Fériel Berraies Guigny
Proche-Orient
et le nucléaire : Géopolitique d'un drame à venir
Entretien avec Thierry Coville
Thierry Coville - CNRS et IRIS Paris
Dans les pays arabes, on pense à tort ou à raison, que ce
sont les forces islamistes qui peuvent désormais contrer
efficacement la puissance militaire israélienne et l’Occident.
La guerre du Liban a
démontré la projection de puissance de l’Iran au
Proche-Orient, puisque les missiles tirés sur Israël par le
Hezbollah venaient d’Iran. Le président iranien qui veut «
rayer Israël de la carte » a proclamé que son armée disposait
de fusées à longue portée pouvant atteindre Jérusalem. Pour
empêcher l’acheminement des missiles depuis la Syrie et frapper
leurs sites de lancement, l’aviation israélienne avait détruit
au Liban les ponts et les routes, des centrales électriques et
une partie des quartiers chiites de Beyrouth. Cette manœuvre, a
mis aux premières loges, la menace du nucléaire »
islamiste « contre l’occident.
Par ailleurs, il faut
savoir, que c’est auprès du Pakistan que l’Iran s’était
procuré secrètement, entre la fin des années 1980 et le milieu
des années 1990, des équipements et des plans de montage de
centrifugeuses, une technologie permettant d’enrichir de
l’uranium. L’Agence internationale de l’énergie atomique
(AIEA) avait établi que ces transferts de technologie vers la République
islamique avaient été effectués par le réseau clandestin de
l’ancien chef du programme nucléaire pakistanais, Abdul Qadeer
Khan.
Ce dernier, après
avoir confessé publiquement en 2004 qu’il avait coopéré avec
l’Iran, a été placé en résidence surveillée par le régime
pakistanais, qui s’est efforcé de réfuter toute responsabilité
dans ces activités proliférantes. Le Pakistan a refusé que des
services de renseignements occidentaux puissent interroger Abdul
Qadeer Khan.
L’Iran a déclaré,
en avril dernier, être passé à l’étape « industrielle »
d’installations de centrifugeuses, dans son site de Natanz.
L’Iran est soupçonné - mais non accusé formellement par
l’AIEA - de développer un programme nucléaire militaire.
L’Agence technique de l’ONU s’est déclarée incapable, dans
ses rapports successifs, d’établir avec certitude que le
programme iranien était de nature civile, reprochant à Téhéran
de ne pas faire toute la lumière sur ses activités.
Mythe ou réalité ?
L’Iran est il en train de se constituer un arsenal
nucléaire ? L’Occident est il menacé ?
Fériel Berraies
Guigny a rencontré pour le compte de l’Expression,
Thierry Coville
Chercheur
associé à l'Unité mixte de recherche "Mondes iranien et
indien" du CNRS, Thierry Coville est économiste au
Centre d'Observation Economique de la Chambre de Commerce et
d'Industrie de Paris, rédacteur en chef de la revue Accomex,
et ancien allocataire de l'Institut français de Recherche en
Iran. Il est également, Chercheur associé à l’IRIS.
Depuis près de 20 ans il effectue des recherches sur l’Iran
contemporain et a publié de nombreux articles et plusieurs
ouvrages sur ce sujet. Dont le dernier en date « L’Iran,
la révolution invisible » (Editions la Découverte, 2007.
Entretien :
A
l’heure actuelle, la communauté international reste persuadée
que la dimension civile du programme nucléaire iranien,
dont Téhéran se prévaut depuis le début, en 2003, « n’est
qu’une façade », qu’en pensez-vous ?
Il faut éviter
d’être trop catégorique dans ce genre de dossier. Je pense
qu’il faudrait faire davantage confiance à l’Agence
Internationale de l’Energie Atomique qui vient justement de
passer un Accord avec les autorités iraniennes pour passer en
lumière tout le programme nucléaire civil. Personnellement, je
pense qu’il y a des
soupçons, peut être certains éléments qu’on pourrait prendre
en compte, car le programme en question a commencé dans le milieu
des années 80 et on peut penser que l’Iran « avait dans
l’idée de posséder une arme de dissuasions » au moment
de la guerre avec L’Irak. Néanmoins, L’AIEA dit elle-même,
qu’il n’y a aucune preuve à ce sujet. Par ailleurs, il ne
faut pas oublier que l’Iran possède des réserves pétrolières
qui restent limitées et ceci peut justifier une volonté de faire
du nucléaire civile.
