PCN-SPO
Analyses pour l'Afrique et le monde
Luc Michel
Vendredi 20 mars 2015
PCN-SPO/ LUC MICHEL: ENTRETIEN AVEC
‘HORIZONS NOUVEAUX MAGAZINE’ – 2e
PARTIE (HNM #49 / 23 FEVR. 2015)/
ANALYSES POUR L’AFRIQUE ET LE MONDE
PCN-SPO & HNM (Horizons Nouveaux
Magazine)/
2015 03 10/
Entretien avec Luc MICHEL (*),
Diffusé dans le n° 49 de HNM
(Cameroun)
Paru le 23 février 2015
#
INTERVIEW EXCLUSIVE AVEC LE
PANAFRICANISTE BELGE LUC MICHEL, LEADER
DE L’ONG EODE (2eme PARTIE)
« NOUS SOMMES ENTRES DANS UNE DECENNIE
DECISIVE »
Partie
II/
QUELLES
SONT VOS ANALYSES POUR L’AFRIQUE ET LE
MONDE ?
# NHM : Le monde est secoué depuis des
décennies par des conflits armés, qu'est
ce qui explique toutes ces explosions de
violence?
Luc MICHEL : Il est
bien certain que ce qui amène le chaos
et les guerres dans le monde c'est bien
l'impérialisme ? Dans son livre
L'IMPERIALISME STADE SUPREME DU
CAPITALISME, Lénine a établi la base de
ce qui est la « Théorie
marxiste-léniniste de l’impérialisme ».
Il a raison en grande partie.
Dès la fin du XIXe siècle, c'est
l'impérialisme moderne (la lutte pour la
conquête des marchés, à partir du moment
où l'Afrique étant colonisée il
n'existait plus de marchés encore à
conquérir) qui explique évidemment les
grandes guerres, la Première guerre
mondiale, la Seconde, la Guerre
froide. Et qui explique encore ce qui se
passe dans le monde du « Nouvel Ordre
Mondial » de l'impérialisme américain
(puisqu'il faut le nommer clairement, et
nous sommes d'accord avec le
Che Guevara qui disait que
« l'impérialisme occidental a une tête
et qu’il faut la couper). Ce sont les
Etats-Unis qui ont développé plus d’une
centaine de conflits dans le monde
depuis 1945, mais aussi des coups
d'états. En Amérique Latine, en Eurasie,
mais aussi toutes les agressions contre
l'Afrique depuis 1961. Et maintenant les
agressions dans le cadre des
« révolutions de couleur » en Europe de
l’Est, de leur version moyen-orientale
du soi-disant « printemps arabe ». Les
sanctions et les embargos sont des
guerres économiques, comme Obama vient
de l'avouer sans vergogne dans le cas
des sanctions contre la Russie il
y a quelques jours. Et il y a aussi la
« guerre culturelle », c'est-à-dire
l'invasion sous prétexte de la
globalisation de l'anti-civilisation
yankee (avec Mc do, les vomissures
d'Hollywood, la civilisation de
Coca-Cola).
Il y a encore
l'instrumentalisation, l'utilisation de
la « géostratégie du chaos » (à ne pas
confondre, comme le font beaucoup
d'analystes, avec la « géopolitique du
chaos », qui est un concept du début des
années 90, pour expliquer le chaos
géopolitique né de l'implosion de l'URSS
et de la Yougoslavie). La géostratégie
du chaos a eu un laboratoire : c'est la
Somalie, c'est pour cela qu'on parle de
« somalisation ». Actuellement on est
train de somaliser la Libye, le Mali ou
la Centre Afrique, et on aimerait
somaliser le Cameroun ! La Somalie
inquiétait les USA dans les années 80,
alliée de l'Union Soviétique (c'était le
temps
du maréchal Siyad Barré),
aujourd'hui éclatée en deux états et en
réalité en 5 états, 3 étant de des
semi-états de facto, le gouvernement
central siégeant à l'étranger et ne
contrôlant même pas la capitale
Mogadiscio. C'est le destin tragique que
les américains promettent à de nombreux
pays arabes et africains. Depuis le
laboratoire somalien, les géopoliticiens
et les géostratèges américains ont
théorisé cette « géostratégie du
chaos ». Le grand géopolitologue George
Friedmann (le patron de STRATFOR) est
celui qui dans son livre manifeste de
l'expansion américaine LES 100
PROCHAINES ANNEES explique ce que les
USA doivent faire pour que le XXIe
siècle soit à nouveau « un siècle
américain ». Il y consacre plusieurs
pages à cette « géostratégie du chaos »
et il y explique comment les américains,
n'ayant plus les moyens militaires et
économiques de s'imposer directement,
doivent faire éclater les états et y
organiser le chaos et régner sur
celui-ci.
