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Par Fériel Berraies Guigny

Georges Yemy « Du néant tout peut  naître  » !


Georges Yemy et Fériel Berraies Guigny

Nous avons rencontré Georges Yemy auteur d'origine camerounaise au café Sarah Bernhardt à Paris. antre célèbre des artistes qui ont marqué la capitale. Nous ne pouvions imaginer meilleur endroit pour aller à la rencontre de cet amoureux du théâtre et du Bel Art, personnage atypique, riche dans sa complexité, attendrissant par son franc parler.

Yémy nous confie les affres de son intégration en France, la dureté de la vie en banlieue, ses désillusions. Un parcours du combattant que seules sa force personnelle et son inébranlable foi ont guidé. Il nous confiera plus tard, qu'il a du renaître une seconde fois, comme pour remplir un vide, qui le vouait à la solitude; «… dans ma langue, Yémy signifie rien, néant. Mais peu m'importe comment on me perçoit, car du néant tout peut naître» !

Et Georges Yemy, l’écrivain, est né !

Avant d’évoquer son parcours littéraire, nous avons choisi de d’abord d’aborder les questions humanistes, existentielles et sociales qui taraudent l’Afrique et qui hantent ses réflexions d’auteur. Histoire aussi de passer quelques messages à la jeunesse d’Afrique. Notre échange tout naturellement, se conclura sur la thématique des enfants soldats d’Afrique, sujet du dernier roman de Georges Yemy « Tarmac des Hirondelles ». Un cri de rage, nous confie t-il contre un crime perpétré sur l’enfance et d’ajouter ; « Aujourd’hui, les torts sont partagés » le Nord qui arme et le Sud qui continue de recruter des enfants pour leurs guerres sales » 

Entretien avec Georges Yemy :

1 Qui est Georges Yemy ?

Je suis un jeune trentenaire qui vit en France depuis une vingtaine d’années. J’ai publié mon premier livre, il y a dix ans. A l’époque, j’étais assez jeune. J’ai fait un temps de pause après cette première publication, car j’ai été un peu échaudé par la façon dont mon éditeur de l’époque avait défendu mon premier livre. Durant cette période, qui était un peu une traversée du désert littéraire pour moi, je me suis plus investi dans la musique et je suis resté sept ans sans écrire. Finalement, le déclic est venu avec « Suburban Blues », le livre qui m’a fait connaître ; du coup de l’anonymat je suis passé à une sur-médiatisation en France. La presse nationale fut très élogieuse et ça aussi, il a fallu que je le digère, car on commençait à me comparer à de grands noms comme Céline, Beckett, Joice, Tony Morrison. Ce sont des auteurs qui ont des années de carrière derrière eux, et pour certains, le prix Nobel. Ces auteurs du reste, ont des filiations qui ne me sont pas étrangères. Car effectivement, en les lisant ils m’ont donné envie de venir à l’écriture ; ils ont crée en moi un délire verbal permanent qui imposait la mise en mots. Ces auteurs ont un réel rapport avec le bouleversement de la syntaxe mais aussi de la sémantique. Je m’identifie complètement à ce style. Quand j’écris c’est comme lorsque je fais du jazz, du lyrisme je passe au sombre. Mais dans la plus triste des chansons, il y a toujours ce chant vers la vie !
Tout ce que j’écris sont des parties de vie en moi. Je mêle mes différentes influences culturelles, dans mon écriture j’écris plusieurs fois. Je vis mes histoires pendant plusieurs années avant de les mettre en mots.
Dans « Tarmac des hirondelles », Muna l’enfant soldat fait un cheminement dans les ténèbres, mais il est aussi à la recherche de la lumière. Quand il finit par rencontrer les hommes de la lumière restante; le rapport est très symbolique car il signifie que quand le monde s’obscurcit, il reste un reliquat d’espoir. Ces hommes de la lumière restante, vont restaurer la part de vie et d’espoir qui manque à l’humanité.
Suburban Blues est aussi un message d’espoir, mon héros vivait les affres de la banlieue. Son quotidien est l’absence de liberté dans une société de liberté par définition. L’impression d’être enfermé dehors, pour un jeune c’est une mort certaine. Car si l’on ne peut sortir de la prison du corps et de la tête on est voué au néant et à la négation. Pour rester libre on est alors obligé d’exacerber les sentiments jusqu’à parvenir à des fragments de violence. C’est de là que naît la violence ! Le fait de museler la pensée de l’autre. Les jeunes des banlieues vivent cette mort lente.

