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Asia Times Online

Poutine président … des Etats-Unis !
Spengler


Vladimir Poutine - Photo RIA Novosti

Le 8 janvier 2008

Survolant la vaste plaine russe en 1944, le futur président français, Charles de Gaulle, a maudit le destin qui avait fait de lui un Français ; si seulement il pouvait diriger un pays de la taille de la Russie, a-t-il songé, pensez à ce qu'il pourrait accomplir ! Une pensée similaire a dû venir à l'esprit de Vladimir Poutine, le leader politique le plus talentueux de notre époque ; que n'aurait-il fait à la barre de l'unique superpuissance du monde, au lieu de sauver l'immense carcasse de l'Empire Soviétique vaincu ! Pourquoi ne pas lui donner une chance ? Lorsque l'on regarde la dernière série de débats politiques américains, il m'est venu à l'esprit qu'il est temps de sortir un joker du chapeau.

Poutine va finir son deuxième mandat présidentiel russe au début de 2008, juste au moment où un nouveau président américain s'apprêtera à entrer à la Maison-Blanche. Il reste plein de temps pour le naturaliser comme citoyen américain et amender la constitution pour autoriser l'élection d'un président né à l'étranger. L'alternative est d'élire une autre incarnation du type politique qui a conduit l'Amérique vers les problèmes en premier lieu.

Selon la phrase célèbre attribuée à l'homme d'Etat Otto von Bismarck, "Dieu a une providence spéciale pour les fous, les alcooliques et les Etats-Unis d'Amérique". Je ne ferai qu'une seule prévision pour la nouvelle année, à savoir que Dieu va prendre des vacances, du moins en ce qui concerne l'Amérique. L'année qui vient de s'écouler pourrait être vue, selon toutes les normes, comme l'annus horribilis de l'Amérique, c'est à dire toutes les normes à l'exception de celle de 2008, qui sera la pire année pour les Etats-Unis depuis 1980, lorsque Jimmy Carter a quitté le pouvoir. Tout ce qui pouvait aller de travers dans la politique américaine est allé de travers, mais pas autant qu'elle ira de travers aujourd'hui. Comme en 1980, une administration en fin de parcours sera confrontée à des revers économiques et stratégiques. Mais c'est bien pire qu'en 1980, car il n'y a pas de Ronald Reagan qui attend pour remettre les choses en place.[1].

L'Amérique a besoin de leadership et aucun des candidats disponibles ne peut l'apporter. Les politiciens ont prévalu durant la dernière génération en flattant la complaisance américaine. C'est précisément le contraire qui est nécessaire. Poutine a la fermeté requise, avec un seul défaut important : c'est un sale type. Son mouvement de la jeunesse, Nashi (le nôtre) devrait effrayer quiconque connaît l'histoire politique du 20ème siècle.

Mais une fois encore, nul n'est parfait. La Russie n'est pas un pays de tendres. Et la méchanceté de Poutine est à côté du sujet. Washington a délibérément mal compris les besoins les plus basics de la Russie[2]. Aucun dirigeant russe n'aurait pu survivre sans avoir fait plus ou moins ce que Poutine a fait.

Tandis que son prédécesseur Boris Eltsine a conduit la Russie à la faillite et au chaos, Poutine a restauré l'économie de la Russie et sa stature internationale, sur la force d'une intuition : le peuple russe était le problème. Après des siècles de brutalité tsariste et trois générations de terreur communiste, le peuple russe était devenu une populace passive incapable de défendre ses intérêts. Eltsine avait permis à un nuage de sauterelles de dévorer ce qui restait de l'économie russe.

Par des moyens radicaux et extralégaux, Poutine a reconquis pour son Etat l'économie de la Russie, se créant un énorme corps d'ennemis riches prêts à subventionner tout politicien occidental désireux de l'attaquer. Ainsi que je l'avais écrit il y a un an (Russia's Hudna with the Muslim world, 21 février 2007 [La trêve russe avec le monde musulman), "Le seul leadership qui reste en Russie par le terrible processus de sélection négative du système communiste sont les anciens gardiens secrets de l'Etat, des hommes dont la position unique nécessitait qu'ils vivent par leur esprit".