La théorie
marxiste-léniniste de l'impérialisme a
cependant des limites importantes, car
elle ne prend pas en compte
l'Europe occidentale, car elle
s'est arrêtée sur une vision du monde
qui est celle d'avant1940. Et surtout
elle a une vision du combat
anti-impérialiste qui (comme l'appelait
Fidel Castro dans les années 60) est
« tricontinentale ». C'est une erreur
parce que
depuis 1944 un phénomène colonial
nouveau est apparu, c'est-à-dire que les
pays d'Europe occidentales sont devenus
eux-mêmes des colonies de l'empire
américain. Les américains qui ont
débarqués en Normandie en juin 1944 ne
sont jamais repartis, ils sont toujours
là partout
en Europe avec leurs armées,
leurs bases militaires, leurs
multinationales … Et surtout avec des
classes politiques qui sont soumises à
l'Empire américain, pour parler crûment
les vaincus européens de 1939-40 ne sont
pas les vainqueurs de 1945 ! Ils ont
accepté la domination politique
américaine pour conserver le contrôle
politique et économique de leurs pays,
mais ils sont devenus des sous-traitants
de l'impérialisme US, notamment en
Afrique. Voilà donc la situation et il
fallait raisonner là dessus.
Notre Ecole
géopolitique a donc développé depuis les
années 60 une autre théorie de
l'impérialisme qui prend en compte la
question ouest -européenne et qui prône
donc non plus une tricontinentale mais
un « front quadricontinental » contre
l'impérialisme et l'exploitation. Nous
avions d'ailleurs introduit cette
théorie dans les années 90 en Libye et
Mouammar Kadhafi
définissait la Libye comme un
pont entre l'unification africaine et
l'unification
européenne, les deux devant se
dégager ensemble de l'impérialisme
américain, et c'est à nouveau notre
conception, la Méditerranée servant de
point de rencontre et de « Mare nostrum »
(comme au temps des romains) entre les
unifications panafricaine et
paneuropéenne agissant en symbiose. La
destruction de la Jamahiriya libyenne et
la suggestion de l'Union Européenne
maintenant complètement vassalisée aux
États-Unis via l'OTAN (qui n'est pas le
« bouclier de l'Europe » mais son
harnais) n'ont pas du tout rendu cette
théorie obsolète, elle est toujours
valable pour les rapports futurs entre
l'Eurasie et l'Afrique.
# NHM :
Pour nous attarder particulièrement à
l'Afrique et à la lumière des crises
armées qui ont cours dans ce continent,
la paix y est-il possible et quelles
sont les conditions à réunir pour que
cela se traduise en réalité?
Luc MICHEL : Votre
question en fait prend directement la
suite de la précédente. Ce qui a produit
directement ces décennies de conflits
armés en Afrique, c'est évidement
l'impérialisme occidental, qui a
provoqué les guerres entre les pays
africains, les dizaines de sécessions,
de guerre civiles, de coup d'états, de
guérillas. Lorsque arrivent les
indépendances à la fin des années 50 et
au début des années 60, l'Afrique a
l'impression d'être indépendante, mais
elle est confrontée à un maintien de la
présence militaire et économique des
anciens colonisateurs, c'est le
néo-colonialisme. L'exemple typique
étant celui de l'organisation par
Jacques Foccart, pour le compte du
régime du général de Gaulle (qui là a
marqué sa mémoire d'une pierre noire et
qui là n'est pas le libérateur qu’il a
été au Québec ou en Asie), de la
Françafrique avec tous ses mécanismes de
domination
néo-coloniale.
Lorsqu'on arrive
plus à contrôler politiquement ou
économiquement un état, et bien on le
fait évidement éclater, ce sont les
sécessions, c'est le cas des grands
états pétroliers, avec le Sud soudan et
bien avant le Biafra (organisée par
Paris). Le phénomène du néo-colonialisme
existe partout.
