Site d'information sur la Palestine, le Moyen-Orient et l'Amérique latine

 

Palestine - Solidarité

 

Retour :  Accueil  -  Sommaire Fériel Berraies Guigny  -  Originaux  -  Analyses  -  Ressources  -  Mises à jour


Par Fériel Berraies Guigny. Paris

Nathalie Philippe:
« Cultures Sud est pour le dialogue et le partage des Savoirs » !

L´Afrique est terre aux mille cultures. Elle apporte aujourd’hui, une contribution non négligeable à l’épanouissement général, grâce à ses apports incontestables dans les domaines de la culture et  de l’art.

La question des politiques culturelles en Afrique n'est pas neuve mais à l’heure actuelle, elle  peut ne pas sembler urgente. Certains États n'ont pas  d’actions concrètes tangibles et dans la durée par rapport à ce domaine. En Afrique les ministères en charge de la culture sont souvent très instables. Face à ces lacunes visibles, l’urgence d’une  politique pour mobiliser l'aide extérieure, de plus en plus centrée sur l'appui aux stratégies nationales et régionales de développement, peut s’avérer nécessaire.

La question de la coopération culturelle et en particulier  celle relative à  l'aide qu'un bailleur de fonds tel que la CE peut apporter un début de réponse. Le secteur culturel a besoin d'investissements et de soutiens financiers dont une part doit obligatoirement venir du secteur public. Mais compte tenu du peu de moyens et des nombreuses priorités des pouvoirs publics en Afrique, le financement public doit provenir, pour une part, de la coopération internationale.

 Le secteur culturel africain est un volet à revaloriser et bien du  chemin  reste à faire si l’on veut que les États prennent la mesure de son importance non seulement pour le développement mais aussi pour la sécurité de notre Continent. La Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles a constitué un cap en engageant l'ensemble des États à soutenir leurs industries culturelles et les États riches, à soutenir les industries culturelles des pays pauvres. Mais il existe aussi des initiatives indépendantes,  inscrites dans le cadre de la francophonie qui aident à valoriser le patrimoine culturel africain. En marge des francophonie sceptiques, l’Institution Cultures France au travers de sa  Revue Cultures Sud, ancienne «  Notre Librairie » œuvre depuis des années en vue de promouvoir des talents du Sud, dont  africains qui en temps normal, n’auraient aucune chance de se faire connaître à l’international. Destin de l’Afrique a rencontré la rédactrice en chef de cette revue pour parler des enjeux et  des perspectives de cette promotion de l’Afroculture.

 

Entretien avec Nathalie PHILIPPE, rédactrice en chef de Cultures Sud, Culturesfrance 


Nathalie Philippe - © DR

1.  Parlez-nous de la revue Cultures Sud. Vous travaillez pour le département des publications et de l’écrit depuis huit ans, quels ont été les défis, les obstacles auxquels vous avez été confrontée ? Vous avez effectué beaucoup de voyages et de missions sur le terrain, avez-vous des expériences qui vous ont marquée ?

Cultures Sud, anciennement Notre Librairie, est une revue qui a aujourd’hui près de quarante ans. Crée à la fin des années 1960 à l’initiative du ministère de la coopération, elle avait pour vocation essentielle d’aider les bibliothécaires d’Afrique et de Madagascar à constituer et actualiser leurs fonds. A l’origine sous forme de bulletin, elle est par la suite devenue, dans la décennie suivante, et sous l’impulsion de sa fondatrice et rédactrice en chef d’alors que je salue, Madame Marie-Clothilde Jacquey, une revue de référence et d’actualité des littératures du Sud. Chaque trimestre était alors l’occasion de faire le point sur les littératures des pays d’Afrique francophone, lusophone et anglophone. Ainsi, s’est mise en place une véritable collection sur les littératures « nationales », du Congo en deux volumes au Cap-Vert en passant par le Bénin et le Togo, qui a révélé entre autres des auteurs comme feu Sony Labou Tansi, Sylvain Bemba et Tchicaya U Tam’si pour ne citer que des congolais, ou encore le béninois Olympe Bhêly Quenum ou, plus récemment le Sénégalais Boubacar Boris Diop, etc.