Pendant ce temps-là, les Américains ont rencontré l'ennemi et c'était eux. L'Amérique a surfé sur une vague de puissance et de prospérité qui a duré un quart de siècle depuis que le Président Reagan a remporté la Guerre Froide et fait redémarrer l'économie. Dans les années 80, l'Amérique était le seul modèle qui pouvait être imité et elle constituait un aimant pour les flux mondiaux de capitaux. Les marchés américains de capitaux étaient si convaincants qu'à la fin des années 90, presque toutes les économies disponibles dans le monde cherchaient asile en Amérique. En 2007, un trillion de dollars de capital étranger s'est déversé sur les marchés américains.

Les Américains n'avaient plus besoin d'économiser : le reste du monde le faisait pour eux et leur prêtait de l'argent aux plus bas taux d'intérêt depuis un demi-sièclee. Les Américains n'avaient plus besoin d'étudier : des ingénieurs venant d'Inde ou d'Argentine programmaient leurs ordinateurs. Et les Américains n'étaient plus confrontés à de défi stratégique : après la mort de l'Union Soviétique, comme le croyait Washington, l'Amérique n'avait besoin que d'exporter l'image d'elle-même. De toutes les grandes illusions de l'ère de l'après-Guerre Froide, celle-ci s'est avérée être la plus pernicieuse.

A l'instar de l'Asie émergente du milieu des années 90, les Américains utilisaient du capital étranger bon marché pour faire de la spéculation immobilière un passe-temps national. Et comme l'Asie en 1997, il n'y a pas d'autre remède que de laisser la glissade insupportable des prix des actifs suivre son cours, jusqu'à ce que les cigales apprennent à travailler et à économiser comme les fourmis.(Western grasshoppers and Chinese ants, 7 sept. 2007) [Les Cigales Occidentales et les Fourmis Asiatiques]. Les Américains sont plus pauvres à la fin de 2007 qu'ils ne l'étaient un an auparavant et, à la fin de 2008, ils le seront encore plus. Ils seront redevables aux Etats du Golfe, à Singapour, à la Chine, à la Russie ou à quiconque pourra recapitaliser un système bancaire qui pourrait déjà être techniquement insolvable. Ils importeront moins et les économies asiatiques souffriront.

Des millions et des millions de personnes qui étaient riches sur le papier il y a un an se retrouveront sans un sou d'ici à la fin de l'année 2008. Dans les Etats américains où les prix des maisons ont augmenté le plus vite - la Californie, la Floride, l'Arizona et le Nevada - les prix ont chuté de près d'un tiers au cours de l'année dernière jusqu'au 30 septembre. Les prix des actions américaines ont déjà chuté de 10% depuis octobre dernier. Les valeurs des résidences, comme les actions, risquent de chuter encore fortement avant que le massacre ne soit terminé.

L'économie américaine a imité la pièce absurde de Samuel Beckett En Attendant Godot, dans laquelle rien ne se produit, deux fois. La première occasion où rien ne s'est produit fut la bulle des valeurs technologiques de 1997-2000. Les Américains se sont engagés dans un délire collectif pensant qu'une richesse infinie serait créée sur Internet au moyen du shopping et des divertissements salaces. Il est possible que si quelqu'un avait perfectionné le sexe-virtuel, la bulle boursière se serait peut-être poursuivie, mais la déception concomitante à la fin du délire divisa par deux la valeur des actions américaines.

La deuxième occasion où rien ne s'est produit fut, bien sûr, le désastre actuel des subprime. Le monde a appris qu'il était dangereux d'acheter les valeurs américaines à risque et a choisi à la place d'en acheter des sûres. Le problème était que dans son ensemble, le public américain s'était engagé dans un comportement extrêmement risqué, c'est à dire en faisant monter les enchères sur les maisons avec du crédit bon marché. Les banques et les agences de notation du crédit déclarèrent qu'un panier d'actifs très risqués pouvait être transformé en actif très sûr, en vendant une partie du risque aux spéculateurs. Cet exercice s'est avéré tomber quelque part entre le délire et le frauduleux, alors que les actifs subprime, notés AA, la deuxième meilleure note, s'échangent désormais à 40% de leur prix d'émission.

On peut toujours excorier les régulateurs qui ont laissé ceci arriver ou les banques qui ont empoché de juteuses commissions sur les marchés, mais le conducteur de la bulle internet et de la bulle des subprime était le même : le désir des Américains d'obtenir quelque chose pour rien. Les Américains ont confondu l'aubaine momentanée qui a suivi la révolution reaganienne avec la "petite table couvre-toi" [Tischlein-Deck-Dich], la table magique du conte des frères Grimm qui dresse un repas merveilleux sur commande.