La seconde étape
c'est qu'un certains nombre d'états
africains ont décolonisé, ou on brisé un
pouvoir de type colonial comme en
Afrique du Sud avec le régime
d'apartheid, mais aussi les colonies
portugaises d’Afrique, se sont libérés
avec l'aide des Soviétiques et parfois
des Chinois, parfois avec l’appui du
Corps expéditionnaire internationaliste
cubain. Ces états ont pris la voie du
développement. C'était par exemple la
Somalie du maréchal Syad Barré, qui
avait mis un terme à l'analphabétisation
en moins de 4 ans. C’était des régimes
qui marchaient et qui développaient les
pays africains, mais ils étaient
étroitement liés à l'Union Soviétique.
Lorsque l’URSS s'est effondrée, les
russes quittant totalement l'Afrique,
ces pays ont été laissés à eux-mêmes et
ont repris la voie de la recolonisation.
Il y a d'autres états qui étaient des
défis inacceptables et qui ont été
détruits, comme la Jamahiriya libyenne
avec son système politique original, sa
Démocratie directe, son système
socialiste jamahiriyen (qui
redistribuait équitablement les revenus
du pétrole) et avec un PIB pour les
habitants et un niveau de vie qui
étaient ceux du sud de l'Union
Européenne. La chute de la Jamahiriya
libyenne est également l'une des
séquelles de la chute de l'URSS, même si
elle est intervenue 20 après.
Arrive maintenant
une nouvelle étape : c'est-à-dire que
les américains, qui jusque là à part
quelques grandes expéditions ont dominé
l'Afrique par l'intermédiaire des pays
de l'OTAN (des sous-traitants, si je
peux m'exprimer ainsi, du Bloc
occidentale), entendent la recoloniser
directement. En 2007 –2008, des
géopoliticiens américains commencent a
s'intéresser à l'Afrique, Georges Bush
II crée l'AFRICOM en 2007-2008. 2008
c'est aussi la rentrée de la France dans
l’organisation militaire de l'OTAN,
c'est-à-dire la vassalisation totale de
la France à la diplomatie US, mais aussi
à l'organisation militaire américaine.
C'est un phénomène qui est passé
inaperçu de la plupart des analystes
africains (tant la haine justifiée de la
Françafrique est importante) : Paris en
Afrique se soumet également à la vision
américaine, les généraux français
deviennent des généraux de l'OTAN et la
France agit maintenant dans toute
l'Afrique pour le compte des américains.
La Françafrique, dont les structures
continuent a exister, est comme ces
grandes entreprises régionales qui se
font à un moment donné avaler par une
multinationale, c'est-à-dire qu'elle
devient la sous-traitante d'une
politique qu'elle ne définit plus ! On
ne doit pas oublier que le projet
américain vise a donner moins
d'importance à la France en Afrique.
Il faut également souligner qu'il y a
une vision géopolitique américaine pour
l’Afrique et qu'elle conçoit une Afrique
divisée ! Il n'y a pas un concept
géopolitique américain d'une Afrique
unie, comme nous l'avons par exemple
dans le Panafricanisme, mais une vision
de l'Afrique du nord, de
l’Afrique saharienne et
sub-saharienne, comme frontière, comme
« Limes », du « Grand Moyen Orient »,
assurant la sécurité des états
soumis aux Etats-Unis en Eurasie. Et
deuxièmement il y a une vision d'un bloc
de l'Afrique australe (anglo-saxon et
anglophone), à laquelle ont été
rattachés tous les pays de la Région des
Grand Lacs, qui apparaît dans certaines
visions géopolitiques américaines. Il y
a des cartes prévisionnelles pour
l'Afrique en 2250, où ce bloc n'est plus
lié à l'Afrique mais faisant partie d’un
bloc atlantiste dominé par les
Etats-Unis. Il faut savoir
également qu'il y a un projet
d'angliciser les pays
francophones des Grands Lacs, c'est déjà
largement en route pour le Rwanda de
Kagamé (qui n'oublions pas un
anglophone), et c'est également le cas
pour les débuts du régime de Kabila
père. Pour comprendre l'importance des
Grands Lacs dans la vision africaine
d’Obama, celui-ci y dispose d'un
« envoyé spécial pour la région des
grands lacs » (c'est-à-dire d'un
proconsul) … Tout ce qui se passe en
Afrique est lié à l'impérialisme !
