Entretien
Mountaga Fané
Kantéka à La Nouvelle République :
«Il y a eu une campagne de
désinformation sur le coup d'Etat
militaire au Mali»
Mercredi 11 avril
2012
Face à la nouvelle
crise malienne, et la précipitation
vertigineuse des événements, plusieurs
questions taraudent les esprits sur ce
nouveau conflit et ses
enjeux. Coup du sort, le Mali, pays
limitrophe de la Libye, fait l’objet
déjà de toutes sortes de supputations.
D’une part, des médias qui nous ont
habitués à leur rôle propagandiste, et
d’autre part, un Occident prédateur aux
visées hégémoniques. Au cœur de cette
équation, d’autres protagonistes
participent à cette nouvelle tragédie
africaine. Cela dit, le peuple malien
va-t-il se laisser emporter par cette
déferlante vague qui a déjà emporté le
peuple libyen ? Va-t-il lutter pour
préserver son pays du chaos ? Afin de
répondre à ces questions, La Nouvelle
République a pris attache avec
l’écrivain, poète et journaliste malien,
Mountaga Fané Kanteka, qui se trouve
actuellement à Bamako.
LA NR/ Au vu des
informations véhiculées par les médias
occidentaux, c’est l’apocalypse au Mali.
D’une part, comment peut-on décrire la
situation qui prévaut actuellement ? ET
d’autre part, quelle a été
la réaction du peuple malien vis-à-vis
de ce coup d’Etat ?
Comme je l’avais mentionné dans un
article, il y a eu toute une campagne de
désinformation autour des putschistes
sur le WEB et sur des médias occidentaux
comme RFI, FRANCE 24 ou LA VOIX DE
L’AMERIQUE, faisant croire que c’était
l’apocalypse au Mali, alors que dans la
réalité, ce n’était guère le cas. A
Bamako, la chute d’ATT a été plutôt bien
accueillie en général, que ce soit par
satisfaction, par soulagement ou par
fatalisme. Le front de partis politiques
protestant contre le putsch a été
largement contrebalancé par
le
Mouvement Populaire 22 MARS,
soutenant les putschistes et bien plus
représentatif de la population.
LA NR/Quelles
seraient d’après-vous les motivations
profondes de ces putschistes ?
Les motivations des putschistes sont
certainement multiples et traduisent un
ras-le-bol général face au laxisme
entretenu par le régime ATT. Mais le
massacre des soldats maliens à Aguelhoc
y est pour beaucoup. Les circonstances
nébuleuses qui entourent cette funeste
tragédie ont servi vraisemblablement de
catalyseur à ce coup de force.
LA NR/ Ce coup d’Etat pourrait-il
constituer un alibi pour une
intervention militaire étrangère ?
La CEDEAO, par la voix du président
béninois Yayi Boni, avait menacé d’une
intervention militaire contre les jeunes
putschistes. Heureusement que nous n’en
sommes pas venus là, sans quoi c’aurait
créé un précédent fâcheux confirmant la
servitude des pays africains vis-à-vis
des diktats occidentaux qui transitent
par des organisations sous-régionales
comme la CEDEAO.
LA NR/D’après-vous,
les militaires qui ont pris le pouvoir
ont-ils les moyens de contrôler la
situation sécuritaire sans subir
d’influence de récupération par
l’Occident ?
Les événements récents nous ont
malheureusement démontré que les
militaires maliens n’ont pas pu résister
à la très forte pression occidentale. Et
c’est bien dommage, parce qu’ils avaient
une occasion toute rêvée d’assainir ce
pays, gangréné par une corruption
innommable, et d’y insuffler du sang
neuf. Cela prouve que ne nous sommes pas
des Etats souverains et que nous sommes
toujours à la merci de l’Occident qui
n’a que faire de nos préoccupations.
LA NR/Dans un passé
récent, on s’est également posé la
question si ces putschistes avaient les
moyens nécessaires pour contenir la
révolte des touaregs et éviter le
démembrement du Mali. Or, vue la
situation actuelle, on est désenchanté.
Sur qui faudrait-il compter pour sauver
le Mali de cette guerre
civile ?