La même envie pour le narcissisme national a provoqué les revers stratégiques américains. Le reste du monde, selon le raisonnement de Washington, a seulement besoin d'être comme nous pour vivre dans le bonheur. Jusqu'à ce que le fantôme de James Baker III prenne le contrôle de Washington il y a un an, par l'intermédiaire de l'installation de Robert Gates au poste de Ministre de la Défense, la politique américaine était entre les mains des Apprentis Sorciers des années Reagan. L'Amérique détenait la formule magique des années 80, pensaient-ils, et la seule chose qu'ils avaient à faire était de saupoudrer les pays récalcitrants de Poussière Magique de la démocratie pour les faire voler.

Pour soutenir son projet irakien raté jusqu'aux élections de novembre, Washington a fait des concessions matérielles à l'Iran et à la Syrie, ses pires ennemis. En échange de la restriction de leur soutien aux insurrections irakiennes qu'ils ont couvées depuis le début, l'Iran a un sauf-conduit pour continuer à enrichir l'uranium et la Syrie a la main libre sur le Liban. L'Amérique a juré qu'elle ne permettrait jamais le développement nucléaire de l'Iran et qu'elle supprimerait la milice fantoche irano-syrienne du Hezbollah au Liban. Elle n'a fait ni l'un ni l'autre.

En soutenant les Islamistes en Turquie comme force pour la démocratie, Washington s'est gagné le mécontentement des Islamistes, en même temps que l'inimitié des laïcs qui se sentent trahis (Why does Turkey hate America? , 23 oct. 2007) [Pourquoi la Turquie déteste-t-elle l'Amérique ?]. Mais rien n'est comparable à l'humiliation de l'Amérique au Pakistan. Après avoir envoyé la malheureuse Benazir Bhutto à la mort en tant qu'instrument de la démocratie américaine, Washington n'a pas d'autre choix que de s'accrocher très fort au Président Pervez Musharraf, dont tout le monde, depuis Hillary Clinton jusqu'au chauffeur de taxi qui m'a conduit à l'aéroport, est persuadé de sa complicité dans l'assassinat de Bhutto.

La "guerre mondiale contre la terreur" a donné naissance aux monstres islamistes en Turquie, au Pakistan, au Liban, à Gaza et en Irak. Les soi-disant révolutions colorées sont mort-nées. La Révolution du Cèdre au Liban n'a eu aucune vertu sauf que le Département d'Etat le "cédera" à la Syrie. Mais l'acte le plus stupide et le plus destructeur de la diplomatie américaine des sept dernières années a été la Révolution Orange en Ukraine, car elle a persuadé Poutine de ne plus jamais faire confiance aux Occidentaux, quelles que soient les circonstances.

Poutine comprend comment s'exerce le pouvoir. Contrairement à l'Irak, la province musulmane rétive de Tchétchénie repose désormais confortablement dans la paume de Poutine, bien qu'avec environ la moitié de sa population d'il y a dix ans. Les troupes russes ont tué entre 35.000 et 100.000 civils au cours de la première guerre de Tchétchénie de 1994-96, et un demi-million de personnes ont été déplacées, totalisant environ la moitié de la population. Mais ce n'est pas ce qui a pacifié la Tchétchénie. Poutine a soudoyé et intimidé les clans tchétchènes pour qu'ils fassent le sale boulot de la Russie, se révélant ainsi maître au jeu de la division et de la conquête. Travaillant à partir d'une position de faiblesse, le président russe est le plus proche dans le monde moderne du génie stratégique insidieux du Cardinal Richelieu.

C'est la sorte de pensée stratégique dont l'Amérique a besoin. Donc mon soutien pour le prochain président des Etats-Unis va à Vladimir Poutine.

Dernière remarque - Poutine ne parle pas beaucoup l'anglais. Mais cela ne devrait pas le disqualifier : George W Bush non plus.

Notes :

[1] [NdT] Le mythe des Années Reagan est tenace. Une analyse détaillée de ses deux mandats est parfois nécessaire pour rétablir la vérité. On lira avec grand intérêt "Les Années Reagan", de Steve Kangas.

[2] Voir : "Ce qu'ils n'ont pas dit à Kennebunkport" (3 juillet 2007)

article original : "Putin for president ... of the United States"

 

Copyright 2008 Asia Times Online Ltd/Traduction : JFG-QuestionsCritiques
Publié le 10 janvier 2008 avec l'aimable autorisation de Questions Critiques



Source : Questions Critiques  
http://questionscritiques.free.fr/...


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