Dr. Azzam Tamimi
L’ouvrage
Hamas : Son histoire de l’intérieur
de Dr. Azzam Tamimi s’inscrit dans
une volonté de montrer au monde la vision du mouvement du
Hamas et d’expliquer ainsi son développement. Le département
français du Centre Palestinien d’Information (CPI) a donc
jugé intéressant d’en présenter ici la traduction complète,
diffusée régulièrement en de nombreuses parties.
Une guerre totale (2)
Un coup presque fatal
La direction de l’ombre du Hamas prit la tâche de diriger
les activités quotidiennes de l’Intifada, alors que Sheikh
Yassine et ses proches assistants dans la branche militaire
commencèrent à construire une nouvelle cellule militaire à
laquelle il fut donné le nom “Cellule 101”. Cette cellule
fut dirigée par Muhammad al-Sharatiha, qui fut choisi en
partie en raison de sa véritable expérience, mais surtout en
raison de sa force réputée sous de sévères interrogations.
La direction inventa un moyen de communiquer avec lui qui
gardait leur confidentialité. C’était la technique du
“terrain mort”, avec laquelle des messages anonymes étaient
laissés à un endroit duquel le receveur était informé juste
avant de passer le prendre. Al-Sharatiha reçut pour ordre
d’identifier des individus appropriés qui pourraient être
recrutés et de reporter leurs identités à son contact via le
terrain mort afin qu’ils puissent être débarrassés de tout
soupçon avant qu’un contact ne soit établi avec eux, par
mesure de sécurité. L’intention était d’éviter de recruter
des collaborateurs.
Non pas comme les activistes du mouvement nationaliste, ces
recrues islamiques n’apportaient avec elles que peu de
choses autre que le zèle, la détermination et le désir de
martyre ; ils n’avaient ni de l’entraînement ni de
l’expérience. Une grande partie de ce qu’ils avaient tenté à
ce stade avaient soit complètement échoué, soit eu un effet
très limité, mais ils pouvaient apparemment apprendre
rapidement. Leur première cible était un entrepreneur
israélien qui forait un puits dans la région d’Al-Shaykh
Radwan à Gaza. L’homme était bien entraîné en arts martiaux
et réussit à se sauver sain et sauf de ses attaquants. La
deuxième mission était de tirer sur une colonie juive en
utilisant un fusil désuet, ce qui, semblerait-il, eut peu
d’effet. Toutefois, leurs troisième et quatrième opérations
étaient assez sérieuses pour provoquer une réaction majeure
en Israël. Ces opérations poussèrent Israël à décider de
déclarer une guerre totale contre le Hamas.
Le 16 février 1989, des membres de la nouvelle cellule
militaire se rendirent en Israêl et kidnappèrent le sergent
Avi Sasportas, qui faisait de l’auto-stop de sa base jusqu’à
chez lui à Ashdod. Ne sachant pas que faire avec lui, ils le
tuèrent et enterrèrent son corps. Ensuite, le 3 mai 1989,
ils kidnappèrent le sergent Ilan Sa’adon, qui faisait de
l’auto-stop près d’Ashkelon. Il fut aussi tué et enterré. Au
cours de la recherche de Sa’adon, les Israéliens trouvèrent
le corps de Sasportas, non loin de l’endroit où il avait été
kidnappé. Le corps de Sa’adon ne fut pas découvert avant que
sept ans ne se soient écoulés, après qu’Israël reçut des
rapports des renseignements concernant sa localisation. La
voiture utilisée dans la dernière opération avait une plaque
d’immatriculation israélienne car c’était une voiture volée
achetée sur le marché noir en Israël. Les autorités
israéliennes identifièrent la voiture et la tracèrent
jusqu’à un endroit proche de là où le leader de la cellule
avait vécu. Plutôt que de s’en débarrasser, les membres de
la cellule avaient gardé la voiture sans trop réfléchir, au
cas où ils avaient à nouveau besoin de se rendre en Israël
pour quelque occasion future. Après que les autorités
israéliennes découvrirent que les soldats israéliens avaient
été kidnappés, les membres de la cellule militaire s’étaient
enfuis et on les avait finalement fait sortir en fraude de
la Palestine, sains et saufs, excepté Al-Sharatiha, qui fut
arrêté. Sous l’interrogation et la torture, il divulgua le
nom d’une connaissance qu’il suspectait être son homme de
contact du “terrain mort”. Cet individu fut à son tour
arrêté et torturé jusqu’à ce qu’il avoua avoir reçu de
l’argent et des instructions de Sheikh Ahmad Yassine
lui-même. Sheikh Yassine fut immédiatement arrêté. Ce fut
lorsque les Israéliens lancèrent leur seconde et plus grande
campagne d’arrestation massive contre le Hamas, dans
laquelle ils arrêtèrent quelque mille cinq cents membres de
l’organisation à travers la bande de Gaza et la Cisjordanie.
