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La victoire électorale de Sarkozy
et la faillite de la « gauche » française
Peter Schwarz

9
mai 2007
L’élection
de Nicolas Sarkozy, politicien gaulliste droitier, à la présidence
de la république a choqué beaucoup de gens en France et en
Europe.
On
se rappelle encore l’euphorie qui avait régné lorsque les Français
avaient rejeté, il y a deux ans, la Constitution européenne. La
même population avait imposé, il y a un an, le retrait du très
impopulaire CPE (Contrat première embauche) par une série de
manifestations et de protestations.
A
l’époque, certaines organisations petites-bourgeoises de
« gauche » avaient déclaré que ces mouvements
avaient rendu « illégitime et désavouée » la
politique du gouvernement Chirac. Le temps était venu « de
construire un mouvement d’ensemble capable d’affronter
directement le patronat et de remettre en cause l’ensemble des
politiques libérales » avait écrit alors la LCR (Ligue
communiste révolutionnaire) dans une de ses déclarations.
Moins
d’un an plus tard, un homme est devenu président dont les
convictions droitières ne font pas de doute, un allié idéologique
du président américain, George W. Bush et de l’ancien premier
ministre espagnol José Maria Aznar. Sarkozy veut faire revivre
les valeurs de l’ordre, de l’effort et du mérite et se considère
lui-même comme l’homme qui viendra à bout une fois pour toutes
de l’héritage de la génération de mai 1968. La presse économique
internationale a accueilli avec enthousiasme son élection. Elle
attend de lui qu’il démantèle enfin l’Etat social français,
qu’il supprime un grand nombre de postes parmi les cinq millions
de fonctionnaires du pays, réduise les retraites, rende le marché
de l’emploi plus « flexible » et, contrairement à
ses prédécesseurs, qu’il ne cède pas à la pression de la
rue.
Comment
ce politicien néfaste a-t-il pu rassembler 19 millions de voix et
sortir victorieux d’une élection qui s’est caractérisée par
une participation exceptionnellement élevée ?
Pour
le Parti socialiste (PS) et les médias, la réponse est
claire : c’est la faute des électeurs français. Ces
derniers auraient viré à droite et la candidate du Parti
socialiste, Ségolène Royal, ne les aurait pas suivi assez
rapidement et assez loin. Comme le disait le soir des élections
l’ancien ministre des Finances, Dominique Strausss-Kahn, le
Parti socialiste n’a pas réussi à mettre en oeuvre sa « rénovation
sociale-démocrate » selon le modèle du Parti social-démocrate
allemand lors du congrès de Bad Godesberg. Le PS a notamment négligé
les électeurs du « centre ».
Cette
explication ignore complètement la réalité sociale et
sous-estime les profondes contradictions sociales qui se cachent
derrière le résultat électoral. Les « électeurs du
centre » sont une fiction théorique. Les classes moyennes
en France comme partout ailleurs, sont extrêmement polarisées.
Pendant longtemps, elles avaient constitué le ciment social qui
reliait les extrêmes dans la société. Toutefois, sous les
effets de la mondialisation la majorité de ces classes moyennes a
été prolétarisée et seule une faible minorité a été en
mesure d’accéder aux couches supérieures.
Les
représentants typiques de la classe moyenne, les artisans, les
paysans, les propriétaires et les petits entrepreneurs, rencontre
les mêmes problèmes que le travailleur moyen. La même chose
s’applique à la classe moyenne urbaine. L’époque où un diplôme
universitaire garantissait une carrière et un revenu stable est révolue
depuis longtemps. De nos jours, il est normal de trouver en France
des travailleurs intérimaires titulaires de diplômes
universitaires ou des universitaires qui passent d’un stage à
un emploi intérimaire puis à un contrat à durée déterminée.
