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Gilad.co

Au sujet de la gauche, de l'Islam, du lobby sioniste, de Chomsky et de bien d'autres sujets chô-bouillants
Gilad Atzmon


Mardi 27 juin 2010

http://www.gilad.co.uk/...

Un dialogue entre Gilad Atzmon et Miriam Cotton
(précédé d’une introduction par Miriam Cotton)

Gilad Atzmon est un saxophoniste et un compositeur de renommée mondiale profondément passionné par les questions humanistes et préoccupé par le destin du peuple palestinien. Il a écrit de nombreuses analyses sur cette question et il a été largement publié. En tant qu’ancien Israélien juif ayant décidé de s’exiler d’Israël et qu’ancien soldat de ‘Tsahal’, le point de vue d’Atzmon, à l’intérieur du débat public qui fait rage autour de la Palestine, est relativement unique en son genre. Ses opinions sont foncièrement contrées par d’aucuns au sein des associations juives antisionistes, qui l’accusent d’antisémitisme et de « se haïr lui-même ».

Atzmon repousse catégoriquement l’accusation d’antisémitisme et il affirme être concerné par un examen approprié et exhaustif de l’idéologie que représente le fait d’être juif – en particulier en ce qui concerne la manière dont la notion selon laquelle les juifs seraient un peuple « élu » [par Dieu, mais il y a ballotage…, ndt] a conduit, pense-t-il, inexorablement à la levée du sionisme et de son influence actuelle totalement disproportionnée sur la marche du monde.

Gilad Atzmon en a aussi après la gauche occidentale, qui, pense-t-il, a été incapable à la fois de reconnaître la véritable étendue de l’influence sioniste (il cible particulièrement Noam Chomsky dans ses critiques) et de comprendre la manière dont les idéologies occidentales socialo-marxistes sont incompatibles avec les sociétés islamiques, ce qui rend ces idéologies totalement inutiles pour lesdites sociétés. Ces questions (et bien d’autres) seront abordées au cours de notre dialogue ci-après. Il y a énormément de choses, dans ce que nous dit Atzmon, qui réclameraient davantage d’interprétation et de commentaires, mais cet échange, tout au moins je l’espère, aura permis d’illustrer son interprétation de la situation palestinienne actuelle et de nous donner un aperçu sur une perspective très peu fréquemment diffusée et/ou comprise. 

Miriam Cotton
MediaBite (Ireland)
http://www.mediabite.org/about_us.html

21 juin 2010

Miriam Cotton [MC] : Après l’assassinat et l’arrestation de militants humanitaires non armés dans les eaux internationales par Israël, le Général (américain) Petraeus a dit que la situation à Gaza n’était plus tenable. Bien qu’il n’ait condamné en aucune façon ce qu’Israël avait fait, pensez-vous qu’il puisse y avoir là un début de fin du soutien américain inconditionnel à Israël ?

Gilad Atzmon [GA] : Non. De fait, c’est même le contraire. C’est Israël qui envoie bouler l’Amérique. Le leadership israélien prend conscience qu’avec l’Amérique en arrière-plan, l’Etat juif ne sera pas à même de poursuivre ses deux projets mortels programmés : la Nakba II et le démantèlement de la capacité nucléaire iranienne. Israël a conscience que, s’il veut maintenir son Etat réservé aux seuls juifs en tant que puissance régionale, il doit nettoyer ethniquement les Palestiniens restants. Israël est convaincu également du fait que sa seule chance de survivre au Moyen-Orient est de conserver une hégémonie nucléaire. Les Etats-Unis mènent la vie dure à l’Etat juif, pour le moment : c’est tout simplement qu’ils tentent de calmer Israël. Je pense que c’est Israël qui mène le conflit à sa guise, bien plus qu’il n’y est assujetti.

MC : Mais cette évaluation ignore sans doute des facteurs importants, non ? Personne ne peut sérieusement douter du fait que l’obsession américaine pour le Moyen-Orient soit entièrement due au pétrole, au gaz et à des questions géostratégiques, telles, en particulier, que la proximité russe et chinoise de ces ressources naturelles ?...

GA : C’est une bonne manière de poser le problème. Toutefois, vous pouvez aussi vous demander quels sont les intérêts américains, qui les définit et qui leur donne leur forme ? Comme de juste, l’Aipac (American Israeli Public Affairs Committee) a été joliment efficace dans le formatage des intérêts (dits) américains ; nous savons aussi que la doctrine Wolfowitz a réussi à se métamorphoser en doctrine Bush. Durant les trois dernières décennies, les Américains ont été incapables de voir la contradiction (pourtant évidente) entre le pétrole à bon marché et leur alliance avec Israël. Ils pourraient bien être en train de commencer à comprendre cette contradiction, aujourd’hui…

MC : Mais…, la famille Bush était (oups : est) une dynastie du pétrole, elle aussi – avec des liens avec de nombreux, sinon la plupart des intérêts matériels aussi bien arabes qu’israéliens – il y a beaucoup plus d’intérêts particuliers américains de ce type à l’extérieur de l’Aipac qu’il n’y en a à l’intérieur de l’Aipac. Tout ce que les Etats-Unis ont fait là-bas (au Moyen-Orient, ndt) depuis le début de leur ainsi dite « guerre au terrorisme » - et même depuis bien avant – visait à sécuriser le Moyen-Orient et ses ressources (notamment énergétiques, mais pas seulement) ?

GA : Oui, c’est vrai, tout ça. Mais il est vrai aussi que l’Aipac ne va pas nécessairement se mêler de questions politiques hors sujet, dès lors que ces questions n’impliqueraient pas des intérêts sionistes, israéliens ou juifs. Toutefois, le lobby juif en Amérique et au Royaume-Uni a réussi à formater la vision qu’a l’Empire anglophone de ses besoins et de ses intérêts. D’un point de vue américain, au lieu d’admettre que les soldats américains étaient en réalité envoyés au Moyen-Orient pour y faire la guerre en lieu et place d’Israël, on leur a dit qu’on les envoyait mourir au nom de l’interventionnisme moral et de la démocratie. On leur a dit qu’ils étaient en train de « libérer le peuple irakien ». Merveilleux, non ? Le pétrole et les intérêts israéliens ont été présentés comme des sujets annexes. Or, comme nous le savons tous, les prix du pétrole n’ont absolument pas chuté après 2003, bien au contraire ! Et pourtant, Saddam Hussein, le pire ennemi d’Israël, a été décanillé. A long terme, ce plan n’a pas marché, non plus, pour Israël. L’Iran est devenu la puissance musulmane leader incontestée ; In-shâ’Allah, il deviendra aussi bientôt une puissance nucléaire. Cela dissuaderait de toute évidence les Israéliens de parachever leurs aspirations impériales sans bornes.