# NHM :
Quelle est à votre avis l'influence de
l'héritage colonial dans le contexte de
pauvreté endémique et chronique qui est
celui de l'Afrique et quelles sont les
pistes de solutions?
Luc MICHEL : Il est
bien certain que l'Afrique est un
continent riche et parallèlement à cela
c'est le continent qui connaît la
misère, les famines, les grandes
pandémies comme Ebola ou le Sida, sans
solutions réelles. Tout cela a une
origine, tout cela prend sa source dans
le néo-colonialisme, la prédation
impérialiste et l'exploitation de
l'Afrique par les anciennes puissances
coloniales et les USA. Nous avons
l’exemple significatif de la
Françafrique, mais il ne doit pas faire
oublier la malignité des anglo-saxons.
Il y a
également évidement les
tentacules des multinationales
américaines et de l’UE qui s'étendent
sur toute l'Afrique. Il y a aussi cette
globalisation qui n’est menée
qu'au profit des américains. La
globalisation c'est l'intégration des
économies du monde autour de l'économie
américaine et à son profit. Il faut
surtout constater que la vision qu' a la
globalisation de l'Afrique, c'est de
faire uniquement du continent
une source de matières premières,
d'industries de transformation et de
livraisons
de matières premières et
d'industries de livraison et de
production de produits agricoles.
Depuis la décolonisation, les
occidentaux se sont toujours opposés
largement à l'industrialisation de
l'Afrique, surtout de l’industrie
lourde. L'un des états qui y échappe
étant l'Afrique du Sud, grâce à un
héritage indirect bénéfique de l'ex
Afrique du Sud
blanche, qui s'était
considérablement développée en raison
même de l'isolement du pays par
l'apartheid. Développement notamment
d’une puissante industrie de recherche
et d'armement, fabrication de matériels
roulants, industrie nucléaire …
Il y a évidement
des solutions mais ces solutions
n'existe qu’au niveau du Panafricanisme,
il n'y aura pas de liberté pour
l'Afrique sans application du programme
panafricaniste. Quelle est ce
programme ? Ce sont au moins les
Etats-Unis d'Afrique, ou une Afrique
transnationale qui en serait un stade
ultérieur. C'est évidemment, et là ce
sont des idées que j'y importe depuis
quelques années, la création d'un grand
Bloc africain géoéconomique auto-centré,
qui organise lui-même les richesses et
l'exploitation du continent, les moyens
financier et bien entendu
l'industrialisation de celui-ci. A la
base de tout ça il y a une nécessité,
évidemment, c'est que l'Afrique aie sa
souveraineté financière. On est là dans
le projet de Kadhafi, dans les années
2000-2005, qui a été repris par le
président Obiang Gnema Mbassogo depuis
le dernier sommet africain à
Malabo, la nécessité de l'unité
monétaire africaine, d'une monnaie
africaine, d'une banque d'investissement
africaine. Ici aussi l'Afrique ne doit
rien attendre de l'occident et il faut
mettre un terme à la domination et aux
manœuvres des institutions de Bretton
Woods sur l'Afrique, c'est-à dire la
Banque mondiale et le Fonds Monétaire
International, qui ne sont que des
instruments d'esclavagisme des peuples
et des états. Partout où ils sont
intervenus, en Afrique ou ailleurs, ça
été les thérapies de choc, la misère,
les régimes politiques autoritaires
(rappelons ceux de Margaret Thatcher ou
du général Pinochet au Chili, qui ont
été le véritable laboratoire de l’ultra
libéralisme). Donc l'Afrique doit se
débarrasser de tout cela en y
substituant ses propres institutions.
J'ajouterai
évidement la question de la Défense
africaine, concomitante. Sans moyen de
faire respecter cette indépendance par
des moyens militaires, le reste a peu de
chance de pouvoir être appliqué, se
maintenir ou même simplement être
respecté.
# NHM :
L’Afrique est donc menacée de partout.
La paix est-elle pourtant possible et à
quel prix ?