Cette
polarisation sociale n’est pas reflétée dans la politique
officielle. Alors que de vastes sections de travailleurs et de
jeunes se sont radicalisées et ont protesté sans cesse contre
les injustices sociales, le Parti socialiste et ses alliés sont
intervenus pour saboter leurs luttes, répandre la déception et
la démoralisation, ouvrant ainsi la voie à Sarkozy. Le succès
de celui-ci est bien moins dû à sa propre force qu’à la
faillite de la « gauche » et à son incapacité méprisable
à avancer une alternative sociale progressiste.
En dépit
de l’affirmation contraire de Strauss-Kahn, il y a belle lurette
que le Parti socialiste français a achevé sa « conversion
de Bad Godesberg ». C’est un parti bourgeois qui défend
l’ordre capitaliste. Durant les années 1970, il le faisait au
moyen de compromis sociaux ou plutôt de la promesse de compromis
sociaux.
Depuis
lors cependant, la pression exercée par les marchés financiers
internationaux et les effets de la mondialisation ont coupé
l’herbe sous les pieds de toute politique fondée sur le
compromis social. Sous la présidence de François Mitterrand et
sous le gouvernement de Lionel Jospin, une promesse après
l’autre fut reniée. Les acquis sociaux furent sacrifiés, le chômage
demeura à dix pour cent, les revenus baissèrent et les
conditions de vie dans les banlieues devinrent de plus en plus
intolérables.
La
première à en tirer profit fut l’extrême droite, le Front
national dirigé par Jean-Marie Le Pen. Avec l’aide d’une réforme
électorale introduite par Mitterrand, son parti fut en mesure
d’obtenir régulièrement des scores à deux chiffres.
Avec
la récente campagne électorale de Ségolène Royal le Parti
socialiste a connu un nouveau point bas. Préparée par des
conseillers en relations publiques, la candidate du PS se présenta
comme un mélange de Sarkozy féminin et d’Alice aux Pays des
merveilles. Elle fit de la surenchère avec Sarkozy pour ce qui était
du zèle identitaire national et d’une répression dure des
jeunes délinquants, accompagnant cela de toutes sortes de
promesses futiles. Dans ses discours, elle commençait une phrase
sur deux par les mots « Je veux » : « Je
veux que demain la France soit un pays apaisé, ayant confiance en
lui, où tous les Français se reconnaissent et s’aiment en
elle. » … « Je veux prendre le meilleur de
chaque époque pour inventer la France de demain, », et
ainsi de suite.
Royal
ne se soucia pas d’expliquer comment ses souhaits seraient réalisés.
Pourquoi aurait-on dû la croire ? 1,6 million de bulletins
blancs sur un total de 36 millions d’électeurs signifient que
nombreux furent ceux qui ont participé à l’élection tout en
étant incapables de choisir entre les candidats. Certains votèrent
pour Sarkozy, dont le programme n’était pas attrayant, mais
promettait au moins un changement.
Selon
certaines analyses électorales, Sarkozy a reçu le même nombre
de voix de travailleurs que Royal, 53 pour cent des salariés du
secteur privé ayant voté pour le candidat gaulliste. Il a également
obtenu 57 pour cent de votes de la part des 25-34 ans. Il a eu le
soutien de 77 pour cent des travailleurs indépendants ainsi que
de 68 pour cent des retraités de plus de 70 ans.
Royal,
de son côté, ne fut en mesure de remporter une majorité que
parmi les jeunes électeurs de moins de 24 ans (60 pour cent) et
ceux des électeurs directement touchés par l’élection de
Sarkozy. Ainsi, dans le secteur public où Sarkozy avait annoncé
ses projets de suppression massive d’emplois, 57 pour cent votèrent
pour Royal qui avait également le soutien de 75 pour cent des chômeurs.
Quelque 58 pour cent des étudiants votèrent également pour la
canditate du PS.
Est-ce
que les millions de voix des travailleurs et des jeunes électeurs
pour Sarkozy signifient qu’ils adhèrent à son programme ?
Une telle conclusion serait absurde. Cette élection a été
caractérisée par une contradiction fondamentale. D’un côté,
il existe un vaste intérêt et un besoin urgent de participer à
la vie politique, ce qui s’est exprimé par des réunions électorales
bien fréquentées et par une forte participation. De l’autre,
l’électorat eut devant lui deux candidats dont les programmes
bourgeois droitiers différaient bien plus par le style que par la
substance.