MC : Il n’y a pas d’autre pays, au Moyen-Orient, dans lequel les Etats-Unis et leurs alliés seraient à même de concentrer l’énorme menace militaire en quoi l’on a transformé Israël, s’ils décidaient d’atteindre leurs ambitions dans cette région du monde. La réalisation des ambitions sionistes d’Israël et par Israël a toujours été une considération secondaire aux yeux des Etats-Unis et c’est encore le cas aujourd’hui, cela, en dépit d’un lobby pro-israélien américain relativement puissant ?

GA : Je n’en suis pas du tout certain. En réalité, je pense que le lobby sioniste a réussi à détruire l’empire américain. Pour moi, la crise financière, le Credit Crunch, est, de fait, un coup de poing asséné par les sionistes. Pour moi, Greenspan a provoqué un maelström économique afin de détourner l’attention des gens des guerres de Wolfowitz. De fait, les sionistes ont réussi à mettre par terre toutes les superpuissances auxquelles ils tenaient le plus : la Grande-Bretagne et la France. Et, aujourd’hui, le tour de l’Amérique est venu. Vous devez vous abandonnez à admettre que la « guerre contre le terrorisme » était, en réalité, une guerre contre l’Islam sous direction sioniste, une bataille dont la seule raison d’être est le service des intérêts israéliens.

MC : Israël a été aidé financièrement et techniquement à développer un arsenal nucléaire comptant plusieurs centaines de missiles, alors que les Iraniens, qui n’en disposent pas, mais contrôlent d’importantes ressources pétrolières, sont accusés de représenter une menace pour la paix mondiale. Franchement, dans les circonstances présentes, les Iraniens et bien d’autres qu’eux seraient justifiés à penser qu’ils ont besoin de certains moyens leur permettant de se défendre contre la seule menace réelle existant actuellement – et contre ceux qui, de fait, sont les plus provocateurs,  ainsi que contre ceux qui massacrent le plus de gens, j’ai nommé les Etats-Unis et Israël ?

GA : Oui, c’est là, de fait, un argument très valable. Du point de vue iranien, la capacité nucléaire militaire de l’Iran est un moyen défensif. Les Iraniens sont soumis en permanence à une menace nucléaire et il en va de même pour les autres pays du Moyen-Orient, et bien au-delà.

MC : La Grande-Bretagne et l’Amérique ne font jamais de guerres qu’elles n’aient voulu mener – même pas des guerres justifiées, à moins qu’elles n’aient un bénéfice à en retirer !?

GA : En êtes-vous tellement certaine, ou bien n’est-ce pas là, plutôt, quelque chose que nous préférons tous croire ? Comme de juste, tant en Grande-Bretagne qu’en Amérique, les partis politiques sont lourdement financés par des lobbies juifs pro-israéliens… Ainsi, Haim Seban, le financeur israélien multimilliardaire du parti démocrate américain a dit, l’an dernier, que la meilleure manière d’influencer l’Amérique passe par le financement des partis politiques américains, par les médias et par les boîtes à idées. Vous voyez : même la vision des « intérêts américains » peut n’être rien de plus que de faux intérêts une fois qu’ils ont été manipulés afin de les aligner sur ce qui est, en réalité, les intérêts israéliens. En fin de compte, il est beaucoup moins coûteux d’acheter un politicien occidental que d’acheter un tank. Il est bien meilleur marché de recruter un « nouvel ami d’Israël » que de faire voler un chasseur-bombardier F-15, ne serait-ce qu’une heure…

MC : Israël est essentiellement une création de la Grande-Bretagne et d’autres puissances européennes – et le pétrole était fermement parmi leurs priorités, y compris à l’époque… ?

GA : Non, ça, c’est encore un mythe auquel des gens comme Chomsky voudraient nous faire croire ! En réalité, la Déclaration Balfour avait pour finalité d’entraîner les Etats-Unis dans la Première guerre mondiale. Elle servait à pousser les banquiers juifs tant d’Allemagne que de Russie à changer d’allié, abandonnant l’Allemagne et s’alliant à l’Angleterre, afin d’être en mesure de financer la nouvelle guerre américaine. Amos Alon présente un chapitre embarrassant de l’histoire juive dans son ouvrage monumental The Pity of It All [Le plus lamentable, dans tout ça]. En réalité, le coup des British a marché : deux mois après la Déclaration Balfour, l’Amérique était en guerre. Cela n’avait strictement rien à voir avec le pétrole. Non, c’était, tout simplement, la énième guerre financée par un lobby politique juif…

MC : Comme pour bien d’autres régimes violents que les Etats-Unis ont fait pousser un peu partout dans le monde comme champignons après l’ondée, les Etats-Unis se moquent comme de l’an quarante de ce qu’Israël peut bien fabriquer de sa propre population dès lors que le plan commercial continue à progresser en direction du but. L’épuration ethnique des Palestiniens n’est qu’un de ces coûts collatéraux qu’il faut payer pour maintenir couché le bulldog américain dans la région. Les déclarations officielles tant américaines que britanniques après l’attaque contre la Flottille humanitaire Free Gaza furent déplorables, Obama déclarant, par exemple, que les pertes de vies étaient simplement « regrettables » !... Cela était un avertissement très clair adressé à la Turquie : « Refaites-nous un truc comme ça, et c’est ce qui vous arrivera ! Rentrez dans le rang ! »

GA : Ces temps-ci, l’Amérique ne parle pas d’une seule voix, mais de plusieurs. Elle est hésitante, voire totalement perdue en matière de politique étrangère. En partie parce qu’il y a un conflit entre les intérêts américains et les lobbies qui ont donné aux Démocrates les clés de la Maison-Blanche, j’ai nommé l’Aipac 

MC : USraël ne peut plus s’en tirer à si bon compte, comme par le passé, en répandant une propagande faisant du peuple palestinien une nation entièrement composée de terroristes, ni dissimuler les horreurs de plus en plus épouvantables qu’on leur inflige. Ce que signalait le général Petraeus, semble-t-il, c’est qu’une nouvelle stratégie est requise – une stratégie qui soit moins horrifiante pour l’opinion publique mondiale, afin qu’ils puissent tous poursuivre leur business sans attirer autant d’attention négative sur les « détails ».

GA : Je pense que le général Petraeus, ainsi que de nombreux conseillers militaires, sont en train de prendre conscience du fait que l’Amérique est sur le point de perdre sa mainmise sur le monde arabo-musulman. En fin de compte, si j’ai besoin de ton pétrole, j’ai intérêt à être pote avec toi, plutôt qu’on me surprenne au plumard avec ton pire ennemi, non !?

MC : A l’évidence, ce n’est pas ce qu’ils pensaient, à propos de l’Irak. Ils ont assuré ce qu’ils voulaient obtenir jusqu’à présent et le prochain pays sur la liste, c’est l’Iran. Mais, en même temps, il est évident que les Etats-Unis ont créé un monstre, Israël, au beau milieu du Moyen-Orient, un monstre qui s’avèrera bien plus difficile à contrôler qu’on l’aurait souhaité, voire envisagé, par certains côtés.

