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Centre Palestinien
d'Information
Hamas : son histoire de l'intérieur (6)
Photo CPI
29 novembre
2008
Dr. Azzam Tamimi
L’ouvrage Hamas : Son
histoire de l’intérieur de Dr.
Azzam Tamimi s’inscrit dans une volonté de montrer au monde la
vision du mouvement du Hamas et d’expliquer ainsi son
développement. Le département français du Centre Palestinien
d’Information (CPI) a donc jugé intéressant d’en présenter ici
la traduction complète, diffusée régulièrement en de nombreuses
parties.
Les débuts (2)
La liste des facteurs qui précipitèrent l’Intifada (soulèvement)
de décembre 1987 est longue, mais ce n’étaient pas forcément les
mêmes facteurs qui permirent l’émergence du Hamas, en dépit de
la simultanéité des deux événements. Les leaders des Ikhwan à
Gaza employèrent simplement le mouvement de frustration et de
colère des habitants de la Bande pour effectuer la
transformation de leur organisation en un mouvement de
résistance. Quelques membres de l’organisation savaient que la
décision de réaliser une telle transformation avait été prise il
y a bien dix ans plus tôt. Moins de personnes encore durent être
conscients que la décision avait été prise en coordination par
les nombreuses branches des Ikhwan palestiniens, à Gaza et en
Cisjordanie ainsi qu’en Jordanie et dans la diaspora.
La guerre de juin 1967 déshonora les Arabes et donna plus de
territoires à Israël, dont la bande de Gaza, la Cisjordanie, le
Sinaï et la haute Galilée. A travers la décennie suivante, les
Ikhwan d’à travers le monde arabe récoltèrent les fruits de ce
qui était vu comme l’échec scandaleux du nationalisme arabe.
Après le décès d’Abd al-Nassir en 1970, des leaders et des
membres des Ikhwan, qui avaient été retenus depuis longtemps
dans les prisons égyptiennes, furent libérés. Cela donna aux
Ikhwan un avantage sur d’autres organisations concourrant avec
eux pour recruter de nouveaux membres, dans un climat rendu
favorable par la résurgence islamique éveillée par la défaite de
1967. En Palestine, de jeunes hommes, parmi eux de jeunes
adolescents, affluèrent pour rejoindre les rangs des Ikhwan. La
plupart des recrues venaient de la communauté estudiantine.
La réactivation des Ikhwan à Gaza résultait des efforts de
quelques hommes dévoués. Ceux-ci voyaient l’ignorance et le
manque d’engagement à l’égard de l’islam comme la plus grande
menace pour leur communauté. Du point de vue des leaders des
Ikhwan, la suppression systématique de l’activisme islamique
sous la direction égyptienne était une erreur, et Israël en
était le véritable bénéficiaire. L’incapacité du peuple de Gaza
à résister aux politiques dépravantes des autorités d’occupation
israéliennes alarma les leaders islamistes. Seule une moralité
basée sur l’islam pouvait munir un habitant sans travail ou
pauvre de Gaza de la capacité de dire non à un officier
israélien lui présentant, à lui ou elle, une vie confortable, un
bon travail, ou un permis de voyager à l’étranger pour un emploi
ou une formation en échange d’une collaboration avec les
autorités. En même temps, Israël était simplement incapable de
contrôler les territoires occupés sans la collaboration de
quelques Palestiniens. Les Israéliens avaient une politique
délibérée visant à convertir autant de Palestiniens que
possibles en informateurs, en espions contre leur propre peuple,
ou au moins en bénéficiaires de l’occupation, afin qu’ils
fassent tout ce qu’ils peuvent pour préserver le statu quo. Les
outils employés par Israël pour recruter ou faire chanter des
collaborateurs étaient l’argent, les drogues, le sexe et
l’intimidation, ainsi que la tentation de bénéfices matériels
pour atténuer les privations qu’endurait une population
assiégée. Les islamistes s’engagèrent dans un projet à long
terme pour protéger le peuple de Gaza de ces menaces, avec à la
tête un enseignant quadriplégique du nom de Ahmed Yassine.
