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Fériel Berraies Guigny
Afropessimisme
à quand la fin ?
Philippe Hugon - Photo IRIS
Démographie
galopante, migrations régionales, éclatement des Etats,
recompositions géopolitiques, urbanisation massive, ambitions
politiques et religieuses meurtrières, ont depuis toujours ébranlé
notre vieux Continent.
Tombé en désuétude par rapport à une Europe qui s’ est en détaché,
c’est l’après 11 septembre,
qui lui donnera
un second sursis. L’Afrique bénéficiera alors de
nouvelles aides, alors qu’une nouvelle géographie des rapports
Nord/Sud se dessinera. Mais le spectre du sida et la détérioration
de l’environnement, continueront de peser lourdement sur les
perspectives de développement dans cette région du monde.
L’Expression a
rencontré Philippe Hugon, à l’occasion de la sortie de « Géopolitique
de l’Afrique » aux (éditions Armand Colin, 2007). Véritable
relecture de l’Afrique, l’auteur nous livre une . vision plus
nuancée de celle ci. Une Afrique, qu’il
perçoit comme
véritable acteur géopolitique
émergent. Spécialiste de l’Afrique Subsaharienne, cet économiste
a écrit une quinzaine d’ouvrages centrés sur les questions de
développement et d’urbanisation en Afrique Noire. Il
est Professeur émérite de l’Université de Nanterre, et
directeur de recherche à l’IRIS.
Rencontre
avec Philippe Hugon
1)
L’Afrique aujourd’hui a du mal à se débarrasser
de certains clichés allant du « racisme à l’Afro pessimisme »
qu’en pensez vous ? Il y a toujours eu des représentations
de l’Afrique qui étaient pessimistes, ce qu’on appelle
aujourd’hui « Afro pessimisme »
et qui existaient déjà du temps de
Malthus. Il évoquait les trois tares de l’Afrique,
à savoir les
guerres, les épidémies et les famines. Aujourd’hui on continue
à raisonner à partir
de ces maux. Mais la question est justement de démontrer que
l’Afrique n’est pas simplement réductible
à des questions de conflits ou de tares épidémiques. A
l’encontre, il y a également une représentation que l’on
pourrait considérer « D’afro centriste »,
et on justifie
ces maux en expliquant justement que si elle
a connu ces maux, c’est justement qu’elle a été
victime également de l’Histoire. De l’esclavage, à la
colonisation et toutes les différentes formes d’impérialisme
et de domination. Il faut avoir une vision
plus afro réaliste, car l’Afrique est très contrastée .
2)
L’Afrique est continent pluriel, mais est elle
unie? Il y a une unité de L’Afrique aujourd’hui, quoi
que l’on dise. Mais je tiens à préciser que dans mon ouvrage,
j’ai mis de côté l’Afrique du Nord car je la rattache plus
à la méditerranée et au Moyen Orient.
Par ailleurs s’agissant de l’Afrique Subsaharienne, le
niveau de développement économique n’est pas comparable à
l’Afrique du Nord, ou à l’Afrique
septentrionale et l’Afrique du Sud.
Historiquement, la géopolitique africaine a eu une réputation
quelque peu sulfureuse liée à l’impérialisme allemand et à
la colonisation. Dans
l’Histoire, l’Afrique faisait en effet parti d’un débat géopolitique,
dés le XIX es.
3)
Vous dites que c’est un acteur émergent dans
les relations internationales? Oui, je pense qu’il faut s’éloigner
de cette image d’une Afrique subissant inlassablement son
histoire pour voir la « force des faibles » car elle
peut peser dans le débat international. Elle a son poids du fait
de ses ressources stratégiques, notamment s’agissant de ses
richesses minières, mais également à travers sa biodiversité.
Elle pèse de plus en plus en tant que Continent réunissant des
Etats indépendants, elle est devenu un Continent émergent qui siége
dans les institutions internationales, ce qui n’était pas le
cas historiquement.
Aujourd’hui dans un système de mondialisation,
avec la fin de la colonisation, même s’il est vrai
qu’il y a encore quelques traces, elle émerge avec la diversité
de ses partenaires. Il faut rappeler en effet, les nouveaux
partenariats qu’elle a tissé avec des pays comme
la Chine et l’Inde qui
risquent de détrôner le vieux Continent Européen. Les
nouveaux pays comme
l’Indonésie, le Japon et la Malaisie amènent de nouveaux
enjeux pour la région, notamment s’agissant du domaine pétrolier.
Mais il ne faut pas oublier que l’Afrique dans le domaine
culturel et artistique, est mondialisatrice.