GA : Je suis d’accord avec ce que vous dites. Cependant, les décisions des démocraties libérales sont prises par des hommes politiques élus qui sont achetés par divers types d’ « amis d’Israël ». En Amérique, c’est l’Aipac et les principaux récolteurs de dons financiers juifs, comme Haim Saban, que j’ai déjà nommé ; en Grande-Bretagne, nous avons Lord ‘caisse enregistreuse’ Levy et désormais, le CFI (Conservative Friends of Israel). Ces groupes de pression et ces individus ont pour fonction d’étouffer les réactions morales à l’intérieur du système politique et au-delà. Toutefois, à la suite des derniers massacres perpétrés à Gaza sur le navire turc Mavi Marmara, l’on a assisté à un raz-de-marée de ressentiment à l’encontre d’Israël et de ses soutiens, les lobbies juifs. C’est là quelque chose qui pourrait conduire, en fin de compte, à un revirement cosmique, y compris au sein du monde politique.

MC : Je passe à un autre sujet… Dans l’édition irlandaise du Sunday Times du 6 juin, il y avait un article extraordinaire de l’un des plus grands journalistes irlandais, Matt Cooper, sous la manchette : « Israel passe brillamment son examen de compétence diplomatique ». Non, je ne blague pas, c’est authentique … Cooper commence son article en reconnaissant l’atrocité perpétrée par Israël sur le Mavi Marmara, mais ensuite, il fait des tours et des détours pour recommander ce qu’il appelle une manière d’avancer « nuancée », laquelle manière « nuancée » est totalement exempte de moralité et même d’humanité la plus élémentaire. Les assassinats et tous les massacres précédents d’Israël, qu’il venait tout juste de condamner, sont mis de côté  - sans doute dans l’intérêt de ce qu’il appelle une opinion « équilibrée », un peu plus loin, dans le même article. La « diplomatie » et les « intérêts économiques » de l’Irlande sont invoqués afin d’éliminer la vérité horrifiante de ce qui est réellement en train d’arriver aux Palestiniens de l’équation ou, à tout le moins, afin de la marginaliser. Nous sommes invités à comprendre les sentiments des gouvernements israéliens successifs et, par conséquent, à nous compromettre avec leur intransigeance criminelle, au final. Il rejoue le même mythe éventé selon lequel Israël serait cerné par l’hostilité, tout en ignorant la terreur qu’il a, dès sa création, brandie et infligée à ses voisins et aux Palestiniens avec toute la force de l’armée américaine à sa disposition – et il ne dit rien de l’énorme cache d’armes nucléaires dont il a menacé de faire usage contre l’Iran, un pays qui, je le rappelle, n’a pas d’arme nucléaire.

GA : C’est vraiment très intéressant. Aujourd’hui, nous apprenons qu’Israël insiste à enquêter sur son propre crime. C’est sans doute la dernière phase en date de la folie, de l’arrogance ou de l’ignorance manifestes d’Israël. L’assassin dit aux autorités : « C’est bon : je suis capable d’enquêter sur mes propres actes ; laissez-moi faire. Mes parents et mon cousin peuvent attester de mes actes ». C’est là, en effet, une manière de défier la diplomatie mondiale. Israël s’en tirera-t-il à si bon compte, cette fois-ci ? J’espère bien que non. Mais si c’est le cas, cela nous prouvera à tous une seule chose, à savoir le fait que les lobbies cachères sont en train de corrompre notre avenir moral. Considérant le danger fatal de guerre totale qu’invoque Israël, nos dirigeants ne disposent plus de beaucoup de temps. Israël est le plus grand danger menaçant la paix mondiale. Il faut le contrer par les mesures les plus extrêmes et, ce, sans tarder !

MC : Je ne pense pas qu’une quelconque forme d’attaque physique préemptive contre Israël soit justifiée, si c’est bien ce à quoi vous faites allusion ?

GA : Bien entendu, je ne fais pas allusion à une violence quelconque, ici, mais bien à des mesures extrêmes en matière d’embargo économique, de sanctions et de boycotts culturels.

MC : Pour en revenir aux médias, je me demande ce que vous pensez du rôle joué par les médias lorsqu’ils font la promotion de la vision israélienne des choses. De grands journalistes chevronnés, en particulier en Occident, parlent pour la plupart d’entre eux dans un registre et à partir d’un cadre de référence qui sont pour l’essentiel à l’exact opposé sur cette questions et bien d’autres : les victimes de l’agression et de l’illégalité israéliennes les plus outrageantes nous sont présentées comme des terroristes du simple fait qu’ils résistent, tandis que les déclarations et les comportements les plus inadmissibles sont « nuancées », dans une sorte d’inversion orwellienne du sens des mots et de la vérité – dans le style de Matt Cooper. Une agression non provoquée est redéfinie en action défensive visant essentiellement à protéger des « intérêts économiques ».

GA: Comme je l’ai déjà dit, Haim Saban déclare que l’influence doit être obtenue au travers du « financement des partis politiques, des médias et des boîtes à idées ». Dans votre cas, vous êtes préoccupée par les médias et l’idéologie. Il ne fait pas de doute que, dans l’empire anglophone, nous sommes confrontés à une bataille contre une idéologie étrangère qui a été extrêmement habile à définir nos besoins, nos désirs et notre notion de la justice. Cette idéologie a par ailleurs remarquablement réussi à définir nos notions de peur et de terrorisme.

Les néocons qui diffusaient l’idéologie trompeuse de l’ « interventionnisme moral » via notre vie politique et nos médias étaient dans une très large mesure des sionistes aux tendances de gauche. C’est en réalité cette idéologie qui signifie le glissement horrifiant du sionisme, à partir du discours limité d’une (simple) « terre promise », dans une politique planétaire, à savoir, carrément « la planète promise ».

Vous vous demandez sans doute comment il se fait que leur idéologie ait eu pour un temps un tel succès, et comment il se fait que nous ayons laissé ces gens-là nous entraîner dans une guerre illégale et nous rendre complices du massacre de plus d’un million d’Irakiens ? Vous vous demandez sans doute comment il se fait que la Doctrine Wolfowitz a réussi à s’imposer à la politique américaine ? J’imagine que l’ « interventionnisme moral » et la « guerre au terrorisme », cela a de la gueule, sur le papier. Cela signifie que « nous autres », nous sommes cachères et que les « autres » sont les méchants. Il a fallu un certain temps à l’Occident pour se rendre compte qu’en fait, nous étions en train de servir une idéologie maléfique et les intérêts sionistes. Cela risque de nous prendre aussi quelque temps pour prendre conscience que c’est nous qui sommes devenus la force la plus obscurantiste dans les parages…

MC : Convenez-vous du fait que le discours complice des médias consensuels – qui vont toujours en tandem, comme l’a si clairement repéré Chomsky, avec des intérêts économiques puissants – ont été plus puissants, dans leur soutien à Israël, que dix Aipacs n’auraient jamais pu l’être ?

