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Par Fériel Berraies Guigny. Paris

Que signifie être arabe aujourd’hui ?


Elias Sanbar - Farouk Mardam Bey
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Bruno Nuttens

Un Entretien avec Farouk Mardam Bey autour de son livre « Etre Arabe » nous donnera une vision éclairée de comment les concepts d’arabisme, arabité voire le fait d’être arabe sont vécus en ce 21 e siècle secoué par les conflits religieux et identitaires.

Qu’est ce qu’être arabe en ce début du XXIe siècle? Que signifient exactement les mots « arabité » «arabisme » voire « panarabisme » et « nationalisme arabe » ? Comment les Arabes ont-ils réagi faces aux « agressions » tout au long du XIXe et du XXe siècle ? quelles réponses ont-ils trouvées aux défis de la modernité occidentale ? Pourquoi la question palestinienne a-t-elle joué un rôle aussi déterminant dans leur histoire contemporaine ? A quand remonte le divorce entre gouvernants et gouvernés ? Quelles sont les chances réelles de la démocratie dans des pays où le despotisme et son ennemi complémentaire, l'islamisme radical, dominent la vie politique ? Qu'en est-il enfin, ici, en France, de la montée du communautarisme, de l'antisémitisme et de l'islamophobie ? Dans cet ouvrage qui a été coécrit par Farouk Mardam Bey Directeur des Editions Acte Sud, par Elias Sanbar Rédacteur en Chef de la Revue d’études palestiniennes et Christophe Kantcheff de l’hebdomadaire Politis, une série de sept conversations réalisées à Paris entre novembre 2004 et juin 2005 nous révèlent l’envers du décor. Des réformes de l’Empire Ottoman, à la naissance du mouvement national, à l’irruption du Sionisme et la création de l’Etat d’Israël, la disparition de la Palestine, le nassérisme, l’affirmation de la résistance palestinienne, le 11 septembre et l’hégémonie américaine, tout est passé en revue. Egalement au menu, une réflexion sur la « Nahda », le réveil arabe de la fin du XIX siècle, et un plaidoyer sur la nécessaire réforme d’un modèle révolu : le monde arabe contemporain. Sans faire l’apologie du « Monde occidental » les auteurs tentent de convaincre sur la nécessité d’une « révolution » par rapport à certaines idées arabes devenues obsolètes, en vue d’adapter le monde arabe à son temps. Ou comment reprendre le flambeau qui s’est éteint, celui de ces arabes qui sont tombés pour des causes comme la liberté, et la démocratie, valeurs universelles incontournables pour nos peuples et que certains Etats continuent de bouder.
Bousculant les dogmes et les croyances, les idées surfaites de certains politiques et faisant fi des polémiques, Mardam-Bey et Sanbar répondent sans ambages à ces questions. Ils dénoncent avec courage bien des idées reçues, longtemps entretenues par l’Occident et les Arabes eux-mêmes. L’arabisme est souvent présenté comme venant du fond des âges, alors qu’il est né en Syrie puis s’est répandu en Égypte et dans le Maghreb entre les deux guerres. Pour Farouk Mardam Bey, il faut opposer deux types d’arabisme, celui qui est doctrinaire et l’autre, celui qui est plus ouvert sur le monde et qui serait même favorable à la sécularisation, au pluralisme et à la démocratie.
Farouk Mardam-Bey revient sur les événements marquants depuis 1945, pour débusquer encore des idées fausses, concernant la guerre de Palestine en 1948 ou le nassérisme. Il s’arrête sur l’éclatement de l’identité irakienne dès 1990 et souligne le rôle de la politique américaine dans la confessionnalisation de la vie politique en Irak. Christophe Kantcheff insiste quant à lui, sur la méconnaissance des Français à l’égard de la culture arabe.
Ce livre s’adresse donc à tous, érudits ou moins érudits, avertis ou pas, dans un contexte où la diffamation des musulmans est devenue un « sport international ».

