Ces élections sont donc perçues par beaucoup comme une élection où « tout est possible ». L’absence de sortant fait émerger de nouveaux candidats jusque-là souvent inconnus de l’opinion publique, ce qui explique la grande attention qui leur est dès à présent portée. Il y a toutefois une exception notable : Hillary Clinton. En comparaison avec tous les autres prétendants, elle seule peut faire figure de « sortante ». Sa notoriété lui donne une longueur d’avance, la rend légitime aux yeux de l’opinion publique qui a tendance à offrir une prime au sortant. Hillary Clinton rassure. Sa candidature crée une impression de continuité par rapport au mandat de son mari, mettant entre parenthèses les huit années Bush. Mais cela suffira-t-il à faire d’elle la première Présidente des Etats-Unis ?
A cinquante jours du début des Primaires (elles débutent le 3 janvier dans l’Iowa), les stratégies se précisent chez les candidats afin de se démarquer de leurs adversaires.
Chez les Républicains, l’issue semble bien plus incertaine que chez les Démocrates. Certes, Rudolph Giuliani est en tête des sondages, mais pour autant, d’autres candidats veulent encore croire à leur capacité à créer la surprise. Mitt Romney, candidat mormon, est actuellement bien placé dans les sondages en Iowa et dans le New Hampshire, deux Etats test pour les primaires. Ron Paul réussit une bonne campagne sur Internet et recueille de nombreux soutiens et fonds par ce biais, grâce à des positions isolationnistes et protectionnistes qui trouvent un certain écho au sein de la population américaine. Mike Hukabee, candidat issu du mouvement conservateur chrétien, a su rendre attractives des positions très conservatrices au niveau sociétal. Mais les Républicains restent confrontés à un dilemme : la rupture est un argument de campagne qui fait peu recette aux Etats-Unis, car les électeurs ont besoin d’être rassurés, ce que la continuité leur procure. Toutefois, les candidats républicains sont obligés de se démarquer du bilan de George W. Bush s’il veulent avoir une chance de l’emporter.
Chez les Démocrates, leur débat télévisé du 14 novembre dernier à Las Vegas a été riche en enseignements. Ce débat était particulièrement attendu, du fait de l’impression croissante que la victoire d’Hillary Clinton n’est en rien assurée, même si les sondages démontrent le contraire. Cette impression tient surtout aux attaques répétées de la part des autres prétendants quant à la personnalité même de l’ancienne First Lady.
Pour Hillary Clinton, ce débat a été l’occasion de rebondir suite au précédent débat télévisé (30 octobre dernier à Philadelphie), débat dans lequel son discours était apparu comme particulièrement faible et effacé (1). Chose intéressante, même si le dernier débat a été considéré comme un échec pour la candidate, elle n’a pas pour autant baissé dans les sondages. Comme le soutiennent certains observateurs américains, Hillary devrait commettre un énorme impair pour mettre sa campagne en danger. Elle bénéficie d’un soutien acquis dans la population américaine du fait de son statut de « sortante », de sa légitimité politique, même si elle défend des idées progressistes, notamment au niveau social.
Durant le débat télévisé, elle a réagi aux attaques plus directement qu’elle ne l’avait fait jusqu’à présent. Mieux préparée sur les dossiers, elle a adopté un ton plus agressif et plus critique. Elle a interpellé directement ses concurrents, les exhortant à proposer de vraies alternatives aux propositions des Républicains plutôt que de chercher à se discréditer entre candidats d’un même parti, prenant le risque de laisser l’élection aux mains des Républicains. En tant que « favori » (front-runner), Hillary Clinton est plus durement malmenée dans le jeu des Primaires. Elle a d’ailleurs affirmé que c’était son statut de leader, plus que son statut de femme, qui expliquait les nombreuses attaques à son égard : « Les gens ne m’attaquent pas parce que je suis une femme. Ils m’attaquent parce que je suis en tête ».
