Syrie
Un chercheur belge censuré par le lobby du Conseil national syrien

Pierre Piccinin à
Hama (décembre-janvier 2011/12)
Samedi 10 mars 2012
(La
Nouvelle République, 10 mars 2012)
Pierre Piccinin a
été l’un des tout premiers observateurs
étrangers à entrer en Syrie. Par son
travail de terrain, depuis le début des
événements, il propose une vision très à
contre-courant, véritable source
d’information alternative face aux
médias français. Or, le politologue
belge vient d’être radié du Cercle des
Chercheurs sur le Moyen-Orient (CCMO).
Les motifs invoqués
par le service de communication du CCMO
sont graves ; nous l’avons contacté ;
voici la réponse qui nous a été faite :
«
En décembre dernier, le bureau du CCMO a lancé une procédure
disciplinaire à l'encontre de Monsieur
Piccinin, suite à la polémique créée par
nombre de ses papiers. Monsieur Piccinin
a été invité, à trois reprises, à se
présenter devant le bureau pour défendre
ses travaux. N'ayant jamais donné suite
à nos convocations, menaçant le CCMO
d'un recours en justice et ayant tenu
des propos injurieux à l'égard de
l'association, le Conseil
d'administration du CCMO a voté son
exclusion à la majorité. »
Pierre Piccinin
évoque quant à lui d’autres motivations,
à l’origine de sa radiation : entre
autres, l’influence de deux membres du
Conseil national syrien (CNS), aussi
membres d’honneur du CCMO. Ces derniers
n’auraient que peu apprécié le
franc-parler de Pierre Piccinin sur la
réalité du terrain en Syrie.
Un cas de censure,
donc…
Aucun média
français n’en parlera, ni le
Canard enchaîné, ni non plus
Médiapart, que nous avons pourtant
sollicités.
Dans un entretien
accordé en exclusivité pour
La
Nouvelle République, Pierre Piccinin
revient sur un épisode qui remet en
cause quelques paradigmes
d’universitaires aux ordres du
politiquement correct, et questionne en
profondeur le travail de la presse
française dans le dossier syrien.
propos recueillis par Jonathan MOADAB

Pierre Piccinin, avec Fadwa Suleiman,
porte-parole des rebelles,
dans une cache à Homs - décembre 2011
Pierre Piccinin,
qu'est-ce que c’est, le CCMO, exactement
? Et qu'attendiez-vous d'un tel cercle
de chercheurs ?
Le Cercle des Chercheurs sur le Moyen-Orient a été mis sur pied à
l’initiative de son président, Sébastien
Boussois, jeune docteur en sciences
politiques. Son but était de constituer
un outil performant, pour, dans un
premier temps, permettre d’aider les
jeunes chercheurs à trouver leur marques
; mais, à terme, le but était de créer
un think tank sur le monde arabe, un
centre de recherche indépendant et sans
tabou. C’est du moins ainsi qu’il
m’avait été présenté.
Ces deux aspects m’intéressaient : l’idéal de la jeunesse, avec l’espoir
d’y trouver un franc-parler et une
réelle indépendance, et cette ambition
d’en faire « le » think tank sur le
Moyen-Orient, comme me l’avait confié
son président. Donc, lorsque l’on m’a
proposé d’y adhérer, puis demandé
d’entrer dans le conseil
d’administration, j’ai répondu présent.
Je constate, hélas, que, en matière de tabou et d’indépendance, ma
crainte s’est rapidement confirmée : la
plupart des membres du CCMO, à commencer
par le bureau directeur, se comportent
en arrivistes rompus aux compromissions
et utilisent cette structure pour
promouvoir leur carrière. C’est de bonne
guerre : la plupart des jeunes membres
de ce cercle ont une carrière à faire et
doivent donner des gages; mais c’est
dommage. Ce qui a d’ailleurs entraîné la
démission de plusieurs chercheurs déjà,
assez déçus par cette attitude.