2 Parlez-nous de votre parcours littéraire, pourquoi et comment l’écriture ?

J’ai grandi au Cameroun dans une famille aisée et j’ai été élevé par mon grand-père qui en tant que notable du coin, possédait une bibliothèque incroyablement riche. Etant jeune enfant, j’y passais le plus clair de mon temps, et je dévorai les livres. J’ai découvert tout un patrimoine littéraire où je puisais dans des écrits qui possédaient un style à la fois soutenu et classique. C’est de là que me vient le goût de l’écriture.

3 Vous avez choisi des thématiques au début qui se rapprochaient plus à la vie des Banlieues ? Quel message vouliez-vous donner avec Suburban Blues ?

Ce livre est le reflet de ce masque que je n’ai jamais voulu porter. Devant l’écriture je me mets à nu, et je n’ai pas peur d’exhiber cette part en moi qui me vaut de pouvoir mettre en mots par les tripes. Je me dépouille de toute la contingence ambiante quand j’écris, je ne cherche pas à séduire à tout prix, car parfois mon discours est dur, froid et implacable. Je vais à l’essentiel de ce qu’un homme peut avoir dans la tête. Mon écriture est lyrique par incidence. Je parle plusieurs langues camerounaises, par ailleurs, et dans ma langue natale qui est ma langue naturelle, elle est allitérante. Il y a des mots qui reviennent tout le temps, comme des débuts de phrase qui ont exactement les même lettres. Je joue avec cela dans mes écrits. Quand j’écris en français, je suis bien souvent en voyage introspectif et régressif. Je puise dans ce que je suis, jusque dans ma langue natale pour élaborer mon « français »

4 Parlez-nous de vos débuts en France, que pensez-vous de la politique d’immigration actuelle en France ? de la vie de la diaspora africaine en France ?

S’agissant de l’immigration, rien n’a changé depuis une vingtaine d’années. L’immigration clandestine en France est toujours aussi importante, beaucoup de nos frères meurent noyés en route avant d’arriver à bon port et ceux qui réussissent à y entrer se font prendre et renvoyer dans leur pays d’origine. Entre-temps pour certains d’entre eux, il ne s’agira que de survivance et dans des conditions déplorables. L’Eldorado européen est un mythe !!!!
Il faut le crier haut et fort aux petits enfants africains, aux petits garçons qui rêvent de venir ici pour trouver un travail ou aux petites filles qui cherchent à se trouver un petit blanc pour se marier. La plupart d’entre elles finissent sur un angle de trottoir…
La drogue, l’exploitation sexuelle, le travail au noir avec en prime la cassure dans le corps et la cassure dans l’âme. On ne parle même pas des violences à l’encontre des immigrés « car ils viennent manger le pain des blancs » !
La méditerranée est endeuillée de ces morts, nés de l’immigration sauvage et du racisme qui s’ensuit. Donc non seulement, le jeune africain risque de vivre la misère humaine, mais il risque de rencontrer la mort au bout.
L’Ascenseur social n’est pas garanti même pour ceux qui ont des diplômes acquis sur place. Il faut qu’il y ait une réelle prise en compte des réalités. Un diplômé africain peut se trouver en train de sortir les poubelles des blancs, à balayer les rues, faire ce que les blancs ne veulent pas faire, car ils n’auront pas le choix !
« C’est comme si au final, on se retrouvait à servir les maîtres de jadis » !
C’est une résurgence des mœurs coloniales, c’est presque inconscient mais c’est toujours réel.

5 Des conseils à donner à tous ceux qui rêvent de l’Eldorado européen ?

Ne venez pas, si vous n’avez pas quelqu’un qui vous attend, si vous n’êtes pas assurés d’un emploi. Il ne sert à rien, de vivre une seconde déchéance chez les autres. Il faut plutôt lutter pour se tailler une place chez soi. L’Afrique a besoin de ses cerveaux et sa jeunesse est son renouveau.

