Par
Fériel Berraies Guigny. Paris
Géopolitique
saoudienne : le Roi Abdallah veut-il s’acheter une nouvelle
ligne de conduite à l’international ?
Olivier Da Lage
Une
thématique brûlante et toujours d’actualité pour une
Arabie Saoudite qui n’en finit pas de payer le prix du 11
septembre. Depuis cet événement fatidique dans le monde, les
relations avec les États-Unis, qui reposaient sur l'accord "
pétrole contre sécurité " ont été fortement ébranlées.
Dans le Golfe, le royaume fait face à sa perte d'influence dans
les monarchies pétrolières. La relation de supériorité n’étant
plus, l’Arabie Saoudite est contrainte au protectionnisme américain.
Le terrorisme jihadiste, aidant, la société saoudienne est en
crise et assume une profonde remise en question : le tabou autour
du dogme wahhabite est levé, les terroristes s'en réclamant sont
désormais combattus ouvertement.
Sous
le règne d'Abdallah, la réforme est officiellement à l'ordre du
jour, mais le rythme reste très lent. Le retour de la manne pétrolière
n'a pas fait disparaître les disparités économiques et la nécessité
d’une profonde réforme de la société. Le gouffre risque donc
de se creuser davantage encore entre les quelques dizaines de
princes qui dirigent vraiment le pays et la population.
A
quand la relève ? La politique étrangère saoudienne
revisitée à la moderne, saura-t-elle endiguer les écarts ?
Fériel
Berraies Guigny a rencontré Olivier Da Lage, l’auteur de l’ouvrage
« Géopolitique de l’Arabie Saoudite » (éditions
Complexe, 2007) pour discuter de l’apport de cet ouvrage, qui
nous donne une vision nouvelle de cette monarchie et tous les défis
auxquels elle devra faire face. La question sera également de
savoir, si l’Arabie Saoudite, longtemps considérée comme le
vassal économique des américaines, pèsera d’un poids conséquent
sur l’échiquier international.
Olivier
Da Lage, est chef du service international de RFI, après avoir été,
entre autres, rédacteur en chef adjoint de RMC Moyen-Orient et
correspondant free-lance dans le Golfe, dans les années 1980. Il
est l'auteur de nombreux articles sur le Moyen-Orient et le
journalisme.
Entretien :
1) Les attentats du 11-Septembre ont-ils obligé les dirigeants
saoudiens à se remettre en cause ?
Sans
aucun doute, bien que dans un premier temps, certains dirigeants
parmi les plus importants, comme le prince Nayef, ministre de l’Intérieur,
ait mis en doute la nationalité saoudienne des 15 pirates de
l’air (sur 19). Mais la très virulente campagne de presse et
l’hostilité des milieux politiques (à l’exception notable du
président Bush) les a obligés à se poser des questions qu’ils
auraient préféré ignorer. Notamment la nature de
l’enseignement dispensé par les religieux dans les écoles
saoudiennes ou les circuits de financements d’Al Qaïda.
L’invasion de l’Irak par la coalition anglo-américaine au
printemps 2003 a en outre posé la question du rôle stratégique
de l’Arabie saoudite au Moyen-Orient, à présent que les
Etats-Unis sont présents militairement dans tous les États de la
péninsule arabique et en Irak.
2)
Comment s’est construit l’Etat saoudien moderne ? Quelles
sont ses composantes géopolitiques ?
De
manière assez pragmatique, par la superposition d’un appareil
d’État au départ assez léger et des structures tribales
traditionnelles : les gouverneurs des provinces sont des
membres de la famille royale ou des grandes familles alliées, les
responsables de l’administration locale sont les chefs
traditionnelles des tribus locales, etc. Le fondateur du royaume,
Abdelaziz (Ibn Saoud) a eu le plus grand mal à accepter l’idée
d’un budget de l’État au sens que nous connaissons et son
premier héritier, le roi Saoud, traitait les finances de l’État
comme sa tirelire personnelle. Mais l’apport d’experts étrangers,
la formation de la génération des fils d’Adelaziz, et le développement
du pays ont obligé les dirigeants, notamment à l’initiative du
prince, puis du roi Fayçal, à moderniser ces structures, tout en
respectant dans une certaine mesure la diversité régionale des
provinces qui constituent le royaume.
3)
Expliquez nous cette alliance entre wahhabisme et saoud.
C’est
le point de départ : l’alliance entre un chef religieux réformateur,
Mohammed Ibn Abdel Wahhab et un chef local de la province du Nejd,
Mohammed Ibn Al Saoud. L’un prête à l’autre soutien
religieux et politique et en retour, il reçoit l’appui des
forces armées du second. Ensemble, ils vont conquérir la région,
puis la Péninsule arabique pour propager simultanément l’islam
selon Mohammed Abdel Wahhab et le pouvoir temporel des Al Saoud.
Des mariages entre les deux familles vont cimenter cette union à
travers les générations. Aujourd’hui encore, de nombreux
membres de la famille Al Saoud ont des relations matrimoniales
avec des descendant(e)s du cheikh Abdel Wahhab.
