Mobilisation internationale pour
sauver Gaza de l’asphyxie
Dr. Arafat Shoukri: « Les conditions sont réunies pour
faire de cette flottille un point de rupture »
Dr Arafat Shoukri
Vendredi 23 avril 2010
Une coalition réunissant de nombreuses organisations se prépare
à envoyer, en mai 2010, une flottille de plus de dix bateaux et
cargos au secours de Gaza. Le Dr. Arafat Shoukri, participe à ce
spectaculaire convoi maritime avec l’ONG qu’il préside : l’European
Campaign to End the Siege on Gaza. Il n’a pas ménagé ses
efforts, depuis trois ans, pour conduire des délégations de
parlementaires à Gaza afin qu’ils se rendent compte de la
gravité de la situation et qu’ils encouragent les États de
l’Union Européenne à exiger d’Israël la cessation du blocus
inhumain qui étrangle la population de Gaza. Le Dr. Arafat
Shoukri répond ici aux questions de Silvia Cattori.
Silvia Cattori :
Quand la « Campagne européenne pour mettre
fin au siège de Gaza » (ECESG)
a-t-elle été créée et pour quelle mission [1] ?
Arafat Shoukri [2] :
La « Campagne européenne pour mettre fin au
siège de Gaza » a été mise sur pied à fin 2007 pour
mobiliser la plus grande communauté européenne possible contre
le siège de Gaza. Déjà à cette époque, il y a plus de trois ans,
le siège étranglait la production et les cultures de la
population [de Gaza], et la situation n’a fait qu’empirer depuis
lors avec l’attaque israélienne de 2008/2009. Notre mission est
de travailler avec les trente ONG qui constituent notre
coalition, ainsi qu’avec ceux qui nous soutiennent
individuellement, pour briser le siège israélien en intervenant
auprès des législateurs européens, au travers des médias, et en
fournissant une aide humanitaire à la population de Gaza.
Silvia Cattori :
Le 4 avril 2010, les gens qui un peu partout
dans le monde s’inquiètent du siège qui asphyxie Gaza, ont
appris avec soulagement que l’ONG « Campagne européenne pour
mettre fin au siège de Gaza » (ECESG),
allait prendre la mer dans le cadre d’une
nouvelle tentative de forcer le passage [3].
Pourquoi avoir annoncé cette nouvelle depuis Istanbul ?
Arafat Shoukri :
Nous avons choisi Istanbul pour annoncer notre dernière – et
plus importante – flottille pour briser le siège, à la fois
parce que c’est la ville d’un de nos principaux partenaires,
IHH (Insani Yardim Vakfi) – qui a conduit
l’un des derniers convois à Gaza (en décembre 2009), et parce
que le Premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan, s’est si
courageusement exprimé contre le blocus israélien de Gaza. En
dépit des liens étroits de la Turquie avec Israël – ils ont même
conduit dans le passé des exercices militaires conjoints – il a
courageusement, et sans hésitation, dénoncé l’attaque contre
Gaza pour ce qu’elle était : un crime de guerre. L’Occident
pourrait s’inspirer de l’exemple de la Turquie.
Silvia Cattori :
Ce n’est pas la première participation d’ECESG.
N’aviez-vous pas déjà soutenu l’envoi de bateaux par Free
Gaza en 2008 ?
Qu’est-ce que ce nouveau convoi peut apporter de différent à
Gaza ?
Arafat Shoukri :
Oui, notre campagne a participé à deux précédentes flottilles.
Toutefois, celle-ci sera la plus grande, et l’un de nos co-sponsors,
comme nous venons de le dire, est une organisation influente
d’un allié d’Israël. Nous espérons également accueillir à bord
de nos bateaux un certain nombre de notables, y compris des
députés [aux Parlements nationaux] et des députés au Parlement
européen. Cela étant, et compte tenu des récentes critiques
adressées à Israël pour son comportement agressif – aussi bien à
Gaza qu’en Cisjordanie, où il poursuit rapidement l’expansion de
ses colonies – je crois que cette flottille peut être un réel
bélier pour enfoncer le mur du blocus israélien.
Silvia Cattori :
Les crimes de guerre commis par Israël lors de
son opération « Plomb durci »
à Gaza ont été une sorte d’électrochoc pour
beaucoup de gens. Il me semble qu’à partir de ce moment, il
s’est opéré une jonction dans les pays occidentaux entre deux
milieux qui, jusque là, ne travaillaient guère ensemble : d’une
part des citoyens européens qui soutenaient la cause
palestinienne et d’autre part des citoyens arabes et musulmans
de nationalité européenne et des immigrés. Confirmez-vous cette
analyse ? Si oui, ne pensez-vous pas qu’il s’agit là d’un
tournant important dans le mouvement de soutien à la lutte des
Palestiniens pour obtenir leurs droits ?