GA : Non, pas du tout. Je ne suis pas du tout d’accord avec cette assertion, parce que, comme l’a dit très clairement Saban, il y a un continuum entre le leveur de fonds, la boîte à idée et le média. En termes de politique britannique, il y a un continuum idéologique évident entre les Politiques Amis d’Israël (Lord ‘Caisse Enregistreuse’ Levy), les partisans de la guerre au sein des médias (Aaronovitch, Cohen) et la boîte à idée néoconservatrice britannique Euston Manifesto.

MC : Une des principales raisons qui font que l’orthodoxie consensuelle est aujourd’hui en difficulté tient-elle à l’apparition des médias alternatifs, autrement plus démocratiques ?

GA : Désolé, mais je ne le pense pas. Si l’orthodoxie consensuelle est défiée, c’est parce qu’il y a une lassitude croissante de la politique sioniste, une prise de conscience croissante que la politique tribale a laissé une tache mortelle indélébile sur les relations internationales de la Grande-Bretagne et de l’Amérique. Par ailleurs, à la suite de la deuxième guerre du Liban, du massacre à Gaza et de l’abordage du Mavi Marmara (par la soldatesque sioniste), il y a une prise de conscience très importante du fait qu’Israël est un pays criminel emporté par un fanatisme morbide.

Mais il y a aussi une autre raison, qu’il faut préciser. Depuis de nombreuses années, la Gauche a bloqué toute tentative d’analyse du sionisme et du pouvoir juif mondiaux. Comme de juste, mis à part l’affaiblissement récent de la cause sioniste, la Gauche a perdu tout pouvoir au sein du discours de solidarité (avec les Palestiniens). Jusqu’à un certain point, les deux phénomènes politiques sont liés entre eux. Comme nous le savons, la Gauche a malheureusement échoué à se concilier la puissance émergente de l’Islam et son immense pouvoir au sein du discours de la libération.

Résultat : la gauche est reléguée derrière. Elle est parfaitement hors sujet par rapport au discours fondamental de notre temps. Pour que la Gauche rebondisse, il faut qu’elle apprenne à penser éthiquement et à établir des liens avec les mouvements islamiques et les communautés immigrées en Occident.

MC : Il y a un certain nombre de choses, dans ce que vous dites, que j’aimerais contester. Primo, cela dit avec une pointe d’ironie, un peu à la manière dont les sionistes le font eux-mêmes, vous les mettez à l’avant-scène et au centre de tout ce qui est en train d’arriver. Négliger les motifs et l’influence des nombreux autres groupes, non sionistes quant à eux, qui sont tout aussi impliqués que le sont les sionistes, équivaut au mépris que les sionistes manifestent à l’égard des non-sionistes, non ?

GA : Là encore, il y a, en réalité, un continuum (que vous semblez ne pas détecter) entre le sentiment d’élection qui est inhérent au sionisme et à tout discours politique juif quelle qu’en soit la nature et la pratique sioniste, qui s’exerce sans relâche dans le monde entier. Les sionistes ne cherchent pas à tout contrôler. J’imagine qu’ils ne sont pas tellement intéressés par le tabac, ces temps-ci (c’est probablement la raison pour laquelle nous ne sommes plus libres de fumer comme nous le voudrions J) ; en revanche, ils se préoccupent (et comment !) de la politique étrangère européenne et ils sont prêts à user de tous les moyens pour la conformer à leurs désirs. Regardez la pression que les organisations sionistes sont en train d’exercer sur l’administration américaine en ce qui concerne la Turquie, l’Iran, les sanctions, l’attaque contre le Mavi Marmara, etc…

MC : Sans vouloir me faire l’avocate du diable et défendre ce que les USA/UK/UE sont en train de faire, il me semble que définir leur rôle de la manière dont vous le faites revient presque à les infantiliser – c’est en tout cas sérieusement sous-estimer à quel point ils peuvent être puissants, dangereux et manipulateurs en tant que tels… ?

GA : Pour être franc, ils ne sont pas aussi intelligents que bien des gens semblent le penser…

MC : Nulle personne sensée ne pense qu’ils sont intelligents sur l’un quelconque de ces sujets, mais qu’ils sont capables d’une avidité incontrôlée, soutenue par une violence tout aussi incontrôlée… ?

GA : De fait, la violence israélienne est loin d’être « incontrôlée ». C’est une violence mortelle et préméditée. C’est ça, la véritable notion de la puissance de dissuasion d’Israël. Mais je reviens à votre question. En fait, ils font tout ouvertement. David Miliband, qui est par ailleurs listé parmi les auteurs de propagande israélienne patentés, a agi contre la juridiction universelle britannique à la seule fin de permettre aux criminels de guerre israéliens de venir en toute quiétude au Royaume-Uni. Comment expliquez-vous ça ? Etait-ce quelque chose d’intelligent, de sa part ? Etait-il très intelligent, de la part de David Aaronovitch et de Nick Cohen, de se faire les avocats d’une guerre illégale tout en étant par ailleurs des éditorialistes du Jewish Chronicle (une publication sioniste britannique) ? Etait-il futé de soutenir une guerre qui a entraîné la mort d’un million et demi d’Irakiens ? Est-il très intelligent, de la part d’Haim Saban, de dire au peuple américain : « nous, les juifs, nous influençons votre vie au travers du financement des partis, au travers des médias et au travers des boîtes à idées ? ». La réponse est non, bien évidemment ; ça n’est pas intelligent du tout. C’est le fait d’une arrogance infantile qui est inhérente à l’identité chauvine. Le succès du programme sioniste jusqu’ici a énormément à voir au fait que les sionistes agissent à l’intérieur de discours tolérants et des gens comme vous et Chomsky, vous êtes prêts à tout faire pour les défendre au nom d’une idéologie brumeuse. Malheureusement, cette idéologie ne tient absolument plus la route. Comme vous le savez sans doute, Chomsky est totalement discrédité.

Ses arguments boiteux contre Walt et Mearsheimer, qui sont semblables aux vôtres, placent un énorme point d’interrogation au-dessus du projet de toute son existence. C’est sans doute dommage. Mais la bonne nouvelle, c’est que le ressentiment à l’encontre du sionisme, d’Israël et du lobbying juif acharné est en train de devenir un phénomène de masse. Ce ressentiment transcende le discours politique. C’est un esprit, cet esprit est public et cet esprit est rafraîchissant. Cela est sans doute une bonne nouvelle, parce que nous aspirions depuis toujours à connaître cette situation présente. Le seul problème, c’est le fait que personne ne la contrôle plus réellement…

MC : Quand et où ces questions ont-elles impliqué une quelconque défense des sionistes ou du sionisme ? Le simple fait de dire qu’ils ne sont pas les seuls impliqués ou qu’ils ne contrôlent pas ce qui se passe au Moyen-Orient à eux tous seuls n’est en aucune manière une défense, ni de leur idéologie, ni de leurs agissements, que je sache ?!