Rencontre avec Farouk Mardam Bey :

Vous parlez d’une identité en mouvement, confère votre titre « Etre arabe » pouvez-vous nous en dire plus ?
Ce livre se présente comme une lecture de l’histoire arabe contemporaine, et plus précisément de l’histoire du Machreq, dans le but de réfuter deux idées en vogue : celle qui nie l’identité arabe, au nom soit de l’islam soit de tel ou tel nationalisme territorial, et celle qui, au contraire, en fait une donnée immuable. Selon cette dernière, comme le prétend le mot d’ordre du parti Baas, une nation arabe existe, avec une « mission éternelle ». Toutes les autres dimensions de l’identité des hommes et des femmes peuplant le vaste espace qui s’étend de l’océan Atlantique au Golfe arabo-persique, seraient des vestiges du colonialisme.
Nous avons, Elias Sanbar et moi, cherché à montrer que l’identité arabe, comme tout autre identité, est mouvante, qu’elle a varié dans le temps et dans l’espace, qu’elle n’est pas exclusive, c’est-à-dire qu’on peut très bien être Syrien, Palestinien ou Tunisien et en même temps se sentir arabe, ne serait-ce qu’au plan culturel. Or, ce qui sous-tend celle arabité-là, c’est la langue arabe qui a résisté avec vigueur à la domination, pendant plusieurs siècles, de dynasties étrangères, et notamment turques. S’il en a été ainsi, c’est certainement parce que l’arabe est la langue du Coran, de la prière et des sciences religieuses et qu’elle a gardé de ce fait un grand prestige parmi les autres peuples musulmans.

Pouvez-vous nous parler du regretté Samir Kassir qui a écrit « considérations sur le malheur arabe » en quoi son ouvrage, a t-il été le catalyseur de votre propre réflexion ?
Nous étions très liés et j’ai écrit avec lui un livre sur la politique française au Proche-Orient, je pense évidemment le plus grand bien de son essai, Considérations sur le malheur arabe, dont je suis d’ailleurs l’éditeur. Le nôtre prolonge d’une certaine manière ses réflexions à partir d’un même constat : la terrible régression que vivent les Arabes qui doivent faire face en même temps à l’axe israélo américain, aux pouvoirs despotiques et au fanatisme religieux.

Vous réfutez la thèse du « Panarabisme perdu » et de « L’Etat Nation » vous pensez que l’on a tendance à se réfugier sur ces concepts pour justifier notre manque d’unité arabe et pour nous voiler la face par rapport à certaines réalités?
Notre propos était, entre autres, d’expliquer pourquoi, à un moment donné, à la fin du XIXe, on est passé de l’arabité diffuse, en quelque sorte inconsciente, à l’arabisme politique qui se conjuguait d’abord avec l’ottomanisme avant de se muer, au sein d’une partie de l’intelligentsia, en nationalisme séparatiste. Cet arabisme est né en Syrie ; il a été le fer de lance de la Révolte arabe de 1916. Le démembrement de l’Empire ottoman, l’occupation et le partage de la Grande Syrie (le pays de Châm) entre la France et la Grande-Bretagne, la division par la France de la petite Syrie elle-même en plusieurs Etats ont aiguisé par la suite le désir d’unité et l’ont couplé avec la revendication de l’indépendance nationale. Il s’agissait d’abord de réunifier la Syrie, puis l’ensemble du Châm, puis le Châm et l’Irak… Dans les années trente du XXe siècle, certains théoriciens évoquaient déjà la perspective d’une union de tous les pays arabes du Golfe à l’Océan, mais ce panarabisme ne s’est ancré dans les esprits que progressivement, après la fondation de la Ligue arabe en 1945, et surtout après le déclenchement de la Révolution algérienne en 1954 et l’indépendance de la Tunisie et du Maroc en 1956.
Nous ne nous opposons pas, loin de là, au panarabisme. Mais nous affirmons deux points fondamentaux : le premier, c’est qu’il ne s’agit pas de restaurer un Etat nation qui aurait existé, jadis, dans un âge d’or hypothétique mais d’en créer un nouveau, et le second, que l’unité n’est pas affaire de sentiments, aussi « fraternels » soient-ils, mais d’intérêts communs. L’exemple de la construction européenne est éclairant.