Quand j’ai pris mes fonctions à la revue en 2000, alors en qualité de rédactrice adjointe, nous étions en train d’en finir avec ce tour d’Afrique et des Caraïbes et la collection dédiée aux littératures nationales s’est alors achevée avec deux volumes dédiés aux littératures (anglophones) du Nigeria et du Ghana. La littérature africaine n’était pas encore, comme elle l’est aujourd’hui à grands renforts de prix littéraires et de marketing, mise sur le devant de la scène, mais, avec des auteurs talentueux comme Alain Mabanckou, Jean-Luc Raharimanana, Florent Couao-Zotti, Sami Tchak, Kangni Alem ou Ananda Devi qui publiaient alors leurs premiers textes, c’était déjà dans l’air du temps. La « relève » était assurée et il fallait s’interroger sur ces littératures autrement, d’autant plus que le phénomène de « décentrement » s’accentuait véritablement avec beaucoup  d’écrivains exilés au Nord et se réappropriant leurs racines par l’écriture.

J’ai effectivement l’occasion, régulièrement, d’effectuer des missions en Afrique dans le cadre de lancements de numéros ou de la mise en place de sommaires. Ce fut le cas au Congo-Brazzaville, à l’occasion du Festival Panafricain de musique, alors que nous nous interrogions sur le rapport entre musique et littérature qui a permis de réaliser un numéro sur la question. Des milliers de numéros ont été diffusés dans le cadre de partenariats sur des opérations culturelles au Mali (le festival Etonnants voyageurs à Bamako notamment), et, plus récemment, au Maroc, à l’occasion des premières rencontres Afrique noire Maghreb, à l’initiative de Culturesfrance et des Instituts français de Rabat, Casablanca et Agadir. 

2.  A quoi attribuez-vous la longévité de cette revue ?

Tout d’abord, la publication de cette revue, publiée par Culturesfrance qui est l’opérateur culturel pour les échanges internationaux sous l’égide des ministères des Affaires étrangères et européennes et de la Culture, s’inscrit dans une politique globale du rayonnement culturel de la France à l’étranger, qui ne passe pas uniquement la promotion d’artistes français à l’étranger, mais également la découverte et la mise en valeur de talents du monde entier. Cultures Sud, autrefois Notre Librairie, s’est adaptée, au cours des décennies, à l’air du temps, ce qui explique l’évolution de sa formule éditoriale, mais s’est toujours attelée à sa mission première : celle de « découvreur » de talents, ce par quoi elle a toujours su créer l’événement : ce fut le cas par exemple en 2000 avec un numéro consacré aux écrivains du Sud « nouvelle génération », qui depuis a fait école et a même été repris comme concept par la critique littéraire. Il s’agissait, non pas en rupture mais plutôt dans le prolongement des « ténors » de la littératures africaine qui avaient ouvert la voie, de Senghor à Césaire en passant par Henri Lopes ou Sylvain Bemba, de présenter une vingtaine de talents prometteurs qui depuis, pour la plupart, ont acquis leurs lettres de noblesse, qu’il s’agisse de la Sénégalaise Ken Bugul, du Congolais Alain Mabanckou, de l’Algérien Yasmina Khadra ou encore de la Mauricienne Ananda Devi, etc. Aussi, nous venons de publier un numéro sur l’état des relations culturelles entre le Maghreb et l’Afrique subsaharienne, problématique par trop souvent occultée et qui a suscité des débats passionnés avec les intellectuels marocains très récemment dans le cadre de son lancement. Cette capacité à créer l’événement est le fruit de cette longévité. 

3.  Si vous aviez à définir la création littéraire africaine actuelle, que diriez-vous ? Selon vous quels sont les défis auxquels son confrontés les auteurs du Sud ? Les perspectives ?