4)
la politique étrangère actuelle, est-elle un prolongement d’un
expansionnisme basé sur la ferveur religieuse ou du pragmatisme
pur et dur avec l’Occident ?
En
fait, les deux. Dès l’époque d’Abdelaziz, le réalisme a prévalu
sur l’idéologie dès lors qu’il fallait composer avec les
puissances (d’abord la Grande Bretagne, puis les Etats-Unis).
Mais la propagation du wahhabisme est un des objectifs clés du
royaume, notamment par le biais de la Ligue islamique mondiale,
basée à Djeddah, qui ne se contente pas d’imprimer des Corans
ou de financer des mosquées en Afrique, en Extrême-Orient, en
Asie centrale ou dans les Balkans, voire en Europe occidentale.
Cet activisme est parfois toléré, voire encouragé par des
gouvernements qui y voient l’occasion de bénéficier de
l’aide saoudienne. Mais il a aussi souvent provoqué la colère
d’autres gouvernements qui s’inquiètent de voir un islam de
type salafiste proliférer chez eux avec l’appui des dirigeants
saoudiens.
5)
Quel est le poids de l’Arabie Saoudite s’agissant du Moyen
Orient ? Le Sommet de Riad, est il une première tentative
pour se redorer le blason par rapport au monde arabe ? Sur le
registre international que peut elle proposer ?
L’Arabie
Saoudite a un poids propre régional, indéniable. Mais elle a
surtout une importance croissante en comparaison de
l’impuissance des autres. Avec la disparition du président
Hafez el Assad et du roi Hussein, la Syrie et la Jordanie ont
perdu un poids considérable. A l’évidence, le président
Moubarak, désormais âgé et préoccupé par sa succession, ne pèse
plus du même poids qu’il y a seulement dix ans. Cela laisse
donc la place libre au prince Abdallah, qui avait longtemps été
sous-estimé en tant qu’acteur régional. Cela dit, l’Arabie
Saoudite n’est pas, et n’ambitionne pas d’être une
puissance mondiale…
6)
Avec toutes ces peuplades et tribus, ses affrontements entre les
pairs et les différentes lignées, peut on parler d’une identité
saoudienne ? Parlez nous de cette guerre intérieure de la
société saoudienne
Il
y a probablement une identité saoudienne en formation. Compte
tenu de la démographie, qui fait du royaume un pays particulièrement
jeune, le côté « saoudien » de l’identité des
habitants du pays pose sans doute moins de problème qu’il y a
trente ou quarante ans. Je ne parlerais pas de « guerre intérieure ».
Mais il y a eu depuis dix ans une contestation du régime,
notamment islamiste parfois violente qui a connu au début des années
200 une dérive terroriste d’inspiration jihadiste. C’est ce
qui a fait basculer la société saoudienne, jusqu’alors plutôt
compréhensive vis-à-vis d’Oussama Ben Laden. Mais ses
partisans en Arabie Saoudite ont commencé à tuer des Arabes
ordinaires et non plus seulement des dirigeants ou des
Occidentaux, alors l’opinion a basculé.
7)
Quels sont les problèmes sociaux actuels en Arabie Saoudite ?
Le statut de la femme ?
Le
chômage des jeunes, l’inadaptation des études à l’économie,
une société corsetée par un contrôle social et moral qui
engendre de la frustration. Le retour de la manne pétrolière
depuis deux ou trois ans permet d’alléger les tensions
sociales, mais ne règle rien sur le fond, car les réformes, sans
doute voulues par le roi, connaissent une progression
d’escargot.
8)Comment
pourriez vous caractériser la relation avec les Etats-Unis, à
l’heure actuelle ?
Après
l’épreuve subie dans la foulée du 11 septembre et de la guerre
d’Irak, je dirais que ces relations sont solidifiées :
elles ont passé avec succès un test très difficile et les
dirigeants des deux pays sont convaincus qu’ils ont besoin
l’un de l’autre. N’oublions pas qu’il s’agit d’une
relation stratégique d’État à État, basée sur les intérêts
et non de valeurs partagées entre les deux peuples.
9)
L’ Arabie Saoudite pourra-t-elle devenir stratégique ? Et
quelles sont ses futures alliances ?
Son rôle stratégique est double : il est fondé sur l’influence
religieuse du pays qui abrite les Lieux saints de l’islam et qui
est, du moins en théorie, voué en priorité à la défense et à
l’expansion de l’islam. Mais il est aussi et surtout fondé
sur ses réserves pétrolières, les plus importantes de la planète
(entre le cinquième et le quart des réserves mondiales). De ce
point de vue, le développement accéléré que connaissent les géants
asiatiques que sont l’Inde et la Chine en font des
interlocuteurs privilégiés pour l’Arabie Saoudite dans les années
à venir.
Crédits :
Article de presse : Courtesy
of Fériel Berraies Guigny pour F.b.g Communication. France
www.fbg-communication.com
email : fbgcommunication@yahoo.fr
Publié le 8 juin 2007 avec
l'aimable autorisation de Fériel Berraies Guigny
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