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Par
Fériel Berraies Guigny. Paris
Pétrole
et Gaz du monde arabe : les enjeux stratégiques pour les grandes
puissances occidentales
Nicolas Sarkis
Nicolas
Sarkis est Directeur du Centre Arabe des études pétrolières à
Paris.
Spécialiste incontournable que les médias internationaux
s’arrachent, il nous explique les raisons de la flambée du pétrole
mais également les enjeux qu’ils signifient pour le monde
arabe.
Le poids du pétrole et du gaz dans les relations internationales
s’impose de nouveau depuis la récente flambée des prix. Les
causes en sont multiples. Si les conflits et les tensions occupent
une place importante dans la carte géostratégique actuelle, on
ne peut continuer de se voiler la face en niant que certains
conflits sont nés de la peur de voir les sources
d’approvisionnement se tarir ou de tomber entre certaines mains
. Le pétrole est devenu une bombe à retardement. Jusqu’où
certaines puissances iraient pour l’or noir? la dévastation de
l’environnement, la guerre, l’extermination d’un peuple ou
d’une culture, le renversement d’un gouvernement ou le néocolonialisme?
En tant que pays arabe, il est difficile de ne pas se sentir
concernés. Car si pour certains politiques la finalité justifie
les moyens, il est temps de se demander si le pétrole et le Gaz,
sont une manne ou une malédiction pour le peuple arabe?
Notre rencontre avec Monsieur Sarkis, nous donnera un éclairage
sur les enjeux politiques et économiques en rapport avec cette
situation.
Quelle est la place du pétrole dans les relations entre le
monde arabe et les pays consommateurs?
Le moins qu’on puisse dire est que le pétrole et le gaz naturel
jouent déjà, et joueront de plus en plus à l’avenir, un rôle
crucial dans les relations politiques et économiques entre
d’une part, les pays arabes et d’autre part, leurs partenaires
étrangers, dont l’Union Européenne, les Etats-Unis, le Japon
et les pays émergents comme la Chine et l’Inde dont les besoins
en énergie vont rapidement en croissant. La raison à cela est
bien simple : Les hydrocarbures resteront pour longtemps encore la
principale source d’énergie, avec plus de 70% de la
consommation mondiale ; la production décline aux Etats-Unis et
en mer du Nord et la dépendance des pays grands consommateurs ira
en s’aggravant. Pour le pétrole, le taux de dépendance vis-à-vis
de l’étranger ira, au cours de la période 2001-2030, de 55 à
68,5% aux Etats-Unis, de 51% à 69% en Europe, de 31 à 73% en
Chine et de 64% à 87% dans d’autres pays d’Asie.
Pour couvrir cet accroissement des besoins pétroliers qui, au
niveau mondial, bondiront de 83 millions de barils/jour (mbj)
actuellement à près de 125 mbj en 2030, les pays arabes sont en
première ligne.
Leurs réserves prouvées représentent en effet 56% des réserves
mondiales pour le pétrole et près du tiers du total mondial pour
le gaz naturel. Plus encore, les probabilités de nouvelles découvertes
dans les pays arabes sont énormes et le coût d’exploitation
est le plus bas au monde. Il n’est pas difficile dans ces
conditions de comprendre les raisons de la lutte féroce qui
oppose les sociétés internationales et les grandes puissances
pour prendre pied ou renforcer leurs positions dans
l’exploitation des ressources en hydrocarbures des pays arabes.
Pensez-vous que la production mondiale pourra être développée
à temps pour couvrir l’accroissement de la demande?
Parallèlement au ralentissement des découvertes et à la baisse
lente mais inexorable du ratio global réserves/production, un
autre risque plus immédiat pèse sur le marché pétrolier. Il
s’agit du déclin de la production dans bon nombre de pays et de
l’insuffisance des investissements réalisés pour développer
de nouvelles capacités indispensables pour faire face à la
couverture des besoins.
Suite à la baisse de leur production et à l’accroissement de
leurs besoins nationaux, plusieurs pays hier encore exportateurs
nets de pétrole sont devenus importateurs nets (Indonésie et
Egypte, sans oublier évidemment les Etats-Unis) ou risquent de le
devenir dans peu d’années (Gabon, Oman et Syrie). Au Mexique,
une étude entreprise l’année dernière par la Pemex fait
craindre un déclin bien plus rapide que prévu de la production pétrolière.
En mer du Nord enfin, l’AIE prévoit la poursuite du déclin de
la production de 6,6 mbj en 2002 à 4,8 mbj en 2010 et à moins de
2,2 mbj à l’horizon 2030.
Ce déclin pourrait-il être compensé à temps par d’autres
pays exportateurs? Rien n’est moins sûr. Pour ce qui est du
Moyen-Orient où la production est supposée devoir doubler
d’ici à 2025 pour couvrir l’accroissement de la demande
mondiale, les projections de l’AIE et du département américain
de l’Energie semblent être complètement irréalistes. Mis à
part l’Arabie Saoudite qui a mis en vigueur un programme portant
sur une augmentation de sa capacité de production de 10,8 mbj
actuellement à 12,5 mbj en 2009, les perspectives sont nettement
moins prometteuses ailleurs, surtout en Iran, en Irak et au Koweit.
La situation politique en Irak et les tensions au sujet du
programme nucléaire iranien compromettent le développement de
leurs capacités. Au Koweit, le fameux Projet Koweit fait du
surplace depuis une dizaine d’années pendant que les vieux
gisements de Burgan et de Raudhatain, qui couvrent 67% de la
production du pays, commencent à manifester des signes
d’essoufflement.
