Dr. Azzam Tamimi
L’ouvrage
Hamas : Son histoire de l’intérieur
de Dr. Azzam Tamimi s’inscrit dans
une volonté de montrer au monde la vision du mouvement du
Hamas et d’expliquer ainsi son développement. Le département
français du Centre Palestinien d’Information (CPI) a donc
jugé intéressant d’en présenter ici la traduction complète,
diffusée régulièrement en de nombreuses parties.
Le djihad et le martyre (4)
Le martyre
En dépit de son caractère sacré en islam, la vie peut être
sacrifiée pour mettre fin à l’oppression. Le Coran comme les
hadiths exhortent les musulmans à résister à l’oppression et
à lutter contre elle avec la méthode d’al-amr
bi-l-ma’ruf wa al-nahy ‘an al-munkar (l’ordonnance du
bien et l’interdiction du mal). Il y a un hadith qui ordonne
aux musulmans d’empêcher le mal avec les mains, ou avec la
langue si c’est tout ce dont ils peuvent se permettre, ou
avec le cœur s’ils manquent de force pour faire davantage.
Les érudits musulmans, passés et présents, ont identifié
trois niveaux de résistance ou de lutte. Le niveau minimum
est un processus psychologique par lequel un musulman se
prépare à monter au plus haut niveau en boycottant le mal et
en le détestant. Un niveau au-dessus de résistance entraîne
la condamnation du mal avec divers moyens non-violents,
comme l’expression orale pour la condamner, l’écriture ou la
manifestation, ou la mobilisation de l’opinion publique pour
identifier ce qui est incorrect et s’efforcer de le changer.
Le plus haut niveau de tous est la résistance par toute
force accessible.
Ce qui compte vraiment, c’est qu’aucune chance ne doit
jamais être donnée pour que l’oppression s’établisse dans la
société. Un musulman est supposé être un individu conscient,
répondant avec une action appropriée à toute injustice qui
puisse être perpétrée dans une société, à condition que
l’action choisie ne produise pas de mal plus grand que celui
contre lequel l’action est prise. Un musulman est ainsi une
force pour un changement positif, un citoyen dont la foi
renforce en lui un sens de responsabilité pour combattre
l’oppression. Il est naturel qu’un musulman puisse perdre la
vie en luttant contre l’oppression, et pour cela, il lui est
promis une grande récompense dans la vie après la mort. En
d’autres termes, l’effort accompli n’est pas perdu et le
sacrifice n’est pas vain.
Le prophète Muhammad est ainsi cité : « Le plus noble djihad
est de s’exprimer contre un dirigeant injuste en sa présence
même ». Il dit aussi : « Hamza (l’oncle du Prophète et un
des premiers martyrs en islam) est le maître des martyrs.
Tel est celui qui se lève contre un dirigeant injuste, lui
ordonnant le bien et lui interdisant le mal, et qui se fait
tuer pour cela ». Il ne serait que juste de déduire de cette
tradition prophétique que le martyre, d’après les critères
islamiques, n’est pas un échec. Un martyr n’est pas
quelqu’un qui perd, mais un être humain plein d’espoir qui
offre sa vie pour ce qui est perçu comme plus précieux et,
en même temps, éternel. Pour cette raison, les martyrs sont
élevés au plus haut de tous les rangs. Les musulmans prient
régulièrement pour l’obtention d’un tel statut. Un musulman
récite dix-sept fois par jour, dans sa prière :
« Conduis-nous vers le droit chemin, le chemin de ceux que
tu combles de bienfaits » (sourate 1:6-7). Ceux à qui Dieu a
donné sa grâce appartiennent à une des catégories listées
dans un autre verset coranique, qui dit : « Ceux qui
obéissent à Dieu et au Messager sont les prophètes, les
intègres, les témoins et les justes que Dieu a comblés de
bienfaits. Et quels bons compagnons ! » (sourate 4:69).
En choisissant d’offrir sa vie pour la cause de Dieu, un
croyant qui se prépare à être martyr entre dans une affaire
avec son Seigneur, Dieu. Un tel pacte est mentionné à au
moins deux reprises dans le Coran et il y est fait référence
dans plusieurs hadiths. Le martyre, l’idée de sacrifier sa
vie pour une noble cause, est un concept islamique. C’est
l’un des deux seuls résultats acceptables d’une lutte pour
la cause de Dieu : l’autre est la victoire. Il semblerait
donc, d’un point de vue islamique, que la vie ne soit pas la
chose la plus précieuse, car il est très forte louable d’y
renoncer pour ce qui est plus précieux : l’affranchissement
d’une personne ou d’une communauté des chaînes de la
servitude.
Le martyre dans le monde moderne est moins simple que ce
qu’il put être dans le passé. Dans les temps historiques,
les musulmans partirent en guerre dans un djihad pour
atteindre soit la victoire, soit le martyre. Un martyr était
une personne qui perdait la vie à cause des blessures
infligées par l’ennemi. Bien entendu, on ne savait pas
lequel des deux souhaits allait être accordé. Aujourd’hui,
nombre de ceux qui entreprennent le djihad sont quasiment
certains que le martyre sera leur destin. Ceux qui
combattent sont conscients que la victoire n’est
probablement pas entre leurs mains, contre un ennemi
puissant. Entre-temps, celui part au combat avec une
dynamite attachée à lui prédéterminera son destin lorsqu’il
déclenchera ses explosifs. Au lieu d’être tué par l’ennemi,
il choisit de tuer l’ennemi en se tuant. Les guerres
qu’entreprennent de tels martyrs ne sont pas
conventionnelles. Ils savent qu’ils ne peuvent infliger de
dommages à leur ennemi sans se détruire, avec leurs
adversaires.
Les musulmans ne furent pas les inventeurs des
attaques-suicides, que les partisans qualifient
d’“opérations martyres”. Aujourd’hui, toutefois, la
stratégie est assimilée à eux et à leur religieux. En
réalité, des gauchistes laïcs arabes accomplirent les
premières missions suicides dans le Moyen-Orient. Ces
opérations prirent principalement la force d’attaques
audacieuses desquelles l’attaquant n’avait quasiment aucune
chance de sortir en vie. L’attaque par des membres de
l’Armée Rouge Japonaise en 1972 à l’aéroport de Lod en
Israël est considérée comme une des premières attaques de ce
genre au Moyen-Orient. Cependant, ce fut le Hezbollah
libanais, qui fut fondé en réponse à l’invasion israélienne
du Liban en 1982, qui cultiva la stratégie dans les années
1980, comme remarqué dans le chapitre précédent.