Arafat Shoukri :
Oui, absolument. Attaquer Gaza, d’une manière aussi brutale, a
été une grave erreur, à plus d’un titre. Des groupes et des
personnes qui ne voyaient pas Israël comme l’oppresseur qu’il
est réellement, et qui de ce fait n’étaient pas engagés dans le
mouvement anti-apartheid, sont maintenant avec nous. Cela a
également rassemblé des groupes disparates qui ne s’étaient pas
unis auparavant. Cela pourrait bien s’avérer être la ruine
ultime d’Israël.
Silvia Cattori :
Pouvez-vous nous
donner le nom de quelques personnalités qui participeront à
cette audacieuse odyssée en mai ?
Arafat Shoukri :
En ce qui concerne les personnalités qui se joindront à nous,
nous préférons attendre pour le moment et annoncer leurs noms
plus tard.
Silvia Cattori :
Tout le monde sait
qu’Israël est en guerre contre Gaza et que son projet est de
liquider le Hamas et ensuite d’enterrer la cause palestinienne.
Votre projet ne peut être que quelque chose de très dérangeant
pour ce régime qui violente Gaza et qui ne tolère aucune
opposition. Des agents du Mossad sont probablement déjà
infiltrés dans ce projet pour tenter de le déstabiliser ; et les
services de propagande de l’armée israélienne se préparent sans
doute à vous contrer. Depuis l’annonce de ce projet, avez-vous
déjà constaté des actes de sabotages ?
Arafat Shoukri :
Nous n’avons pas encore vu d’actes de sabotage, mais nos
partenaires ont assurément été l’objet de menaces et
d’accusations de la part de diverses personnes au sein du
gouvernement israélien et des mouvements affiliés d’extrême
droite. Et je suis sûr que cela ne fera qu’empirer. Mais nous
n’allons pas changer nos plans.
Silvia Cattori : Jusqu’ici
rien, ni les fermes condamnations du Premier ministre Erdogan,
ni la demande de Barak Obama, n’ont réussi à contraindre Israël
à lever le siège. Pensez-vous vraiment que cette flottille,
aussi imposante soit-elle, aura des chances de réussir là où les
grandes puissances ont par lâcheté échoué ? Et à faire connaître
enfin la réalité intolérable imposée par Israël aux
Palestiniens ?
Arafat Shoukri :
Comme je l’ai déjà dit, une action ou un événement ne sera
probablement pas suffisant pour contraindre Israël à se rendre
compte que la poursuite du siège n’est pas soutenable. Mais les
conditions sont réunies pour faire de cette flottille un « point
de rupture ». À chaque flottille que nous parrainons, il devient
de plus en plus difficile pour Israël de faire passer comme
légitime son oppression des Palestiniens de Gaza.
Silvia Cattori :
Lors de sa visite en
France, M. Erdogan a donné une grande leçon d’humanité au
prétendu « humanitaire » Bernard Kouchner en dénonçant fermement
les crimes de l’État israélien [4].
Il a contribué à briser la scandaleuse omerta des démocraties
occidentales en précisant qu’Israël - et non l’Iran - est la
plus grande menace au Moyen Orient. Cette attitude nouvelle de
la Turquie est sans doute un tournant majeur dans l’équilibre
géopolitique de la région. A-t-elle un impact sur l’organisation
de votre projet ? Pensez-vous qu’elle puisse contribuer à mettre
les autres États devant leurs responsabilités ?
Arafat Shoukri :
La Turquie, pays à cheval sur le Moyen-Orient et l’Europe, a été
le seul allié musulman d’Israël – ce qui signifie que cette
relation a fourni à Israël un peu de crédibilité apparente.
Toutefois, comme Recep Tayyip Erdogan est de plus en plus
critique à l’égard de la politique et des pratiques
israéliennes, cette relation tombe en ruine. Et en effet, cela
est très important. Le refus du gouvernement turc de faire
marche arrière ou de se rétracter, ainsi que la participation à
la flottille de la Fondation pour les droits et
les libertés humains et l’aide humanitaire (Insani
Yardim Vakfi - IHH) [5],
pourraient bien représenter une « couverture » permettant à
certains autres États de la région de suivre cet exemple.
Silvia Cattori :
Comment jugez-vous
l’attitude bienveillante de l’Egypte, et aussi de la Jordanie, à
l’égard d’Israël ? N’est-il pas intolérable que ces pays
participent, par leur soutien contre nature à l’occupant
israélien, à l’écrasement du peuple palestinien ?