Quoiqu’il en soit, ce n’est pas
seulement sur les militaires qu’il faut
compter pour contenir cette invasion de
bandits touaregs et islamistes. Mais sur
toute la population malienne. Et
croyez-moi, ces bandits touaregs et
islamistes se sont fourrés dans un
guêpier dont ils auront du mal à se
tirer. Ils sont très minoritaires au
Nord du pays et ce ne sont pas leur
arsenal militaire qui pourra venir à
bout du peuple malien. Passés les
premiers moments de surprise et de
débandade, la riposte s’organisera
contre eux pour les bouter dehors ou les
écraser comme des insectes. L’Histoire
se répète, et l’Histoire démontre que
les Touaregs, mus par des forces et des
sentiments obscurs, ne sont jamais
arrivés à prendre le dessus sur le
peuple malien. Et comment le
pourront-ils d’ailleurs ?
S’ils sont intelligents, ils devront
sauter sur la perche tendue par la
CEDEAO pour une éventuelle négociation,
à supposer que leurs revendications
soient négociables. Parce que
l’intégrité territoriale, ce n’est pas
négociable. Et comme je l’ai rappelé
dans un récent article, aucune réalité
sociologique ou historique n’autorise
des rebelles touaregs à revendiquer une
quelconque indépendance au Mali. Si
toutes les composantes ethniques du Mali
devaient agir comme eux, ce pays serait
une mosaïque de petits Etats.
LA NR/
Certains évoquent la reprise du
célèbre
plan d’Alain
Peyrefitte sur la création d´un Etat
pour les Touaregs, chevauchant sur
quatre pays, le Nord du Niger et du
Mali, le sud de l´Algérie, le sud et
l´ouest de la Libye. Partagez-vous cet
avis ?
C’est facile pour ces Occidentaux comme
Alain Peyrefitte de s’asseoir dans leur
salon et échafauder des plans sur le
sort des autres pays. Si c’est si facile
que cela, qu’il commence déjà par la
France en reconnaissant un Etat pour les
Corses, puis pour les Bretons, les
Alsaciens et bien d’autres composantes
ethniques de la France. Et pendant qu’on
y est, pourquoi ne pas attribuer un
territoire aux Roumis ou Gitans
(persécutés en France) qui circulent
entre plusieurs pays européens, comme
c’est le cas avec les Touaregs en
Afrique occidentale? Pourquoi ces
Occidentaux proposent-ils aux autres ce
qu’ils ne sont pas prêts à accepter chez
eux ? Pourquoi croient-ils que nous
sommes voués à être leurs esclaves ?
LA NR/ On suspecte
également la main des services de
renseignements français
dans cette nouvelle crise malienne ?
Etes-vous de cet avis ?
C’est clair que c’est la France qui est
encore en train de tirer les ficelles de
cette soi-disant rébellion qui,
curieusement, se dédouble d’un mouvement
islamiste dirigé par un certain Iyad Ag
Ghali, sans compter la participation
d’AQMI. Un ménage plutôt bizarre. Un
confrère malien affirme avec certitude
que Sarkozy a, en la circonstance,
envoyé au Mali deux logisticiens,
anciens mercenaires habitués de ces
opérations en Afrique. Ils seraient
descendus à Bamako puis se seraient
dirigés vers Hombori pour organiser un
faux enlèvement de ressortissants
européens dans le but de brouiller les
pistes. Et au même moment, la France
aidait des colonnes de Touaregs à
quitter la Libye pour se diriger vers le
Mali, avec armes et bagages, au vu et au
su de l’OTAN. (Voir
Le Reflet du
mardi 03 avril 2012).
Ceci pour dire que nous connaissons les
tenants et les aboutissants de cette
affaire. Ce complot commence déjà à
prendre corps dans les propos de
certaines représentations diplomatiques,
comme celle de la Belgique, parlant de
reconnaissance d’autonomie aux rebelles.
A ce rythme-là, on va bientôt parler d’
« indépendance ». Je les avertis
là-dessus, tout ce qu’ils risquent de
gagner, c’est un génocide comme au
Rwanda. Et ils devront en répondre.
LA NR/Estimez-vous
que la « révolte » des Touaregs contre
l’ex.régime malien est légitime ou
serait-elle dictée par ceux qui veulent
instaurer une nouvelle configuration
géopolitique dans la région du Sahel ?