Et, en matière de compétence, de think tank, le CCMO, à peine créé,
rejoint le troupeau des organisations de
ce genre qui, comme me le disait tout
récemment Moncef Marzouki, n’ont jamais
rien compris au monde arabe et n’y
comprendront jamais rien, car elles
s’enferment dans des grilles de lecture
préfabriquées par l’Occident,
politiquement correctes surtout, et
refusent toute remise en question.
Le CCMO est une structure assez récente. Elle n’est pas très connue et,
en fin de compte, ma radiation par ce
groupe n’a en soi que peu d’importance.
Ce qui est proprement effarant, par
contre, c’est la manière dont les choses
se sont passées et, surtout, les
motivations des membres administrateurs
de ce cercle.
Quelles sont ces motivations et quel
est le conflit qui vous oppose au CCMO
(et à quels membres) ?
Personnellement, je n’ai jamais eu de conflit avec le CCMO, jusqu’à ce
que je me rende une première fois en
Syrie, en juillet 2011, et que je
témoigne de la réalité du terrain : une
opposition minoritaire, fragmentée, aux
objectifs différents, parfois violente
et armée ; et un pays pas du tout à feu
et à sang, généralement très calme, dans
les grandes villes notamment, où une
large partie de la population soutient
le gouvernement, fût-ce par défaut.
J’ai aussi rapporté le fait que j’avais pu me déplacer tout à fait
librement et me rendre partout où je
l’avais voulu.
C’est alors que le vice-président du CCMO, Jean-Baptiste Beauchard,
jeune doctorant, attaché à l’Institut de
recherche stratégique de l'École
militaire (ceci permettant peut-être de
comprendre cela, en France
particulièrement), s’est déchaîné à mon
encontre, m’accusant à mi-mots d’être un
suppôt du régime. Sa réaction,
épidermique, est due –je suppose- aux
faits que, d’une part, mes observations
contredisaient tout ce que lui et son
père, le professeur Jacques Beauchard,
professeur émérite de l'Université Paris
XII, écrivaient et racontaient sur la
Syrie, et, d’autre part, que, moi, je
l’ai fait : j’y étais ; pas eux (c’est
triste à dire, mais le fait que j’ai
couvert tous les terrains du « Printemps
arabe », exception faite du Bahreïn, a
suscité assez bien de jalousie de la
part de plusieurs collègues).
Les articles que j’ai publiés à la suite de mes séjours en Syrie on
continué de m’attirer des inimitiés, et
celle, notamment, du journaliste belge
Baudouin Loos, qui fait la pluie et le
beau temps au quotidien Le Soir,
concernant tout ce qui a trait au
Moyen-Orient, et a choisi une ligne
éditoriale des plus simplistes
concernant la Syrie. Au CCMO, on m’a
expliqué que Baudouin Loos avait menacé
de mettre un terme à la collaboration
entre le CCMO et Le Soir, dans le cadre
de l’organisation d’une conférence, vu
que j’étais membre de ce cercle. On m’a
fait comprendre que je devenais un
problème et qu’il me fallait rentrer
dans le rang ou quitter le cercle. A
tout le moins me mettre un peu à l’écart
du Conseil d’Administration, ce que j’ai
accepté en donnant ma démission (et ce
qui a ensuite été utilisé contre moi :
on a justifié la procédure
disciplinaire, notamment, au motif que
je savais que mes écrits nuisaient au
CCMO, puisque j’avais accepté de me
mettre en retrait du CA - sic).
Ensuite, il y a eu les pressions de Salam Kawakibi, chercheur à
l’université d’Amsterdam et sympathisant
déclaré du Conseil national syrien. Je
ne le connaissais pas et l’ai rencontré
pour la première fois à Bruxelles, à
l’Institut royal pour les Relations
internationales (l’Institut Egmont),
lors d’un séminaire : lorsque j’ai fait
part de mon expérience en Syrie, il a
éclaté, est devenu proprement odieux, et
aucun débat scientifique n’a plus été
possible ; l’esclandre a mis tous les
participants mal à l’aise. J’ignorais
qu’il était membre d’honneur du CCMO,
qui m’en a informé, en m’apprenant aussi
que Kawakibi avait menacé de
démissionner du cercle si je n’en étais
pas éjecté, imité en cela par
Bassma Kodmani, directrice de
l’Arab Reform Initiative et porte-parole
du CNS en France, également membre
d’honneur du CCMO.