Ahmed Yassine était né en juin 1936 dans le village d’al-Jurah,
près de la ville moderne d’Ashkelon, moins d’un an après que
Sheikh Ezzedine al-Qassam dirigea la première révolution armée
contre des troupes de l’occupation étrangère en Palestine.
C’était la première année de la Grande Grève réalisée en
protestation contre les politiques britanniques pro-sionistes,
qui dura six mois, de mai à octobre 1936. Yassine n’était alors
qu’un garçon de douze ans lorsque la Nakba (la catastrophe) de
1948 obligea sa mère à fuir avec ses enfants, lors de l’exode
général. Des Palestiniens du village d’al-Jurah, comme de
nombreux autres villages et villes, fuirent de ce qu’ils
craignaient être une mort imminente de la part des miliciens
armés sionistes qui cherchaient à créer un Etat exclusivement
juif en Palestine.
Le père d’Ahmed Yassine, Ismaïl, mourut alors qu’Ahmed était âgé
de trois ans. Il était destiné à grandir sans père et sans
foyer, dans un camp de réfugiés de la bande de Gaza. A quelques
pas seulement, dans son ancienne maison d’al-Jurah, des
immigrants juifs d’Europe s’étaient installés, prétendant être
retournés à la terre que leurs ancêtres avaient quittée deux
mille ans plus tôt. Comme des centaines de milliers d’autres
Palestiniens, la famille Yassine devait souffrir, apparemment à
cause d’un pacte divin accordé aux Israéliens par leur Dieu. Il
en viendra plus tard à croire que son pays avait été volé de son
peuple pour des raisons purement politiques et mondaines : la
religion n’avait rien à voir dans cette histoire. Jusqu’à ce que
sa famille ait été forcée de quitter al-Jurah, Ahmed Yassine
avait pris plaisir à s’amuser simplement sur le bord de mer, à
deux cents mètres à peine de chez lui. Il observa du haut d’une
proche colline les soldats britanniques puis les soldats
égyptiens alors qu’ils se déplaçaient au-delà d’al-Jurah. Des
développements très tragiques allaient se produire, et les
nouvelles de massacres sionistes de Palestiniens commencèrent
bientôt à arriver, instillant la terreur dans les cœurs et les
esprits des villageois. Sa famille rejoint d’autres groupes dans
l’expression de leur colère envers les armées arabes. Elles
étaient venues avec la promesse de combattre les Sionistes, de
sauver la Palestine et de venir au secours des Palestiniens.
Toutefois, ils ne firent que désarmer le peuple, déclarant
qu’ils étaient les seuls capables de prendre l’action requise.
Leur promesse ne fut jamais remplie ; en effet, ils prirent part
à la venue de la catastrophe.
La peine du manque d’abri était exacerbée par la pauvreté. Les
dons de nourritures des soldats égyptiens positionnés à Gaza
aidaient parfois. Néanmoins, le jeune Yassine fut obligé
d’abandonner l’école pendant une année, de 1949 à 1950, pour
travailler en tant que serveur dans un restaurant, afin de
nourrir les sept membres de sa famille sans père. Puis une
catastrophe frappa. A l’âge de seize ans, il tomba sur le dos
dans un accident alors qu’il faisait du sport, se blessant
gravement à la vertèbre du cou. Par la suite, son état continua
de se détériorer, jusqu’à ce qu’il ait perdu la capacité de
marcher. Cependant, son immobilité ne l’empêcha pas de
poursuivre une carrière dans l’éducation, qui l’amena au contact
direct des gens, notamment de la jeune génération.