6 Comment vivez-vous votre Africanité en Europe ? Qu’en est-il de la diaspora africaine ?

Je suis un africain et fier d’assumer mes origines. Je suis aujourd’hui parmi les élites intellectuelles d’Afrique, on me convie souvent pour exposer mes idées. Et c’est une victoire pour moi. Mais je pense aussi, qu’il faut rester cohérent par rapport à soi, il ne faut pas être une girouette et voguer dans le sens du vent. Bien souvent, on finit par se perdre. On me perçoit comme un être atypique, avec mes rastas et mon look et le fait que je sois musicien, mais j’assume qui je suis. Le look kafkaïen du fonctionnaire, très peu pour moi. Ce qui compte, c’est ce que j’ai dans la tête !
Avec mon premier roman, la lune dans l’âme, les gens ont compris qui j’étais. Césaire qui vient de mourir ou encore Mongo Beti, Franz Fanon m’ont enrichi dans ma pensée et ma façon d’être. Je leur dois d’avoir grandi dans ma réflexion littéraire. Même Baudelaire, qui fut mon premier maître, m’a fait comprendre le mariage incroyable du sombre et de la lumière.
La diaspora africaine quand elle est intellectuelle peut servir à démontrer qu’il y a une résistance intellectuelle et spirituelle par rapport à l’Afrique. Le fait de vivre en Europe ne nous éloigne pas pour autant des réalités de notre terre d’origine. A chaque fois que j’écris, je pense à l’Afrique. Mon dernier roman, veut défendre la cause des enfants d’Afrique. Ces enfants qui meurent par les armes, mais aussi parce qu’ils sont touchés par les famines ou les maladies comme le sida. Notre rôle est celui du développement intellectuel, il nous faut parler un langage vrai et cohérent. Quand on est sur place en Afrique, que les médias sont muselés, il n’est pas possible de le faire. Tout est souvent déformé et détourné au service des gouvernements en place qui tiennent à leur stabilité. Les Africains en place n’ont pas les informations. D’ici, nous sommes plus à même de connaître les réalités et c’est grâce aux nouvelles technologies que nous pouvons diffuser les informations à nos peuples frères. Il faut maintenir un cap intellectuel et cohérent par rapport à ce qui se passe en Afrique. Il faudrait constituer un réseau mais ce qu’il faut savoir c’est que l’entreprise est difficile, car il n’existe pas une réelle diaspora africaine en France !
Il n’y a pas de communauté noire en France, à l’instar de la communauté juive qui a une histoire en commun. S’agissant de la communauté arabe ou africaine, nous nous déchirons beaucoup plus. Les arabes et les noirs ont souffert et l’Afrique ne manque pas de tragédies, pourtant il n’y a pas de solidarité profonde qui nous unisse quand on est en terre étrangère. Nous nous devons de dire les choses sans détours, ces choses qui font mal et qui continuent d’être tues.

7 Que pensez-vous de la démocratie et de la gouvernance en Afrique ?

Quand on arrive au pouvoir en Afrique et que l’on a la chance de diriger un peuple il nous faut une certaine éthique dans la gouvernance. Moi je ne suis pas proche du gouvernement actuel, et au contraire, je le combats !
J’en parle dans plusieurs de mes écrits, dans Surburban Blues ou encore Tarmac des hirondelles. Il faut mettre une fin à la dictature de Paul Biya, cela fait plus de quarante ans qu’il sévit dans mon pays. Il faut arrêter aussi avec les complicités françaises avec ce régime. Je n’ai pas peur d’écrire et de crier haut et fort tous ces abus et toutes les exactions auxquels mon peuple est soumis. Je voudrais lancer un message spécial aux jeunes camerounais » Ayez conscience que vous êtes l’élite de demain, arrêtez donc de subir, prenez les armes s’il le faut et n’hésitez pas à vous sacrifier sur l’autel de la démocratie » !!!!… « mais que pour vos morts ne soient pas vaines, allez au bout de vos idéaux et de votre combat »
« Le Cameroun d’hier, ne doit en aucun cas exister demain, sinon cela sera une condamnation sans appel de toute l’Afrique » !
Il faut résister même par la violence ! Quel est l’intérêt de perdre 100 à 1000 camerounais si les choses ne vont pas changer ? ! Il faut enlever Paul Biya.
S’il faut mourir, qu’il en meure 100 000 !!! Derrière cela il faut instaurer une réelle démocratie !
Il faut arrêter la complicité française, qui a permis à des Biya, Mugabe, Bongo d’être encore là ! Même les morts comme Amin Dada, doivent nous rappeler l’urgence de changer les choses;
Toute l’Afrique doit s’embraser !
Loin du pays, la résistance existera si ce n’est avec la plume, le cœur et l’intellect !

