-même. Cela devrait conduire à une rupture brutale.
La logique des empires
voudrait que tout commence par la révolte de vassaux et réveille
des forces centrifuges. Ce pourrait être un décrochement au sein
de l’OTAN ou de l’Union européenne, suivi de troubles intérieurs
aux USA et de sécessions. Il ne s’agit pas là d’une prédiction,
mais d’une déduction élaborée en appliquant des modèles
historiques à la situation actuelle. Je me borne à décrire le
sens naturel de la chute, étant entendu que les hommes peuvent
toujours écrire leur histoire. Mais cette déduction a d’autant
plus de probabilité de se vérifier que les dirigeants
états-uniens continuent sur leur lancée et refusent obstinément
de remettre leur système en question.
Mon ami le professeur Igor
Panarin [5],
qui étudie les mouvements séparatistes aux États-Unis depuis une
décennie, estime que ceux-ci sont arrivés à maturation. Il
prévoit la première sécession en 2010 et la dislocation des
États-Unis dans les cinq ans pour donner naissance à de nouveaux
États. Sa réflexion tient compte à la fois du modèle de
dislocation de l’URSS, des facteurs ethniques particuliers aux
USA, et des conflits historiques internes des sociétés
anglo-saxonnes.
Les régimes fantoches mis en
place par Washington dans de nombreux pays ne survivront pas à
l’effondrement des États-Unis. Nous assisterons à une profonde
transformation du paysage politique mondial, comme lors de la
disparition de l’URSS.
Ce dont nous parlons vous
paraît peut-être surréaliste, mais personne ne prévoyait début
1989 que le Pacte de Varsovie et l’URSS auraient disparus fin
1991.
Silvia Cattori :
Dans quelle mesure
cette évolution va-t-elle se répercuter à court et moyen termes
sur la puissance militaire des États-Unis, et avec quelles
conséquences ?
Thierry Meyssan :
Pour le moment, les États-Unis sont encore là. Dans la vie
sauvage, une bête blessée est plus dangereuse qu’une bête saine.
Nous ignorons si les dirigeants US sont capables du sang-froid
dont firent preuve Mikhaïl Gorbatchev et son équipe en assistant
à la mort de leur patrie.
Fils d’une sociologue
travaillant aux programmes de contre-insurrection de la CIA en
Indonésie, puis formé par Zbignew Brzezinski à l’université de
Columbia et probablement à la Commission trilatérale, Barack
Obama a mis son talent au service de la National Endowment for
Democracy (NED), un organisme créé par les néo-conservateurs
pour externaliser les actions de déstabilisation de la CIA [6].
C’est pourquoi son tropisme personnel le conduira spontanément à
privilégier les actions secrètes. Et tout porte à penser que
Washington en prépare actuellement, notamment en Amérique
latine.
Au demeurant, nous observons
que pendant que la presse occidentale glose sur le choix du
« first dog » et autres nouvelles distrayantes, les États-Unis
se livrent à de nouvelles agressions. Par exemple, des groupes
kosovars, encadrés par la CIA, ont vandalisé des villes
grecques. Ou encore, les services secrets roumains, encadrés par
la CIA, viennent de tenter de prendre le pouvoir en Moldavie.
Personne ne réagit, alors même que la puissance sous-traitant
cette agression, la Roumanie, est membre de l’Union européenne.
Quoi qu’il en soit, la
plupart des analystes pensent que George W. Bush n’a jamais
exercé la réalité du pouvoir, mais que d’autres derrière lui
s’en chargeaient. Je ne vois pas pourquoi le changement de
président aurait changé quoi que ce soit à cette réalité. Aux
États-Unis, le pouvoir appartient d’abord aux militaires.
Ceux-ci doivent faire face à la crise financière. Il leur manque
environ un quart des ressources nécessaires à l’exécution du
budget 2009 de la Défense. Cela signifie qu’ils doivent non
seulement renoncer à acquérir de nouveaux matériels et à
renouveler les anciens, mais qu’ils doivent opérer de
gigantesques coupes dans les budgets ordinaires.
Dans un premier temps, Robert
Gates et ses mentors, Brent Scowcroft et Henry Kissinger, ont
opté pour le non-renouvellement des contrats de mercenariat en
Irak et pour l’arrêt de programmes d’armement pharaoniques.