Luc MICHEL :
Revenons sur le sujet de la guerre et de
la paix en Afrique, parce que la clé est
là ! Une paix est-elle possible et
réelle en Afrique ? Tout d'abord il y a
une chose a prendre en compte : il ne
faut rien attendre de l'occident et des
occidentaux. Y comprit de leurs
instruments diplomatiques que sont les
Nations-Unies en Afrique, depuis l'envoi
des casques bleus au Congo ex-belge en
1961. Les casques bleus n’ont empêché
aucune guerre, établi aucune paix, ils
sont liés à un cortège de scandales,
d'affaires de viols, de prostitution, de
trafics … La deuxième chose qu'il faut
comprendre c'est que si on n'attend rien
des occidentaux, on ne peut rien faire
tant que la puissance occidentale est la
seule puissance capable de se déployer
en Afrique. Parlons franchement, il faut
partir des idées, les grandes choses se
font au travers de grandes idées, de
grands livres et de grands conflits. Il
faut une « doctrine de Monroe
panafricaine » ! Qu'est-ce que j’entends
par là ? Et bien vous savez qu'au début
du XIXe siècle le président américain
Monroe a proclamé ce qu'on appelle la
« doctrine de Monroe » et qui s'entend
par « les Amériques aux américain »
(entendez aux USA, aux américains du
nord). Il voulait par là chasser les
puissances européennes, coloniales ou
néocoloniales, des Amériques. Il avait
raison : c'est sur ça que s'est basée
l'émergence géopolitique internationale
des Etats-Unis et la puissance
américaine. Il faut donc commencer par
définir une « doctrine de Monroe
panafricaine », qui
reposera sur le concept principal
de « l'Afrique aux africains ».
Mais les grandes
idées si elles ne sont pas supportées
par la puissance ne donnent rien. Le
grand Machiavel disait que « tous les
prophètes désarmés ont été vaincus et
que tous les prophètes armées ont été
vainqueurs ». Ce qu'il énonçait pour les
prophètes et les religions s'entend
également pour en géopolitique pour les
états ! Il faut donc une puissance
militaire panafricaine, qui pourrait se
construire autour de l'Union Africaine.
Et comme dans de nombreux domaines,
lorsqu’on examine les problèmes de
l'Afrique, la solution a déjà été
définie par le regretté Mouammar Kadhafi
lors d'un sommet de l’UA à Syrte en
2005, lorsqu'il avait proposé un plan
pour défendre l'Afrique et en chasser
les occidentaux. Ce plan s'orientait
autour d'une « armée africaine
intégrée », avec un « état-major
africain intégré », sous commandement du
Conseil de l'Union Africaine. Il
prévoyait également la création
de Services de renseignement et de
sécurité panafricains, et de Forces
spéciales panafricaines. Et surtout il
prévoyait une grande « Force
d'interposition panafricaine », qui dans
le cas le cas de conflit pourrait a très
court terme se déployer pour empêcher
les guerres et amener la paix. Lors du
sommet de Malabo de juin 2014, l'Union
Africaine a repris cette idée-force
d'une Force d’interposition
panafricaine. Et bien elle a été
immédiatement torpillée par Obama qui,
en conclusion du « Sommet USA-African
leader » début août 2014 (ce grand piège
qui a été tendu aux chefs d'états
africains), a proposé de créer une
« force d'interposition rapide », sous
commandement de l'AFRICOM et avec
certains états clients des Etats-Unis,
notamment l'Ouganda et le Rwanda. C'est
tuer dans l'œuf cette force panafricaine
de l’UA, en lui
arrachant des moyens et en lui
créant une concurrence immédiate
avant sa naissance même. Et surtout en
dotant cette force concurrente des
moyens militaires qui sont ceux de
l'impérialisme américain et occidental.
Voilà donc la
situation de l'Afrique et voilà donc ce
qui pourrait ramener la paix en Afrique.
Je vais ajouter une chose : vous savez
qu'on divise souvent les panafricanistes
en afro-optimistes et en afro-réalistes.
On oublie les afro-pessimismes.
Je suis un panafricaniste
activiste mais pour le moment
pessimiste,
parce qu’en dehors de quelques
chefs d'états (dont le leader du nouveau
Panafricanisme, le président
guinéo-équatorien Obiang Gnema Mbasogo)
je ne vois pas l'Afrique se sortir de
là. Nous voyons au contraire s’étendre
les tentacules de l'impérialisme
américain, avec Washington entrée dans
une tentative directe de recolonisation
de l’Afrique. Notamment par la grande
vague de changements de régimes qui a
été annoncée lors du sommet de
Washington début août 2014 et la mise en
place, notamment par la NED, au niveau
du financement et de l'encadrement, par
la mise
en place d'une organisation pour
une série de « révolutions de
couleurs ». Le Gabon vivant la première
d'entre-elles et le Burkina Faso ayant
vu certains des éléments
déclencheurs de sa révolution confisquée
liés à ces réseaux organisant les
révolution de couleur (ceux de Söros
notamment).