Au risque de me répéter, il n’y a aucune
légitimité dans cette action dont des
Touaregs ont accepté d’être les
complices. Et ils doivent s’attendre à
en devenir les dindons de la farce. Ils
n’ont que des circonstances aggravantes
à leur actif. Ils ne pourront même plus
jouer au jeu du « groupe minoritaire
persécuté », puisqu’en l’occurrence ce
sont eux les agresseurs, armés jusqu’aux
dents. Agresseurs, criminels de guerre,
pilleurs et violeurs de femmes, comme on
l’a vu notamment à Aguelhoc et à Gao !
Rien à redire !
LA NR/Cette «
gangrène » qui a touché la Libye
(actuellement menacée d’une guerre
civile généralisée), la Côte d’ivoire et
maintenant le Mali, va-t-elle s’étendre
à d’autres pays africains ou s’arrêter à
ce niveau ?
Tant qu’il y aura parmi nous des brebis
galeuses pour prêter le flanc, ces
vautours feront de notre existence un
véritable ergastule. Et ils ne
s’arrêteront jamais d’allumer ou
d’attiser des foyers de tension chez
nous…
LA NR/ Malgré la
situation actuelle, vous êtes de ceux
qui semblent confiants quant au sursaut
d’orgueil des enfants de l’Afrique. Dans
quelle mesure cela pourrait-il déjouer
les complots tramés par les Occidentaux
afin de s’accaparer les richesses
africaines ?
Si les Occidentaux nous manipulent,
c’est que nous sommes manipulables. Et
c’est cela qui fait le plus mal. Le jour
où les soi-disant intellectuels ou
idéologues africains se libéreront de
l’aliénation mentale et de la peur
congénitale vis-à-vis de l’Occident, ces
impérialistes ne pourront plus rien
contre nous. Il serait plus que jamais
temps que nous nous réapproprions notre
histoire et que nous prenions exemple
sur des pays comme le Vietnam qui ont
mis en déroute des puissances
occidentales comme la France et les
États-Unis. Il faut d’abord commencer
par réduire nos rapports de dépendance
vis à vis de l’Occident et les remplacer
par une coopération accrue entre pays
africains et d’autres pays comme le
Brésil, l’Inde, la Chine qui ont presque
la même culture que nous.
Avec les Occidentaux, ça ne marchera
jamais. Ils ont trop de complexes et de
haine à notre égard. L’idéal serait de
définitivement couper les ponts avec
eux. On ne s’en portera que mieux. Non
seulement ils ne nous aident pas comme
ils le prétendent, mais aussi cette
histoire de « mondialisation » n’est
qu’une autre mauvaise farce, une autre
forme d’esclavage se faisant à leur
profit. C’est à nous d’être assez
courageux et assez entreprenants pour
arriver à une nouvelle formulation des
rapports Nord-Sud. Et Dieu sait que nous
sommes en position de force, pourvu que
nous soyons unis. L’Afrique peut vivre
sans l’Occident, mais l’Occident ne peut
vivre sans l’Afrique.
LA NR/Comment
voyez-vous la place de
l’Algérie dans ces conflits qui rôdent
près de ses frontières ?
L’Algérie, compte tenu de son vécu
colonial (sa lutte de libération) et sa
maturité face aux troubles islamistes et
terroristes, peut jouer un rôle central
dans cette affaire. Elle pourrait
coordonner les efforts visant à
éradiquer ce fléau. Le tout est de
savoir où elle place ses intérêts. Parce
que dans cette affaire, on ne sait pas
toujours comment se positionnent les
différents acteurs locaux. Par exemple,
je n’ai jamais compris ce pacte visant à
la démilitarisation du Nord du Mali.
Avec le recul, on se rend compte que
c’était un piège visant à mettre le Mali
à la merci d’une invasion. On ne peut
pas prétendre à une souveraineté, en
laissant les armes de côté. Je ne sais
pas exactement quel rôle l’Algérie a eu
à jouer dans cette initiative de
démilitarisation. Ce qui
est sûr, l’Algérie, tout comme les
autres États voisins, n’a pas intérêt à
ce que la situation pourrisse au Mali.
Car, une fois le Mali déstabilisé, c’est
toute la zone qui est menacée. Les
Touaregs ne sont que des bras armés
d’une politique de déstabilisation
manigancée par l’Occident.
Entretien réalisé par Chérif Abdedaïm,
La Nouvelle République du 11 avril 2012
Publié sur
La Nouvelle République
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