Interview d'Yves
Marie Le Lay, co-auteur avec André
Ollivro du livre «Les marées vertes
tuent aussi!» !
Les marées
vertes, c'est comme le Médiator, comme
l'amiante, comme le nucléaire, comme les
OGM ...
Mercredi 3 août
2011
Yves Marie Le Lay et André
Ollivro (Breton de l’année 2009),
sont les porte-étendard de la lutte
contre les marées vertes.
Profondément amoureux de la
Bretagne, ils ne supportaient pas de
voir ses côtes subir année après
année les invasions malodorantes des
marées vertes.
Aujourd’hui, ils poussent un vrai
cri d’alarme : "les algues vertes
tuent aussi" au travers d’un livre
co-écrit, très bien documenté, qui
doit révolter les consciences et
refuser la banalisation. Les marées
vertes ne sont pas une fatalité. Il
est possible de les faire
disparaître définitivement, d’éviter
d’autres morts. La volonté est-elle
au rendez vous ?
Christian Bucher - Brest
-ouvert : Le livre "les marées vertes
tuent aussi" commence par la colère et
le désespoir des membres de la famille
de Thierry Morfoisse mort en juillet
2009 en transportant des algues vertes
sur la plage de Binic. Saura-t-on la
vérité ? Un procès aura-t-il lieu ?
Yves-Marie Le Lay :
Pour nous, la vérité ne fait aucun
doute. Nous nous appuyons sur le
diagnostic de médecins dont le docteur
Claude Lesné. Reste à emporter l’avis de
la juge d’instruction, Anne-Marie
Bellot. Il nous parait difficile qu’elle
n’engage pas au moins un jugement pour
connaître les circonstances du décès de
Thierry Morfoisse. Une mort d’homme dans
ces conditions, ce n’est pas rien !
Après, qu’en sortira-t-il de ce procès ?
Qui sera considéré comme responsable, et
même coupable ?
B.O. : Le livre est bien
documenté, il y a de nombreux
témoignages accablants sur la toxicité
des algues vertes, et pourtant on a
l’impression que rien ne bouge
vraiment, ? Les citoyens se mobilisent
ils suffisamment ? Comment agir ?
Yves-Marie Le Lay :
La mobilisation citoyenne est faible :
pas de dons massifs au comité de soutien
qui assure les frais de justice, aucun
appui d’élus ou de personnalités, pas
beaucoup de participation de citoyennes
et citoyens. Ceci dit, il n’est jamais
trop tard pour adresser un chèque, même
minime à Côtes d’Armor Nature
Environnement, 23 rue des Promenades à
Saint-Brieuc (22000).
En fait, les marées vertes sont
peut-être la mauvaise conscience des
Bretons. Accepter leur toxicité est
insupportable. D’abord pour les élus, ce
qui se comprend facilement parce qu’ils
en sont pour la plupart responsables.
Mais aussi pour celles et ceux qui les
ont élus. C’est jamais facile d’admettre
que l’on a été trompé à ce point, et ce
pendant quarante ans ! Plus facile de se
réfugier dans le déni : enfin, si les
marées vertes étaient si dangereuses, on
nous l’aurait dit depuis longtemps !
Dans ces cas là, assez fréquents, la
raison n’a jamais raison...
Brest ouvert : Comment
expliquer le silence de la plupart des
élus, et le laxisme de l’Etat ?
Yves-Marie Le Lay :
Le personnel politique et les
administrations sont muettes sur ce
problème. Mais comment ne pas les
comprendre tant ils ont parfaitement
conscience de leur responsabilité dans
la pollution par les marées vertes. Bon
nombre d’entre eux exercent encore leur
activité. La preuve : Maurice Briffaut
est ce chauffeur qui a été intoxiqué
gravement à l’hydrogène sulfuré en 1999
sur la commune de Plestin-les-Grèves.
Malgré les questions insistantes de
Pierre Philippe, médecin urgentiste à
Lannion, la DDASS et les élus n’ont rien
dit et surtout n’ont rien fait. Les
ramasseurs d’algues vertes n’ont été
équipés de détecteurs de gaz qu’en 2010,
à la suite de nos actions. Et ils ne
sont toujours pas équipés de masques
respiratoires autonomes quand ils
ramassent des marées vertes en
putréfaction, comme la législation
l’exige ! Ce n’est que depuis la même
année 2010, pour les mêmes causes que
des panneaux informent les promeneurs et
les baigneurs du danger potentiel des
marées vertes.
Bien sûr, ce silence puise d’abord
dans la complicité des élus de droite
avec tout un système économique dont les
exploitants ne sont qu’une petite
partie, rejoints désormais par la
quasi-totalité des élus PS et PC. Pour
tout ce personnel politique, ce qui est
acté, c’est que l’on ne fait pas
d’omelette sans casser des oeufs. Le
prix des emplois de l’agroalimentaire en
Bretagne, ce sont les marées vertes, au
prix même d’ un certain nombre de vies
sacrifiées. Après tout, ce sont bien les
mêmes qui pendant quarante ans ont
accepté que le médiator continue à être
un médicament, pour des raisons
économiques, et malgré les signaux
d’alarme tirés depuis longtemps.