GA : Pour commencer, il ne s’agit en rien d’un débat personnel, mais bien d’un débat idéologique. Toutefois, je pense que ne pas affronter globalement le lobbying juif, cela revient à fournir une armure au sionisme. Vous évoquez d’autres intérêts américains. Ce qu’il y a de tellement unique, avec l’Aipac, David Miliband et le CFI, c’est le fait que tout de go, d’emblée et ouvertement, ils font la promo d’un gouvernement étranger. Un lobby musulman s’en tirerait-il à si bon compte ? L’Iran ou le Pakistan pourraient-ils se permettre la même chose ? Chomsky volerait-il à leur défense ? Permettez-moi d’en douter…

MC : Chomsky est depuis fort longtemps un détracteur impitoyable d’Israël – encore tout récemment, le gouvernement israélien l’a empêché d’assister à une conférence pour laquelle il était attendu. Il a fait, certes, certaines déclarations déroutantes, mais, encore une fois, je pense que vous ignorez des preuves évidentes qui contredisent ce que vous dites à son sujet…

GA : J’ai énormément de respect pour ce que Chomsky a fait depuis des années. Toutefois, comme l’a fait remarquer récemment le militant américain (antisioniste) Jeff Blankfort, Chomsky n’a cessé de minimiser la puissance du lobby pro-israélien. Il est opposé au mouvement Boycott-Désinvestissement-Sanctions (BDS) et il a œuvré à « dissuader les gens d’utiliser le terme ‘apartheid’ pour décrire le contrôle exercé par Israël sur la société palestinienne ». Chomsky est également opposé au droit au retour des Palestiniens et à une solution à un seul Etat. En réalité, Chomsky est un sioniste libéral (= « de gauche », ndt) et un enthousiaste des kibboutz. Cela suffit à expliquer la raison pour laquelle son expression a été marginalisée au sein du discours de la solidarité avec les Palestiniens. Considérant son immense contribution à d’autres domaines de la pensée, c’est vraiment dommage.

MC : Beaucoup de choses peuvent et doivent être dites en réponse à cela, mais notre débat n’est pas centré sur Chomsky… L’Aipac est peut-être fêté  à Washington et à Londres, pour l’instant, mais il suivra le chemin de tous ceux qui ont collaboré avec les Etats-Unis, le moment venu… Comme cela a été relevé à maintes reprises, les décideurs de la politique extérieure américaine n’hésitent jamais à caricaturer d’anciens amis sous les traits de vilains ennemis à abattre dès lors que ces amis ont cessé de leur être utiles. Le mythe d’Israël-seul-défenseur-de-la-démocratie-au-Moyen-Orient nous a été vendu de force pendant très longtemps, c’est exact, mais rarement, sinon jamais, butin de guerre économique et stratégique n’avait été aussi important.

GA : Pourquoi cela a-t-il été utile ? Est-ce parce que c’est vrai ? Pas vraiment. Israël n’a jamais été une démocratie – c’est une société racialement exclusiviste qui a réussi à mettre sur pied une « démocratie pour les seuls juifs ». Les Américains sont assez intelligents pour le comprendre. Ils ont connu une lutte pour les droits civiques il n’y a pas si longtemps, et de fait, c’est encore le cas aujourd’hui. L’image trompeuse de la démocratie israélienne avait pour but de créer un continuum phantasmatique entre les Etats-Unis et l’Etat juif. Il est bien entendu beaucoup plus compliqué d’expliquer aux masses comment, au juste, le fait de soutenir un Etat juif faucon dans une mer de pétrole pourrait rendre l’essence moins chère…

MC : A ce propos, votre erreur fondamentale n’est-elle pas le fait que vous confondez le plus gros de la recherche avide tout à fait indépendante et également violente d’autres intérêts matériels avec l’étendue de l’influence de l’Aipac, dont tout un chacun sait qu’elle est indubitablement forte ?

GA : Avec tout le respect et sans prétendre ne pas commettre d’erreurs, je ne pense pas que vous mettiez le doigt sur une erreur quelconque dans la lecture que je fais de la situation. En tous les cas, ce que je constate, c’est que vous êtes réticente à admettre que nous avons été entraînés par un lobby institutionnel extensif et très dangereux pendant très longtemps. De fait, je sais que vous, et d’autres avec vous, vous avez cette position parce que vous voulez croire que vous êtes de véritables humanistes. Je respecte cela. En fait, une des questions les plus cruciales à laquelle nous devons répondre ici est celle de savoir de quelle manière dire ce que nous pensons d’Israël et de ses lobbies juifs, tout en restant des humanistes. Je pense que la réponse consiste à reconnaître que nous sommes confrontés à une idéologie qui ignore nos notions d’humanisme, de gentillesse et de compassion. Jusqu’à un certain point, nous sommes confrontés, ici, à un profond défi : « Comment allons-nous faire preuve de gentillesse envers quelqu’un qui dont le moins que l’on puisse en dire est qu’il n’est pas gentil ? »

C’est la raison pour laquelle il est tellement important, pour moi, d’affirmer que le massacre sur le Mavi Marmara était rien de moins qu’une réédition de la crucifixion du Christ. Sans égard à l’historicité de Jésus et sans égard au fait qu’IL N’Y A PAS de continuum entre les anciens Israélites et les Israéliens contemporains, nous assistons ici à une énorme agression en plein jour contre la bonté et contre la gentillesse. Cet attentat mortel a été approuvé par le peuple israélien, il a été perpétré par leur armée populaire et il continue à être approuvé par la juiverie mondiale, à l’exception de quelques juifs sporadiques comme les Juifs de la Torah qui le condamnent et qui sont manifestement hautement respectés, de ce fait. Comment affronter cette réalité ? En l’appelant par son nom. Telle doit être notre approche, car, à ce que je constate, les Israéliens et leurs lobbyistes interprètent votre silence ou votre réticence à utiliser le vocabulaire adéquat comme de la faiblesse. Si nous voulons aider les Israéliens, alors nous devons leur dire très clairement qu’en réalité, nous les voyons de part en part, tels qu’ils sont. 

MC : Il est important de comprendre l’idéologie sioniste et de défier et dénoncer ce qu’elle a d’inhumain. Les médias consensuels occidentaux ont toujours été criminellement complices de par leur refus de le faire. Mais si les sionistes n’avaient jamais existé, les Etats-Unis et leurs alliés européens seraient au Moyen-Orient, là, aujourd’hui, ou plus tard, et ils feraient exactement ce qu’ils sont en train de faire – comme ils l’ont fait des siècles durant dans bien d’autres parties du monde avec lesquelles les sionistes n’avaient rien à voir. Par ailleurs, il y a  en Israël beaucoup de juifs qui protestent courageusement contre la maltraitance des Palestiniens par leur gouvernement depuis fort longtemps et qui ont vigoureusement protesté après l’arraisonnement brutal du Mavi Marmara.