Puis, il a fallu décider de suspendre le prétendu « bouclier
anti-missiles » et l’entretien de la « force de dissuasion
nucléaire ». Tout ça étant présenté comme un geste de bonne
volonté face à la Russie et comme une initiative unilatérale
pour un monde sans bombes atomiques. Cela sera très insuffisant
si la crise financière se poursuit.
Au plan stratégique, l’heure
est au repli. Le Pentagone cherche comment se sortir d’Irak la
tête haute et essaye de refiler l’effort afghano-pakistanais à
ses alliés. Il se trouve piégé par la décomposition du Pakistan.
Cet État de 173 millions d’habitants a de facto déjà éclaté. Il
sera impossible de ne pas y intervenir, car il faudra bien
contrôler dans quelles mains reviendra la bombe pakistanaise.
Silvia Cattori :
Comment vont évoluer
les rapports des pays occidentaux avec l’Iran, et le bras de fer
engagé par des forces militaristes notamment par Israël et le
fervent soutien de la France sur la « menace nucléaire »
iranienne » ?
Thierry Meyssan :
Le projet d’attaque de l’Iran répondait au seul agenda des
partisans du remodelage du Grand Moyen-Orient, c’est-à-dire le
lobby pétrolier et le mouvement sioniste. Les néo-conservateurs
avaient inventé la fable du programme militaire nucléaire
iranien et une presse crédule l’a répété, comme elle avait
répété la fable des armes de destruction massive de Saddam
Hussein.
Alors que nous avons frisé le
bombardement nucléaire de l’Iran, cette option a été écartée par
ceux que l’on a appelé « les généraux en révolte », en décembre
2007 [7].
Obama s’est placé à leur service en 2008, comme l’a rendu public
le général Colin Powell, et ils l’ont aidé à s’installer à la
Maison-Blanche. Il n’y a donc aucune raison de penser que
l’attaque de l’Iran sera reprogrammée.
Les discussions entre
Washington et Téhéran sont conduites par plusieurs canaux
simultanés et sont très avancées. Le Pentagone a besoin de
l’aide des Iraniens en Irak et en Afghanistan. De plus,
Washington doit séduire Téhéran pour l’écarter de Moscou et
prévenir une extension de l’influence russe au proche-orient.
Il est affligeant d’entendre
Nicolas Sarkozy et Bernard Kouchner s’en prendre encore à
l’Iran, alors que leurs maîtres états-uniens n’ont plus besoin
qu’ils aboient dans cette direction.
Il est tout aussi grotesque
d’entendre les dirigeants israéliens continuer à menacer l’Iran
alors qu’ils n’en ont pas les moyens. Soutenu en sous-main par
l’administration Bush, Tel-Aviv avait envisagé de bombarder
l’Iran durant les Jeux olympiques. Israël avait loué deux bases
aériennes en Géorgie et y avait stationné ses bombardiers.
Techniquement, il pouvait les faire décoller de Tbilissi pour
bombarder des objectifs en Iran et les ramener en Palestine
occupée, alors que —compte tenu de la distance et de l’autonomie
de vol des avions— il est impossible de réaliser une telle
opération depuis la Palestine occupée. Or, la Russie, qui a
signé un accord de défense avec l’Iran [8],
est intervenue dès qu’elle a pu pour détruire les installations
israéliennes en Géorgie et les États-Unis n’ont pas réagi. Pour
être plus claires encore, les autorités russes ont répondu aux
dernières déclarations israéliennes en rappelant que les
techniciens de la centrale nucléaire de Bushehr sont tous
Russes. En d’autres termes, bombarder les installations
nucléaires iraniennes, c’est tuer des citoyens russes et entrer
en guerre contre la Russie.
Silvia Cattori :
Dans ce contexte
général, quel rôle les États-Unis cherchent-ils à faire jouer à
l’OTAN, et à quels obstacles pourraient-ils se heurter dans leur
dessein ?
Thierry Meyssan :
Pour comprendre les enjeux actuels, il faut d’abord comprendre
ce qui se passe depuis neuf ans.