4)
Aujourd’hui, quelles sont les motivations des
grandes puissances par rapport à ce Continent qui est de plus en
plus délaissé ? L’Union Européenne s’est en effet,
en partie désengagée de l’Afrique en se recentrant plus sur
son espace européen (Europe du nord et de l’est). Et depuis le
11 septembre, les Etats-Unis sont en effet, très présents en
Afrique. Parmi les
arguments qui l’expliquent il y a la lutte contre le terrorisme
et il y a l’argument stratégique pétrolier et des mines. 25 %
de l’approvisionnement en pétrole des Etats-Unis, viendront
dans les dix prochaines années d’Afrique. La question
humanitaire est aussi d’actualité car il faut savoir que dans
un monde interdépendant, la pauvreté est aussi un terreau de la
violence. Il peut y avoir donc des effets de retour sur les pays
qui se disent « protégés ». Il ne faut pas oublier
également, la question migratoire et les problèmes liés au réchauffement
de la planète. Les questions relatives à la santé sont aussi
primordiales, s’agissant du paludisme et de son éradication.
Dans l’intérêt même « égoïste » des pays européens,
la question du développement de l’Afrique reste donc cruciale.
5)
Selon vous, quelles sont les limites des
politiques d’ajustement structurels à l’heure actuelle, en
Afrique ? les politiques d’ajustement structurels ont eu
dans la majorité des cas, des résultats très mitigés. Il est
vrai que la plupart des pays africains, sont dans une situation
d’endettement et de gaspillage de fonds
qui font que
les mesures d’assainissement ne donnent pas de résultats
probants, hormis le domaine de l’assainissement financier où on
a pu observer ces
dernières années, des résultats dans le domaine de
l’inflation et des rééquilibrages financiers. Les déficits
budgétaires sont moins importants, on a observé que les
entreprises publiques avaient moins de déficit aussi. Mais
globalement, les pays africains sont loin d’avoir été mis sur
la traîne de croissance du développement durable. Bien sur, il y
a quand même une croissance économique relativement forte, mais
il n’y a pas eu une revalorisation des produits primaires
qu’ils exportent. Sans la montée en gamme de produits,
permettant une meilleure spécialisation des pays africains qui
sont pour 95% encore exportateurs de produits primaires
issus du sol ou sous sol, il faut s’attendre à
l’essoufflement de la croissance. L’ajustement structurel, est
par ailleurs remis en
question aujourd’hui, y compris par les institutions de Bretton
Woods. Mais ce qu’il faut savoir c’est que
dés le milieu des années 90, la priorité a été donnée
à l’éradication de la pauvreté.
6)
Comment faire face aux problèmes liés à
l’environnement ? la catastrophe environnementale en Côte
d’Ivoire ne fait elle pas penser au concept de « Continent
poubelle » ? Il y a des questions environnementales
très importantes en Afrique. Mais
l’Afrique ne participe pas tellement aux grands problèmes
environnementaux mondiaux, à commencer avec l’émission de co2.
Elle a une faible empreinte écologique, cependant elle subit les
effets du réchauffement climatique, de l’industrialisation et
en partie, elle est un « lieu de recyclage de déchets ».
Or l’Afrique, à une faible capacité de résilience par rapport
à un certain nombre de situations environnementales. Que
ce soit la déforestation, la désertification, le réchauffement
climatique etc., les questions environnementales bien sûr,
divergent du fait du contraste géographique et climatique du
Continent africain.
7)
Peut on parler de marginalisation économique
s’agissant de ce Continent ? L’Afrique Subsaharienne a
perdu aujourd’hui des parts de marché assez importantes, elle
subit une érosion de préférences. Elle est un dans un contexte
de mondialisation de frontières, où elle doit se battre pour
imposer ses produits. Et avec le coton, elle avait réussi, mais
depuis la suppression des accords sur le « vêtement textile
« en 2005, elle s’est vue remplacer par la concurrence
des industries pakistanaises et indiennes et chinoises. Ce problème
on le retrouve aussi en Afrique du Nord. Le gros problème pour
l’Afrique, c’est qu’en diversifiant ses partenaires et en ne
changeant pas ses produits, elle se fige dans une relation post
coloniale avec les pays acheteurs.
8)
Hormis
la régionalisation et
le panafricanisme, voyez vous d’autres formes de coopération?
Il y avant tout des relations interafricaines, et la priorité est
de construire des « Afrique » sur des bases régionales.
Cela existe déjà en Afrique Australe, avec le poids dominant de
l’Afrique du Sud, il y a quelques
éléments en Afrique Occidentale également. Cela permettrait de
créer des marchés suffisamment larges pour pouvoir peser
ensuit sur la scène internationale. Les autres formes de
coopération doivent être davantage des accords de coopération
de long terme, on parle de co-développement,
mais à mon avis il faudrait repenser des accords entre les pays
émergents et industriels dans une option longue termiste. Le
problème de l’Afrique
c’est que dans les activités économiques qui sont très
rentables, il y a des taux de retour très importants en terme
d’investissement mais il y a
des risques qui sont considérés très élevés. Or la
logique capitaliste, exige des taux de
retour en trois ou quatre ans, sur la mise du capital. A
mon avis, plus on
allonge les horizons des acteurs, plus on aura un véritable
processus d’accumulation productive.
