Fériel Berraies Guigny
Islamic
Banking : les dessous du « financement Halal »
La
première banque islamique a vu le jour il y a trente ans, à Dubaï,
mais l’opinion publique restait mitigée quant à la viabilité
de pareille structure . Aujourd’hui trente ans après, la vague
de scepticisme s’est atténuée. Et les occidentaux se laissent
peu à peu prendre par ce nouveau marché de croissance.
Qu’est
ce donc que l’Islamic Banking ? c’est un procédé
bancaire qui reprend les mêmes principes que le crédit-bail. Par
exemple, pour le financement d'une voiture, une banque islamique
achète le véhicule et l'enregistre au nom du client. Celui-ci
doit alors repayer une somme, dont le montant a été décidé au
préalable, sur une base régulière, et sur une période préétablie.
Cela signifie que d’une part, il n'y a pas le concept d'intérêt
applicable et que de l’autre, les risques sont partagés. La
banque islamique absorbe une partie des parts des investissements
et des épargnes. Si la banque est rentable, alors les profits
sont partagés.
Ce
phénomène qui prend de plus en plus d’ampleur ces dernières décennies,
« contamine » les férus du haut profit international.
Des Banques occidentales de plus en plus conscientes d’un marché
qui se chiffre en milliards, se sont mises à la culture de la
« finance halal » en lorgnant sur des taux de
croissance apparemment exceptionnel et de solides perspectives.
L’année
dernière la DP World, société portuaire publique de Dubaï
avait soumis une offre de reprise de l’opérateur portuaire
britannique P&O. A cette fin, l’entreprise proposait un
instrument de financement inhabituel : les sukuks. Le Coran
interdisant aux fidèles de toucher des intérêts, les financiers
de DP ont choisi comme parade, de coupler les profits à la
rentabilité de la Ports, Custom and Free Zone Corporation de
Dubai ( PCFC). Cette dernière, partie prenante à la transaction,
a assuré ainsi, un financement exempt de taux d’intérêt. Le
gouvernement pakistanais, a quant à lui, suivi une autre voie
lorsqu'il émit un emprunt de 600 millions de dollars. Au lieu de
servir des intérêts, il garantit aux investisseurs religieux les
gains d'une concession d'autoroute à péage. Quant aux contrats
de leasing des avions de la compagnie aérienne Emirates Airways,
ils sont désormais conformes aux préceptes du Coran.
L’Expression
a contacté sur Bahrein, M. Ladislas Gallant, un des membres de
l’équipe en charge du Financement islamique, oeuvrant pour le
compte de Calyon à l’international. Une discussion s’est
alors nouée sur les modalités du financement islamique, les échanges
avec les pays musulmans et les perspectives d’avenir.
M
Gallant, avant
de se lancer dans la finance islamique, a occupé différentes
fonctions dans la finance conventionnelle. Diplômé d'un Master
en Finance, il a intégré Calyon en 2005 et a longtemps été
membre actif du Département en charge de la Trésorerie. Il a
ensuite évolué, en rejoignant Calyon New York où il s’est
occupé de gérer des produits d'investissement auprès d'une
clientèle composée de banques privées basées en Amérique
Latine.
Entretien :
1
- Qu'est ce que l'Islamic Banking ? Pour les fidèles, cela
veut dire pas de profit, mais pour vous ? Quelles sont les
similitudes et les différences entre banque standard et banque
islamique ?
L'islamic Banking est une manière de faire de la
finance selon les préceptes de la Shari'a, la loi islamique. Il
existe de nombreux principes découlant de la Shari'a encadrant
les questions de l’argent, de l’investissement et de
l’emprunt. Les trois principaux sont que l'argent n'a pas de
valeur usurière, c'est à dire que prêter de l'argent n'a pas de
cout et ne peut inclure des couts. De plus, la spéculation
(qimar) est strictement interdite car pleine d'incertitudes
(gharar). Enfin, il n'est pas autorisé d'investir dans des
entreprises aux activités haram telles que les casinos, les
fabricants de tabacs ou d'alcool ou les banques. Toutefois, la
finance islamique se révèle une technique très intéressante
afin d'aider au développement et au support des pays musulmans
car c'est une finance qui se veut équitable, favorisant
l'investissement, le développement et le partage des risques.
Ainsi, la finance islamique se distingue de la
finance conventionnelle par l'ensemble de ces règles régies par
le Coran.
2 - Partagez-vous les pertes et les profits avec le
client ?
Dans le cadre de l’investissement aux côtés
d'entrepreneurs, la Shari'a propose un ensemble de principes tel
que la Musharaka où le financier et l'entrepreneur partagent les
profits et les pertes. C'est une idée récurrente dans la finance
islamique. Ainsi, il est vrai que les banques prennent une
certaine dose de risque en prenant place dans certains types
d'investissement islamique. Mais elles sont aussi bénéficiaires
quand c'est un succès.
3 - Le boom de la finance islamique est-il la conséquence
de la flambée des prix du pétrole, ressource très abondante au
Moyen-Orient ?
L'afflux d'argent au Moyen-Orient grâce au prix du pétrole
est un des motifs qui a poussé au développement de la finance
islamique. Cependant, son expansion vient aussi du fait que les
musulmans cherchent à investir d'une manière qui soit en accord
avec leur croyance. Sans cette raison, la finance islamique n'en
serait jamais là aujourd'hui.
La finance islamique est une industrie en pleine
croissance qui est pour l'instant très petite à l'échelle
mondiale mais différentes études ont montré qu'elle deviendra
un élément du paysage financier à moyen terme.
4
- Kuala Lumpur en Asie et Dubaï dans le Golfe sont considérés
comme les capitales tournantes de l'Islamic Banking, quels en sont
les nouveaux pôles en Europe ?