En 2000, lorsque la classe
dirigeante US a truqué les élections et imposé George W. Bush à
la Maison-Blanche, le projet était d’établir « un nouveau siècle
américain ». Ces gens pensaient que les États-Unis devaient
profiter de leur avantage militaire pour devenir un empire
global. Ils avaient programmé un choc psychologique, « un
nouveau Pearl Harbor » selon leur expression, pour opérer ce
virage. Ce fut le 11-Septembre. Ce jour-là, Henry Kissinger
définit la « guerre globale au terrorisme » [9]
Il expliqua que le but ne serait pas de punir les auteurs des
attentats, mais de détruire « le système » faisant obstacle à la
puissance US, comme la réponse apportée à Pearl Harbor n’avait
pas eu pour but de punir le Japon, mais de détruire tout ce qui
faisait obstacle à la puissance des États-Unis.
Or, en 2003, l’administration
Bush-Cheney s’écarta du mandat que lui avait donné la classe
dirigeante US. Elle décida de coloniser l’Irak et la fit
exploiter par une société privée, l’Autorité de la Coalition en
Irak, constituée sur le modèle de la Compagnie des Indes [10].
Le général Brent Scowcroft fut le premier leader US à s’opposer
à ce projet [11].
Non pas comme Dominique de Villepin au nom du droit
international, mais parce que ce projet d’un autre âge allait
« détourner les États-Unis de la guerre au terrorisme ».
Scowcroft fut le maître à
penser des généraux qui se révoltèrent en 2006 contre le projet
d’attaque de l’Iran. Le vieil homme exerça une influence
prépondérante sur la Commission Baker-Hamilton par
l’intermédiaire de son fils spirituel, Robert Gates, qu’il
imposa bientôt au département de la Défense. C’est encore
Scowcroft qui conseille aujourd’hui Obama pour toutes les
nominations relatives à la défense et à la politique étrangère.
Et le général James Jones, conseiller de sécurité nationale, a
lui même admis qu’il tenait quotidiennement ses ordres non pas
du président Obama mais des éternels complices Brent Scowcroft
et Henry Kissinger.
Après la parenthèse 2003-06
de la colonisation de l’Irak, nous voici revenu à la case du
11-Septembre. L’objectif assigné à l’administration Obama, c’est
la reprise de la « guerre au terrorisme » que le tandem
Bush-Cheney n’aurait jamais dû reléguer au deuxième rang.
L’OTAN, que MM. Bush et
Cheney n’avaient pas réussi à mobiliser en Irak, va être
sollicitée pour la guerre au terrorisme —éventuellement aussi
pour la prétendue prévention des génocides—. C’est le cas en
Afghanistan. Robert Gates, puis Barack Obama ont souligné que si
les Européens ne venaient pas en Asie centrale, ils devraient
affronter sur leur sol des 11-Septembre. Le chantage est on ne
peut plus clair. C’est également le cas dans l’océan indien. Les
USA y testent un nouvel alibi, la piraterie. Des va-nus-pieds,
disposant de renseignements exceptionnels et d’armes dernier
cri, abordent des navires de toutes catégories, allant des
bateaux de plaisance pour faire pleurer la ménagère aux cargos
transportant des armes pour titiller les alliés. Une story
hollywoodienne a été récemment mise en scène avec le courageux
capitaine Philips prêt à sacrifier sa vie pour sauver son
équipage, avant d’être sauvé à son tour par les commandos de
l’US Seal. Quoi qu’il en soit, le but est inchangé : trouver une
noble cause qui justifie un déploiement militaire permettant de
détruire tout ce qui fait obstacle à la puissance US. Les médias
US ont d’ailleurs fait la comparaison avec la Guerre contre les
Barbares, qui opposa les États-Unis, le Royaume-Uni et les
Pays-Bas à l’Empire ottoman. C’est dans cet état d’esprit que
l’OTAN a engagé depuis la mi-mars l’opération Allied Protector
au large de la corne de l’Afrique. Elle étend l’opération Active
Endeavour (contrôle de la Méditerranée) mise en œuvre depuis le
11-Septembre.
Silvia Cattori :
Quelles implications
aura la crise économique mondiale sur la politique des
Etats-Unis au Moyen-Orient ? Les régimes arabes, alliés de
Washington vont-ils poursuivre leur politique d’alignement en
dépit de l’aversion de leurs populations à l’égard des
États-Unis ?
Thierry Meyssan :
Au Proche-Orient comme ailleurs, Washington n’a plus les moyens
de sa politique et ses employés doivent penser à changer de plan
de carrière.