GA : Ce « beaucoup » de juifs est un tantinet exagéré. L’on a demandé à une porte-parole palestinienne à Londres, à la fin des années 1990, ce qu’elle pensait de tous ces « bons juifs », ceux qui soutiennent les Palestiniens. Sa réponse fut d’une simplicité marquante, et très révélatrice. Elle a dit : « J’admire tous ces gens beaux et gentils… Oui, tous : tous les quinze ! » De fait, personnellement, je me tiens au courant de leur discours et je n’en dénombre pas plus de huit ! Je suis loin d’être impressionné par toutes ces assoces : « Les juifs pour ceci » et « Les juifs contre cela ». A mes yeux, ce sont les feuilles de vigne opérationnelles des sionistes. En particulier lorsqu’il s’agit de juifs marxistes. S’ils sont effectivement marxistes, pourquoi ne rejoignent-ils pas la classe ouvrière et pourquoi ne combattent-ils pas le sionisme à nos côtés ?

Mais je reviens à votre question. Que se serait-il passé, si Israël n’avait pas existé ? Etant donné que nous avons affaire ici à une supposition hypothétique, vous conviendrez sans doute que l’ensemble USA/UK/EU aurait pu tout aussi bien recourir à une tactique entièrement différente. Par le passé, la Grande-Bretagne et l’Amérique ont aussi eu recours à la diplomatie. Si vous lisez l’histoire du sionisme, dès le tout début, Herzl capitalisait sur les intérêts des superpuissances dans la région (moyen-orientale). Cela, avant même que le pétrole soit devenu un enjeu. Aussi vous pouvez tout aussi bien arguer du fait que la manière dont les choses ont évolué était inévitable, en raison de la nature de la philosophie politique du sionisme consistant à s’allier aux puissances influentes. Israel Shahak dirait que c’est là l’héritage du Talmud. Personnellement, je dirais que c’est là la signification exacte du récit biblique d’Esther. Dans mon article De Pourim à l’Aipac (From Purim to AIPAC), j’explore le continuum entre la Bible et le lobbying juif politique contemporain.

MC : Au niveau le plus cru qui soit, Israel a peut-être bien 500 bombes nucléaires, qui lui ont été offertes par les Etats-Unis, mais l’arsenal américain et leur capacité militaire globale sont des multiples de ceux d’Israël. Personne ne le conteste ?

GA: Voilà qui n’a strictement rien à voir, j’en ai bien peur. L’Amérique est (ou tout du moins, était) une superpuissance. Elle a été engagée dans la guerre froide. Cela peut expliquer, plutôt que justifier, la raison pour laquelle elle détient autant de bombes nucléaires. Toutefois, Israël est engagé dans un conflit territorial avec ses ainsi-dits « ennemis ». L’on ne peut manquer de se demander pourquoi Israël pourrait bien avoir besoin d’une bombe nucléaire, pour commencer ? Si Israël se préoccupe autant qu’il le dit du sort de Sdérot et d’Ashkelon, il ne devrait jamais vitrifier Gaza. La réponse est tout simplement dévastatrice. Si Israël possède toutes ces bombes nucléaires, c’est parce qu’il veut maintenir le reste du monde sous sa menace constante. Au cas où quelqu’un ne l’aurait pas compris, le reste du monde est en l’occurrence ce qui s’appelle communément l’humanité. Et c’est là le cœur du problème. Nous avons affaire ici à un collectif mortifère qui est mené par une psychose mortelle prenant pour cible l’humanité et l’humanisme.

MC : Les sionistes n’ont pas le monopole des psychoses mortelles visant d’autres groupes humains. Les indigènes amérindiens ont dit au monde deux ou trois choses au sujet de la psychose des Chrétiens qui colonisèrent leurs terres – la misère qui entraîna des suicides de masse, entre autres horreurs. Il est certainement fondamentalement antihumaniste – voire raciste et discriminatoire –de désigner un groupe humain quel qu’il soit comme le seul à être maléfique (comme vous le faites, en ce qui concerne les juifs) ?

GA : Pour commencer, nous sommes tous les deux d’accord pour dire que ce ne sont pas les sionistes qui ont inventé le mal. De fait, le sionisme est une tentative d’exercer une barbarie coloniale dans un monde qui s’est éloigné de ce type de philosophie politique. En résumé, les sionistes sont coupables de perpétrer des crimes coloniaux un siècle trop tard. Toutefois, vous faites ici une erreur cruciale. Vous dites : « Il est certainement fondamentalement antihumaniste de désigner un groupe humain comme le seul à être maléfique ». Vous avez peut-être raison, mais le sionisme n’est pas du tout un groupe de personnes ; de fait, il s’agit d’une idéologie. En réalité, c’est une idéologie raciste et antihumaniste, qu’il nous faut contrer. De manière similaire, ceux qui adhèrent à cette idéologie succombent à une philosophie inhumaine et ils doivent être exposés, nommés et fustigés. Comme vous le constaterez, dans mes écrits, je ne critique jamais les juifs en tant que juifs, ni le judaïsme en tant que religion. Je concentre mes attaques contre l’idéologie juive, à savoir la judéïté qui est une interprétation très particulière et suprématiste de la pensée judaïque. Dans mes écrits, je me suis attaché à débusquer la judéïté dans toute manifestation politique juive contemporaine, qu’il s’agisse du sionisme de droite, du Bund pseudo-socialiste ou des radicaux du Matzpen. Toutefois, je dois mentionner le fait que les juifs de la Torah sont indemnes de cette faute. Ils tirent leur inspiration de la Torah et nous présentent une forme tout à fait unique d’humanisme tribal.

MC : Vous dites que la gauche a échoué à embrasser la « puissance émergente de l’Islam ». Des groupes de gauche à l’intérieur de l’Islam lui-même ne semblent pas recevoir un bon accueil, de manière générale ?

GA : Je ne vois pas bien ce que vous voulez dire, quand vous parlez de ‘groupes de gauche à l’intérieur de l’Islam’ ? L’Islam est en lui-même une philosophie qui promeut l’égalité ; il n’a (donc) pas besoin d’une idéologie de gauche, et il ne saurait intégrer cette perception athéiste. J’imagine que ce à quoi vous faites allusion, c’est aux groupes de gauche au sein du monde arabe ou du monde musulman ? De fait, l’entièreté de la philosophie de la gauche européenne est euro-centrique et elle est liée à la révolution industrielle. Ce sont là des notions qui ne signifient strictement rien pour le Moyen-Orient et pour sa propre manière d’appréhender la lutte pour la libération…

MC : En-dehors de l’Islam, tout ce que peut faire la gauche, c’est offrir sa solidarité et ses encouragements… ?

