Ziad Medoukh à la Nouvelle
République
« Tant qu'il n'y
aura pas une unité nationale, il n'y
aura pas une stratégie efficace pour les
Palestiniens »

Ziad
Medoukh
Dimanche 22 avril 2012
Où en est la situation à Ghaza au moment où Israël poursuit ses
exactions sous des prétextes fallacieux
? Face à cette situation comment
réagissent les Ghazaoui ? La chute de
Moubarak aurait-elle eu un impact sur la
politique égyptienne vis-à-vis des
palestiniens et notamment avec
l’ouverture du passage de Rafah ? Dans
cette atmosphère la réconciliation
inter-palestinienne peine encore à se
dessiner d’autant plus qu’elle fait face
à beaucoup d’obstacles.
Questions que nous avons étayées avec le
Dr Palestinien Ziad Medoukh, poète,
professeur, responsable du département
de français à l’université Al-Aqsa de
Ghaza, et coordinateur du Centre de la
paix de cette université.
Pour rappel, Ziad Medoukh est l’auteur
de nombreuses publications concernant
l’enseignement du français en Palestine
et aussi la non-violence comme forme de
résistance en Palestine. Il
est très attaché aux principes de la
démocratie, de la liberté, des droits de
l’homme et de la Francophonie, Ziad
Medoukh a été fait Chevalier de l’Ordre
des Palmes académiques de la république
française en 2011. Il est le premier
citoyen palestinien à obtenir cette
distinction.
Conférencier infatigable sur Ghaza et la
Palestine, il multiplie, surtout en
France et en Europe, et autant qu’il le
peut, les rencontres avec les
associations et les réseaux de jeunes,
chaque fois que ses activités
académiques et professionnelles lui
permettent de franchir les frontières de
Ghaza.
La NR/ Vous êtes à Ghaza, quel état des lieux actuel,
pouvez-vous dresser pour les lecteurs
algériens ?
La situation
actuelle dans la bande de Ghaza est très
difficile à tous les niveaux. Le blocus
israélien est toujours imposé par les
forces d’occupation israélienne. Les
passages qui relient Ghaza à l’extérieur
sont fermés et ne s’ouvrent que d’une
façon arbitraire. Le chômage touche plus
de 60% de la population. La situation
économique est dure ; il y a une pénurie
de carburants et des coupures
d’électricité permanentes, chaque foyer
à le droit à six heures d’électricité
par jour, rien ne bouge, rien ne change
à Ghaza. L’aspect le plus grave est
l’absence de perspectives pour un
million, 600 mille habitants qui
souffrent de cette situation et qui sont
abandonnés à leur sort par une
communauté internationale indifférente.
La NR/ Israël
trouve à chaque fois des prétextes
fallacieux pour mener ses
incursions à Ghaza, sans objectifs
apparents. Pourrait-on supposer là que
c’est une guerre psychologique ?
La seule raison qui
pousse Israël à mener des bombardements,
des attaques et des incursions dans la
bande de Ghaza, est que personne ne
bouge. Il n’y a pas de réactions
internationales fortes de la part des
pays arabes et européens dits libres
pour arrêter ces agressions. Israël
profite de la division entre factions
palestiniennes pour poursuivre ses
agressions contre les civils de Ghaza,
L’Etat hébreu utilise toujours le
prétexte que des missiles lancés de
Ghaza tombent dans des localités
israéliennes pour riposter avec
violence, alors que parfois,
Israël provoque les forces de
résistance qui se trouvent à Ghaza pour
entamer une nouvelle une
bataille disproportionnée entre une
armée puissante et de petits groupes
sans moyens de résistance.
La NR/ Quelles sont
en général les réactions des Ghazaouis
face à ces agressions ?
Les Ghazaouis n’ont
pas d’autre choix que de résister et de
rester attachés à leur terre, en dépit
de toutes ces agressions israéliennes.
C’est toujours la population civile qui
est scarifiée. Les factions ripostent
par des roquettes qui ne provoquent pas
de dégâts du côté israélien, mais c’est
leur seule façon de répondre à ces
bombardements aveugles d’une occupation
qui défie le droit international.
En générale, la
population ghazaouite est confiante, et
essaye de résister face à cette
situation d’injustice.
La NR/ Depuis la
chute de Hosni Moubarak comment se
présente la situation du côté de Rafah ?