Voici comment Sheikh Yassine décrivit son arrestation le 18
mai 1989 et son interrogation qui s’ensuivit :
« J’étais chez moi. Le couvre-feu, qui était imposé
quotidiennement de 21h jusqu’aux alentours de l’aube, juste
à temps pour que les travailleurs aillent au travail, venait
juste de commencer. J’avais quelques invités à la maison qui
s’étaient précipités à rentrer chez eux avant le début du
couvre-feu. L’armée israélienne entoura la maison à neuf
heures cinq du soir. Parmi les soldats, quelques-uns
sautèrent sur le mur alors que d’autres restèrent dans leurs
véhicules. C’était comme si tout un bataillon avait été
déployé juste pour m’arrêter. Quelques officiers des
renseignements vinrent vers moi et dirent : “Nous avons
besoin de vous pendant un petit moment”. Je dis : “Oui, mais
laissez-moi porter quelques vêtements”. Je portai donc
quelques vêtements et fut emmené à l’extérieur dans ma
chaise roulante. Ils dirent : “Où est votre fils ?”. Je
dis : “Il est là”. Ils dirent : “Qu’il vienne avec vous,
pour vous aider”. C’était mon fils Abdulhamid, qui venait
d’avoir seize ans et qui venait de recevoir une carte
d’identité. Ils l’emmenèrent et me mirent dans une cellule
où ils me firent asseoir. Ils commencèrent immédiatement à
me crier dessus et à m’injurier, à jurer, à me cracher sur
le visage et à me frapper. Ils apportèrent un plateau et
commencèrent à le cogner sur ma tête ; ils serrèrent les
veines de mon cou et firent des pressions vers le haut pour
causer un maximum de douleur. Ils commencèrent ensuite à
marteler ma poitrine et continuèrent à la frapper jusqu’à ce
qu’elle se changea en bleu. Puis ils firent entrer mon fils,
qui était là soi-disant pour me servir ; ils le jetèrent au
sol devant moi et quatre d’entre eux lui sautèrent dessus.
L’un d’entre eux serra son cou comme s’il voulait
l’étrangler, un autre le battit, un troisième lui hurla
dessus et l’insulta. Pendant tout ce temps, mon fils criait
au-dessous d’eux. Ils continuèrent à le battre devant moi,
disant : “Aie pitié de ton enfant ; avoue et ce sera la fin
de l’histoire. Le Hamas est fini, c’est terminé ; cela ne
sert à rien d’y nier ton rôle”. Je leur dis : “Je n’ai rien
à dire”. Ils partirent pendant quelques heures, puis
revinrent avec mon fils, et ils recommencèrent à le battre.
A nouveau, ils s’assirent sur lui et lui firent sévèrement
mal. La torture était si sévère qu’il faillit mourir. Ils le
firent ensuite sortir. Pendant quatre jours, je fus privé de
sommeil et fus forcé de rester dans ma chaise alors que des
interrogateurs se relayaient toutes les deux ou trois heures
pour me questionner. Finalement, je perdis conscience et
tombai de ma chaise. Lorsque je me réveillai, ils
m’amenèrent les frères qui furent arrêtés en raison de leur
implication dans l’affaire militaire. Salah [Shihadah] vint
en premier et dit : “Je suis venu à toi et je t’ai pris
2.500 dollars, et c’est tout ce que j’ai à dire”. Puis me
furent amenés les autres frères qui avaient été responsables
de l’interrogation de collaborateurs. Ils dirent : “Nous
sommes venus à toi et avons obtenu une fatwa de toi disant
qu’il est autorisé de tuer les collaborateurs”. Ils
semblaient vouloir me faire savoir que c’était tout ce
qu’ils avaient avoué. Les Israéliens se tenaient debout et
écoutaient pendant tout ce temps. Ils voulaient absolument
savoir qui allait diriger le mouvement après moi. Je leur ai
dit que c’était une organisation qui tenait sa base dans le
peuple ; on en retire le bout et un nouveau bout croît de la
base. J’en conclus qu’il n’y avait pas besoin de nier ma
part de responsabilité : les déclarations m’impliquant
étaient suffisantes pour que je sois poursuivi quoi qu’il en
soit. J’avouai que j’avais émis une fatwa légalisant
l’exécution de collaborateurs et que j’avais le droit en
tant que Palestinien de me soulever contre l’occupation ».