Et, à ma connaissance, il y a encore eu la réaction d’un autre membre du
bureau directeur du CCMO, Julien
Salingue, doctorant à l’Université de
Paris VIII. Pour moi, il est devenu le
parfait exemple de cette bienpensance
bobo : d’un côté, il s’insurge –et avec
raison- contre les sionistes qui font
déprogrammer un colloque sur l’apartheid
israélien en Palestine, qu’il avait
tenté d’organiser dans son université,
et crie à l’atteinte à la liberté
d’expression et de recherche ; et, d’un
autre côté, cela ne le gêne absolument
pas de m’exclure et de me censurer sur
le dossier Syrien. Salingue m’a écrit
pour justifier sa position : il trouve
intolérable qu’un de mes articles sur la
Syrie ait été reproduit sur le site
pro-Assad InfoSyrie et estime que « cela
donne à réfléchir »; mais qu’y puis-je
et en quoi suis-je responsable ? Je n’ai
fait que décrire ce que j’avais observé
sur le terrain et tirer les conclusions
qui s’imposaient. Si le Ministère de
l’Information syrien reprend le papier,
ce n’est pas de mon ressort.
Mais, des entretiens que j’ai eus au sein du CCMO, je retiens que ce
sont surtout les menaces de Kawakibi et
Kodmani qui auraient pesé dans la
balance.
Je n’ai par ailleurs eu aucun contact avec les autres membres du CA, et
je ne connais pas certains d’entre eux ;
qui ne me connaissent pas non plus et
avec lesquels je n’ai jamais eu
l’occasion de débattre de mes
observations en Syrie. Je suppose donc
qu’ils ont gentiment voté mon exclusion
pour, eux aussi, montrer patte blanche
et ménager leurs arrières…
Le plus effarant, dans cette histoire, en effet, c’est qu’il n’y a
jamais eu débat. Je n’ai même pas été
entendu : le bureau m’a convoqué à trois
reprises, mais chaque fois à une date où
le président et le vice-président
savaient fort bien que j’étais en Libye
et en Tunisie (pour revoir Moncef
Marzouki, après son élection), puis en
Syrie et, enfin, au Yémen, à l’occasion
des élections. Et, là, le bureau a
décidé de m’exclure, tout d’un coup,
ajoutant aux motifs précédemment
mentionnés le fait que je refusais de me
présenter pour m’expliquer, et ce alors
que je leur avais annoncé que je serais
à Paris début avril et que nous avions
convenu de nous y rencontrer.
Ils ont été jusqu’à retirer du site du CCMO mes articles, qu’ils y
avaient publiés après aval du comité de
lecture pourtant. Je n’existe plus : mon
nom a été martelé, effacé ; mes écrits
sont censurés, c’est la mise à l’index.
Bref, concernant la Syrie, ils donnent les gages qu’on attend d’eux…
Surtout dans la France sarkozienne, dont
le gouvernement soutient les rebelles, y
compris des mouvements salafistes pas
très sympathiques et sûrement pas
démocratiques. Car, en fin de compte, le
CCMO, qui se voulait international,
demeure très franco-français et, vu le
climat de terreur qui règne dans les
universités sur certains thèmes, on peut
les comprendre…
Mais c’est en cela que cette affaire devient sérieuse, car symptomatique
d’une réalité oppressante qui grève la
recherche et empêche la bonne
compréhension, en l’occurrence, du
conflit syrien.
Quelle est la « version officielle »
?