Arafat Shoukri :
Ces pays bénéficient tous deux d’une aide très importante de
l’Occident, en particulier des États-Unis. Oui, nous voudrions
voir un soutien plus tangible du monde arabe aux Palestiniens,
mais nous devons également reconnaître le pouvoir des États-Unis
et de l’Europe. Tant qu’ils n’auront pas renoncé à leur exigence
de privilégier Israël, leurs pays « satellites » se sentiront
dissuadés d’agir comme ils le devraient.
Silvia Cattori :
Votre ONG a fait des
efforts soutenus pour amener des parlementaires à réagir et à
briser le silence qui entoure la situation à Gaza. Ces
parlementaires que vous avez accompagné à Gaza, ont-ils
rencontré des difficultés pour obtenir de l’Égypte le passage
vers Gaza ou éventuellement via Israël ?
Arafat Shoukri :
L’entrée par Israël ne nous a pas été autorisée du fait de la
position, fortement et ouvertement affirmée, de l’ECESG contre
les politiques et les pratiques d’apartheid d’Israël. Quant à
l’Égypte, nous avons rencontré quelques difficultés, mais
finalement nous avons toujours été autorisés à pénétrer dans la
bande de Gaza, et avons également obtenu des réunions avec de
hauts responsables gouvernementaux.
Silvia Cattori :
Les délégations qui
ont visité Gaza ont-elles rencontré les autorités du Hamas ? [6]
Arafat Shoukri :
Oui, les délégations de l’ECESG ont rencontré des représentants
du Hamas lors de nos visites à Gaza. Quelque soit notre degré
d’accord ou de désaccord avec lui, le Hamas est le gouvernement
élu, et cela doit être reconnu et respecté. L’autre chose est
que le Hamas est une force sur le terrain et, que cela nous
plaise ou non, aucune paix ne sera possible dans la région tant
qu’il ne sera pas lui aussi à la table des négociations. Mais
nous rencontrons également des représentants de la société
civile.
Silvia Cattori :
La Baronesse Jenny
Tonge [7]
– que nous avons rencontrée l’an passé après sa visite à Gaza -
ne se lasse pas de dénoncer la complicité de nos États, de
rappeler qu’il y a là une génération d’enfants qui est en train
de subir des dommages irréparables. Pourtant malgré ses efforts
la diplomatie de l’Union Européenne n’a pratiquement rien fait
pour mettre fin au siège de Gaza. N’est-ce pas inimaginable ?
Arafat Shoukri :
Oui, il est très difficile d’essayer d’expliquer aux
Palestiniens, en particulier à ceux qui vivent dans la bande de
Gaza, pourquoi cela prend si longtemps pour mettre fin au siège
et pourquoi la communauté internationale a permis à Israël de
violer de manière aussi systématique le droit international. Le
pouvoir du lobby pro-israélien aveugle est très fort, aussi bien
aux États-Unis qu’en Europe, et en particulier dans des pays
comme l’Allemagne, où la culpabilité pour les crimes commis
contre les juifs pendant la Seconde Guerre mondiale subsiste
encore et les dissuade de dénoncer Israël. Mais notre mouvement
se renforce alors qu’Israël perd de plus en plus le contrôle, et
nous allons l’emporter en fin de compte, je n’en doute pas.
Silvia Cattori :
Il faut avouer que
les Palestiniens ont été malheureusement desservis par ceux-là
mêmes qui dans le mouvement de solidarité en occident
prétendaient les soutenir. N’est-ce pas votre mission de
rétablir quelques vérités ? Ne faut-il pas cesser de protéger
les acquis d’Israël obtenus par le vol de la terre palestinienne
depuis 1948 ? Ne faut-il pas cesser de tergiverser sur les
droits fondamentaux des Palestiniens ? Ne faut-il pas cesser de
s’associer à ceux des Palestiniens qui, depuis leur
compromission dans les Accords d’Oslo en 1993, aident Israël à
liquider les mouvements de résistance à l’occupant ?
Arafat Shoukri :
Oui, il est grand temps de cesser de tergiverser, comme si nous
ne savions pas ce qu’une paix véritable et juste exige. Il y a
longtemps que nous connaissons les paramètres requis, et il y a
eu certains dirigeants palestiniens qui n’ont pas agi dans le
meilleur intérêt de leur peuple. Mais dans le même temps, nous
serons toujours prêts à parler avec des organisations, en
particulier influentes, qui se disent intéressées par le
dialogue. Bien que cela soit souvent infructueux, nous devons
rester ouverts à la possibilité d’un changement.