GA : Je suppose que ce dont vous parlez, c’est de la production de badges, d’écharpes et de casquettes portant le drapeau palestinien ? C’est bien gentil. Je cite toujours Lacan, à ce sujet. Lacan dit que le fait de faire l’amour, c’est, en pratique, le fait de vous faire l’amour à vous-même, à travers l’autre. En ce sens-là, la notion de solidarité qu’a la gauche revient, dans la pratique à « se faire l’amour à soi-même au détriment des opprimés ». Excusez-moi, mais ce concept ne m’impressionne pas du tout… 

MC : Ce que vous dites est peut-être vrai pour certains types de militantisme, mais il est injuste de caricaturer globalement la solidarité de gauche avec les Palestiniens comme vous le faites… La Flottille de la Liberté, c’était bien plus que « la simple production de badges et d’écharpes » ! Il y a beaucoup de journalistes et de militants qui ont fait des efforts sérieux et efficaces pour soutenir les Palestiniens à l’intérieur de la gauche – certains ont même sacrifié leur vie pour maintenir une communication vitale. J’ajouterai d’ailleurs que les badges et les écharpes ont servi à quelque chose, aussi, en nous permettant de nous garantir contre l’oubli.

GA : Il se trouve que j’étais à Athènes et à Nicosie quand la Flottille a levé l’ancre. Je travaillais étroitement avec la Mission de la Liberté, j’ai donné des interviews et j’ai fait des conférences pour eux. J’étais aussi en contact avec des militants à Istanbul. Je peux vous dire que la Mission Liberté pour Gaza est vraiment une innovation extrêmement rafraîchissante au sein du mouvement de solidarité avec les Palestiniens. Les soi-disant gens de gauche, au sein de ce mouvement, n’ont certainement pas peur de l’Islam ou du Hamas. Ils respectent certainement le choix démocratique des Palestiniens. C’est pour cela que j’admire ces militants et que j’aurais aimé être avec eux sur un de ces bateaux.

MC : Pour en revenir à la gauche et à l’Islam, aussi justifiée soit la perception iranienne d’Israël en tant que réelle menace au Moyen-Orient, les syndicalistes ont d’énormes difficultés en Iran, en ce moment, par exemple. A votre avis, que peut faire la gauche, ou que devrait-elle faire ?

GA : Pour commencer, je ne parle jamais de la gauche en Iran, en Irak ou en Palestine. Non, ce dont je parle, c’est de la gauche ici, en Europe. La priorité des priorités, c’est accepter la notion d’altérité. Par exemple : défendre le Hamas en tant que corps politique démocratiquement élu ; défendre le Hezbollah qui oppose à Israël une résistance farouche ; soutenir un projet nucléaire iranien absolument indispensable à la défense de ce pays ; soutenir le droit des musulmans à aimer leur Allah et à combattre pour la liberté en Son nom. Ce sont là des choses tout à fait élémentaires. La gauche doit aussi prendre conscience du fait que les communautés immigrées musulmanes en Occident sont les premières à souffrir d’une oppression culturelle, sociale, raciale et politique. Si la gauche veut conserver une pertinence idéologique et morale, elle doit joindre ses forces à celles de ces groupes ethniques-là. Il est aussi possible que la gauche occidentale ait déjà raté le train : cela signifierait qu’elle appartiendrait désormais à l’Histoire.

MC : Je ne peux pas être d’accord avec certaines des choses que vous dites ; la gauche a généralement tout à fait conscience de la nécessité de respecter les différences culturelles existant dans l’Islam et elle a fait davantage que tout autre groupement politique, que ce soit du centre ou de droite, pour forger des liens et pour lutter contre la discrimination dont les communautés immigrées sont les victimes. Comme le christianisme, le judaïsme et les autres religions, l’Islam n’est pas sans tache… ?

GA : Si ce que vous dites est vrai, comment expliquez-vous le fait que la gauche ait été si lente à reconnaître le Hamas ? Les gens de gauche soutiennent la résistance irakienne ? Ah bon : première nouvelle ! Et les Talibans ? Vous soutenez l’un ou l’autre de ces mouvements ? Non : aucun. Je conteste votre affirmation sur l’Islam et les autres religions… Vous avez en cela une approche suprématiste typiquement libérale. Vous vous placez vous-même dans une position élitiste imaginaire, au-dessus et au-delà du sujet de votre analyse critique. Si vous voulez critiquer un corpus idéologique, vous ne pouvez le faire qu’en usant de la déconstruction, qu’en débusquant ses failles logiques internes. Pour cela, vous devez, auparavant, accéder à une certaine familiarité avec ce corpus idéologique. C’est d’ailleurs ce que j’essaie de faire en ce qui concerne le sionisme et l’identité juive. A l’évidence, je suis assez familiarisé avec le narratif juif pour en déconstruire les différentes formes. En revanche, le discours judaïque m’est moins familier ; je ne m’y attaque donc pas.

MC : Il n’y avait rien de suprématiste, dans ma question, je vous assure – j’ai dit explicitement que toutes les religions ont leurs défauts – mais je vais être plus claire : les femmes et les homosexuels sont depuis toujours opprimés par la plupart des religions, pour ne pas dire par toutes, jusqu’à un certain point. Critiquer l’Islam pour cette même forme d’oppression n’implique en aucune façon que ce problème le concernerait à l’exclusion des autres religions, ni que tout soit parfait en la matière ailleurs…

GA : Miriam, vous suggérez ici implicitement l’idée qu’alors que la christianité et l’identité juive auraient « avancé », l’Islam aurait été « laissé en arrière ». Pour être franc avec vous, je dois reconnaître que la dichotomie entre « progressiste » et « réactionnaire » n’est rien d’autre qu’un symptôme de l’opposition binaire judaïque (quelque peu manichéenne, ndt) qui imprègne le discours de la gauche. Le progressisme n’est qu’un autre nom donné à l’élection.

MC : L’oppression, c’est l’oppression (les mots ont un sens) : c’est exactement la même chose que pour l’occupation. L’occupation est l’occupation, on sait ce que cela veut dire…

GA : Bien entendu, là, je ne suis pas d’accord du tout. L’oppression est quelque chose de très difficile à définir. L’occupation, par ailleurs, peut être définie en termes positifs, tels qu’(oppression) territoriale et (oppression) légale.

MC : Il n’y en a pas moins une grande partie de l’oppression contre les femmes et contre les homosexuels qui ne saurait être justifiée et repoussée du revers de la main au seul motif qu’elle relèverait d’une simple différence culturelle… Critiquer ces choses-là ne devrait pas être un tabou culturel, pas plus que le fait de critiquer le sionisme ne devrait être un tabou antisémite…

GA : Désolé, Miriam, je ne suis pas du tout d’accord avec vous. Il y a une claire différenciation entre le discours occidental ‘libéral’, qui célèbre l’individualisme, et le discours tribal oriental qui donne la priorité à la famille, à la communauté et à la culture. Vous avez tendance à croire que vous êtes détentrice de je ne sais quel système éthique supérieur qui vous permettrait de formuler des jugements sur d’autres valeurs culturelles qui vous sont étrangères. A l’évidence, vous n’êtes pas la seule… C’est la nature-même de la culture populaire s’inscrivant dans le cadre du discours post-Lumières. J’aurais tendance, au contraire, à dire que la véritable tolérance, c’est la capacité d’accepter même ce que vous n’arrivez pas à comprendre. Moi-même, bien entendu, je traite les femmes et les gays avec le respect le plus total et je me bats pour leur égalité dans l’entourage qui est le mien. Toutefois, au lieu de critiquer certaines cultures islamiques, j’essaie de comprendre leur attitude politique et religieuse vis-à-vis de divers groupes humains. Je suggère que quiconque prétend avoir le souci de la solidarité devrait faire de même.