Après la chute de
Hosni Moubarak, les Ghazaouis ont
enregistré une petite amélioration au
niveau du passage de Rafah, le seul
passage qui relie la bande de Ghaza à
l’extérieur, mais c’est insuffisant. Ce
passage est ouvert sept heures par jour
et six jours par semaine. Le nombre de
passagers est limité à 400 personnes par
jour ; or il doit être ouvert 24 heures
sur 24 heures. A vrai dire, il faut
attendre les résultats des élections
présidentielles en Egypte pour espérer
une évolution de la situation. Et, on a
vu récemment avec la crise de
l’électricité et du carburant, que la
situation en Egypte est encore instable
et qu’il n’ y a pas encore une politique
claire de la part de l’actuel
gouvernement égyptien vis-à-vis du
dossier de Ghaza ; sans oublier
également que l’Egypte a signé un accord
de paix avec Israël et qu’elle a des
engagements dans ses relations avec ses
voisins. Il faut ajouter que la division
entre Palestiniens et la situation
d’instabilité à Ghaza a beaucoup
influencé cette politique égyptienne.
La NR/ Dans ce
contexte, quelles sont vos attentes
vis-à-vis les Egyptiens ?
Les attentes des
Ghazaouis de l’Egypte concernent
principalement le dossier de Ghaza qui
doit être traité dans le cadre d’une
relation de bon voisinage et dans un
cadre humanitaire et non seulement
politique et sécuritaire. Ghaza compte
beaucoup sur l’Egypte ; tout passe par
ce pays pour les Ghazaouis, on ne peut
pas voyager à l’étranger sans passer par
le Caire, les malades ghazaouis sont
obligés d’aller se soigner dans les
hôpitaux égyptiens, les marchandises et
produits égyptiens affluent dans le
marché ghazaoui. Le passage de Rafah est
un passage internationale, et
égypto-palestinien, il doit être ouvert
24 h 24 h
La NR/Récemment on
apprend que plusieurs sujets sont
débattus en Palestine : représentation,
stratégie(s) à adopter pour leur
libération, nature du futur Etat
et de leur relation avec les révolutions
arabes, entre autres ? Pouvez-vous nous
en dire davantage ?
Tant qu’il n’aura
pas une unité nationale
palestinienne, il n’y aura pas une
stratégie efficace pour les Palestiniens
pour affronter cette réalité. C’est
difficile de continuer à lutter afin de
libérer la Palestine avec deux projets
opposés, l’un en Cisjordanie, très
engagée dans un processus de paix qui n’
a rien donné depuis 18 ans
de négociations, et l’autre
à Ghaza qui prétend être une résistance
militaire mais qui s’est transformée en
trêve au service de l’occupant qui mène
des incursions à sa guise. Le printemps
arabe a démontré aux Palestiniens qu’ils
doivent absolument bouger et
sortir de cet enfermement dans
ces deux projets. Il faut que les
Palestiniens optent pour une autre
stratégie, en l’occurrence la résistance
populaire, la résistance par la
non-violence qui pourrait faire pression
sur l’occupant et avoir
plus de solidarité internationale avec
les revendications légitimes du peuple
palestinien.
La NR/Quel impact
pourraient avoir ces débats,
que ce soit sur le plan interne
(inter-palestinien) ou externe
(vis-à-vis d’Israël) ?
Je pense que la
seule solution dans ce cas est d’avoir
une mobilisation populaire plus large
contre les deux partis rivaux afin
d’avancer dans la réconciliation, sinon,
il est nécessaire de recourir à une
troisième alternative en Palestine, et
ce, par la création d’un mouvement
populaire à même de proposer d’une part,
des solutions plus efficaces pour les
problèmes économiques actuels à Ghaza
comme en Cisjordanie, et, d’autre part,
de choisir une stratégie commune
contre l’occupation et ses mesures ;
même si ce choix est prématuré vue la
domination de ces deux partis sur une
grande partie du peuple palestinien.
La NR/Quel est la
représentativité actuelle de l’OLP par
rapport à l’AP ?
L’OLP a été créée
en 1964 pour libérer la Palestine, elle
se compose de plusieurs partis
politiques notamment le Fatah et la
gauche palestinienne. Cette organisation
a besoin de vraies réformes et un grand
nombre de ses responsables se trouvent à
l’étranger. L’Autorité palestinienne a
été créée en 1994 avec le retour de
quelques directions de l’OLP en
Palestine après les accords d’Oslo.
Actuellement, l’AP traverse une crise
économique, et il y a beaucoup de débats
sur la possibilité de dissoudre cette AP
afin de mettre Israël devant ses
responsabilités comme un Etat qui occupe
les territoires palestiniens. L’OLP
restera une organisation qui représente
les Palestiniens à l’extérieur comme à
l’intérieur, par contre l’AP est là pour
s’occuper des Palestiniens de Ghaza et
Cisjordanie. Parmi les points de
divergences entre les deux partis
rivaux, le Fatah et le Hamas, ce sont
les réformes au sein de l’OLP et
l’AP.
