3 décembre 2008
Certains s’attendaient à ce
que Barack Obama, nouveau président des Etats-Unis, nomme une
équipe économique profondément renouvelée afin de mettre en
œuvre un New Deal. Obama allait changer le
capitalisme, à défaut de l’abolir, et procéder à une nouvelle
vague de régulation de l’économie. Mais en fait, Obama a choisi
les plus conservateurs parmi les conseillers démocrates, ceux-là
mêmes qui ont organisé la déréglementation forcenée quand Bill
Clinton était président à la fin des années 1990. La cohérence
de son choix, à travers trois noms emblématiques, est
révélatrice.
Premier en
piste, Robert Rubin est secrétaire
au Trésor entre 1995 et 1999. Dès son arrivée, il est confronté
à la crise financière au Mexique, premier grand échec du modèle
néolibéral dans les années 1990. Par la suite, il impose avec le
FMI un traitement de choc qui aggrave les crises survenues en
Asie du Sud-Est en 1997-98, puis en Russie et en Amérique latine
en 1999. Rubin ne doute toujours pas des bienfaits de la
libéralisation et il contribue résolument à imposer aux
populations des pays émergents des politiques qui dégradent
leurs conditions de vie et augmentent les inégalités. Aux
Etats-Unis, il pèse de tout son poids pour obtenir l’abrogation
du Glass Steagall Act, ou
Banking Act, en place depuis 1933, qui a notamment déclaré
incompatibles les métiers de banque de dépôt et de banque
d’investissement. La porte est alors grande ouverte pour toutes
sortes d’excès de la part de financiers avides de profits
maximums, rendant possible la crise internationale actuelle.
Pour boucler la boucle, cette abrogation du
Banking Act permet la fusion de Citicorp
avec Travelers Group pour former le géant
bancaire Citigroup. Par la suite, Robert
Rubin devient l’un des principaux responsables de
Citigroup… que le gouvernement des
Etats-Unis vient de sauver dans l’urgence en novembre 2008 en
garantissant pour plus de 300 milliards de dollars d’actifs !
Malgré cela, Rubin est l’un des principaux conseillers de Barack
Obama.
Deuxième personnalité en scène,
Lawrence Summers hérite pour sa
part du poste de directeur du Conseil économique national de la
Maison Blanche. Son parcours comporte pourtant un certain nombre
de taches qui auraient dû être indélébiles… En décembre 1991,
alors économiste en chef de la Banque mondiale, Summers ose
écrire dans une note interne : « Les pays
sous-peuplés d’Afrique sont largement sous-pollués. La qualité
de l’air y est d’un niveau inutilement élevé par rapport à Los
Angeles ou Mexico. Il faut encourager une migration plus
importante des industries polluantes vers les pays moins
avancés. Une certaine dose de pollution devrait exister dans les
pays où les salaires sont les plus bas. Je pense que la logique
économique qui veut que des masses de déchets toxiques soient
déversées là où les salaires sont les plus faibles est
imparable. [...] L’inquiétude [à propos des agents toxiques]
sera de toute évidence beaucoup plus élevée dans un pays où les
gens vivent assez longtemps pour attraper le cancer que dans un
pays où la mortalité infantile est de 200 pour 1 000 à cinq ans |1| ».
Il ajoute même, toujours en 1991 : « Il n’y a
pas de [...] limites à la capacité d’absorption de la planète
susceptibles de nous bloquer dans un avenir prévisible. Le
risque d’une apocalypse due au réchauffement du climat ou à
toute autre cause est inexistant. L’idée que le monde court à sa
perte est profondément fausse. L’idée que nous devrions imposer
des limites à la croissance à cause de limites naturelles est
une erreur profonde ; c’est en outre une idée dont le coût
social serait stupéfiant si jamais elle était appliquée |2|
». Avec Summers aux commandes, le capitalisme productiviste
a un bel avenir.
