Al-Ahram Hebdo : Comment
évaluez-vous les rapports entre les Etats-Unis et les pays
arabes, en particulier sur la question du conflit
israélo-palestinien ?
Kathleen Christison :
Tout d’abord, je pense qu’un
phénomène malheureux, à mon avis, est le fait que la majorité
des pays arabes reste encore excessivement conciliante vis-à-vis
de la politique étrangère américaine en ce qui concerne leur
position dans le conflit israélo-palestinien. La vérité est que
beaucoup de pays arabes ne s’opposent pas de manière claire à la
politique étrangère américaine au Proche-Orient et, au
contraire, coopèrent avec les Etats-Unis dans toutes leurs
démarches dans cette région, au détriment, parfois, de leur
opinion publique et positions de leur peuple.
— A quels pays faites-vous
référence ?
—
En fait, de nombreux pays arabes
ont besoin de l’aide directe accordée par Washington et d’autres
ont besoin des Etats-Unis pour protéger leurs ressources ou leur
pétrole, comme c’est le cas de l’Arabie saoudite ou des pays du
Golfe, qui voient l’Amérique comme une sorte de parapluie qui
les protège. A cause de cela, la coopération avec les Etats-Unis
reste donc incontournable à plusieurs niveaux, et surtout en
politique. Personnellement, je pense que l’homme de la rue dans
les pays arabes soutient les Palestiniens. Mais les
gouvernements, eux, font toujours ce que Washington leur
demande. On ne voit pas, par exemple, le roi de Jordanie
critiquer explicitement les positions américaines vis-à-vis du
conflit israélo-palestinien, et en faisant cela, il soutient
indirectement l’appui inconditionnel que le gouvernement
américain accorde à Israël. La réalité est que les Etats-Unis ne
font pas pression sur Israël pour que celui-ci fasse les
moindres concessions pour parvenir à la paix. Mais il est aussi
vrai que les pays arabes n’exercent pas, eux non plus, de
grandes pressions sur les Etats-Unis pour que ce pays adopte des
positions plus justes et équilibrées.
— Et qu’en est-il des rapports
avec l’Autorité palestinienne ? Il s’agit de la partie ayant le
plus intérêt à parvenir à une solution au conflit ...
—
Malheureusement, l’Autorité
palestinienne est elle aussi trop conciliante, et prête à tout
faire pour plaire à l’administration américaine. Ils n’ont pas
le pouvoir de dire quoi que ce soit aux Etats-Unis, et pour
cette raison, ils finissent par prononcer un discours très peu
convaincant, comme celui par exemple des représentants de
l’Autorité palestinienne dans lequel ils se plaignent des
pratiques israéliennes. Ils n’ont pas le courage de s’attaquer
aux Etats-Unis, qui est la véritable source de puissance
derrière Israël. Ils critiquent Israël à cause de la poursuite
de sa politique de colonisation en Cisjordanie, etc. Mais ils ne
critiquent jamais Washington, même sachant que c’est là
qu’Israël puise sa force et que ce sont les Etats-Unis qui
fournissent à l’Etat hébreu les armes qu’il utilise pour
attaquer le peuple palestinien.
— Il en est pourtant de
l’intérêt national, même des Etats-Unis, d’aider les parties à
parvenir à la paix au Proche-Orient. Le président Obama l’a
souligné à plusieurs reprises …
—
Il est vrai que la paix entre
Israéliens et Palestiniens représente un intérêt majeur aux
Etats-Unis. Barack Obama a affirmé que le règlement du problème
israélo-palestinien fait partie de l’intérêt national des
Etats-Unis. Mais le problème c’est que, pour parvenir à une paix
dans ce conflit, il serait nécessaire d’exercer de fortes
pressions sur Israël, et cela n’est dans l’intérêt personnel
d’aucun politicien américain. Aucun membre de la classe
politique aux Etats-Unis n’oserait faire cela.
— On observe, ces dernières
années, l’émergence sur la scène politique américaine de groupes
de pression juifs comme le JStreet qui, contrairement à l’AIPAC,
est connu pour ses positions plus progressistes et modérées
vis-à-vis du règlement du conflit israélo-palestinien. Qu’en
dites-vous ?