9)
S’agissant du politique, comment expliquez vous
que l’Afrique soit perçue en terme de capacité de nuisance ou
de « zone dangereuse » ? aujourd’hui qu’est
ce que l’Afrique est en droit d’attendre des pas développés?
Les pays extérieurs peuvent appuyer les
processus de démocratisation mais en aucun cas, on ne peut
exporter la démocratie ! la démocratie est une pratique
d’acteurs qui progressivement met en place des contre pouvoirs,
des débats publics. C’est un processus endogène. Il faut
donner les moyens de la démocratie et non pas l’imposer par des
conditionnalités. Sur le plan politique, en Afrique un des problèmes
c’est qu’actuellement, dans beaucoup de situations il y a
beaucoup « d’Etats faibles », de plus, il y a une
faible citoyenneté. Il y a par contre, davantage de liens basés
sur les appartenances familiales ou
identités claniques et religieuses. La construction d’un
Etat et d’une citoyenneté, sont des éléments préalables pour
la construction d’un pays. Actuellement, il y a une profusion de
« régimes patrimonialistes » où règne une véritable
confusion entre bien publique et bien privé. Il faut un jeu
politique qui permette véritablement un développement économique
durable.
10)
Terre de conflits, les influences tribales ou
religieuses ont souvent pris le pas sur les orientations ou
sensibilités politiques, Est-ce un frein à la Démocratie ou une
façon pour l’Afrique, d’écrire elle-même sa propre Histoire ?
C’est un grand débat, car certains disent « que l’Etat
fait la guerre, ou la guerre fait l’Etat ». Mais je pense,
qu’il faut laisser le temps aux sociétés africaines de se
construire, mais je ne souscris pas à la thèse de la guerre.
Aujourd’hui, les guerres n’ont plus du tout les caractéristiques
des guerres antérieures, qui étaient interétatiques. Hormis, le
cas de l’Ethiopie et de l’Erythrée et aussi d’une certaine
manière, entre ce qui se joue aujourd’hui, entre la Somalie et
l’Ethiopie. Il y a
dans tout conflit, des éléments internes, régionaux et des
insertions au niveau international. On ne peut donc
plus « laisser faire » les conflits.
L’exemple le plus probant est le conflit opposant la Somalie et
l’Ethiopie, et l’on ne peut nier que derrière l’Ethiopie,
il y a quand même une stratégie américaine, qui est très présente.
Pour lutter contre le terrorisme musulman, le Jihad et contre les
tribunaux islamistes, avec des assimilations et des amalgames que
l’on retrouve aussi dans la presse actuellement. Puisque l’on
passe de « tribunaux musulmans » à « tribunaux
islamistes ».
11)Y a t-il des
enseignements à tirer de ce qui s’est passé ou se passe
ailleurs dans le monde ? Il y a des expériences qui
seraient très utiles sur le plan économique, mais
uniquement à titre comparatif. Il s’agirait de certains
pays d’Asie qui ont commencé par l’exportation de
produits primaires et
qui par la suite se sont spécialisés. S’agissant de
l’Indonésie, la vente de ses produits pétroliers lui a permis
de financer sa révolution verte. Pour les pays africains, c’est
plutôt du côté des pays du Sud, qu’il faut essayer de prendre
exemple.
12)Pensez vous que les
Etats-Unis mènent une guerre de religions, au regard du soutient
apporté à l’Ethiopie ? que pensez vous de leur position
sur les différents conflits dont celui qui touche actuellement la
Somalie ? La religion est totalement instrumentalisée
aujourd’hui et effectivement, les Etats-Unis dans cette
dichotomie du bien et du mal, réduisent les problèmes géopolitiques
et géostratégiques, à des problèmes d’ordre religieux. La
confusion entre les formes de radicalisme que l’on peut
retrouver dans l’Islam mais aussi dans toutes les religions, et
la manière dont on présente l’Ethiopie comme pays éthiopien,
sont dangereux. L’Ethiopie a une tradition chrétienne depuis le
4e s, et juive avec les Fellachas,
mais elle a aussi 40%
de sa population qui est musulmane.
Crédits Presse : Courtesy of F.B.G Communication
www.fbgcom.net
fbgcommunication@yahoo.fr
Interview accordée
Exclusivement à l’Expression
Tunisie.
Publiée le 15 janvier 2008 avec
l'aimable autorisation de Fériel Berraies Guigny
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