Devenu secrétaire au Trésor sous
Clinton en 1999, il fait pression sur le président de la Banque
mondiale, James Wolfensohn, pour que celui-ci se débarrasse de
Joseph Stiglitz qui lui a succédé au poste d’économiste en chef
et qui est très critique sur les orientations néolibérales que
Summers et Rubin mettent en œuvre aux quatre coins de la planète
où s’allument des incendies financiers. Après l’arrivée de
George W. Bush, il poursuit sa carrière en devenant président de
l’université de Harvard en 2001, mais se signale
particulièrement en février 2005 en se mettant à dos toute la
communauté universitaire après une discussion au Bureau national
de la recherche économique (NBER) |3|.
Interrogé sur les raisons pour lesquelles on retrouve peu de
femmes à un poste élevé dans le domaine scientifique, il affirme
que celles-ci sont intrinsèquement moins douées que les hommes
pour les sciences, en écartant comme explications possibles
l’origine sociale et familiale ou une volonté de discrimination.
Cela provoque une grande polémique |4|
tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’université. Malgré ses
excuses, les protestations d’une majorité de professeurs et
d’étudiants de Harvard l’obligent à démissionner en 2006.
Si sa responsabilité dans la
situation actuelle n’est pas encore avérée, sa biographie
consultable sur le site de l’université de Harvard au moment de
sa présidence affirme qu’il a « dirigé l’effort
de mise en œuvre de la plus importante déréglementation
financière de ces 60 dernières années ». On ne saurait être
plus clair !
Troisième personnalité choisie
par Obama, Timothy Geithner vient
d’être nommé secrétaire au Trésor. Actuellement président de la
Banque centrale de New York, il a été sous-secrétaire au Trésor
chargé des Affaires internationales entre 1998 et 2001, adjoint
successivement de Rubin et Summers, et actif notamment au
Brésil, au Mexique, en Indonésie, en Corée du Sud et en
Thaïlande, autant de symboles des ravages de l’ultralibéralisme
qui ont connu de graves crises durant cette période. Les mesures
préconisées par ce trio infernal ont fait payer le coût de la
crise aux populations de ces pays. Rubin et Summers sont les
mentors de Geithner. Aujourd’hui, l’élève rejoint ses maîtres.
Nul doute qu’il va continuer à défendre les grandes institutions
financières privées, sourd aux droits humains fondamentaux,
bafoués aux Etats-Unis comme ailleurs suite aux politiques
économiques qu’il défend avec véhémence.
Prétendre re-réguler une
économie mondiale déboussolée en donnant les leviers de décision
à ceux qui l’ont dérégulée aux forceps revient à vouloir
éteindre un incendie en faisant appel à des pompiers pyromanes.
Notes:
|1|
Des extraits ont été publiés par The Economist (8 février
1992) ainsi que par The Financial Times (10 février 1992)
sous le titre « Préservez la planète des économistes ».
|2|
Lawrence Summers, à l’occasion de l’Assemblée annuelle de la
Banque mondiale et du FMI à Bangkok en 1991, interview avec
Kirsten Garrett, « Background Briefing », Australian
Broadcasting Company, second programme.
|3|
Financial Times, 26-27 février 2005.
|4|
La polémique a été également alimentée par la désapprobation
de l’attaque lancée par Summers contre Cornel West, un
universitaire noir et progressiste, professeur de Religion
et d’études afro-américaines à l’université de Princeton.
Summers, pro-sioniste notoire, dénonça West comme antisémite
parce que celui-ci soutenait l’action des étudiants qui
exigeaient un boycott d’Israël tant que son gouvernement ne
respecterait pas les droits des Palestiniens. Voir Financial
Times du 26-27 février 2005. Aujourd’hui, Cornel West, qui a
soutenu Obama avec enthousiasme, s’étonne que celui-ci se
soit entouré de Summers et de Rubin. Voir
www.democracynow.org/2008/11/19/cornel_west_on_the_election_of