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Par Fériel Berraies Guigny. Paris

La politique arabe de la France : qu’en reste t-il ?


Gérald Arboit

La politique arabe de la France, ses permanences et ses ruptures, ses innovations et ses régressions, a depuis toujours eu  un impact considérable sur notre région. La France  tout au long de son histoire a bâti  les deux axes de sa politique extérieure sur  l’Europe et le monde arabe.

Jacques Chirac, dés son élection, marquera en 1996 avec sa tournée au Proche-Orient, le retour à une certaine politique arabe, avec en point d’orgue le NON à l’intervention américaine en Irak. Mais ce retour de la diplomatie française dans la région n’a  pas entraîné par contre de facto une politique arabe de l’Europe. Au contraire, durant la crise irakienne, la quasi-totalité des chefs d’Etat et de gouvernements européens - à commencer par ceux du bassin méditerranéen -appuieront la politique américaine dans le Golfe, parfois même militairement !

Aujourd’hui, à la veille des élections présidentielles, la politique étrangère française est en pleine mutation. Les grandes orientations stratégiques de la Vème République qu'on avait baptisées " gaullo-mitterrandistes " sont remises en question. Se démarquent deux orientations, ceux qui prônent un rapprochement avec les Etats-Unis au nom de l'alliance des démocraties et de la solidarité occidentale. Une ligne qu’incarne aussi bien Nicolas Sarkozy que Dominique Strauss-Kahn en rupture avec la tradition française. Ils prônent à cet effet,  la fin de  " la politique arabe de la France " car  perçue comme étant avant tout une compromission avec des « régimes  peu recommandables ».

En face, aussi bien à droite qu'à gauche, persisterait cependant,  une opposition farouche à cette volonté de rupture. Incarnée par la mouvance de Ségolène Royal et Laurent Fabius. Tous deux sont très critiques sur la façon dont les Etats-Unis mènent la guerre contre le terrorisme.

Cependant, mettre entre parenthèses la politique arabe de la France, comporte certains risques. Risques  que néo-gaullistes et néo-mitterrandistes partagent. Ils craignent  en effet, que la dénonciation de certains aspects de la politique arabe de la France ne soit un prétexte pour cesser d'avoir une politique active dans la région et y perdre des positions. Réalités  a rencontré, Gérald Arbois Historien, et auteur d’ouvrages et de nombreux articles historiques et géopolitiques sur le monde arabe.

Entretien avec Gérald ARBOIT

1)Pouvez vous nous donner l’origine de la  politique arabe de la France?

Vaste question que de vouloir trouver une origine à la politique arabe de la France. Les sources sont multiples et donc étalées sur une longue période. Qui plus est, il faut s’entendre sur les significations terminologiques. Peut-on faire remonter les relations franco-arabes à Charlemagne et Harûn al-Rashid ? Doit-on attendre Saint-Louis, comme le clament les Maronites ? Ou bien Louis XIV et son alliance avec les Turcs, ce qui nous éloigne des Arabes pour nous ouvrir aux puissances musulmanes ? L’expédition d’Egypte de Bonaparte concerne-t-elle le monde arabo-musulman ou les relations franco-britanniques ? Même chose pour la gestion des suites de la débâcle égyptienne en Syrie, en 1840 ? Les points d’entrées sont nombreux. Mais je pense que la véritable définition, non d’une politique raisonnée — pour cela il faudra attendre d’être débarrassé de la question algérienne, après 1962 —, mais d’un faisceau de pensées à destination des populations arabes, quelles que soient leurs sensibilités religieuses, et non exclusivement chrétiennes, date de la période du Second Empire. Le Proche-Orient, déjà compliqué, n’est pas perçu comme un objectif colonial par Napoléon III. C’est l’idée nationale, reprenant cette exaltation de l’arabité de Bonaparte en Egypte, qui l’amène à s’intéresser au Proche-Orient. Mais les questions d’intérêts particuliers, qu’il s’agisse de Lesseps et de son canal, des velléités du Saint-Siège de reprendre la main en Syrie ou des nécessités de la politique européenne, auxquelles s’ajoute la contradiction fondamentale d’un discours colonial au Maghreb alors qu’on prône l’inverse au Machrek, donnent un côté brouillon à la position française. C’était le sens même de mon propos dans Aux sources de la politique arabe de la France. Et non une quelconque volonté de réhabiliter Napoléon III…

D’ailleurs, si l’on reprend la politique gaullienne à destination du Proche-Orient, ces fameuses « idées simples », reprennent cette éthique nationale et de grandeur. Mais les pivots de cette politique élaborées après 1962, l’Algérie, comme ouverture vers le Tiers Monde et le monde arabe, et Israël, comme rejet de toute forme d’impérialisme, s’ils sont bien adaptés aux intérêts de la France du moment, sont loin de faire l’unanimité parmi la classe politique française. Et ne parlons pas des partenaires européens de la France. Le malentendu avec Washington est très gaullien, mais il ne peut durer longtemps dans la période de guerre froide. D’autant que s’amoncèlent les nuages (chocs pétroliers, crise morale, terrorisme islamique, immigration de moins en moins contrôlée…).

