La Voix de la Russie
Entretien avec
Wassim Nasr
Laurent Brayard
Photo: EPA
Mercredi 28 novembre
2012 Nous sommes allés à la rencontre
de Wassim Nasr, expert réputé du
Moyen et Proche-Orient qui livre de
belles analyses fouillées sur cette
région troublée qui reste chargée
d’histoire et le berceau des
civilisations. Ecrivant dans nombre
de support des médias français, la
valeur de ses synthèses n’est plus à
démontrer, il a accepté de répondre
à quelques questions sur la
situation actuelle.
Laurent Brayard, La Voix de la
Russie : Avant de commencer,
pourriez-vous vous présenter
brièvement Monsieur Nasr ?
Wassim Nasr : Je suis
journaliste pour les 3 antennes de
France24 et pour
BFMTV (quand l'actu arabe
l'exige, j'ai contribué au 1er
entretien télévisé avec le
Brigadier-Général syrien Manaf Tlass)
et veilleur-analyste spécialiste du
Proche/Moyen-Orient, je suis diplômé
du Centre d'Etudes Diplomatiques et
Stratégiques (CEDS) en « Relations
Internationales Approfondies » avec
félicitations des jurés sur le thème
«
La France et le conflit
israélo-arabe » (3ème Cycle)
et de l'Institut de Relations
Internationales et Stratégiques
(IRIS) sur le thème «
Défense, Sécurité et Gestion de
Crise » (Master2).
J'ai aussi contribué
à la lettre de défense de l'IRIS
(3P) pendant 6 ou 7 mois ayant en
charge la zone allant du Maroc à l'AfPak
et j'ai été publié plusieurs fois
par le site Affaires Stratégiques de
l'IRIS. J'ai à mon actif plusieurs
publications et interviews dans
plusieurs quotidiens français et
sites spécialisés comme
Le
Monde,
Atlantico,
L'Express,
Direct Matin,
Theatrum Belli, etc.
La
Voix de la Russie : Monsieur
Nasr vous n'ignorez pas que demain
sera exhumé le corps de Yasser
Arafat, quel que soit ce que
trouverons les experts, que
pensez-vous de ce soudain
rebondissement ?
Wassim Nasr : Ce
rebondissement n'en est pas un
réellement car l'épouse de M. Arafat
a déjà évoqué son éventuel
empoisonnement et la possibilité
d’exhumer son corps à plusieurs
reprises. Les experts ont des avis
assez contradictoires sur le sujet,
mais je ne pense pas que cela soit
décisif dans l'évolution de la
réalité palestinienne d’aujourd'hui.
D'ailleurs Mme Arafat est en conflit
ouvert avec l'Autorité Palestinienne
pour des histoires d'argent, cette
même autorité qui a bien dit qu'il
faudra passer par ses instances dans
toutes les étapes à venir. Dans tous
les cas il sera très difficile de
prouver l'empoisonnement et le cas
échéant d'établir les
responsabilités, ce qui est décisif
aujourd'hui est la demande de
reconnaissance que Mahmoud Abbas va
soumettre à l'ONU, malgré sa
fragilisation et celle de l'Autorité
Palestinienne.
La
Voix de la Russie : En Syrie
les événements se précipitent. La
guerre continue, la France s'engage
plus en avant, tandis qu'à la
frontière turque la tension est à
son comble. Comment voyez-vous la
suite des choses ?
Wassim Nasr : La Syrie vit
aujourd'hui une vraie guerre civile
avec toutes ses complications au
niveau ethnique, confessionnel,
clanique etc… Cette guerre est
devenue une guerre de survie pour
les uns comme pour les autres et
elle pourra durer encore des années
de la sorte. Ce qui inquiétant dans
cette réalité est l'envenimement de
la situation et la montée de
l'extrémisme des deux côtés. Quand
on sait que les groupes djihadistes
sont les plus efficaces et ceux qui
attirent le plus d'hommes il est
intéressant de constater que de
l'autre côté l'armée commence à
exprimer son mécontentement de la
toute-puissance des Chabihas et de
leurs exactions dans une équation
qui nous rappelle la relation entre
la
Wehrmacht et les
SS
lors de la Seconde Guerre mondiale.