On dit de l’Iran que c'est un client important du marché noir
international du nucléaire ?
Oui, on peut dire ça, si l’on tient compte d’un certain
nombre de rapports internationaux émanant de l’AIEA et qui démontrent
des liens « non officiels » entre l’Iran et le
Pakistan. Mais du côté des iraniens, ils s’attendaient déjà
à pareils soupçons du moment qu’ils décidaient de faire du
nucléaire civil. A
l’heure d’aujourd’hui nous ne connaissons pas les intentions
réelles du régime iranien, mais rien ne nous indiquent non plus,
qu’ils sont en train de construire une arme de dissuasion !
Comment
interpréter les propos de Monsieur Kouchner sur le pire à venir
s’agissant de l’Iran ? Ne trouvez-vous pas que français
et américains font monter la pression sur le dossier iranien ?
Oui
absolument et c’est vraiment pas le moment de tenir ce type de
discussion. D’autant qu’il y a des discussions sérieuses
entre l’AIEA et les autorités iraniennes pour mettre la lumière
sur ce programme nucléaire. Donc il faut savoir ce qu’on veut.
Cette politique de transparence que l’on essaye d’établir
risque d’être minée par une attitude de méfiance des deux côtés.
Il est clair que ce type de déclaration ne peut qu’alimenter la
méfiance entre les deux partis et fragiliser la tâche des
experts de l’AIEA.
Est ce un
signe de l’alignement atlantiste
de la politique extérieure française actuelle ? Est
ce une manière de se ranger derrière une « politique du
plus fort » ?
Sans être
franchement catégorique, c’est sur qu’il y a une inflexion
dans le discours, qui est perçue s’agissant du dossier iranien.
Du côté iranien cela a été perçu dans ce sens là. Ce n’est
pas du tout bénéfique pour l’image de la France qui a de tout
temps été considérée par l’Iran, comme un pays indépendant.
Mais j’insiste encore une fois, il s’agit d’une inflexion.
Et du reste, parler de guerre de façon aussi légère demeure
irresponsable.
Le prétexte de la lutte contre la prolifération nucléaire
qui a conduit à la guerre en Irak, ne va t-il pas justifier le même
scénario pour l’Iran ?
C’est
justement l’appréhension de tous ceux qui « connaissent
le dossier » il faut justement éviter de penser que c’est
par une guerre que l’on va régler le problème. Les
statistiques par région montrent justement que les deux régions
qui ont connu le plus de conflits depuis 1945, restent le Moyen
Orient et l’Afrique. Par ailleurs, il faut cesser avec les spéculations,
l’Iran que l’on attaque n’a pour l’instant, attaqué
personne !
Il faut raison garder, on oublie trop vite que ce pays qui n’a
attaqué personne a dans le passé, été attaqué par l’Irak.
Pascal Boniface dans son ouvrage sur les origines du nucléaire,
dit que l’arme nucléaire est devenue synonyme de survie pour
les plus faibles, qu’en pensez-vous ?
Il est difficile dans ce domaine de savoir ce que pensent les
autorités iraniennes, mais on peut raisonnablement penser
qu’une partie de l’autorité iranienne puisse considérer que
la possession d’une arme nucléaire, serait une assurance tout
risque. Mais le fait de faire des pressions continuelles et de
menacer constamment L’Iran,
peut conduire à
cette mouvance. A mon avis, comme je l’ai dit au départ, pour
essayer de sortir de ce dossier le plus vite possible, il faut rétablir
la confiance des deux côtés.
Quel est l’impact
aujourd’hui de
l’arme nucléaire dans les relations internationales ?