2)Cette politique ne trouve-t-elle pas des limites aujourd’hui dans la coopération politique européenne et également dans le cadre du calendrier américain? 

Oui et non. Il faut bien comprendre que la construction européenne est avant tout une manifestation d’adhésion à l’Atlantisme. La Communauté économique européenne naît en pleine Guerre froide. Il faut reconstruire l’Europe. Ce qui explique, une fois l’Europe reconstruite, mais le Mur de Berlin disparu, son impossibilité à s’emparer du politique. Et ses gesticulations mondialistes, comme son ouverture, rapide et désordonnée, aux pays de l’ancien bloc soviétique, ne font que cacher la crise. Cela dit, l’Europe a tourné le dos, sous le poids de réajustements des années 1980, à son sud, quel qu’il soit.

La France a néanmoins tenu à conserver ses apanages de puissance, comme en témoigne sa présence au sein de la FINUL depuis ses débuts, ou en Afrique… Mais elle a cessé d’être, dès les années 1970, l’amie de tous, et en premier de l’arabité méditerranéenne. Le ressentiment qui se développe ensuite envers les communautés immigrées montre combien la fracture algérienne ne s’est pas refermée. Il montre également combien la flambée islamiste, qui se développe depuis l’Iran au Liban, puis prend racine en Algérie et enfin inaugure le « nouvel ordre international », en confondant socialisme arabe ou bosniaque et islamisme, brouille les cartes d’une France qui ne maîtrise plus les enjeux. Et ce n’est pas le « calendrier américain » post-11-Septembre qui en est responsable.

De Gaulle avait une personnalité qui lui permettait de dialoguer avec Nasser. La perception arabe peut facilement les assimiler. Mais la réalité géopolitique de la France, une réalité qui s’impose dès la fin des années 1960 et la disparition de de Gaulle, impose des choix qui ne sont pas en relation avec le Proche-Orient. La Guerre froide ne tolère pas de troisième voie et impose de choisir Washington ou Moscou. Pour la France, il n’y a pas d’alternative possible. Et depuis 1990, la marge de manœuvre est plus que limitée. Aujourd’hui, le beau discours du 5 février 2003 de Dominique de Villepin n’a guère de poids face au PowerPoint de Colin Powell. Restent le « vieux pays » et la « vieille Europe » à la remorque des Etats-Unis. Les perspectives intégrationnistes de l’Union européenne ne laissent que peu de place au monde arabo-musulman. D’autant que le 11 Septembre et l’invasion de l’Irak ont durablement changé les perspectives. Le rêve du Roi Hasan II de voir le Maroc, fer de lance de l’Union du Maghreb Arabe, intégrer l’Union a fait long feu…

3)De nos jours, la Méditerranée et le Moyen-Orient sont essentiellement perçus par les Européens comme une « zone dangereuse » pour l’Occident ?

Le phénomène n’est pas nouveau. L’absence de politique méditerranéenne, la crise européenne depuis l’échec constitutionnel et son choix — celui de la simplicité et qui représente une tentation récurrente de l’Union, alternative à l’intégration communautaire — de l’élargissement à la Roumanie et à la Bulgarie, mais pas dans l’immédiat à la Bosnie, à la Serbie et à la Croatie, et encore plus tard, sinon jamais, à la Turquie, l’afflux d’immigrants clandestins venant d’Afrique… sont certes des phénomènes d’actualité. Mais ils plongent leurs racines dans les années 1980. A partir de 1983, c’est-à-dire de la première flambée de violence dans les banlieues, les médias français commencent à présenter les communautés immigrées d’origine musulmane comme des étrangers appartenant à une « communauté arabe » construite. Elle est construite à partir des données de l’actualité internationale : on est aux lendemains de la révolution iranienne, des attentats antisémites de Paris, des attentats nationalistes palestiniens et arméniens en Europe… Cette « communauté arabe » que véhiculent les médias depuis cette époque, mais qu’ils se gardent bien de définir, participe de sa déterritorialisation et renforce cette idée de dangerosité de la rive sud du Mare Nostrum.

Tout finit par se confondre dans une même perspective sécuritaire, les immigrés clandestins, les filles voilées, les délinquants… Renvoyer les Européens — c’est-à-dire ceux qui sont nés, qui ont été éduqués, qui vivent dans un pays européen — de religion musulmane qui, pour leur plus grande majorité, ont la nationalité des pays où ils résident, à leur statut d’étrangers permet de construire un ennemi civilisationnel, à la fois lointain pour que l’on n’éprouve pas de sentiment belliciste, mais suffisamment proche pour nourrir les stéréotypes belliqueux. Le 11 Septembre n’a fait que pérenniser le regard occidental envers tout ce qui trait, de prêt ou de loin, à l’Islam comme un soutien au terrorisme. Dites des propos apaisés sur l’Islam et la rumeur médiatique a tôt de vous considérer comme un converti, comme un de ces « barbus » qui hantent les sous-sols des immeubles de banlieue… Les malentendus civilisationnels, du genre de la crise des caricatures, ne sont pas pour arranger les choses. Les autorités politiques semblent percevoir le risque. Le processus de Barcelone, initié dans la foulée de la première Guerre du Golfe (1991), en est un exemple. Mais je ne suis pas certain que confier à la société civile le soin d’éviter le clash civilisationnel soit une bonne chose, comme c’est le cas avec l’atelier culturel Europe-Méditerranée-Golfe, dont la première séance s’est tenue à Paris en septembre dernier, avant deux autres rencontres à Séville et à Alexandrie. Surtout sans réelle présence des organisations internationales les plus concernées, comme l’Unesco ou le Conseil de l’Europe. Je suis plus confiant dans la démarche de cette dernière institution, qui a entrepris en octobre la réflexion terminale autour d’un projet d’enseignement de l’Histoire concernant « L’image de l’Autre ».