La Syrie est devenue
le terrain de jeu idéal pour les
mouvances djihadistes et en même
temps le théâtre de tractations
entre les différents acteurs
régionaux et internationaux. Chacun
essaye de tirer son épingle du jeu
et de servir ses propres intérêts,
ce qui est tout à fait normal dans
le jeu des nations qui se fait
toujours au détriment des
populations locales. Par contre il
faut voir qu'au-delà de la
rhétorique ambiante - du côté des
alliés du régime comme de celui des
rebelles - les tensions existent au
sein de chaque camp : la compétition
entre l'Arabie Saoudite et le Qatar
est à son comble, les différentes
factions sur le terrain sont en
compétition pour récolter l'aide
venant de ces deux pays qui prônent
une démocratie qu'ils n'appliquent
pas chez eux. D'un autre côté il
faut savoir aussi que l'Iran joue
aujourd'hui du théâtre syrien comme
la Syrie jouait naguère du théâtre
libanais. Les Iraniens cherchent à
marquer des points dans les
négociations pour le nucléaire et
sont loin de sacrifier le Hezbollah
sur l'autel de Bachar al-Assad.
La Russie aussi a
marqué des points avec sa posture
actuelle, tout en signifiant aux
pays occidentaux son refus des
ingérences, son refus de commettre
l'erreur qu'elle a commise
concernant la Libye et son retour
comme acteur décisif au
Proche-Orient. Il est indéniable que
Moscou détient les clefs d'une
éventuelle sortie de crise. Pour ce
qui est du rôle de la France, je
pense que la diplomatie française
s'est trop avancée et qu'il est
inutile d'aller si loin sans
visibilité quant à l'issue du
conflit. Aujourd'hui si le régime
syrien tombe, aucune puissance
occidentale n'est à même de garantir
la sécurité des populations
soutenant le régime comme les
populations soutenantes ou dites
soutenant le régime. Aujourd'hui
l'enjeu n'est pas le maintien d'Assad
ou du Baas au pouvoir, mais plutôt
l'après Assad, car tant que le
conflit est une guerre de survie
pour les uns comme pour les autres
la guerre continuera avec ou sans
Assad. L'enjeu réside dans les
garanties que la communauté
internationale peut donner aux
Alaouites, aux minorités et surtout
à l'armée syrienne qui continue de
se battre dans son immense majorité
du côté du pouvoir.
Je pense que
l'obstination passée à vouloir le
départ d'Assad avant des
négociations a été une erreur.
Certes le changement est inévitable
en Syrie, mais il fallait prendre en
compte la mosaïque syrienne et les
40 ans de dominance alaouite avec
toutes ses frustrations qu'on ne
peut pas effacer. S'ajoute à cela
tout le sang qui a coulé depuis le
début du soulèvement populaire qui
s'est transformé en insurrection.
Quant à l'évolution des choses, je
pense que les clefs résident à
Moscou mais aussi et surtout dans
les garanties que la communauté
internationale peut donner aux
minorités et à l'armée alors que la
continuation des combats ne fera
qu'envenimer les choses tout en
renforçant les éléments les plus
radicaux.
La
Voix de la Russie :
Pensez-vous que la France a de vrais
intérêts à poursuivre et à mener une
politique offensive comme elle l'a
fait en Libye et le fait en Syrie ?
Pour certains c'est une croisade
démocratique, pour d'autres une
guerre mercantile, quel est votre
avis d'expert ?
Wassim Nasr : Je ne crois pas
que la démocratie succédera au règne
baassiste et je pense qu'en voulant
être plus royaliste que le roi la
France a perdu son rôle de médiateur
dans la région. Aujourd'hui on voit
même Washington faire marche arrière
sur le dossier syrien alors que
Paris continue de parier sur une
opposition plus que divisée malgré
l'union de façade accomplie à Doha.
Mais pour répondre à votre question
je ne pense pas que ça soit ni une
guerre mercantile ni une croisade
démocratique, je crois que la
situation échappe à tout le monde et
que personne n'est prêt à payer le
prix politique d'une chute du régime
et des conséquences régionales de
cette chute.
Les exactions du
régime sont connues, documentées et
incontestables, mais les exactions
des rebelles commencent à faire
surface et cette réalité ne colle
pas avec l'idée qu'on veut se faire
de cette rébellion. On a voulu
oublier le poids de l'histoire, des
frictions ethniques et
confessionnelles mais ce qui nous
parvient du terrain est
incontestable aussi, donc tout le
monde refait ses calculs et nous
sommes dans une période de temps
mort au grand dam des Syriens tous
bords confondus.
Laurent Brayard, La Voix de la
Russie : Merci à vous pour
vos réponses en vous souhaitant de
vous retrouver sur La Voix de la
Russie avec nos lecteurs, très
vite !
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