Le
pouvoir du courage fut l’un des sujets à l’ordre du jour de
l’atelier intensif organisé récemment à Paris par le réseau
Présence musulmane en vue d’amorcer une réflexion sur le dernier
livre de Tariq Ramadan : Islam, la réforme radicale, éthique et
libération.
Nous avions la chance de profiter de la présence de l’auteur qui
nous a expliqué d’entrée de jeu qu’on ne pourra conduire à terme
le processus de réforme qu’en se mettant en rapport avec le
monde. C’est de cette façon que la réforme trouvera son sens et
que nous pourrons répondre ultimement à l’appel de notre
Créateur. Le concept de « réforme » ne devrait donc pas être
étranger aux musulmans.
L’ouvrage du Tariq Ramadan souligne deux importants problèmes du
monde musulman qui entravent tout effort de réforme.
Le premier problème en est un de leadership. Il est rare de voir
les savants musulmans débattre ensemble d’un enjeu ou mener une
réforme. Ils se satisfont plutôt de discussions dans leur cercle
fermé. Plutôt que d’être au service de la communauté, ils en
sont les bénéficiaires.
Le deuxième défi vient de ce que les musulmans ne prennent pas
leurs responsabilités. N’ayant pas une vision claire de leur
avenir, ils ne peuvent ni se réformer, ni réformer leur
société ; ils ne font que s’adapter et réagir aux événements à
mesure qu’ils surviennent. Récepteurs passifs de l’information,
ils sont en admiration devant les savants, souvent pour leur
seul charisme ou l’émotion qu’ils suscitent dans une foule.
En soulevant ces problèmes, l’occasion était propice pour lancer
un appel audacieux aux communautés musulmanes : « Demandez des
comptes aux savants et mettez-les au défi de tester le pouvoir
du courage. » C’est-à-dire, faites-leur comprendre qu’ils ont
besoin de nouveaux outils pour alimenter leur réflexion, pour
faire face aux problèmes actuels, pour être à l’écoute de leur
communauté et pour faire preuve de créativité dans la recherche
de solutions.
À ces propositions, certains groupes répondent : « Sommes-nous
prêts ? » Cette question est potentiellement dangereuse, parce
qu’elle cherche à court-circuiter le processus de la pensée
critique dont la réforme a un pressant besoin. L’atmosphère de
certaines de nos communautés est devenue tellement bizarre que
le simple fait de questionner est perçu comme de l’hérésie.
La Réforme va encore plus loin en affirmant que « cette absence
de débat critique serein est un des maux qui paralysent la
pensée islamique contemporaine. » Par exemple, lorsque Tariq
Ramadan a lancé l’Appel international à un moratoire sur les
châtiments corporels, la lapidation et la peine de mort dans le
monde musulman, plusieurs savants étaient d’accord, mais un seul
d’entre eux a eu le courage de l’exprimer publiquement ; la
majorité croyait que la communauté n’était pas prête.
La participation à ce séminaire m’a fait comprendre que la
pensée critique est essentielle à une réforme personnelle et
qu’elle participe aux valeurs et décisions de individu. Les gens
ayant une pensée critique posent des questions, ils avancent des
réponses qui remettent en question le statu quo, ils
questionnent les croyances fondées sur la tradition et ils
mettent à l’épreuve les doctrines reçues.
D’après Joel Westheimer de la Chaire de recherche du Canada en
éducation et en démocratie de l’Université d’Ottawa, la pensée
critique c’est « chercher l’origine d’un problème dans la
société et réfléchir à des moyens de le solutionner ».
Toutefois, des recherches montrent que cette pensée critique ne
fait pas seulement défaut dans la communauté musulmane, mais
dans toute la société.
La plupart des universités n’arrivent pas à nourrir la pensée
critique. Par exemple, une étude échelonnée sur trois ans et
menée auprès de 68 collèges de la Californie, autant publics que
privés a révélé que bien qu’une importante majorité (89 %) pense
que la pensée critique constitue l’objectif premier de leur
éducation, seulement une petite minorité (19 %) pouvait en
donner une définition claire.
Une recherche des origines de la pensée critique nous amènera
inévitablement à notre Créateur et Maître qui nous y invite. En
effet, le Coran exhorte constamment les humains à penser, à
méditer, à réfléchir et à questionner les signes de l’univers et
les merveilles de leur propre création.
« C’est ainsi que Dieu vous expose clairement ses versets,
peut-être comprendrez-vous. »(2 : 242).
« Certes dans tout cela il y a des signes pour des gens qui
méditent. » (13 : 3).
J’ai récemment été témoin de la façon dont des musulmans ont
tenté de solutionner un problème en faisant preuve d’esprit
critique tout en offrant le pouvoir du courage à l’autorité en
place.
Au moment de lancer le processus devant mener au choix du nouvel
imam pour la mosquée principale d’Ottawa, des jeunes voulaient
faire en sorte que le candidat choisi serait natif du pays et
qu’il pourrait comprendre le texte et le contexte. Frustrés, les
jeunes ont avoué avoir tenté plusieurs fois d’engager le
dialogue avec le conseil d’administration de la mosquée. N’ayant
pas réussi, ils ont lancé en ligne une pétition qui a recueilli
des centaines de signatures.
Malgré tout cela, la mosquée a ignoré la suggestion faite par
les jeunes et elle a fait venir d’Égypte un imam âgé de 37 ans
pour occuper le poste. Les jeunes étaient tellement frustrés par
cette décision qu’ils ont envoyé au Ottawa Citizen un courriel
intitulé « Un appel de détresse par une voix ignorée : les
jeunes musulmans d’Ottawa. »
Il est déplorable que ce débat ait eu à se retrouver dans les
médias pour que les représentants de la mosquée lui portent
attention ; l’imam se trouve maintenant dans une situation très
délicate.
Ceci n’est qu’un cas parmi tant d’autres qui illustre que le
chemin de la réforme sera un processus long et ardu qui exigera
un engagement personnel ainsi que le pouvoir du courage de la
part, à la fois, des savants et des communautés qu’ils
desservent.
Traduit par Suzanne Touchette
Source :
Presence Musulmane Ottawa