La NR/ En dépit de
la signature d’un accord à Doha entre
Mahmoud Abbas et Khaled Mechaal le 6
février dernier, « la dernière série de
négociations entre le Fatah et le Hamas
a complètement échoué à combler le fossé
entre les deux organisations rivales »,
écrivait récemment un analyste
palestinien. Quels seraient d’après-vous
ces points de divergences qui pourraient
éventuellement faire obstacle à cette
réconciliation.
Les obstacles à
cette réconciliation se résument dans
les points suivants :
- Il
n’y a pas une vraie volonté, de la part
des deux partis, d’avancer dans la
réconciliation
- Les
deux partis ont des projets différents
et des programmes opposés
- Il y
a une pression extérieure de la part des
pays et des organisations sur les deux
partis pour ne pas avancer dans la
réconciliation et cela pour des intérêts
régionaux et stratégiques.
- Les
deux partis ont compris que le peuple ne
bouge pas assez pour exiger cette
réconciliation, mais surtout qu’il n’y a
pas un troisième projet alternatif qui
pourra les remplacer.
- Les
deux partis veulent garder et maintenir
leur pouvoir, à Ghaza pour le Hamas et
en Cisjordanie pour le Fatah.
- Les
révolutions arabes ont crée une nouvelle
donne : la priorité dans ces pays arabes
et d’avoir un changement politique dans
une période de transition qui pourrait
être longue, donc la cause palestinienne
est passée au deuxième rang.
La NR/Quelle
lecture peut-on faire d’après-vous du
jeu politique de Mahmoud Abbas tant sur
le plan interne (vis-à-vis des
Palestiniens) que sur le plan externe
(vis-à-vis d’Israël) ?
Mahmoud Abbas est
un homme politique, il est très engagé
avec Israël dans un projet de
négociation et dans un processus de paix
en plein échec, mais l’homme n’a pas
d’autre choix. Il s’oppose à la
résistance militaire, car il pense
qu’elle n’est pas utile dans la
conjoncture actuelle. Je pense que
l’homme a beaucoup de respect pour sa
politique de réforme, y compris à Ghaza.
Aussi, avec ses relations
internationales élargies et sa politique
modérée, il pourra avoir beaucoup
d’acquis pour la cause palestinienne ;
mais la situation actuelle dans le
monde, notamment dans les pays arabes
l’oblige à être prudent dans ses prises
de décisions pour faire avancer le
processus de paix. L’homme n’a pas de
vrais alliés à l’extérieur, Israël
essaye de le déstabiliser ; alors qu’au
niveau Palestinien, malgré sa politique
économique et sécuritaire plus au moins
pertinente, les résultats ne sont pas
encourageants, car il contrôle seulement
18% de la Cisjordanie, et Ghaza lui
échappe. Sa politique pragmatique est
efficace au niveau international, et
elle a fait avancer la cause
palestinienne avec des reconnaissances
internationales importantes : mais au
niveau palestinien, il doit faire des
efforts pour être plus proche de sa
population.
La NR/ L'Autorité
palestinienne essaie de museler sous
couvert de "respect de la primauté du
droit." Récemment, plusieurs
journalistes ont été emprisonnés.
N’est-ce pas là une erreur fondamentale
face à un régime sioniste qui n’a jamais
cessé sa guerre médiatique ?
Pour les droits de
l’homme, la liberté d’expression, et la
démocratie dans les territoires
palestiniens, je pense qu’il retse un
long chemin à parcourir, à Gaza comme en
Cisjordanie. Il y a beaucoup d’obstacles
et plusieurs journalistes sont
emprisonnés. La liberté d’expression est
touchée et je pense que la division a
des conséquences graves, car le Hamas ne
peut être critiqué par les
journalistes de Ghaza et le Fatah par
ceux de la Cisjordanie.
Toutefois, faudrait-il remarquer qu’en
matière de liberté d’expression, les
chose sont plus évoluées en Cisjordanie,
vue l’ouverture et la présence de
plusieurs agences de
presses et journalistes étrangers, qu’à
Ghaza, une région enfermée et sous
blocus israélien. A ce propos, des
efforts doivent être faits des deux
côtés. Le problème actuel est que dans
les deux gouvernements, la priorité est
accordée à la sécurité intérieure, alors
que les autres secteurs sont négligés ;
donc, les droits de l’homme et la
liberté d’expression, voire
la liberté des journalistes demeurent un
sujet délicat pour les deux partis.
ENTRETIEN REALISE
PAR CHERIF ABDEDAIM
Publié sur
La Nouvelle République
Le sommaire de Chérif Abdedaïm
Le
sommaire de Ziad Medoukh
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