C’est une création littéraire à deux vitesses. D’une part, et j’ai parlé tout à l’heure du phénomène de « décentrement », il existe de nombreux auteurs d’origine africaine et vivant en France et le plus souvent édités en France et par conséquent bénéficiant de la médiatisation des publications françaises, surtout en matière de fiction, qui sont en quelque sorte des « vitrines » de la littérature « africaine », je pense par exemple à Fatou Diome ou Alain Mabanckou. D’autre part, sur le continent africain, et je parle uniquement en matière de productions francophones, il existe une véritable vitalité de cette création littéraire avec des velléités de poètes ou de romanciers, je le constate chaque jour par les envois spontanés que je reçois à la revue et mes collègues éditeurs vous le diront mieux que moi, mais il y a un vrai déficit à la fois dans la professionnalisation et la reconnaissance du statut d’écrivain et à la fois dans les structures éditoriales existantes sur place. Cela varie bien évidemment en fonction de chaque pays, tout le monde connaît la vitalité des éditions NEI en Côte-d’Ivoire ou des NEAS au Sénégal, mais beaucoup d’auteurs et même d’éditeurs locaux se heurtent au manque d’instances éditoriales, sans parler des imprimeries. Par exemple, j’ai un ami éditeur au Congo-Brazzaville qui va faire imprimer ses ouvrages en Belgique, pour des raisons de qualité et de coût. Le véritable défi de la littérature africaine se place à ce niveau : professionnalisation, production locale et circulation du livre sur le continent, qui est malheureusement encore un problème en dépit des nombreuse initiatives d’abaissement des coûts, de coédition, de livre équitable, etc. L’avenir du livre africain, faute d’une meilleure circulation entre les pays du même continent, peut résider dans la pratique de la cession de droit. Un éditeur d’un pays achète les droits d’un livre publié dans un autre pays et le publie à son tour. Pour exemple, un auteur comme Sami Tchak, publié en France, va avoir un certain nombre de ses titres publiés par un éditeur de son pays d’origine, le Togo. 

4.  L’Afroculture selon vous pourrait-elle signer la relève du continent ?

Malheureusement, je ne pense pas que les malheurs de l’Afrique aujourd’hui se jouent uniquement au niveau du culturel. Les préoccupations majeures sont d’abord liées à l’économie et la santé, même si la culture peut engendrer une économie non négligeable parmi les facteurs de développement. L’Afroculture, c’est un terme bien générique et réducteur pour dire la complexité, les nuances et la sédimentations des nombreuses sociétés qui ont à la fois des destins singuliers et une volonté commune de ne pas être simplement les victimes de la mondialisation mais plutôt les acteurs d’une renaissance dans cette ère du post-industriel… 

5.  La Francophonie fait-elle du développement culturel durable ? La revue est-elle pour la culture équitable ? Beaucoup de sceptiques considèrent vos initiatives comme une forme de néocolonialisme par le biais du français, mythe ou réalités ?

Même si elle est actuellement beaucoup chahutée, notamment par une poignée d’intellectuels qui revendiquent cette non-appartenance à une forme de culture, de classification qui se voudrait « francophone », la francophonie, qui désigne un ensemble de personnes qui ont la langue française en partage, peut être aujourd’hui un moyen de fédérer, de relier certains pays du Sud et créer de nouvelles dynamiques d’échanges, culturels comme économiques.

C’est grâce à cette francophonie, ce patrimoine linguistique en partage, que ces « auteurs d’expression française », comme on les dénommait alors, on pu acquérir, il y a une quarantaine d’années, cette reconnaissance, cette légitimité impulsée par Senghor et Césaire, pères fondateurs de la négritude. La critique a trop souvent tendance à occulter cela. Je peux concevoir que ce concept, aujourd’hui, puisse gêner certains écrivains qui ne veulent plus être répertoriés à la périphérie, mais souhaitent avoir leur place dans une conception critique plus globale. Mais à un moment donné, dans l’histoire de la critique littéraire, il ne faut pas perdre de vue que cette dénomination « écrivains d’expression française » a pris une dimension critique importante et a contribué à faire émerger de nombreux talents sur la scène littéraire française. Pour ce qui est des sceptiques, comme je l’ai précisé plus haut, la revue s’inscrit dans une dynamique de représentation culturelle française à l’étranger qui ne passe pas nécessairement par la promotion d’artistes uniquement français. Nous n’avons pas la prétention de faire le travail critique qui incomberait aux pays intéressés. La revue est simplement une interface, et ses lecteurs savent bien que de nombreux rédacteurs proviennent d’universités du Sud. Cultures Sud contribue à une meilleure diffusion de ces savoirs à l’échelle mondiale. 

6.  On assiste à une certaine frilosité par rapport à la langue française en Afrique, selon vous quels sont les contrecoups probables sur la production actuelle dans le Continent ?

Comme je l’ai évoqué plus haut, il semblerait que l’offre soit supérieure à la demande d’un point de vue éditorial, qu’il s’agisse du français comme des langues nationales… 

7.  Pensez-vous que la promotion de la culture est un moyen de soutenir le développement et de rétrécir le fossé des incompréhensions civilisationnelles ?