Après avoir terminé son éducation en juin 1958, il lui fut
offert une place pour étudier pour un diplôme au Caire, mais il
n’avait pas les moyens d’y aller. Il travailla en tant
qu’enseignant, espérant un jour pouvoir se rendre à
l’université, et il visita le Caire plusieurs fois, recherchant
un traitement pour sa blessure. Il réalisa presque son rêve
lorsqu’il fut accepté en 1964 par l’Université de ‘Ain Shams au
Caire. Il se rendit brièvement en Egypte pour compléter ses
formations d’inscription, et apparemment après avoir étudié à
Gaza en tant qu’étudiant externe, il retourna pour se présenter
à un examen en 1965. Plus tard en 1965, toutefois, ses espoirs
furent brisés après son retour chez soi par les services de
sécurité égyptiennes, alors en charge du contrôle de Gaza. Le 18
décembre 1965, il fut détenu, suspecté d’être affilié aux Ikhwan,
qui avaient été sujets d’une campagne de persécution pendant
plus d’une décennie par le régime d’Abd al-Nassir. Après un mois
de confinement solitaire dans la Prison Centrale de Gaza, auquel
il fut sujet en dépit de son incapacité physique, il fut libéré
après des investigations qui prouvèrent qu’il était innocent de
ce “crime”. On lui interdit tout de même de voyager pour se
rendre au Caire. Cette expérience eut un impact durable sur lui.
Il n’avait jamais été affilié aux Ikhwan en Egypte, mais s’était
retrouvé sous leur influence. En 1966 ou 1967, il rejoignit
officiellement les Ikhwan, auxquels ils fut dévoué, détestant
l’injustice qui leur était faite. Il rappela plus tard : « Cette
expérience d’un mois approfondit ma haine envers l’injustice et
m’apprit que la légitimité de toute autorité doit être basée sur
la justice et sur la sanctification du droit d’un être humain à
vivre avec dignité et liberté ».
L’adhérence de Yassine aux Ikhwan était un geste de défi. Un
monde de différence distinguait le début des années 1960 de la
précédente décennie. Au début des années 1950, rejoindre les
Ikhwan était à la mode, c’était tendance de le faire. La
bravoure et les sacrifices du groupe durant la lutte de 1948
pour empêcher les Sionistes de prendre contrôle de la Palestine
et de la transformer en un Etat juif étaient encore vifs dans
les esprits des résidents de Gaza comme de la Cisjordanie.
Toutefois, de 1954 à au-delà, comme le régime d’Abd al-Nassir en
Egypte se tourna contre eux et commença à les réprimer, de moins
en moins de personnes souhaitaient avoir un lien quelconque avec
les Ikhwan. Au lieu de cela, le nationalisme arabe prit du
terrain. Aidé par la machine de propagande grande et puissante
d’Abd al-Nassir, l’arabisme se présenta comme une alternative au
mouvement détérioré et réactionnaire des Ikhwan, qui était blâme
pour toutes les misères du passé et du présent. Vers la fin des
années 1960, presque aucune des figures distinguées d’autorité
ou de crédibilité ne s’identifiait publiquement comme faisant
partie des Ikhwan en Palestine. Nombre de ces figures étaient
déjà partis vers d’autres pays, à la recherche de meilleures
conditions de vie ou à la poursuite d’une sécurité personnelle.
En outre, les Ikhwan avaient commencé à perdre certains de leurs
meilleurs membres qui rejoignaient le mouvement du Fatah, dédié
à la libération nationale de la Palestine, qui avait été fondé
en 1957. L’ambition des leaders du Fatah à ce moment était
d’intégrer l’ensemble de l’organisation des Ikhwan palestiniens
dans leur mouvement nouvellement fondé. Ils croyaient que les
Ikhwan ne servaient plus aucun objectif et que leur
incorporation pouvait fournir au projet naissant du Fatah une
impulsion majeure à un moment où il faisait aussi face à quelque
hostilité de la part d’Abd al-Nassir.
Hamas: son histoire de
l'intérieur (5)
Hamas: son histoire de
l'intérieur (7)
Traduction réalisée
par le Centre
Palestinien d’Information (CPI)
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