8 Le Panafricanisme vous y croyez ? Le déclin de la Francophonie chez nous qu’en penser ?

Oui je crois à cet idéal des Etats Unis d’Afrique et par ailleurs, j’ai beaucoup d’admiration pour le président Sénégalais Abdoulaye Wade qui relance cet idéal.
Aujourd’hui, il est vrai aussi que le panafricanisme est devenu un mot galvaudé, mais je pense que la nouvelle vision de Wade est toujours possible. Il faut y croire, il ne faut pas que l’héritage de Nkrumah, Habib Bourguiba, Boumediene, meure dans l’oubli, nous devons cela à nos pères fondateurs. C’est incroyablement fort, ce projet. Je suis contre les Africanistes qui auraient tendance à faire de l’angélisme par rapport à l’Afrique, cela n’est que de la publicité touristique qui montre l’Afrique sous un beau jour. Il nous faut plutôt affronter nos réalités : cessons les conflits fratricides, protégeons nos enfants qui meurent pour rien, construisons plus d’écoles, d’hôpitaux. Au bout de quarante ans d’indépendance, tout reste à faire 
Politiquement et économiquement tout est à refaire, et la Françafrique bien qu’en déliquescence, continue de perdurer. Le désaveu de la France est politique, mais les choses ne vont pas changer pour autant. La francophonie en tant que telle, n’est pas prête de disparaître. C’est comme Aimé Césaire, sa mort n’emportera pas plus avec lui, la négritude, même si elle est appelée à être dépassée. Aujourd’hui, j’en viens à parler du Mélanisme qui évoquerait un peuple étendu au peuple sombre : hors continent, hors ethnie, tous ces gens qui sont sur la peau et dans leur condition sociale, des victimes du syndrome du nègre. C’est aujourd’hui tout mon travail de parler des nègres de toutes les couleurs qui ont vécu la souffrance.

9 Vous avez choisi de parler d’un des fléaux qui taraude l’Afrique, les enfants soldats, pourquoi ?

Il y a une responsabilité partagée. L’Afrique est un grand marché de l’armement pour le Nord. Il est difficile d’oublier cela, et par ailleurs les dirigeants du Sud continuent de recruter des enfants afin de maintenir leur gouvernance. Malgré toutes les protections juridiques, ce phénomène restera endémique tant qu’il n’y aura pas une véritable volonté politique. Le reste est littérature. Moi avec mon livre, j’essaye de combattre le fléau en sensibilisant sur les turpitudes du système, une goutte d’eau dans la mer, mais elle est nécessaire. J’avais vu une image d’un petit garçon qui tenait une arme et menaçait le photographe un enfant au visage d’ange avec des yeux infernaux. Je me suis souvenu d’une image de moi-même avec ce regard. Mon roman est parti de cette photo ; et le titre de mon livre Tarmac des Hirondelles vient d’une image d’hirondelles en plein envol et j ai transposé cela sur le sol asphalté de Douala. J’ai beaucoup puisé en moi pour former la psyché du petit garçon.

Merci monsieur Yemy

Biographie Georges Yemy :
Georges Yémy est un écrivain de langue française, né en 1975 à Douala ( Cameroun).
Arrivé en France, vers les années 1980, il fut longtemps clandestin, survivant à des petits boulots. Aujourd’hui, il est romancier, après la lune dans l’âme ( 1997), l’Inévitable histoire de chacun ( 2006), il revient avec Tarmac des Hirondelles (2008)

Lien d’une émission avec Georges Yemy :
http://franceo.rfo.fr/V4_play_wmv.php?video=10minutes/10minutespourledire_20080312-256k.wmv&titre=Tarmac des hirondelles

Crédits : Propriété Exclusive de Destin de l’Afrique Sénégal.
Article de presse Courtesy of F.B.G Communication
www.fbgcom.net
Publié le 21 avril 2008 avec l'aimable autorisation de Fériel Berraies Guigny



Source : Fériel Berraies Guigny


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