Elle ne diffère pas de ce que je viens de dire ; et c’est précisément ce
qui est interpellant.
Le courrier que j’ai reçu me signifiant mon exclusion, à ma grande
surprise (alors que je pensais
rencontrer le bureau en avril, comme je
l’ai dit), est très clair : « la
polémique suscitée par vos écrits et le
discrédit qu’ils jettent sur la renommée
de notre cercle (…) sont constitutifs
d’un motif grave en faveur de votre
exclusion ».
Comme je le disais, il n’y a même pas débat ; on ne cherche même pas à
savoir si mon travail de recherche est
honorable ou non et si mes conclusions
sont fondées ou non. Aucun débat
scientifique. Je suis exclu parce que
les observations de terrain que j’ai
publiées ne correspondent pas à la
pensée dominante et sont désapprouvées
de facto ; et ils le disent sans s’en
cacher.
Si j’avais menti et travesti les faits, dans je ne sais quel but, et
que, au terme d’une controverse
scientifique, j’eusse été confondu, je
n’aurais rien à redire. Mais il ne
s’agit pas de cela : les faits que j’ai
rapportés sont bien établis et,
d’ailleurs, mes adversaires refusent le
débat pour cette raison ; non, je suis
radié car mes observations dérangent ;
la question de leur qualité et de la
pertinence de mes conclusions ne se pose
même pas !
J’ai été invité à participer à une conférence sur la situation en Syrie,
à l’Université Libre de Bruxelles. A
l’annonce de ma présence à la table,
Baudouin Loos et Salam Kawakibi ont
refusé d’y participer. Et Kawakibi a
répondu aux organisateurs qu’il refusait
de se confronter à « des théories
négationnistes » (sic). Cela dit, ni
l’un ni l’autre n’ont été sur le
terrain. En outre, ils connaissent mes
arguments et les éléments factuels que
j’ai rassemblés lors de mes séjours
d’observation en Syrie. Que
pourraient-ils leur opposer ? Ils le
savent et préfèrent donc éviter le
débat. Il en a été de même de la part de
Thomas Pierret, un chercheur d’Edimbourg
qui m’avait attaqué dans la presse suite
aux articles que j’avais publiés en
juillet 2011, au retour de ma première
incursion en Syrie : invité à confronter
sa position avec la mienne à Paris, il a
aussi refusé le débat.
C’est effrayant qu’on en soit là : on n’est même plus dans le «
politiquement correct » ; on est passé à
la « pensée unique ». On n’en est plus
seulement à dire « ce qu’il faut penser
» ; on en est venu à dire aussi « ce
qu’il ne faut pas penser ».
Et, le plus grave à mon sens (car, des censeurs et des pressions, on en
a toujours connu), c’est que tout cela
ne semble plus déranger personne et que
tout ce petit monde journalistique et
universitaire, à quelques rares
exceptions près, joue parfaitement le
jeu et sait s’indigner quand c’est utile
à la bonne conduite d’une carrière et se
taire à d’autres occasions, voire, même,
a appris à anticiper et à faire montre
de sa soumission en s’attaquant d’emblée
à ceux qui ne disent pas comme il faut.
Outre cela, le bureau me reproche également d’avoir formulé des «
critiques, voire des insultes, à l’égard
du CCMO ».
D’une part, répondant à un courrier qui m’avertissait d’une procédure
disciplinaire à mon encontre, je ne
m’adressais pas « au CCMO », mais aux
seuls membres du Conseil
d’Administration, et ce, de manière très
informelle, puisque je connaissais
personnellement certains d’entre eux.
Mais, surtout, en matière « d’insultes
», voici ce dont il s’agissait : j’ai
comparé à celles de l’Inquisition les
méthodes mises en œuvre à mon égard.