Barack Obama a également profité du débat pour attaquer directement ses concurrents, et Hillary Clinton au premier chef. Certains lui reprochaient dernièrement d’avoir perdu dans la campagne un peu de son charisme en essayant de lisser son discours dans la course à l’investiture. Il a donc voulu montrer qu’il était le seul candidat capable de changer véritablement l’image des Etats-Unis une fois élu Président, Hillary Clinton et John Edwards représentant selon lui une ancienne génération politique. Toute la question reste de savoir si sa jeunesse et son « inexpérience », souvent critiquées par ses adversaires, peuvent devenir les atouts de Barack Obama dans la campagne. En tous cas, la réplique est bien préparée. Aux Démocrates, il répond que Bill Clinton avait pratiquement son âge lorsqu’il a été élu. Aux Républicains, il démontre que l’expérience n’est pas gage de qualité, visant directement Dick Cheney ou Donald Rumsfeld, au pouvoir depuis bien longtemps mais responsables de mauvaises décisions pour le pays.
Au cours du débat, deux enjeux majeurs de la campagne ont fait l’objet de discussions animées, notamment entre Obama et Clinton : l’immigration et les questions de santé (couverture de santé et Sécurité sociale).
La question de l’immigration est devenue depuis quelques années un sujet incontournable, notamment au moment des élections. Hillary Clinton avait, lors du dernier débat télévisé à Philadelphie, soutenu l’initiative du gouverneur démocrate de l’Etat de New York, Eliot Spitzer, visant à autoriser les immigrés clandestins à passer leur permis de conduire (alors que généralement aux Etats-Unis, le permis fait office de carte d’identité officielle). Largement critiquée sur cette position, Hillary Clinton s’est cette fois-ci dite favorable au retrait de la proposition de Spitzer. Cette polémique somme toute anecdotique est un véritable révélateur de l’importance que prend la question de l’immigration dans la campagne. Avec près de 12 millions de sans papiers, les Américains sont en demande de politiques plus fermes. Et sur ce point, les Républicains, et Giuliani en tête, semblent les plus crédibles. Dans certains Etats, la question de l’immigration risque de faire pencher les votes en faveur des Républicains, comme la question du mariage homosexuel l’avait fait il y a quatre ans. Mais une position plus dure contre l’immigration est à double tranchant, puisqu’elle risque de rallier définitivement certains votants (comme les Latino-Américains) au Parti Démocrate.
En matière de santé, les candidats démocrates, et les candidats républicains dans une moindre mesure, proposent tous de moderniser le système américain et de couvrir une plus grande partie, sinon l’ensemble, de la population. En 2005, près de 15% de la population n’avait pas de couverture de santé. Les Démocrates, et Clinton et Obama en particulier, se disputent pour savoir qui propose le meilleur plan de couverture de santé universelle. Le plan d’Hillary Clinton exigerait que tous les Américains soient couverts et que des subventions rendent la santé plus accessible. La plan de Barack Obama exigerait que tous les enfants soient couverts. Les employeurs devront fournir une couverture santé ou contribuer à un programme de santé public pour rendre la couverture santé plus abordable pour les Américains non couverts par leur emploi ou le gouvernement. Pour Clinton, le problème est que certains Américains n’ont pas de couverture parce qu’ils n’y sont pas obligés. Pour Obama, le problème est ailleurs : si la couverture santé était plus abordable, bien plus de personnes y souscriraient.
Les questions de santé reviennent régulièrement sur le devant de la scène au moment des élections, souvent du fait des Démocrates, qui savent que c’est un sujet qui préoccupe une bonne partie de la société et pour lequel ils devancent largement les Républicains.
Ainsi, en fonction de l’enjeu qui prédominera ces élections, l’avantage pourrait tourner en faveur de l’un ou l’autre des partis.
Il y a peu d’incertitudes quant à l’importance que
constitueront la Guerre en Irak, les relations avec l’Iran et
la situation économique lors de la campagne. Reste à savoir
lequel déterminera le plus le vote des électeurs. En cas de récession
économique, l’économie pourrait supplanter la question de
l’Irak, à l’avantage des Démocrates. En revanche, si la
campagne se focalise sur les questions de sécurité nationale
et de guerre contre le terrorisme, rien n’est perdu pour les Républicains.