La
faillite de la « gauche » officielle a créé une
situation dangereuse. Sarkozy est le politicien le plus réactionnaire
à occuper le poste de président français depuis la fin du régime
de Vichy, le gouvernement au pouvoir pendant la Deuxième Guerre
mondiale. Il n’y a pas de doute qu’il prendra au sérieux les
menaces qu’il a proférées. Ce n’est pas seulement son tempérament
autoritaire, mais aussi l’énorme pression exercée par les
organisations patronales et les milieux financiers qui y
veilleront.
Sarkozy
a déjà annoncé son intention de réintroduire, sans recourir à
un référendum et sous une forme quelque peu modifiée, la
Constitution européenne rejetée par la population il y a deux
ans. On s’attend à ce qu’il nomme le 17 mai, au lendemain de
sa prise de fonctions, l’ancien ministre des Affaires sociales
François Fillon au poste de premier ministre. Il y a quatre ans,
la tentative de Fillon de « réformer » le système de
retraite français avait fait descendre des millions d’employés
des secteurs public et privé dans la rue. Deux ans plus tard,
Fillon fut à nouveau, cette fois comme ministre de l’Education
nationale, à l’origine de protestations de la part des étudiants.
Selon
le directeur de son équipe de campagne, Claude Guéant, Sarkozy
envisage également de faire entrer des ministres de « gauche »
dans son gouvernement dans le but de faire participer le Parti
socialiste à ses attaques contre la classe ouvrière.
La
classe ouvrière doit se préparer à l’affrontement inévitable
avec Sarkozy et son gouvernement en tirant les leçons de la
faillite du Parti socialiste et de ses alliés. Elle devra mener
la lutte contre Sarkozy sur la base d’un programme socialiste
international qui part de l’incompatibilité des rapports
capitalistes existants avec les besoins et les aspirations élémentaires
de la population laborieuse. Les travailleurs ont besoin à cette
fin d’un parti nouveau et indépendant.
Les
partis d’« extrême gauche », la LCR et Lutte ouvrière,
cherchent systématiquement à empêcher un tel développement.
Ces organisations ont appelé à voter Royal au second tour et ont
à présent réagi à leur défaite en opportunistes effrayés.
Toutes deux agissent comme si rien d’important ne s’était
passé, refusant de dresser un bilan politique des élections et
en retournant à leur routine quotidienne.
Dans
sa déclaration sur le résultat des élections, Arlette Laguiller
de Lutte ouvrière déclare avec insouciance, « les classes
populaires vont donc subir la présidence de Nicolas Sarkozy
pendant les cinq prochaines années et un ou plusieurs
gouvernements dont la politique sociale sera dans le droit fil de
celle des gouvernements que nous connaissions depuis cinq ans ».
Elle n’ose même pas remettre en question la légitimité
d’une présidence qui ne s’explique que par la faillite de la
gauche officielle.
Elle
appelle ses partisans à « ne pas baisser la tête »
et les réconforte avec la pensée que « même si Ségolène
Royal avait été élue, nous aurions dû entrer en lutte pour que
les choses changent ne serait-ce qu’un peu pour nous. Avec
Nicolas Sarkozy, il en ira de même et les luttes devront être
les mêmes. »
Le
soir de l’élection, Olivier Besancenot (LCR) a appelé à
« un front unitaire de toutes les forces sociales et démocratiques. »
Une telle alliance qui n’est autre que le pacte de la LCR avec
le Parti communiste, les syndicats et d’autres appuis sûrs de
l’ordre bourgeois, saboterait au nom de l’unité toute lutte
contre Sarkozy et son gouvernement. Toute confrontation sérieuse
se développerait inévitablement en une lutte pour le pouvoir et
une telle lutte est fermement rejetée à la fois par LO, la LCR
et les bureaucraties syndicales qu’elles soutiennent.
(Article
original paru le 9 mai 2007)
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