# NHM :
Le poids de la Russie et de la Chine se
fait de plus en plus sentir dans la
géopolitique mondiale, croyez-vous que
ces deux puissances puissent influer à
terme sur la prédation occidentale et
américaine?
Luc MICHEL : Les
questions de la Russie et de la Chine
sont deux choses bien différentes ! Je
vais commencer par la Chine. La Chine
n'a pas de projet géopolitique mondial.
La géopolitique chinoise ne prend en
compte que ce que les russes
appelleraient
« l'étranger proche »,
c'est-à-dire la question de Taiwan, du
Japon, de la Mer de Chine, la projection
géopolitique chinoise ne se faisant que
vers l'Indochine, l'Indonésie et au-delà
vers l'Australie. J'ajouterai que l’on
est là dans les fondements de la
géopolitique chinoise impériale, lors de
la grande période des empereurs chinois.
Dans c le passé lointain, la Chine ne
s'est jamais projetée que vers
l'Indochine et l’Indonésie. Elle n'a
jamais eu de vues sur la Russie, la
Chine quand elle regarde vers
le continent eurasiatique veut
s'assurer des frontières stables et
c’est tout. Assurant à l'ensemble
géopolitique intérieur chinois, la
maîtrise des Han sur l’autre moitié de
cette population chinoise qui n'est pas
de culture Han, les musulmans ouigours
du Sin-Kiang (Turkestan chinois), les
tibétains, etc. La frontière ouest que
veut s'assurer la chine est sur
l'Himalaya. Et donc le problème c’est
que la Chine n'a pas de vision
géopolitique en Afrique, les chinois ne
veulent faire que des affaires, ils ne
recherchent que le profit. Et parce
qu’eux-mêmes ont connu
l'exploitation et le
colonialisme, ils sont simplement des
partenaires que je pourrais appeler plus
ouverts pour les africains. Mais il n'y
a pas de projet de la chine de s'opposer
par exemple aux Etats-Unis. Deuxièmement
le rapport de la Chine et des Etats-Unis
sont ambigus. Ce sont deux adversaires
géopolitiques, il y a actuellement une
tentative de « révolution de couleur » à
Hong-Kong par exemple qui vise
directement le régime chinois. Mais
parallèlement à ça la chine et les
Etats-Unis sont deux partenaires
financiers et
économiques, et la Chine est la
première créancière des USA. Elle n'a
donc strictement aucun intérêt à ce que
les Etats-Unis s'effondrent, en tous cas
pas maintenant …
Venons-en au cas de
la Russie. Là c'est l'inverse, la Russie
a une grande vision géopolitique depuis
que Vladimir Poutine a accédé au
pouvoir. Cette vision n'est pas
seulement eurasiatique. Le projet
eurasiatique de Poutine est parfois
caricaturé par ses adversaires
atlantistes, mais ils n’ont pas tout à
fait tord quand ils disent que c'est un
peu la
reconstitution de l'Union
Soviétique. Mais Moscou a aussi la
volonté de redevenir une grande
puissance mondiale, elle est en train de
se re-projeter vers l'Amérique latine,
vers l'Asie. Et, c'est quelques chose de
très récent depuis quelques mois, il y a
une vision russe sur l'Afrique. Le
leadership russe s'est rendu compte que
le départ depuis 20 ans, la fuite des
russes ex-soviétiques de l'Afrique, a
été une gigantesque erreur. Que cette
erreurs a continué sous Medvedev en
lâchant la Jamahiriya libyenne qui était
son principal partenaire africain (on
aurait du construire une base militaires
russe à Benghazi en 2012). Et donc les
russes veulent revenir en Afrique. Le
travail ayant été préparé par un nombre
de russes qui sont philoafricains, qui
ont de la sympathie pour l'Afrique, et
par notre Ong EODE, qui plaide dans les
deux sens depuis maintenant un an
(notamment sur les antennes d'AFRIQUE
MEDIA ou de la RTVGE) pour que la Russie
devienne le principal partenaire
politique et économique de l'Afrique.
