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Politique
Commedia
dell'matamore
Philippe Randa
Philippe Randa
Jeudi 17 janvier 2008
Connaissez-vous la différence entre un commerçant
et un Ministre de l’Intérieur ? L’un et l’autre livrent des
batailles, mais, selon leurs fonctions respectives, perdues ou
gagnées d’avance.
Gérant de Bar-Tabac au hameau du Dresny, à Plessé –pour ceux
qui l’ignoreraient, c’est près de Nantes – Joël Lailler
annonçait depuis des semaines qu’il braverait le décret
anti-tabac dans les lieux publics. Il l’a dit, il l’a fait. La
maréchaussée l’a donc verbalisé. C’était couru d’avance
et on ne peut guère lui reprocher sa rigueur : c’est tout de même
son devoir de faire respecter une loi, quoi qu’on puisse penser
de celle-ci.
Verbalisé tout comme son client fumeur, le commerçant annonce désormais
qu’il va entamer une grève de la faim. Ce, à l’intérieur de
sa 2 CV, garée derrière son commerce qui restera fermé le temps
nécessaire pour qu’il se les gèle suffisamment et arrête sa
comédie.
Comédie qui lui vaut toutefois une brève renommée nationale,
peut-être même internationale ; pour faire parler de soi, tout
est bon et à Joël Lailler, personne n’avait sans doute présenté
de top model… Sinon, s’il avait eu le choix, n’est-ce pas…
Le bar-tabactier en révolte ne fait donc pas la « une »
permanente de tous les journaux, mais a quand même gagné « son
quart d'heure de célébrité », celui auquel peut désormais prétendre
chacun de nous grâce à la télévision, ainsi que l’a fort
bien annoncé Andy Warhol en son temps.
« Je sais que mon action dérange en haut lieu. Les médias
s’intéressent à moi», clame haut et fort le héros du
Dresny à Plessé (près de Nantes, rappelez-vous).
Il brandit pour preuve une pétition et compte avec gourmandise
les signatures de soutien. Nul doute que celle-ci finisse bientôt
encadrée au-dessus de son comptoir, entre l’affiche sur la réglementation
de l’alcool obligatoire dans tous les débits de boisson et
l’inévitable calendrier annuel des PTT.
Il y a des batailles perdues d’avance, aussi inutiles que
grotesques et sans doute inutiles parce que justement grotesques.
Certains matamores se complaisent à les livrer, peut-être parce
que la certitude de l’échec annoncé les rassure quelque part.
Ils ont l’impression d’exister à peu de frais, sans éprouver
d’angoisse aucune quant au résultat. Et pour cause ! Il paraît
que ce qui est inutile est plus beau, tous les loosers vous le
confirmeront.
La délinquance aurait reculé de 3,7 % en 2007, selon les
chiffres du ministère de l’Intérieur ; Madame la matamore de
l’Intérieur Michèle Alliot-Marie n’a pas oublié de le
rappeler en présentant ses vœux à la presse, mercredi 16
janvier : « Pour moi, ces évolutions favorables ne sont ni
le fait du hasard, ni le fait de la chance, c'est le résultat du
travail de terrain », a-t-elle estimé.
C’est qu’il est à l’évidence moins hasardeux de faire
respecter les lois de la République au hameau du Dresny, à Plessé
(c’est près de Nantes, n’oubliez pas) et d’y déployer
toute l’autorité de nos pandores… que dans quelques zones
plus turbulentes de nos grandes métropoles. La victoire y est là
gagnée d’avance.
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