—
Il existe, en effet, de nombreux
groupes juifs plus modérés aux Etats-Unis. Le plus important
d’entre eux et qui a réussi à faire opposition à l’AIPAC c’est,
comme vous le dites, le JStreet. Celui-ci est sans doute modéré
et s’oppose souvent aux politiques d’extrême droite du premier
ministre israélien Benyamin Netanyahu. Mais le problème avec ce
groupe c’est que la plupart de ses positions soutiennent les
positions américaines telles que nous les connaissons,
c’est-à-dire qu’il veut des pressions américaines sur Israël
pour un arrêt ou un gel de la colonisation, mais il a déjà fait
savoir qu’il est contre un recours à des pressions économiques
ou des sanctions de toute sorte contre Israël. Le JStreet a
aussi émis des critiques très claires contre le rapport
Goldstone qui, comme nous le savons tous, est un document
honnête et équilibré, écrit par un sioniste et dans lequel il
dénonce toutes les parties ayant commis des crimes dans la bande
de Gaza.
— Pensez-vous donc que dans les
conditions d’impasse actuelle et vu la poursuite de la
colonisation, la solution des deux Etats n’a plus de raison
d’être ?
—
Le problème c’est que ceux qui
soutiennent la solution des deux Etats ne disent pas ce
qu’Israël dit : garder la totalité de la Cisjordanie. Ils disent
simplement qu’ils ne vont jamais diviser Jérusalem. Ils veulent
garder Jérusalem-Est où vivent actuellement à peu près 200 000
colons israéliens. Par ailleurs, je dois dire qu’Obama a proposé
dernièrement aux Israéliens de garder leurs troupes dans la
vallée du Jourdain en cas de règlement, en échange du gel des
colonies. Or, la vallée du Jourdain devrait être la frontière
est du futur Etat palestinien. Cette vallée constitue 25 % de la
totalité de la Cisjordanie qui, elle, constitue seulement 22 %
de la Palestine historique. Alors, si on prend ces 25 % et on
leur ajoute les 10 % du territoire palestinien qui se trouvent
de l’autre côté du mur de séparation (à l’ouest) que les
Israéliens veulent aussi garder, on arrive à la conclusion que
les Palestiniens n’auront rien. Selon le rapport de l’ONG
israélienne B’Tselem, les colonies ont le contrôle de
pratiquement 41 % des terres en Cisjordanie. Donc, si les
Israéliens acceptent une solution de deux Etats, ils garderaient
le 10 % à l’ouest du mur, 25 % à l’est dans la vallée du
Jourdain, et cela en plus des nombreuses colonies, sans parler
des routes, etc. Dans ces conditions, nous ne pouvons pas parler
d’Etat palestinien. Nous pouvons conclure de ce qui précède que
si les Israéliens acceptent un règlement à deux Etats, ce
serait, pour les Palestiniens, une Palestine en « petits
morceaux ».
— Que pensez-vous du refus des
Etats-Unis de reconnaître le mouvement de la résistance
islamique (Hamas) comme un interlocuteur palestinien valable,
notamment après sa victoire électorale et son gouvernement de
facto dans la bande de Gaza ?
—
La question des rapports avec le
Hamas est un nouvel exemple de l’alignement total des Etats-Unis
sur les positions d’Israël. Il est vrai que le Hamas a commis
quelques actes terroristes et que c’est un groupe de
fondamentalistes qui ne reconnaît ni Israël ni les accords
signés avec l’Autorité palestinienne et qui ne veut pas renoncer
à la violence. Mais d’un autre côté, ni Israël, ni les
Etats-Unis n’ont reconnu les résultats des élections remportées
par le Hamas. Ces conditions imposées aux Palestiniens ne
s’appliquent pas aux Israéliens. C’est-à-dire qu’ils n’étaient
pas obligés de reconnaître le droit d’un Etat palestinien
d’exister. Israël n’a pas non plus respecté les accords signés
auparavant avec les Palestiniens. Il n’a pas respecté les
accords d’Oslo dès le départ. Et aussi, évidemment, il n’est pas
obligé de renoncer à la violence contre les Palestiniens. Israël
a été par exemple beaucoup plus violent que le Hamas dans ses
attaques contre la bande de Gaza en 2008/2009.
— De nombreux membres du Hamas
ont déclaré, à plusieurs reprises, qu’ils étaient prêts à
reconnaître Israël dans les frontières de 1967 …
—
C’est vrai. Mais la réalité est
que ni les Etats-Unis, ni Israël n’acceptent cela. Ils disent
que ces propos ne sont pas adéquats, tout simplement parce
qu’ils ne veulent pas avoir affaire avec le Hamas.
Propos recueillis par Randa
Achmawi