Le nucléaire nourrit
beaucoup de phantasmes. Dans l’histoire du nucléaire civile, il
y a un certain nombre de pays qui bien que disposant de
ressources énergétiques comme le pétrole, ont choisi de développer
l’énergie nucléaire pour produire de l’électricité. D’un
autre côté il ne s’agit aucunement de mettre l’impasse sur
les effets néfastes du nucléaire sur l’environnement. Mais à
mon avis, tout le bruit autour du nucléaire militaire, fait
oublier également tous les avantages et
liés au nucléaire civil.
L’arme suprême
constitue t-elle une menace réelle ou surestimée ? L’arme
nucléaire rend elle la guerre impossible ?
Il y a tout de même
des exemples historiques
comme l’URSS qui montrent que le fait de posséder l’arme nucléaire,
n’empêche pas l’effondrement « intérieur. Certes, cela
peut jouer un rôle important en terme de dissuasion, mais le
discours « du fort » car il détient le nucléaire,
est inopérant.
Quelle politique de
dissuasion face au nucléaire iranien? Des sanctions économiques ?
Le militaire ?
Ni l’une ni
l’autre. Avec le prix du pétrole tel qu’il est actuellement,
la seule sanction économique qui vaille, serait relative à son
exportation pétrolière, si on devait en faire un blocus.
Evidemment, cela ferait grimper encore plus les prix du
pétrole, pouvant amener une récession mondiale. De
semblables sanctions économiques, ne feraient que renforcer le
camp D’Ahmadinejad qui se nourrit de ces conflits avec
l’Occident. Il se poserait immanquablement en défenseur de
l’identité nationale. Dans ce dossier, il faut faire confiance
aux experts de l’AIEA, il faut arrêter de parler de sanctions
et surtout rétablir la confiance entre les partis intéressés.
Evidemment, il faut arrêter de diaboliser et de caricaturer
l’Iran comme on le fait, de façon assez ridicule et avec un
certain humour. Je pourrais à cet effet, conseiller à vos
lecteurs de lire mon ouvrage « L’Iran, la révolution
invisible » (1) qui montre la complexité de toute une société,
de tout un régime. Une autre image de ce que les médias
occidentaux veulent donner.
A mon humble avis, le seul recours qui vaille outre le travail des
experts, sera diplomatique
Que pensez-vous du
« rêve chiite » d’étendre
son croissant
de la mer Caspienne à la Méditerranée ?
Je pense que c’est
vraiment n’importe quoi, les communautés chiites sont très
différentes entre elles, c’est une polémique agitée par
certains pouvoirs sunnites dans la région du golfe. Autant je
peux concevoir qu’il y ait eu une certaine exportation de la révolution
islamique, autant je
reste sceptique quant à la viabilité d’un Empire chiite. Bon
il y un certain nombre de vecteurs qui peuvent encourager, mais le
problème reste à mon humble avis local. C’est toujours le cas
d’ailleurs dans la région. Que l’Iran joue des cartes, oui je
le concède, mais je vois mal un Iran qui dirige tout.
C’est loin de la réalité et c’est encore une fois,
beaucoup plus compliqué que ça.
Une dernière
question plus personnelle, pourquoi cet intérêt pour l’Iran ?
J’ai été trois ans
chercheur avec le CNRS pour l’Iran et j’y ai vécu trois ans.
J’ai découvert tout un pays, tout un peuple, une société véritablement
attachante qui méritent beaucoup
mieux que l’image caricaturale que l’on veut bien en
donner. Et au niveau de la recherche, c’est extrêmement
passionnant, même dans le climat actuel.
(1)
Lien pdf de l’introduction de l’ouvrage
http://www.yodawork.com/images/LA%20DECOUVERTE/da/d04683_intro.pdf
Crédits
Presse : Courtesy of F.B.G Communication
www.fbgcom.net
fbgcommunication@yahoo.fr
Crédits photo : IRIS
Entretien réalisé
exclusivement pour
l’Expression
Tunisie.
Publiée le 12 février 2008 avec l'aimable autorisation de Fériel
Berraies Guigny
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