Silvia Cattori :
La société civile palestinienne qui a lancé
depuis 2005 la campagne de boycott contre Israël
(Palestinian campaign for the academic and cultural boycott of
Israel - PACBI),
demande de ne pas accepter dans des projets de solidarité des
personnes et associations qui ont des positions contraires aux
droits fondamentaux des Palestiniens, ce qui paraît la moindre
des choses. Toute action ou projet de solidarité qui n’affirme
pas son adhésion à ces principes n’est plus crédible.
Exigez-vous de toute personne ou association qui participe à vos
projets son adhésion aux droits fondamentaux des Palestiniens.
Votre ONG a-t-elle pris clairement position sur ces sujets [8] ?
Arafat Shoukri :
L’ECESG est très en faveur de la campagne de
Boycott, Désinvestissement et Sanctions contre Israël (BDS)
et le respect de ses principes ; tous ceux qui travaillent avec,
ou pour nous, doivent partager notre soutien à cette forme de
résistance non-violente.
Silvia Cattori :
À Jérusalem, Israël
se livre à de nouveaux faits accomplis. Que font les musulmans
dans le monde pour protester contre les déclarations du Premier
ministre Netanyahou qui dit que Jérusalem n’est pas une colonie,
mais la capitale éternelle de l’État d’Israël ?
Arafat Shoukri :
Les musulmans doivent en permanence améliorer leur capacité à
s’unir les uns avec les autres, malgré leurs différences, et
protester avec force – mais de façon non-violente – contre la
poursuite de la colonisation de Jérusalem par des colons juifs.
Mais plus importante encore est la nécessité de tendre la main
aux autres races et religions et de les encourager à se joindre
à nous. Notre mouvement doit être une « grande maison ».
Silvia Cattori :
Israël a demandé à être admis dans le club des
nations de l’Organisation de coopération et de développement
économiques (OCDE). Le Palestinian Boycott National
Committee (BNC) [9]
a appelé l’OCDE à
geler cette demande en faisant valoir qu’Israël est inéligible
comme membre aussi longtemps qu’il se comporte en État voyou. Si
il est admis cela ce sera une nouvelle défaite pour la justice
et une nouvelle preuve que nos démocraties agissent sans foi ni
loi. Avez-vous manifesté votre opposition ?
Arafat Shoukri :
L’ECESG mène une très dure campagne contre l’acceptation
d’Israël au sein de l’OCDE [10],
et il a tout à la fois publié un communiqué de presse et
distribué une lettre aux députés aux Parlements nationaux et aux
députés au Parlement européen affiliés, en les encourageant à
prendre contact avec les représentants de leur pays, et en les
exhortant à voter « non ».
Silvia Cattori :
Je vous remercie
infiniment.
Silvia Cattori
Traduit de l’anglais par JPH
Texte original en anglais :
http://www.silviacattori.net/article1191.html
[1]
http://savegaza.eu/eng/
[2]
Le Dr. Arafat Shoukri, citoyen britannique d’origine
palestinienne, est né en Palestine. Il vit au Royaume Uni et est
Directeur exécutif du Palestinian Return Centre
(PRC) . Il préside également la « Campagne européenne pour
mettre fin au siège de Gaza » (European Campaign
to End the Siege on Gaza). Père de trois enfants, il est
docteur en droit international des réfugiés de l’Université de
Londres.
[3]
Outre l’European
Campaign to End the Siege of Gaza,
cette coalition inclut l’ONG turque
Insani Yardim Vakfi (IHH),
la
Greek Ship
to Gaza campaign, la
Swedish
Ship to Gaza campaign, le
Free Gaza Movement, le
California-based Free Palestine Movement.
Concernant le soutien
de partis politiques turcs, voir : « Felicity
Party Supports Flotilla Campaign ».
[4]
Le Premier ministre turc Erdogan a effectué une visite
officielle à Paris les 6 et 7 avril 2010, au cours de laquelle
il a décrit Israël comme « la principale menace
pour la paix au Moyen-Orient ».
[5]
Voir :
http://www.ihh.org.tr/anasayfa/fr/
En décembre 2009, la Fondation pour les droits
et les libertés humains et l’aide humanitaires (Insani Yardim
Vakfi - IHH) a conduit un convoi terrestre à Gaza qui a
apporté des tonnes of d’aide humanitaire et autres fournitures.
[6]
Voir : « Gaza :
Eyewitness Report – ECESG Delegation – January 2010 »
[7]
Voir :
http://www.paltelegraph.com/columnists/peter-eyre/4152-the-rise-and-fall-of-baroness-jenny-tonge-a-true-friend-of-palestine
[8]
Voir :
http://www.bdsmovement.net/
http://www.pacbi.org/
[9]
Voir :
http://www.bdsmovement.net/ ?q=node/126
[10]
Voir ; « Say
’no’ to Israel joining OECD »,
savegaza.eu.
Les
interviews et analyses de Silvia Cattori
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