Kuala Lumpur est à l'heure actuelle le principal
centre financier islamique en Asie. Cependant, Singapour et Hong
Kong ont aussi des aspirations. Dans le Golfe, Bahreïn est
historiquement le cœur de la finance islamique mais Dubaï et
plus récemment le Qatar tentent de lui ravir ce rôle.
En Europe, c'est incontestablement Londres qui occupe
cette position. La Grande Bretagne a fait de nombreuses
modifications de ses lois afin de traiter la finance islamique et
la finance conventionnelle sur un pied d'égalité. Cette
initiative très novatrice n'a pas encore été suivie par
d'autres pays européens. Toutefois, il ne serait pas surprenant
de voir des Etats favoriser la finance islamique dans les
prochaines années.
5
- Parlez-nous de vos activités sur Calyon. Quels sont vos clients
? L'importance des portefeuilles que vous gérez ? Les opérations
commerciales les plus courantes ?
Calyon fait de la finance islamique depuis le milieu
des années 90 mais a réellement lancé l'activité depuis 2004.
Calyon opère deux types d'activités dans le cadre de la finance
islamique : le financement et l'investissement. Dans le cadre
du financement, Calyon prend part à des opérations de
financement de projets ou de financement à l'export d'entreprises
fonctionnant islamiquement. Du coté de l'investissement, Calyon
propose un ensemble de produits d'investissement islamiques afin
d'aider les musulmans à placer leur argent en accord avec leur
croyance.
Calyon étant une banque d'affaire, ses clients sont
des institutions financières (banque, société d'assurance,
hedge fund…) ou des entreprises de taille conséquente. D'un
point de vue islamique, il s'agit principalement de banques
islamiques ou d'entreprises régionales.
6 - De nouveaux
concurrents sont venus se joindre aux acteurs traditionnels de la
finance islamique, comme la Chine, la Russie et le Japon.
Sont-ils, à votre avis, qualifiés pour cette activité ?
L'aspiration de la Chine, de la Russie et du Japon n'est
au jour d'aujourd'hui qu'un projet. Il y a encore de nombreuses barrières
qui se dressent devant eux (à commencer par les barrières législatives)
avant qu'ils ne prennent place dans la monde de la finance
islamique. Néanmoins, pour répondre à votre question, la Russie
et la Chine comptent une population musulmane et il est donc tout
à fait possible que la finance islamique puisse se développer dans
ces pays. Quand au Japon, l'approche est différente. Le Japon considère
la finance islamique comme un moyen de capter les investisseurs du
Moyen orient ou d'Asie du Sud Est.
7 - La banque islamique
est-elle une activité réservée aux banquiers de religion musulmane
? On dit que ces derniers, une douzaine dans le monde, sont très
demandés en Occident. Est-ce vrai ?
La banque islamique est une activité réservée à tout
le monde. Cependant, je pense que vous faites ici plus référence
au Comité de la Shari'a. Afin d'avoir ses produits ou transactions
reconnus comme islamiques, les banques mandatent des experts sur la
Shari'a afin qu'ils approuvent ces transactions. Ces experts sont
un peu moins de 50 dans le monde pour un nombre grandissant d'institutions
faisant de la finance islamique. Il y a donc une certaine pénurie
de ressource dans cette partie de l'activité. Toutefois, Calyon est
fier d'avoir un Comité de la Shari'a formé d'experts très reconnus :
Sheikh Nizan Yaqubi, Dr Elgari et Dr Abu Ghuddah.
8 - La banque islamique
peut-elle être pratiquée par les non musulmans ? Et à quelles conditions
?
La finance islamique peut tout à fait être pratiquée
par des non-musulmans. La finance islamique est une manière de faire
de la finance. Ainsi, il suffit de respecter les préceptes pour pouvoir
en faire. Il y a de plus en plus d'entreprises et de banques conventionnelles
qui s'y intéressent comme un moyen alternatif d'investir ou de lever
des fonds.
9 - Quels sont les
problèmes auxquels s'exposent les banques occidentales qui pratiquent
la banque islamique ?
Les banques occidentales ne rencontrent pas de problème
à faire de la finance islamique et sont plutôt vues comme des acteurs
essentiels. Plusieurs d'entre elles comme Calyon sont dans la région
depuis de nombreuses années et sont bien implantées. Leur taille
et leur expertise sont une aide précieuse pour la finance islamique
car les banques islamiques sont souvent encore jeunes et moins fortes
que leur confrères conventionnels.
10 - L'Europe est un
nouveau marché de l'«argent halal». La Grande-Bretagne vient de
franchir le pas. Depuis quand la France pratique-telle ce segment
d'activité financière ?
Il faut distinguer la France de ses banques. Les banques
françaises font de la finance islamique depuis plusieurs années
à l'étranger. Cependant, le cadre réglementaire en France ne permet
pas de conduire d'activité islamique sur le territoire nationale
car l'imposition ne rendrait pas l'activité rentable.
La France n'a donc pour le moment pas franchi le pas
malgré son importante population musulmane.
11 - On estime que
d'ici 2008, le marché du crédit islamique atteindra 1,4 milliard
de livres sterling au Royaume-Uni. Qu'en sera-t-il en France et dans
les autres pays occidentaux ?
Le Royaume Uni a pris l'initiative de développer la
finance islamique et je pense que ses voisins l'observent attentivement
pour voir si celle-ci va se développer ou non. Si c'est le cas, ils
prendront le pas. Toutefois, il faut tenir compte de la politique
sociale de chaque pays mais aussi de la demande des musulmans.
Crédits Presse : Courtesy of F.B.G Communication
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Entretien
réalisé exclusivement pour
l’Expression
Tunisie.
Publiée le 20 janvier 2008 avec
l'aimable autorisation de Fériel Berraies Guigny
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