Vous dénoncez « L’islamophobie » qui aux côtés de l’antisémitisme sévit de plus en plus, quelles en sont les origines et causes, selon vous ? que pensez-vous du contexte français ? de la loi qu’on avait voulu voter sur la colonisation, de la politique actuelle française ? des lois sur « l’égalité des chances », du problème d’intégration des français d’origine maghrébine ? de « l’immigration choisie » et la « discrimination positive » ?
Comme vous le savez, le mot « islamophobie » est récusé par certains publicistes français qui nous disent en résumé ceci : « La critique de l’islam, ou de tout autre religion, est parfaitement légitime. Cela relève de la liberté de pensée et d’expression, et non du racisme. » Cet argument a été répété des dizaines et des dizaines de fois ces dernières années, lors du débat empoisonné sur le foulard dit islamique, lors de l’explosion des banlieues, et il y a deux mois, lorsqu’on s’est partout excité à propos des caricatures danoises.
Quels que soient mes sentiments personnels, je ne conteste nullement le droit de tout un chacun de détester l’islam. Mais je suis bien obligé de constater que le racisme anti-arabe se double depuis quelques années de sentiments et d’attitudes malveillants à l’égard de l’islam, que tout Arabe ou originaire d’un pays arabe est réputé musulman, que tout musulman est suspecté de porter en lui les germes de l’islamisme, et que tout islamiste est par définition un terroriste.
La haine de l’islam, la peur de l’islam ont des origines très lointaines (les croisades, les conquêtes ottomanes en Europe, la course en Méditerranée occidentale…) à quoi il faut ajouter les affres des guerres coloniales. Mais il y a aussi un phénomène nouveau qui explique en partie cette haine et cette peur : c’est l’irruption sur la scène internationale des mouvements islamistes de tous genres. L’islamisme jihâdiste se présente comme l’ennemi absolu de l’Occident – mais aussi des musulmans occidentalisés – et commet ses crimes ou s’en vante devant les caméras du monde entier. L’islamisme rigoriste, en principe apolitique, incite les musulmans et les musulmanes d’Europe à se distinguer du reste de la population par la nourriture, l’accoutrement, la piété ostentatoire, et les dote d’une visibilité qu’ils n’avaient pas auparavant. Dans le contexte social que nous connaissons, marqué notamment par le chômage, des mots d’ordre ridicules, comme « l’islamisation de la France », agités par de Villiers, trouvent de ce fait un certain écho. Ce n’est pas le racisme traditionnel anti-arabe que j’ai pu observer à la fin des années soixante du XXe siècle mais la haine irrationnelle d’une religion particulière qu’on rend directement ou indirectement responsable de tous les maux de la République. D’une certaine manière, l’islamophobie permet de nos jours d’être raciste tout en se réclamant de la laïcité ou de la libre pensée.

Vous réfutez l’amalgame que l’on fait de la « décadence arabe » avec celle de « L’islam ». Pascal Boniface dans son dernier ouvrage, parle des dangers de l’amalgame entre islam et terrorisme, êtes-vous d’accord avec cette réflexion ?
On nous a appris à l’école que l’histoire du monde arabe se divise en trois périodes : un âge d’or qu’on prolonge d’habitude jusqu’à la chute de Bagdad aux mains des Mongols en 1258 ; une longue période de décadence qui va jusqu'à l’expédition française en Egypte ; enfin, la Nahda, la Renaissance arabe du XIXe siècle. Or cette « décadence » arabe qui a duré près de six siècles correspond exactement à l’époque où d’autres peuples musulmans – les Persans et les Turcs notamment – ont connu leurs âges d’or. En fait, le centre de gravité de l’Islam a commencé à se déplacer vers l’Est dès le XIe siècle pour donner naissance au XVIe siècle à deux empires prestigieux, le Moghol et le Séfévide, alors qu’un troisième empire, l’ottoman, s’imposait au croisement des continents du vieux monde comme l’une des plus grandes constructions politiques de l’histoire. C’est aussi durant la période de décadence arabe que la religion musulmane a conquis l’Extrême-Orient, l’Afrique noire, les Balkans…
Ce que j’appelle le nationalisme arabe doctrinaire ne s’est pas contenté de nier l’existence même d’une grande culture musulmane après la chute du califat arabe, il a aussi attribué la « décadence » de la culture arabe aux Turcs, et un peu moins aux Persans. On ne peut rien comprendre du destin de l’islam dans le monde si l’on persiste dans cette conception arabo-centriste de l’histoire.