L’administration Obama, qui
pense pouvoir venir à bout de la crise financière, a décidé de
geler le Proche-Orient le temps nécessaire à la convalescence de
son économie. Ses protégés sont donc certains de rester en place
à court terme. Cependant beaucoup d’entre eux pensent que les
États-Unis ne se relèveront pas et qu’ils les abandonneront
comme l’URSS malade abandonna les régimes communistes d’Europe
orientale. D’où la volonté de certains acteurs de négocier des
compromis avec l’axe Téhéran-Damas-Hezbollah-Hamas tant que
c’est possible. Mais il s’agit pour le moment de l’attitude
individuelle de quelques opportunistes, pas d’un revirement de
régimes.
Silvia Cattori :
Comment voyez-vous
les répercussions de ces évolutions sur la question
palestinienne ?
Thierry Meyssan :
Pour parvenir à la Maison-Blanche, Obama a constitué une
coalition hétéroclite, incluant aussi bien les généraux
nationalistes qui refusent d’entreprendre des guerres pour
servir les intérêts israéliens que la faction « réaliste » du
mouvement sioniste. Cette coalition est consciente qu’elle peut
exploser sur la question israélienne et que chacune de ses
composantes est donc obligée de faire des concessions et de
parvenir à un accord.
Le maintien de la colonie
juive en Palestine restera un objectif majeur pour les
États-Unis, mais les Israéliens ne peuvent espérer aucune aide
au delà. Ils ne peuvent tenter aucune aventure militaire durant
cette période. Ils ont d’ailleurs obéi à l’administration Obama
lorsque celle-ci a exigé que les opérations contre les
Gazaouites soient interrompues au plus tard au début de la
cérémonie d’investiture.
Il faut maintenant envisager
les choses sous un autre angle : comment Washington pourra-t-il
continuer à protéger la colonie juive de Palestine si des
révolutions populaires renversent le gouvernement égyptien et
l’Autorité palestinienne ?
Silvia Cattori :
Comment appréciez
vous le clash qui a opposé l’Iran aux pays de l’Union européenne
présents hier à la conférence Durban II des Nations Unies ?
Thierry Meyssan :
Un des enjeux majeurs de la conférence de Durban était de
qualifier le sionisme. En 1975, l’Assemblée générale de l’ONU
avait adopté une résolution affirmant que « le sionisme est une
forme de racisme et de discrimination raciale » [12].
Lors de la conférence de Madrid sur la paix au Proche-Orient,
l’Assemblée générale a abrogé cette résolution pour saluer
l’attitude nouvelle d’Israël [13].
Quatre ans plus tard, l’assassinat d’Yitzakh Rabin par un
fanatique juif mettait fin à tout espoir de paix. Depuis cette
date, il est nécessaire de restaurer la résolution de 1975 pour
combattre ce fléau, c’est ce qui a été tenté à Durban I et
devait l’être à Durban II.
Le secrétaire général de
l’ONU, Ban Ki Moon, a adopté une position préalable consistant à
dire que tous les États membres luttent contre le racisme et,
donc, qu’aucun d’entre eux n’est raciste. Les États-Unis, qui se
souviennent de la manière dont le secrétaire d’État Colin Powell
avait été humilié à Durban I, ont décidé de boycotter la
conférence. La France a désigné un ambassadeur spécial, le
lobbyiste sioniste François Zimeray [14],
pour saboter la conférence en plus de la secrétaire aux Droits
de l’homme, Rama Yade, qui y a consacré toute son énergie.
Plusieurs gouvernements se sont concertés à l’avance pour
quitter la salle lors du discours du président iranien, ce que
leurs ambassadeurs ont fait.
Nous avons alors assisté à un
extraordinaire numéro d’intoxication. Avant que le président
iranien ait pu terminer sa première phrase, trois militants de
l’Union des étudiants juifs de France déguisés en clowns ont
perturbé la séance. Puis, le show a continué, les ambassadeurs
de l’Union européenne ont quitté la salle. Tout a été fait pour
que le public occidental n’ait pas connaissance des propos de la
délégation iranienne.
Or, qu’a dit le président
Ahmadinejad ? Il n’a pas appelé à rayer Israël de la carte et
n’a pas nié le génocide juif. Il ne l’a d’ailleurs jamais fait
contrairement aux imputations mensongères de la presse
atlantiste [15].
Non. Il a apporté des
éléments de réflexion [16].