4)Durant les deux mandats présidentiels du Président Chirac, on dit que la politique arabe de la France était plus une politique de « complaisance » comme l’ explique Boltanski dan son ouvrage «  Chirac D’Arabie » qu’en pensez vous ? 

Le problème est que les deux mandats se sont limités à un seul. Et s’il faut en retenir quelque chose à destination du monde arabe, c’est l’opposition française à la deuxième Guerre du Golfe (2003). Si Lionel Jospin avait été son Premier ministre à cette époque, il y a fort à parier que la France serait aujourd’hui en première ligne à Bagdad… Que le reste n’ait été que « complaisance », cela va s’en dire, dans la mesure où la France n’a plus vraiment de politique à destination du Proche-Orient depuis le départ de de Gaulle. Et encore celle-ci n’était que conjoncturelle : il fallait effacer le souvenir de la guerre d’Algérie et de l’expédition de Suez, tout en assurant l’indépendance diplomatico-militaire de la France et son rayonnement spirituel. Cette réalité est largement oubliée dans la fameuse « politique arabe de la France ». L’arrivée de Jacques Chirac à la présidence avait suscité l’espoir chez les dirigeants arabes, dont la plupart avait connu de Gaulle. Mais cette attente ne pouvait être satisfaite. La France n’avait pas de solution au conflit israélo-arabe. Son impulsion autour du nucléaire iranien n’a rien donné. Pas plus que son opposition à l’intervention américaine… Et tous les leaders régionaux qu’il connaissait personnellement, présents depuis aussi longtemps que lui en politique, sont morts, remplacés par des inconnus, le plus souvent portés sur la realpolitik, se tournant vers les Etats-Unis. Quant à ceux qui restent, ils sont devenus infréquentables ou lui tournent ostensiblement le dos. « Tout Chirac est là : une grande clairvoyance sur les transformations profondes en cours, mais aussi une incapacité à en déduire autre chose qu’un immobilisme théorisé », en en déduit Eric Aeschimann et Christophe Boltanski…

5)La France en tant qu’ancienne puissance coloniale, dispose d’un capital d’influence important, pensez vous que cela lui suffirait à corriger « certaines des failles » de sa politique étrangère ? 

Son capital d’influence ne repose justement pas sur son passé colonial. L’arabité exaltée par la France en 1798, entre 1830 et 1860, a été tue sous les Troisième et Quatrième républiques au nom de l’expansion coloniale. Il importa à De Gaulle de rétablir la continuité historique interrompue par l’aventure coloniale. L’influence française est donc d’abord celle de la décolonisation, mais elle repose aussi sur un capital de culture et de pratique de la langue française. Sa politique arabe, si spécifique qu’elle tient lieu de mythe institutionnel, est donc particulièrement partie d’une politique étrangère généreuse, revendiquant l’héritage des Lumières. On la retrouve dans cet autre coquille vide qu’est la Francophonie, cette vaste communauté qui n’a jamais pu s’émanciper de cette velléités de poursuivre l’histoire coloniale bien après le colonialisme…

La France pourrait retrouver un rôle moteur si elle parvenait à relancer la question de la frontière Sud de l’Europe, dans une perspective qui ne serait pas essentiellement arabe. Mais, là encore, personne n’attend la France. L’Italie, l’Espagne, la Grèce ont pris de l’avance depuis vingt ans. Et encore une fois les Etats-Unis sont en embuscade, notamment dans le pétrole algérien. Et c’est sans compter la Chine, qui a passé les deux dernières années à scanner l’Afrique, envoyant des missions d’étude dans tous les pays depuis la Méditerranée au Pacifique, et de l’Atlantique à l’Océan Indien. Compte tenu de l’expérience internationale, notamment de leur atlantisme clairement affiché, je ne vois pas la Carpe ou le Lapin provoquer une surprise, à tout le moins dans une « réorientation » de la politique arabe de la France. Une réorientation vers quoi ?


Crédits :
Source : Babnet Tunisie  
* Entretien avec Gérald Arbois - La politique arabe de la France : perspectives et limites
http://www.babnet.net/...

Article de presse : Courtesy of Fériel Berraies Guigny pour F.b.g Communication. France
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Publié le 7 juin 2007 avec l'aimable autorisation de Fériel Berraies Guigny



Source : Fériel Berraies Guigny


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