C’est ce qui fait l’essence même de la revue et notamment, comme je l’ai dit plus haut, notre objectif majeur : les deux derniers numéros portent, à ce titre, des questionnements évocateurs : « Caraïbes, un monde à partager » et « Maghreb-Afrique noire : Quelles cultures en partage ? » De tels numéros font le point sur les connexions géographiques, historiques, sociologiques, linguistiques et culturelles des aires géographiques étudiées, afin de mieux donner à voir et analyser cette diversité culturelle qui constitue le patrimoine de l’humanité aujourd’hui. Le numéro sur la Caraïbe a été édité en version trilingue français/anglais/espagnol pour être représentatif, outre le créole, des langues les plus parlées dans le monde Caraïbe et afin de pouvoir trouver et toucher son public dans des conditions optimales. Même chose pour le numéro Afrique-Maghreb où le résumé de chaque article a été traduit en arabe, visant à une meilleure intercompréhension des idées.

8.  Si vous aviez à définir par région, la littérature, du Nord, à l’Est et à l’Ouest quelles seraient les spécificités littéraires de ces régions ?

Il me parait très artificiel d’essayer d’élaborer des champs thématiques en fonction des régions. Chaque écrivain, qu’il écrive depuis sa terre natale ou bien depuis sa terre d’exil, d’immigration, qu’elle soit subie ou choisie, porte en lui sa propre histoire et sa propre vision du monde. C’est en chaque homme que réside la spécificité, et je ne pense pas qu’un cadre donné puisse contribuer à produire telle ou telle sorte de littérature. Le Douanier Rousseau a bien représenté la foret équatoriale sans jamais y être allé, insufflant par là même à ses tableaux cette insaisissable et émouvante densité poétique. L’imaginaire, puisque c’est de fiction dont nous parlons, ne connaît ni les régions, ni les frontières. Le monde lui appartient, c’est l’apanage de la création. 

9.  Vous avez choisi dans le numéro 169 de la revue d’aborder la thématique sur le panafricanisme culturel, quel est le message que vous espérez lancer au travers de ce numéro ? Le panafricanisme selon vous est-il une utopie réalisable ?

Dans la mesure où ce numéro s’efforce de faire un état des lieux des échanges culturels existants entre les pays d’Afrique de part et d’autre du Sahara, l’idée de revenir sur le panafricanisme cher en son temps à Patrice Lumumba, s’imposait. D’autant plus que le premier festival panafricain qui s’était déroulé à Alger à l’été 1969 ne dépassa jamais sa première édition. Pour résumer, le constat que fait ce numéro est assez pessimiste : outre quelques organisations politiques panafricaines comme l’Union Africaine, le NEPAD, sous-régionales comme la CEDEAO ou plus récemment la CENSAD (communauté des états sahélo-sahariens), l’idée d’une communauté culturelle panafricaine, qui habite probablement les consciences de beaucoup d’intellectuels éclairés, n’a jamais été concrétisée. On pourrait imaginer une communauté panafricaine pour le dialogue et le partage des savoirs pour qu’enfin cohabite, de façon formelle, négritude et arabité. 
Merci nathalie Philippe

Crédits :
Cette interview est une exclusivité de Destin de l’Afrique. Sénégal
Article de presse Courtesy of F.B.G Communication
www.fbgcom.net
fbgcommunication@yahoo.fr

Publié le 23 mai 2008 avec l'aimable autorisation de Fériel Berraies Guigny



Source : Fériel Berraies Guigny


Avertissement
Palestine - Solidarité a pour vocation la diffusion d'informations relatives aux événements du Moyen-Orient et de l'Amérique latine.
L' auteur du site travaille à la plus grande objectivité et au respect des opinions de chacun, soucieux de corriger les erreurs qui lui seraient signalées.
Les opinions exprimées dans les articles n'engagent que la responsabilité de leur auteur et/ou de leur traducteur. En aucun cas Palestine - Solidarité ne saurait être tenue responsable des propos tenus dans les analyses, témoignages et messages postés par des tierces personnes.
D'autre part, beaucoup d'informations émanant de sources externes, ou faisant lien vers des sites dont elle n'a pas la gestion, Palestine - Solidarité n'assume aucunement la responsabilité quant à l'information contenue dans ces sites.

Pour contacter le webmaster, cliquez < ici >

Retour  -  Accueil Ressources  -  Analyses  -  Communiques  -  Originaux