Pouvez-vous nous parler de votre conception de l’arabisme et du monde occidental ?
Comme je l’ai dit, l’arabisme politique est né, en Syrie, à la fin du XIXe siècle, de la conjonction entre deux idées élaborées par les penseurs de la Nahda : d’un côté, l’idée de patrie appartenant à tous ses enfants quelle que soit leur confession religieuse, et d’un autre côté la réforme religieuse par un retour aux sources de l’islam, qui étaient arabes. Mais cet arabisme là n’était pas encore séparatiste et se combinait avec l’ottomanisme tel que l’entendaient les réformateurs d’Istanbul. Les choses se sont passées à peu près de la manière suivante : l’échec de l’ottomanisme devant les mouvements nationaux séparatistes dans les Balkans a donné lieu au nationalisme turc, et celui-ci a suscité chez les Arabes d’Orient, surtout en Syrie, une réaction nationaliste arabe. Cela s’est passé essentiellement après la révolution jeune-turque de 1908 et a pris de l’ampleur durant la Grande Guerre lorsque les jeunes nationalistes arabes se sont allié à la révolte du Hedjaz, la fameuse révolte arabe du chérif de La Mecque.
Dès le début, comme il s’agissait de se séparer des Turcs, qui sont musulmans, le nationalisme arabe avait une tonalité laïque et privilégiait le critère de la langue parmi les éléments constitutifs de la nation. Il reviendra à des penseurs de l’Entre-deux-guerres, notamment Sâti‘ al-Husrî, de développer cette idée d’une façon assez rigoureuse.

Vous parlez de l’Empire ottoman en expliquant qu’il a été une richesse pour les pays arabes qui l’ont subi, pouvez-vous nous expliquer comment ?
L’Empire ottoman appartient au passé. Il ne s’agissait pas pour nous, dans ce livre, de le « réhabiliter», car cela n’a aucun sens. J’ai voulu seulement, pour ma part, attirer l’attention du grand public (les spécialistes, eux, connaissent cela parfaitement) sur plusieurs faits : par exemple que des dynasties non arabes ont dominé l’Orient arabe avant la conquête ottomane ; que les Ottomans n’ont cherché ni à islamiser les non musulmans, ni à « turquifier » les non Turcs ; que la culture arabe et la langue arabe, en raison de leur prestige religieux, ont tenu le coup malgré la longue domination turque ; qu’au sein de cet Empire, les liens religieux étaient bien plus importants que l’appartenance ethnique ; enfin, que le mouvement des Tanzîmât, inauguré par l’édit de 1839, a déclenché un processus de modernisation et de sécularisation que nous avons tendance à sous-estimer.

Pensez-vous que cet ouvrage permettra une meilleure lecture et connaissance des cultures ? Christophe Kantcheff, le troisième co-auteur de cet ouvrage en insistant sur la méconnaissance des français de la culture arabe, parviendra-t-il à faire passer ce message et a-t-il une chance d’être entendu par les hommes politiques et par l’homme de la rue ? quelles ont été les réactions, suite à cet ouvrage ?
Ce livre a été généralement bien reçu. Beaucoup de lecteurs ont apprécié le fait qu’il raconte autrement, d’une manière à la fois simple et précise, l’histoire moderne du monde arabe et, surtout, il faut le dire, de l’Orient arabe. L’analyse faite par Elias Sanbar de la question palestinienne est très originale et résume de longues années de recherches savantes et d’engagement militant.
Cela dit, il en faut beaucoup plus pour faire bouger les choses. L’image des Arabes et des musulmans ne cesse de se détériorer en Europe, et cela, d’une part en raison des pratiques gouvernementales dans la plupart des pays arabes et musulmans, caractérisées par la tyrannie et la corruption, et d’autre part parce que les mouvements islamistes radicaux déconsidèrent eux-mêmes l’islam plus que ne sauraient le faire ses détracteurs.
Les démocraties arabes ont beaucoup à faire pour remonter le courant.
Merci Monsieur Mardam Bey

Directeur éditorial de Sindbad/Actes Sud, Farouk Mardam-Bey est également conseiller littéraire à l'Institut du Monde Arabe et directeur de la publication pour la Revue d'études palestiniennes. Elias Sanbar est Rédacteur en Chef de la Revue des études palestiniennes. Christophe Kantcheff est journaliste auprès de l’hebdomadaire Politis.

Crédits :
Source : Babnet Tunisie
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Que signifie être arabe aujourd’hui ?
http://www.babnet.net/...
Article de presse : Courtesy of Fériel Berraies Guigny pour F.b.g Communication. France
www.fbg-communication.com
email : fbgcommunication@yahoo.fr
Photo Elias Sanbar, Farouk Mardam Bey : Bruno Nuttens

Publié le 7 juin 2007 avec l'aimable autorisation de Fériel Berraies Guigny



Source : Fériel Berraies Guigny


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