Selon lui, la création de l’État d’Israël n’est pas une
réparation des crimes commis contre les juifs d’Europe durant la
Seconde Guerre mondiale, mais la continuation de l’idéologie
raciste qui caractérise non seulement le nazisme, mais aussi le
colonialisme. Les juifs d’Europe furent victimes du racisme,
comme les Palestiniens, les Afghans et les Irakiens en sont
aujourd’hui victimes. Il ne s’agit pas d’assimiler le régime
sioniste avec le régime hitlérien —deux réalités
fondamentalement différentes—, mais de manière beaucoup plus
large de mettre en cause l’idéologie occidentale.
Ceci étant posé, Mahmoud
Ahmadinejad a dénoncé le rôle du Conseil de sécurité dans
l’immunité des crimes racistes en Palestine, en Afghanistan et
en Irak. Et il a conclu en requérant l’abrogation du droit de
veto des grandes puissances au Conseil de sécurité. Il a plaidé
pour des institutions internationales démocratiques, où chaque
État disposera d’une voix égale, y compris au FMI et à la Banque
mondiale qui ont actuellement un scrutin censitaire. Pour lui,
l’idéologie raciste s’exprime à l’ONU par la hiérarchie établie
entre les États ; hiérarchie au sommet de laquelle se trouvent
les cinq membres permanents du Conseil de sécurité.
Au demeurant, l’attitude des
Anglo-Saxons et des Européens, qui ont boycotté la conférence,
perturbé son discours et quitté la salle, atteste leur refus
d’institutions démocratiques et donne raison au président
iranien.
Silvia Cattori
[1]
« Déclaration
des chefs d’État et de gouvernement du G20 »,
« Déclaration
du G20 sur la fourniture des ressources par l’intermédiaire des
institutions financières internationales »,
« Déclaration
du G20 sur le renforcement du système financier »,
Réseau Voltaire, 2 avril 2009.
[2]
« Économie :
Obama choisit ceux qui ont échoué »,
par Éric Toussaint et Damien Millet ; « Les
artisans de la débâcle économique continuent leur besogne au
sein du gouvernement Obama », par
Michel Chossudovsky, Réseau Voltaire, 1er et
8 décembre 2008.
[3]
« Révolte
des ouvriers français de Caterpillar »,
Réseau Voltaire, 31 mars 2009
[4]
« Le
G 20 : une hiérarchisation des marchés financiers »,
par Jean-Claude Paye, Réseau Voltaire, 9
avril 2009.
[5]
Site
officiel du professeur Igor Panarin
[6]
« La
NED, nébuleuse de l’ingérence "démocratique" »,
par Thierry Meyssan, Réseau Voltaire, 23
janvier 2004.
[7]
« Washington
décrète un an de trêve globale », par
Thierry Meyssan, Réseau Voltaire, 3 décembre
2007.
[8]
« Déclaration
finale du deuxième sommet des pays riverains de la mer Caspienne,
Réseau Voltaire, 16 octobre 2007.
[9]
« Destroy
The Network », par Henry Kissinger.
Article mis en ligne sur le site du Washington
Post, le 11 septembre 2001 au soir, puis publié dans
l’édition papier datée du 12 septembre.
[10]
« Qui
gouverne l’Irak ? », par Thierry
Meyssan, Réseau Voltaire, 13 mai 2004.
[11]
« Don’t
Attack Saddam
It would undermine our
antiterror efforts », Par Brent
Scowcroft, The Wall Street Journal, 15 août
2002.
[12]
« Résolution
3379 de l’Assemblée générale de l’ONU
(10 novembre 1975) »
[13]
« Résolution
46/86 de l’Assemblée générale de l’ONU
(16 décembre 1991) ».
[14]
« Sarkozy
nomme ambassadeur spécial un lobbyiste pro-israélien »,
Réseau Voltaire, 21 février 2008.
[15]
« Comment
Reuters a participé à une campagne de propagande contre l’Iran »,
Réseau Voltaire, 14 novembre 2005.
[16]
« Ahmadinejad
speech : full text »,
news.bbc.co.uk, 21 avril 2009.
Mahmoud Ahmadinejad : « Le Conseil de
sécurité a donné aux sionistes le feu vert pour poursuivre leurs
crimes » , discours intégral de
Durban, Réseau Voltaire, 20 avril 2009.
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