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Affaires Stratégiques

Obama, les mollahs et le big bargain
François-Bernard Huyghe


François-Bernard Huyghe - Photo IRIS

19 novembre 2008

Le nouveau président des États-Unis est confronté, comme il l’a assez lucidement reconnu, à un problème de billard à trois bandes : Irak, Afghanistan, Pakistan (et il se pourrait bien que l’autre joueur soit l’Iran). Le candidat Obama a annoncé son intention de retirer les troupes US d’Irak et de mettre fin à une guerre qu’il avait désapprouvée. Certes. Mais lundi dernier, le ministre irakien des Affaires étrangères, Hoshyar Zebari, et l’ambassadeur américain en Irak, Ryan Crocker ont signé un accord de sécurité longuement négocié, le SOFA (Accord sur le statut des forces américaines en Irak).

Il dit en substance que les troupes américaines qui ne tiennent déjà plus que deux provinces irakiennes se retireront sur leurs camps d’ici au 30 juin 2009 et quitteront le pays au 31 décembre 2011. C’est une base légale à la présence US, dans la mesure où le mandat du conseil de sécurité de l’ONU expire le 31 décembre prochain.

Mais cela signifie qu’en tout état de cause - peut-être un peu plus tôt avec Obama et peut-être eût-ce été un peu plus tard si Mc Cain avait gagné -, les troupes US doivent partir et laisser se débrouiller sunnites, chiites et indépendantistes kurdes. Tout cela après avoir armé cent mille miliciens, en principe chargés de lutter contre al Qaïda, c’est à dire après avoir créé des armées tribales et en courant le risque que le pays passe totalement ou partiellement sous influence iranienne. Dans tous les cas, changer de calendrier n’est pas toujours changer de politique. Obama l’a souligné, l’action principale se déroule en Afghanistan où, de l’aveu de nombreux experts l’Otan est en train de perdre. Comme par hasard, le président Ahmid Karzaï dont le mandat se termine l’an prochain, se manifeste en déclarant simultanément qu’il est prêt à négocier avec le mollah Omar et que la cause des ennuis de son pays sont à chercher hors de ses frontières. Dans un article repris par la presse internationale, y compris le Figaro, il pointe du doigt à la fois le financement international du jihadisme (comprenez l’Arabie Saoudite) et le laxisme du voisin pakistanais (tout en espérant que le nouveau président va être plus motivé pour nettoyer les zones tribales). Voilà qui ressemble à un appel du pied.

 

De leur côté, les Américains - et notamment des think tanks proches d’Obama comme le Brookings - recommandent un renforcement considérable de l’armée afghane (actuellement de 130.000 hommes), celui des troupes de l’Otan (donc un effort croissant des alliés des USA) et l’affectation de nouvelles ressources pour soutenir le gouvernement afghan. Mais il faudrait aussi le réformer ; l’impopularité et la corruption du gouvernement Karzaï sont des thèmes récurrents, sans parler du problème de la culture de l’opium. Résoudre tous cela à la fois en période de crise économique grave et aider à créer un État afghan fort, légitime et populaire (sans discréditer encore davantage son gouvernement en le faisant apparaître comme le collaborateur des étrangers) semble une mission presque impossible. Si l’idée des néo-conservateurs de propager la démocratie à coups de missiles s’est révélée une erreur, il ne faudrait pas la remplacer par une pensée magique version démocrate : quelques crédits, des incitations à adopter le multiculturalisme, le développement durable et la transparence et on repasse le mistigri aux sympathiques démocrates locaux.

Obama tentera-t-il cette solution d’afgahnisation ou une de ses variantes (une « tribalisation » à l’irakienne, selon la méthode du général Petraeus ) ? En aura-t-il les moyens et avec quel gouvernement afghan ? Ou choisira-t-il la négociation avec les talibans en soutenant une initiative de Karzaï ? Difficile de croire, dans tous les cas qu’on ne songera pas à discuter avec des talibans « présentables » (mais comme même eux font du départ de l’Otan un préalable à tout accord, les choses commencent mal). Par ailleurs, on imagine mal un tel processus sans s’assurer que le Pakistan a un pouvoir assez fort pour régler le problème de ses propres talibans (et de la zone de sanctuaire dont bénéficient les combattants afghans). L’actuel président pakistanais répond assez mal au profil du job pour dire le moins. Alors ? Obama est-il sérieux lorsqu’il envisage une intervention sur le territoire pakistanais : il nous semble que l’on devrait réfléchir une petite seconde avant de bousculer une puissance atomique peuplée de pas loin de 170 millions de musulmans.

 

Faut-il fuir le problème par le haut ? Et tout conditionner au grand marchandage, le « big bargain » dont parlent de plus en plus les médias US ? Avec Ahmaninedjad ou son successeur s’il n’est pas réélu en juin. On voit bien ce que les USA pourraient chercher à obtenir de l’Iran : la fin de l’enrichissement de l’uranium, et la fin du soutien au Hezbollah, aux milices chiites en Irak et aux groupes terroristes, une action pacificatrice dans toute la région. Mais qu’offrir en échange ? De mettre fin aux menaces militaires et aux sanctions, c’est à dire ce qui s’est montré inefficace jusqu’à présent ? Promettre aux Iraniens de les réintégrer dans la communauté internationale ? Et d’ailleurs, Obama voudra-t-il vraiment négocier ainsi avec l’Iran au risque d’irriter Israël à qui il a donné beaucoup de gages, - verbaux en tout cas - au cours de sa campagne ? Si comme la rumeur en court avec insistance, le successeur de Condoleeza Rice était Dennis Ross, signataire d’un manifeste en faveur d’une ligne dure face à l’Iran, la chose perdrait de sa vraisemblance. Et Obama lui-même a souligné que l’enrichissement de l’uranium par l’Iran était inacceptable et qu’il n’irait pas à la table de négociation en excluant l’option militaire.

 

Que conclure de ce qui précède ? Comme, dans le même temps le Sunday Times prête à Obama un plan ambitieux de relance du processus de paix au Proche-Orient (reconnaissance d’Israël versus retrait sur les frontières de 1967) plus un projet de renégociation avec la Russie, on se demande où s’arrêtera cette escalade du « grand bargaining » et si tout le monde n’est pas en train de fantasmer sur une politique étrangère qui sera d’abord pragmatique. Ah si ! Il y a un sujet sur lequel personne ne prête à Obama l’intention de tout renégocier. Allez faire un tour sur le site du nouveau président (www.change.gov) : vous y découvrirez qu’une de ses priorités est de « renouveler leadership global américain », mais vous n’y trouverez pas le mot « Europe ». No bargain ?

François-Bernard Huyghe, chercheur associé à l’IRIS.
Docteur d’État en Sciences Politiques
Habilité à diriger des recherches en Sciences de l’Information et Communication
Intervient comme formateur et consultant



Source : Affaires Stratégiques
http://www.affaires-strategiques.info/...


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