C’est tout. Aujourd’hui le bureau me le
reproche en m’expliquant, avec le plus
grand sérieux du monde, que
l’Inquisition est une institution qui a
tué des milliers de personnes et qu’il
est donc intolérable que j’aie osé
commettre cette comparaison. Quant aux «
critiques » : j’ai supplié le CA de ne
pas faire du CCMO, jeune structure
porteuse d’espoir, un club de
carriéristes prêts à donner tous les
gages qu’on lui demanderait.
Comment vos collègues réagissent-ils
?
Pour l’instant, personne n’est encore réellement au courant. Si votre
article sort dans la presse, je suppose
que ça jettera un froid. Mais,
connaissant les milieux académiques,
chacun viendra certainement me taper sur
l’épaule dans mon bureau et me faire
part de son indignation, mais aucun ne
prendra la plume pour dénoncer la
méthode et, en public, tous feront
semblant de ne pas me connaître.
Votre point de vue sur la Syrie est
bien isolé. Comment expliquez-vous cela
? A part le réseau Voltaire et
vous-même, qui critique le regard des
médias sur la Syrie ?
Il n’est pas si « isolé » que cela… Et il n’est pas nécessaire d’aller
chercher le Réseau Voltaire (à propos
duquel j’aurais quelques réserves à
émettre) pour trouver des témoins du
terrain syrien. Plusieurs chercheurs et
journalistes se sont rendus sur place et
on confirmé, de manière générale, le
tableau que j’avais dressé en juillet
2011 déjà : Alain Gresh (Monde
diplomatique), Gaëtan Vannay (RSR),
François Janne d’Othée (Le Soir),
Françoise Wallemaq (RTBF), Christophe
Lamfalussy (La Libre Belgique), George
Malbrunot (Le Figaro), etc.
Je ne crois pas qu’il y ait « complot » des médias contre le régime de
Damas. Le problème, c’est que le régime
a fermé les frontières à la presse dès
le début des événements ; vieux réflexe
stalinien propre au fonctionnement du
baathisme syrien. Dès lors, il a livré
les médias pieds et poings liés à
l’Observatoire syrien des Droit de
l’Homme, pour qui le champ était libre,
leur source quasiment unique, qui
travaille main dans la main avec les
opposants, le CNS notamment. Et les
médias ont promu cette vision
artificielle du conflit : « un peuple
uni contre une féroce dictature ».
Mais, en fin de compte, il n’a pas été très difficile, pour ceux qui le
voulaient, d’entrer en Syrie et de
constater la réalité des événements.
C’est ce que j’ai fait. Et ce que
beaucoup d’autres ont fait depuis, mais,
le plus souvent, en passant par les
canaux de l’opposition, de l’Armée
syrienne libre, qui ne montre que ce qui
lui est favorable (d’où le reportage
complètement parti-pris de Manon
Loizeau, par exemple), comme le
gouvernement, de son côté, ne montre
également que ce qui l’arrange. Il faut
lire les presses russe et chinoise, qui
donnent une version tout à fait
différente de ce que l’on peut lire et
entendre en Europe : leurs journalistes
entrent en Syrie avec l’accord du régime
et se font tout autant trimballer, mais
par le gouvernement dans ce cas-là, qui
ne leur montre que l’autre côté du
conflit. J’ai eu l’opportunité –et c’est
probablement ce qui fait l’originalité
de mon travail ; et qui dérange mes
détracteurs- de rencontrer les deux
parties, à plusieurs reprises, dans
l’objectif de produire un tableau
complet et une analyse dès lors plus
réaliste de ce qui se passe aujourd’hui
en Syrie.
Le problème, pour la presse, c’est maintenant de se dédire : le conflit
dure et dure ; et il devient évident que
la vision manichéenne développée ne
tient plus la route. En outre, les
journalistes qui se succèdent sur le
terrain se rendent bien compte qu’elle
ne correspond pas à la réalité. Il va
donc bien falloir que les rédactions
revoient leur ligne en ce qui concerne
la Syrie, car la distorsion entre ce qui
se passe et ce qu’ils disent est devenue
flagrante.

Pensez-vous être
victime de ce que Chomsky appelle « la
Fabrique du consentement » ?
