Opinion
Climat : Durban,
une nouvelle « conférence des pollueurs
» ?
Mercredi 16
novembre 2011
Après les sommets
de
Copenhague et de
Cancun, la ville de
Durban (Afrique du Sud) accueille la
prochaine Conférence des Nations-Unies
sur le climat (COP-17) du 28 novembre au
9 décembre 2011. Occasion pour
l’association
Alter-Echos
(www.alter-echos.org)
de faire le point avec Patrick Bond,
économiste et professeur à l’université
de
KwaZulu-Natal,
impliqué dans le mouvement pour la
justice climatique et récent co-auteur
de
Climate Change,
Carbon Trading and Civil Society
Pour vous, quels sont les principaux
enjeux de la prochaine conférence
internationale sur le climat à Durban ?
La COP-17 a une tâche impossible : faire
semblant que le processus de négociation
de l’ONU puisse mener à une véritable
solution face à la crise climatique.
Cela est pourtant impossible.
L’équilibre des forces en présence est
défavorable et il ne va pas s’améliorer.
Les Etats-Unis, avec leurs alliés comme
le Canada, vont même saboter les
objectifs limités de réduction des
émissions, en particulier en empêchant
une nouvelle période d’engagements
contraignants dans le cadre du protocole
de Kyoto. Avec d’autres pays riches, les
Etats-Unis vont faire obstacle à ce que
le Fonds Vert pour le Climat soit
suffisamment pourvu. Des fonds qui, dans
un monde plus juste, permettraient au
Nord de payer la dette climatique
contractée auprès du Sud. Au lieu de
cela, le deal qui devrait se faire à
Durban aura pour objectif de stimuler
les marchés du carbone, pourtant en
crise, afin qu’ils servent de source de
revenus, et de jeter les bases du
financement des fausses solutions, sans
qu’aucun des maigres financements
existants ne parviennent aux populations
les plus durement touchées par les
dérèglements climatiques. C’est pourquoi
nous décrivons la COP comme une «
Conférence des Pollueurs ».
En quoi les luttes actuelles menées en
Afrique du Sud par les mouvements pour
la justice climatique s’articulent avec
celles menées dans les négociations
internationales ?
En plus d’exiger un million d’emplois
verts et une transition juste pour
sortir d’une économie dépendante des
combustibles fossiles, la principale
question liée au climat portée par les
militants sud-africains est l’accès à
l’électricité et l’approvisionnement en
eau. Ces trois dernières années, le prix
de l’électricité a augmenté de 130 % en
raison de la décision prise par la
société sud-africaine Eskom de
construire les troisième et quatrième
plus importantes centrales au charbon de
la planète. Les systèmes
d’approvisionnement en eau sont déjà en
train de s’effondrer, même à Durban,
réputé pour avoir le meilleur système
d’Afrique. Bientôt nous verrons
également des événements météorologiques
plus extrêmes, une montée du niveau des
mers, des famines et des réfugiés
climatiques qui vont mettre à l’épreuve
les capacités de réaction des
populations. Ce sont par ces
indicateurs, révélateurs de contraintes
nouvelles, que les personnes vont se
rendre compte que lutter pour un climat
stabilisé relève d’un processus
unificateur permettant d’améliorer leur
vie immédiate, si nous relions tous ces
enjeux de manière adéquate.
La France vient d’accueillir le sommet
du G20 (voir
ici). Quel bilan en tirez-vous et
quels sont les liens avec la Conférence
sur le climat de Durban ?
La Banque Mondiale a présenté à Cannes
une stratégie pour sauver le commerce du
carbone, basé sur de nouvelles
subventions. Les pays du Nord et leurs
politiques d’austérité ont été secoués
par la puissance de la résistance
populaire grecque et ont considéré, par
l’intermédiaire de Nicolas Sarkozy et
Angela Merkel, qu’il n’y avait pas
d’option démocratique. Le G20 a confié
au FMI le pouvoir d’exiger des coupes
encore plus brutales dans les niveaux de
vie. Et ce avec l’aval de Pravin Gordhan,
ministre des Finances d’Afrique du Sud,
qui a appelé Christine Lagarde à être « dure »
(nasty) envers les peuples d’Europe du
Sud. Tout cela indique une volonté assez
désespérée d’imposer des solutions
néolibérales pour tenter de régler les
problèmes. Une résistance bien plus
forte sera donc nécessaire, d’autant que
les crises économiques et
environnementales sont forcément liées.
Les dérèglements climatiques actuels
sont principalement dus aux émissions de
GES des pays du Nord. Qu’attendez-vous
des mouvements pour la justice
climatique de ces pays, et, plus
globalement, des populations, afin
d’agir contre les dérèglements
climatiques ?
Le Nord doit payer sa dette climatique,
complètement. De sorte que celles et
ceux qui sont touchés dans le Sud
perçoivent une compensation directe, et
pas par l’intermédiaire des tyrans
locaux. Je pense que les élites des pays
comme l’Afrique du Sud qui se trouvent
parmi les 1 % plus gros émetteurs de
carbone, moi y compris, devraient
supporter un fardeau plus lourd. Les
pays du Nord doivent également s’engager
à des réductions d’émissions de GES
spectaculaires et s’engager dans un
urgent projet de transformation,
semblable en portée, mais pas en
direction, que celui entrepris sous
Roosevelt lorsque les Américains sont
entrés dans la Seconde Guerre mondiale.
Pour ceux qui ne s’impliqueraient pas,
comme les politiciens et les agences à
Washington, New York, Ottawa, Londres,
Bruxelles, Moscou, Pékin et ailleurs, le
mandat de la Cour pénale internationale
devrait alors être élargi pour y inclure
un tribunal climatique. Nous aurons
aussi besoin d’une stratégie à long
terme pour imposer des sanctions sur les
marchandises provenant de pays comme les
États-Unis. En attendant, il fait sens
pour les activistes de protester contre
leurs délégués, soit ici à Durban lors
de la COP, ou même avant qu’ils ne
quittent leur pays. Pourquoi ne pas
bloquer leur route fin novembre afin de
marquer le coup et affirmer clairement
que le monde en a marre de la Conférence
des Pollueurs ? Il est temps pour la
mouvance s’activant pour la justice
climatique de reprendre la main et de
montrer la voie possible pour de
véritables réductions d’émissions, la
reconnaissance de la dette climatique,
une transition juste et toutes les
autres exigences si bien définies à
Cochabamba en avril
2010.
Propos recueillis par
Alter-Echos
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