Et pour cela, pas besoin de penser
vaste complot des forces économiques qui
corrompraient les responsables
politiques. C’est plus insidieux et
aussi plus pervers. La pression sociale
sur l’emploi est tellement forte dans
notre société, que tout un chacun se
fait un devoir de soutenir l’emploi par
tous les moyens, y compris au mépris de
la santé. Les marées vertes, c’est comme
le médiator, comme l’amiante, comme le
nucléaire, comme les OGM etc...
B.O. : D’autres accidents,
d’autres morts, peuvent-ils encore
survenir ?
Yves-Marie Le Lay :
D’autres accidents sont à craindre,
surtout dans des zones où il est
impossible de ramasser des marées
vertes : criques impossibles d’accès, et
mares où pourrissent les algues sous
l’eau, en bordure de rochers. Cette
dernière forme de pollution a été
signalée à l’Agence Régionale de Santé
par l’intermédiaire de la Préfecture de
Région, depuis août 2010. À ce jour,
c’est toujours à l’étude... De notre
côté, nous avons détecté de fortes
émanations d’hydrogène sulfuré sous
formes de bulles qui éclatent à la
surface de l’eau quand on exerce une
pression par le pied sur les abords de
sable spongieux.
Mais les marées vertes ne tuent pas
seulement ! À des doses non létales, on
subit toutes sortes de malaises bien
répertoriées par un rapport de l’ANSESS,
facilement téléchargeable :
conjonctivites, nausées etc... À des
degrés à peine moindres, c’est ce que
vivent des riverains d’un littoral
souillé par les marées vertes. Je pense
à toutes celles et ceux qui supportent
ces odeurs désagréables et dommageables
pour la santé dans la crique de Toul ar
Vilin, sur la commune de Tredrez-Locquémeau,
à la limite de Saint-Michel-en-Grève.
Ils sont les sacrifiés de l’agriculture
intensive.
Enfin, les algues vertes favorisent
la survie et même, en présence de
nitrates, la prolifération de bactéries
venues des rivières dans la mer.
Sauvegarde du Trégor l’a mis en évidence
avec des analyses d’eau sous constat
d’huissier. Tout cela est rejeté en bloc
par les mêmes responsables, alors que
cette situation constitue un risque
sanitaire avéré, même s’il n’a pas
l’importance du précédent.
B.O. : Cela fait des
années que vous dénoncez les marées
vertes, pensez-vous que ce combat
aboutira un jour ? Pourquoi est-il si
important à vos yeux ?
Yves-Marie Le Lay :
Le livre co-écrit avec André Ollivro dit
tout cela. Nous l’avons écrit, d’abord
pour raison garder. Car nous avons vécu
et nous continuons à vivre ce formidable
déni de la toxicité des marées vertes.
Dans ce livre, vous y trouverez des
pièces à conviction dont des diagnostics
de médecins.
Pourquoi devrions-nous nous taire
alors que nous avons des preuves de ce
que nous avançons ? Bien sûr, ce livre
déplaît, peut-être même au lecteur que
l’on attend, le militant écologiste qui
serait tenté de voir dans les marées
vertes une pollution de citoyens riches.
À ceux-là nous répondons qu’elles ne
sont que la partie émergée de l’iceberg.
Le jour où les marées vertes auront
disparu, c’est un type d’agriculture
qu’ils refusent qui n’existera plus en
Bretagne. Ce seront aussi des
agricultures humaines et respectueuses
de l’environnement qui seront
préservées, et pas seulement en
Bretagne. Car, chaque fois, qu’on
cessera quelque part de fabriquer des
produits agricoles type “Cochons de
Bretagne”, on sauvera à l’autre bout
de la planète une agriculture
traditionnelle qui nourrira ses
habitants elle-même plutôt que d’
acheter ces produits bas de gamme à des
prix bradés. N’est-ce pas un bon exemple
de ces combats qui lient si bien le
local et le global ?
Mais ne nous le cachons pas à
nous-mêmes : une volonté d’avenir
parcourt ce livre. Nous avons à solder
les comptes d’une génération, la nôtre,
qui a souillé nos territoires d’enfance.
Les mares où je jouais enfant sont
infestées. Ni ce territoire, ni cette
enfance ne nous appartiennent en propre.
C’est comme cela que nous l’avions
trouvé et que nous l’avons vécu. C’est
comme cela que nous devons le rendre, et
la rendre possible à tous ceux qui
naissent et qui sont à naître. Cela
justifierait à lui seul notre combat.
Lisez ce livre. Si vous n’êtes pas
enfant, vous le redeviendrez peut-être.
Vous y gagnerez un peu d’innocence.
Cela ne fait pas de mal.
L’adresse originale de cet
article est
http://www.brest-ouvert.net/article9974.html
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