La Russie apporte à
l'Afrique non seulement une vision
gagnant-gagnant du partenariat financier
et économique. Je rappellerai que
contrairement à toutes les puissances
occidentales, la Russie n'a pas besoin
directement des matières premières et
des richesses de l'Afrique, tout cela
elle l’a déjà en Sibérie : les diamants,
le gaz, le pétrole, l'uranium,
les minerais stratégiques … Ce
que cherche la Russie c'est un
partenariat économique qui débouche sur
un partenariat politique. La Russie est
aussi un grand producteur
d'armements, ce sont des spécialistes en
défense, en matière de stratégie, de
force spéciale, de sécurité. Et ils
peuvent aider puissamment les états
africains à garantir leur sécurité et à
se détacher de l'emprise occidentale
dans ce domaine, et également à préparer
la future armée panafricaine.
Il faut donc ne pas
attendre grand chose de la Chine et
énormément de la Russie. Je dirai un
dernier mot parce qu'il faut quand même
comprendre que la Russie et la Chine
sont partenaires dans une série
importantes d'organismes inter-étatiques
en Eurasie, l'ancien Groupe de Shanghai,
l’Organisation du Traité de Sécurité
Collective (OTSC), etc. La Chine est
consciente de la menace américaine, elle
voit la déstabilisation au Sin-Kiang, à
Hong-Kong ou au Tibet. Et donc elle
soutient la Russie dans un certain
nombre de domaines, elle suit la Russie
et ce n'est pas elle qui a l'initiative,
elle suit la Russie au conseil de
sécurité des Nation-Unies.
# NHM :
Dans le contexte mondial actuel marqué
par la violence, les rapports de force
asymétriques et la prédation
institutionnalisée des puissances
occidentales et américaine, comment
entrevoyez-vous l'année 2015?
Luc MICHEL : Il y a
en géopolitique comme en politique des
“années décisives” (selon les termes de
Spengler). Nous sommes entrés dans une
décennie décisive. C’est la volonté de
Washington d’engager un cycle historique
dont le but est de faire du « 21e siècle
un nouveau siècle américain ». Selon les
termes mêmes, et identiques, de tous les
géopolitologues et idéologues
américains, que ce soit Georges Friedman
de STRATFOR (dans son LES CENT
PROCHAINES ANNEES) ou les Neocons (dans
la ligne du manifeste du PNAC, le
« Project for a New American Century »)
de retour sur le devant de la scène.
La machine
américaine s’est donc lancée dans une
logique de confrontation avec ses deux
grands ennemis désignés : Russie et
Chine. Et dans le même mouvement une
vague de changements de régime a été
planifiée, en Eurasie et en Afrique, via
la machinerie bien réglée des «
révolutions de couleur » ...
Des jours sombres
s'annoncent sur le monde, singulièrement
en Afrique et en Eurasie. Ne refusons
pas de les voir !
# NHM :
Un message de fin aux peuples du Monde
en quête de justice et surtout
africains ?
Luc MICHEL : 2015
sera donc une année de combat. Une année
de lutte contre l'impérialisme et
l'exploitation et pour la Cause des
Peuples.
Une année de luttes
et de résistance. Notre Cause est juste,
c'est celle de l'honneur et de la
liberté des peuples face à la Nouvelle
Carthage capitaliste yankee ! Mais nous
ne vaincrons qu’unis, sur les quatre
continents. Refusons donc ce qui divise,
ce qui sépare, la xénophobie, les
racismes, les petits-nationalismes
séparateurs, les querelles dépassées du
passé. Car la division ethnique,
religieuse, culturelle ou nationale est
l’arme privilégiée de l’impérialisme. Le
temps nous est partout compté. Une
décennie décisive dit-on à Washington.
Ne sous-estimons pas l’ennemi, il
progresse partout, fort de nos
faiblesses, fort de notre désunion, fort
de nos atermoiements. Sa « doctrine de
Monroe » il l’a proclamée il y a deux
siècles déjà, son unité économique,
financière et politique, il l’a faite il
y a 150 ans déjà. Ce sont ses flottes,
ses armées, ses bases, ses alliances
politico-militaires qui dominent le
monde. Le temps est venu de penser
l’unité, d’opposer un front uni. Le
temps est arrivé de cesser de regarder
le passé et de penser et d’organiser le
futur. Il en va de notre liberté …
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