Cela, c’est à vous de me le dire.
Pour ma part, je me contenterai de vous rapporter ce que m’a répondu un
jour le rédacteur-en-chef d’une revue
très connue, mais dont, par charité, je
tairai le nom. Je lui avais proposé un
article. Il m’a dit : « tout ce que vous
dites est vrai et très intéressant ;
mais nous ne pourrons pas le publier,
car cela risquerait de désorienter nos
lecteurs » (sic)…
Quels conseils donneriez-vous aux
Français pour s'informer correctement
sur la Syrie ?
Je n’ai pas de conseil à donner en la matière.
S’informer n’a rien de très compliqué, en fin de compte, surtout avec
l’outil internet qui a depuis longtemps
enlevé le monopole de l’information aux
grands journaux « politiquement prudents
» ; mais rechercher l’information peut
prendre beaucoup de temps.
Ainsi, ceux qui veulent s’informer le font déjà et trouvent sur la toile
des faits, des analyses étayées, et,
avec un peu de méthode et d’esprit
critique, ils peuvent comprendre assez
bien ce qui se passe réellement en
Syrie.
Quant aux autres, on peut leur donner tous les conseils que l’on veut :
ça ne les intéresse pas.
Votre proverbe, maxime favorite...
Je n’ai généralement pas peur de dire ce que pense, y compris sur des
sujets délicats, comme la question
israélo-palestinienne ou, en ce moment,
les « révolutions » arabes.
Ce sont des sujets à propos desquels règne un politiquement correct
convenu, auquel il est difficile de
déroger sans s’attirer le courroux de
certains cercles de pouvoir, sans
prendre le risque de se faire des
ennemis, à commencer de ceux-là mêmes
qui pratiquent l’équilibre rassurant de
l’homme couché et, d’une part,
saisissent l’occasion de s’attaquer à un
discours à contre-courant pour donner de
cette manière un maximum de gages et,
d’autre part, haïssent ceux qui, par ce
discours politiquement incorrect, mais
bien souvent très juste, leur renvoie
l’image de leur lâcheté et de leur
compromission intellectuelle.
Aussi, je cite volontiers ces quelques vers du Cyrano de Bergerac
d’Edmond Rostand : « Oui, c'est mon
vice.
Déplaire est mon plaisir.
J'aime qu'on me haïsse. »
Mais il est rare que mes interlocuteurs en saisissent le sens exact.
Dès lors, je reprendrai plutôt à mon compte cet extrait d’un célèbre
discours de Jean Jaurès : « Le courage,
c'est de chercher la vérité et de la
dire. C'est de ne pas subir la loi du
mensonge triomphant qui passe et de ne
pas faire écho aux applaudissements
imbéciles et aux huées fanatiques. »
Ou cette très belle pensée de Jean Guéhenno, que j’ai placée en tête de
mon blog : « La vraie
trahison est de suivre le monde
comme il va et d'employer l'esprit à le
justifier. » Je trouve qu’elle est
parfaite, en la circonstance.
C’est à cela que j’essaie de me tenir, en tant qu’être humain et en tant
que chercheur. C’est certes difficile et
ce n’est pas en pratiquant cette
philosophie qu’on peut arriver à « faire
carrière ».
Mais à quoi bon faire carrière, si c’est pour devoir déguiser sa pensée
en permanence, renoncer à dire la vérité
et à défendre le juste ?
Pour récolter en échange quelques piètres honneurs, une place dans un
institut ou telle distinction académique
sans la moindre valeur éthique ? De mon
point de vue, c’est sans aucun intérêt.
A fortiori dans mon métier : la
recherche et l’enseignement.
Et, si j’avais eu cette « ambition », cet objectif-là, j’aurais choisi
la banque, pas l’histoire et les
sciences politiques.
Lien(s) utile(s) :
La Nouvelle République.
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condition d'en mentionner la source (www.pierrepiccinin.eu).
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