Mais, avant de passer à autre chose, laissez-moi répondre à votre dernier argument. Aussi longtemps que vous affirmez que « l’attitude de X envers Y est une attitude oppressive, vue sous l’angle libéral », vous pouvez être dans le vrai, votre argument peut être valide et pertinent. Toutefois, dès lors que vous affirmez que « l’attitude de X envers Y est une attitude catégoriquement oppressive », vous avancez un argument qui ne diffère en rien de celui d’un néoconservateur ou d’un interventionniste moral : fondamentalement, vous affirmez être meilleur et plus éthique que X.

Ce ne sont pas là des questions particulièrement simples. Je peux proposer une solution, mais j’imagine que j’ai réussi à formuler la complexité du problème…

MC : Alors, en quoi cela diffère-t-il de votre intolérance pour ce dont les sionistes, eux aussi, prétendent qu’il s’agit de leur culture et de leur croyance en leur élection et en tout ce à quoi celle-ci a conduit ?

GA : De fait, c’est simple comme bonjour : les crimes sionistes sont perpétrés au détriment d’autres (que les sionistes).

MC : Vous vous dites humaniste. Ce n’est pas une position particulièrement humaniste, que de justifier les mutilations sexuelles sur les filles et la misère à vie qu’elles causent aux femmes qui en sont victimes ?

GA : Qu’en savez-vous ? Ne comprenez-vous pas qu’afin de vous assurer qu’une telle affirmation soit valide, vous devez vous placer vous-même au-dessus et au-delà du discours humain ? Toutefois, je comprends évidemment votre point de vue, si je me place dans la perspective occidentale. Je suis extrêmement méfiant devant tout appel à l’interventionnisme éthique. Et puis, permettez-moi de vous corriger : non, je n’arbore pas le drapeau de l’humanisme ! Je suis à la recherche de la notion d’humanisme : nuance ! A ce que j’en sais, c’est une notion éminemment dynamique. Comme l’éthique, l’humanisme doit être remodelé et révisé à chaque instant. 

MC : J’ai bien conscience du fait que tous les musulmans ne sont pas partisans des mutilations sexuelles féminines. Mais ce sont des choses aussi inadmissibles les unes que les autres. Encore une fois, il y a des torts comparables dans la plupart, sinon dans toutes les religions, sociétés et cultures ; si c’est ça que vous appelez faire de l’Islam un bouc émissaire ??

GA : Je suis heureux de vous le voir mentionner, car, à ma connaissance, et je ne suis pas particulièrement ce qu’on pourrait appeler un expert sur cette question, les mutilations sexuelles féminines ne sont absolument pas prescrites par l’Islam. Toutefois, permettez-moi juste de mentionner au passage que je n’ai pas souvenance d’avoir rencontré une quelconque critique de gauche ou progressiste de l’ancien rituel juif sanglant du même acabit impliquant une succion de sang et la résection d’une partie de l’organe sexuel des enfants mâles (Brit Mila)(circoncision, ndt). Il se trouve que des parents juifs, tant religieux que laïcs, permettent à un rabbin de circoncire et de sucer le sang de leurs bébés mâles alors que ceux-ci ne sont âgés que de huit jours. Comment expliquez-vous le fait qu’un rituel aussi barbare puisse être pratiqué publiquement parmi nous ? Pourquoi cela ne provoque-t-il aucun scandale ? Pourquoi, vous-même, vous ne protestez pas contre ça ?

MC : Il n’est pas possible, pour un humaniste authentique, de fermer les yeux où que ce soit que se produise une inhumanité et quel qu’en soit le responsable. Vous appliquez en cela un deux-poids deux-mesures, je pense : vous défendez les mutilations sexuelles féminines en invoquant des arguments culturels, mais vous qualifiez un rite juif similaire de barbare… ?

GA : Il est tout à fait évident que lorsque je fais référence à un rite sanglant juif, je le critique d’un point de vue occidental en recourant à la déconstruction. Je vis en Occident, j’ai une certaine tendance à comprendre l’idéologie et la culture occidentales et je suis capable de mettre le doigt sur une contradiction évidente entre les droits humains d’un enfant et ce rituel sanglant. Toutefois, je suis beaucoup moins convaincu que les libéraux (progressistes) occidentaux soient détenteurs de la capacité de formuler un jugement éthique concernant des cultures qui sont éloignées des valeurs et du mode de vie occidentaux. Et pourtant, une question demeure pendante : comment se fait-il que les esprits libéraux soient aussi préoccupés par les mutilations sexuelles féminines qui sont pratiquées en Afrique, et qu’ils ne le soient pas du tout par un rite juif similaire qui est pratiqué par leurs voisins ?

MC : Passons à la question suivante, si vous le voulez bien… Le fait que les musulmans – ou quiconque d’autre, où que ce soit – doivent être libres de combattre pour se libérer d’invasions et/ou d’occupations violentes est axiomatique pour la plupart des gens, mais pas pour des pacifistes, par définition. Invoquer Dieu à cette fin n’a jamais provoqué autre chose que des catastrophes, ou est-ce que je me trompe ?

GA : Ah bon, vraiment ? C’est là où vous avez tendance à exprimer votre intolérance pour la croyance d’autrui. Les plus grandes symphonies et les plus beaux chefs-d’œuvre architecturaux ont été créés dans le contexte d’un dialogue avec Dieu. La résistance islamique qui vainc Israël et l’impérialisme occidental, que ce soit en Irak, en Afghanistan, à Gaza ou au Sud Liban est inspirée par Allah. Pourquoi êtes-vous tellement irrespectueuse envers Dieu ? De fait, je pense que vous ne parvenez pas à détecter l’importance de l’Islam dans le cadre de la résistance arabe et internationale. C’est là quelque chose de singulier, mais de tragiquement répandu chez les gens de gauche. Comme je l’ai dit au début de cet entretien, cela explique pourquoi la gauche a perdu sa pertinence.

MC : Il y a bien des assomptions infondées dans ce que vous venez de dire, mais nous devrons les laisser jusqu’à une prochaine fois… Cela a été un débat intéressant. Nous allons devoir convenir du fait que nous ne sommes pas d’accord sur un certain nombre de choses... Merci beaucoup d’avoir accepté cette conversation !

GA : Moi aussi, je l’ai trouvée très intéressante et j’espère vraiment que la différence entre nous nous conduira à un débat plus approfondi et à de nombreuses réalisations en commun.

 

Traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier

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Source et traduction : Marcel Charbonnier


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