Les pays consommateurs sont de plus en plus obsédés par le
problème de la sécurité comme en témoignent les discussions du
sommet du G8 tenu dernièrement à Saint-Pétersbourg. Qu’en
pensez-vous?
Si il est vrai que les impératifs de sécurité sont aussi compréhensibles
que légitimes pour les pays qui dépendent du pétrole importé
pour couvrir une grande partie de leurs besoins, il n’en demeure
pas moins que le problème de la sécurité donne lieu à nombre
de malentendus et de contradictions. Le premier malentendu est
que, depuis surtout 1973, les pays industrialisés entendent
assurer la sécurité de leurs approvisionnements en réduisant
leur dépendance vis-à-vis du Moyen-Orient et ce, au prix le plus
bas possible. L’expérience des dernières années a prouvé que
cela n’est pas possible et qu’on ne peut pas avoir les deux à
la fois. Des prix trop bas rendent en effet irréalisables les
investissements dans d’autres régions ou dans d’autres
sources d’énergie dont les coûts de production sont plus élevés
que les prix du pétrole.
Un autre malentendu réside dans le fait que, pour les pays
exportateurs, la sécurité de leurs marchés et de leurs revenus
n’est pas moins important que la sécurité des
approvisionnements des pays importateurs. Il existe en réalité
une complémentarité d’intérêts entre les deux parties.
Encore faut-il que les pays exportateurs de pétrole qui sont
encore en voie de développement soient acceptés comme
partenaires à part entière et que leurs relations avec les pays
industrialisés soient fondées sur un équilibre des intérêts
mutuels. Ceci dit, au cours des trois dernières années, les
inquiétudes au sujet de la sécurité des approvisionnements énergétiques
se sont considérablement aggravées et portent désormais non
plus seulement sur les exportations pétrolières du Moyen-Orient,
zone de turbulences chroniques, mais aussi sur l’ensemble du
système mondial de production, de raffinage et de transport du pétrole
et du gaz naturel. La sonnette d’alarme est de plus en plus fréquemment
tirée tant par de hauts responsables politiques que par des
experts indépendants. Dans son dernier rapport biannuel
“Perspectives énergétiques mondiales” qui couvre la période
2004-2030, l’Agence Internationale de l’Energie (AIE) exprime
un sentiment quasi général en soulignant que “les risques pour
la sécurité énergétique s’exacerberont à court terme” et
que “la vulnérabilité à des perturbations des
approvisionnements s’accentuera avec l’expansion des échanges
mondiaux”.
Un constat à ce sujet est que le développement soudain d’un
sentiment général d’insécurité est aux antipodes de ce que
beaucoup pensaient ou espéraient avant la guerre d’Irak de mars
2003 et la mainmise des Etats-Unis sur un pays qui occupe, après
l’Arabie Saoudite, le 2ème rang parmi les pays détenteurs de réserves
pétrolières. Il est également à l’opposé du sentiment qui
prévalait en 1991 au lendemain de la guerre du Golfe. A cette époque,
M. James Schlesinger, ancien secrétaire d’Etat américain à
l’Energie et à la Défense, affirmait devant le 15ème Congrès
du Conseil Mondial de l’Energie tenu en septembre 1992 à
Madrid, que, selon de hauts responsables de l’administration
Bush père, “ce que le peuple américain a retenu de la guerre
du Golfe, c’est qu’il est bien plus facile et bien plus drôle
d’aller botter les fesses des gens au Moyen-Orient que de faire
des sacrifices pour limiter la dépendance vis-à-vis du pétrole
importé”.
Le pétrole est-il vraiment une bénédiction pour les pays
arabes, ou est-il une malédiction comme le disent certains.
Je pense qu’il est les deux à la fois. Le pétrole et le gaz
naturel sont certainement pour les pays arabes un atout de première
importance pour promouvoir leur développement économique et
social. Ils l’ont partiellement utilisé dans ce sens et ont pu
grâce aux revenus du pétrole, développer leurs infrastructures,
financer des programmes impressionnants d’éducation et de santé
et développer certaines industries, dont notamment la pétrochimie.
Mais ce qui a été réalisé jusqu’ici est très modeste
comparativement aux potentialités énormes qui existent. Il
suffit de penser qu’au cours des seules années 2006-2010 les
investissements énergétiques dans ces pays dépasseront 220
milliards de dollars et que leurs revenus totaliseront en dollars
2006 pas moins de 1 800 milliards de dollars.
Si ces revenus ne sont pas utilisés pour diversifier les économies
nationales et développer des secteurs productifs autres que le pétrole,
et s’il n’est pas mis fin au gaspillage et à la corruption,
la génération actuelle sera maudite par les générations
futures auxquelles elle aurait laissé le souvenir amer d’une
ressource naturelle dilapidée et d’une chance historique manquée.
Crédits :
Source : Babnet Tunisie
* Pétrole
et Gaz du monde arabe : les enjeux stratégiques pour les grandes
puissances occidentales
http://www.babnet.net/...
Article de presse : Courtesy
of Fériel Berraies Guigny pour F.b.g Communication. France
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email : fbgcommunication@yahoo.fr
Publié le 7 juin 2007 avec
l'aimable autorisation de Fériel Berraies Guigny
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