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Opinion
Tunisie :
l'insurrection reprend
Ismaël
Dimanche 27 février 2011
La répression policière ne s’est pas
arrêtée
La revendication politique est de changer le système
dictatorial en entier. De même, la revendication citoyenne est
de changer la nature autoritaire des « forces de l’ordre »
vis-à-vis de la population, même les franges de cette population
qui sont de son point de vue les plus « rebelles ». Or, on ne
remarque aucun changement dans le comportement de la police : ni
dans ses actions, ni dans sa stratégie, ni dans son esprit.
Encore pire, à son arrogance habituelle est venue s’ajouter une
vindicte contre les citoyens. Nous sommes à plus d’un mois de la
fuite du général Ben Ali et la police n’a jamais cesser de
réprimer, tabasser, torturer, tirer à balles réelles et tuer des
citoyens.
Certes, il faut du temps pour changer une cinquantaine
d’années de pratiques autoritaires, répressives et violentes,
cependant, il n’y a pas encore de signes objectifs ne serait-ce
que d’une ébauche de réforme profonde de la police, au-delà des
mutations structurelles. Raison de plus pour que certaines
mesures symboliques fortes soient prises pour pacifier au
maximum la situation comme par exemple la décision de changer
l’emplacement du Ministère de l’Intérieur ou celle de concevoir
de nouveaux uniformes pour les différentes sections. Ces mesures
purement formelles n’en seront pas moins des messages forts, de
part leurs charges symboliques, adressés à la fois au corps
policier et à la population civile.
Manifestations et émeutes
Toutes les révolutions ont été le théâtre d’une prise d’un
lieu symbolique : prise de la Bastille, des locaux de la
télévision en Roumanie, de la place Tahrir, etc. Or en Tunisie,
aucun lieu n’a été « prit » par la révolution, pour signifier à
la conscience et à l’inconscience collectives un changement
radical dans la nature du régime régnant. Ce qui est étonnant ce
n’est pas qu’il y ait eu une tentative de « prise » du Ministère
de l’Intérieur avant-hier vendredi, ce qui est étonnant c’est
que l’on n’a pas tenté de le prendre avant ! Il est naïf et faux
tant politiquement que philosophiquement de penser que l’on peut
combattre une dictature d’un demi-siècle par une lutte
totalement et uniquement pacifique et politique. La révolution
tunisienne en est d’ailleurs la preuve. La fuite de Ben Ali et
le vacillement du régime dictatorial en place n’ont été
possibles que grâce à la conjonction de cette lutte théorique à
une autre forme plus pratique : l’insurrection (qui est soit-dit
en passant admise par la Déclaration des Droits de l’Homme).
Celles et ceux aujourd’hui qui condamnent la reprise de
l’insurrection se trompent de diagnostic : l’ancien régime est
toujours en place.
Oui il y a eu quelques actes de pillage et de cassage mais
ces dérives légères et isolées sont les résultantes des seules
incompétences et incapacités du gouvernement provisoire, de la
police et de l’armée. Tout d’abord, au vu des manifestations
monstres dans tout le pays dés le matin du vendredi, des
décisions politiques auraient dû être annoncées avant la fin de
la journée. Ensuite, la situation au centre de Tunis a peu à peu
évolué d’un rassemblement pacifique et même festif depuis le
vendredi matin, à une bataille rangée le vendredi soir puis à
des émeutes le lendemain samedi durant la journée (avec à leur
marge, quelques actes de vandalismes). Cette évolution en
crescendo vers une situation de haute-tension aujourd’hui
dimanche 27 février 2011, aurait pu être éviter si le
gouvernement provisoire, la police et l’armée avaient adopté une
attitude différente que celle de l’ancien régime face aux
manifestations et aux revendications légitimes de centaines de
milliers de citoyens. D’autre part, s’il y a des miliciens qui
manipulent ou achètent les services de certains désœuvrés à des
fins de vandalisme et de déstabilisation, c’est uniquement de la
responsabilité, ou plutôt de l’irresponsabilité des services de
sécurité nationaux, et donc en fin de compte, du gouvernement
provisoire, qui sont incapables d’incarcérer ces miliciens et de
dialoguer et informer ces désœuvrés.
Le pouvoir provisoire
Les premiers puis seconds gouvernements provisoires ont été
encore plus contestés que le régime Ben Ali entre le 17 décembre
et le 14 janvier. Depuis un mois et demi, il n’a eu de cesse
d’être conspuer. D’un autre côté, il n’a eu de cesse de renvoyer
l’image de l’ancien régime : inefficience de l’action,
incommunicabilité totale avec la population, pratiques
autoritaires, sourde-oreille aux revendications politiques des
contestataires, manipulations et manigances, etc. Ce pouvoir
provisoire n’est autre que l’ancien régime relooké. La démission
du Premier Ministre Mohamed Ghannouchi ne changera pas
grand-chose quant à cet état de fait, ni quant à la contestation
(ou du mois quant à la continuation de celle-ci).
A la lumière de tous ces éléments (répression policière
continue, goût d’inachevé de la révolution, sourde-oreille et
inefficience du pouvoir provisoire, politique de la terre brûlée
de la part du régime déchu et de sa milice encore en action quoi
qu’affaiblie, évolution uniquement formelle des médias…), il est
tout à fait naturel d’assister à la recrudescence des
affrontements comme cela vient d’être le cas ces derniers jours,
à Tunis et dans d’autres régions du pays. Il est aussi
prévisible que des insurections de ce genre continueront tant
que ces éléments perdureront. Un régime de pleins-pouvoirs et un
système de gouvernance et de pensée vieux d’une cinquantaine
d’année ne s’anéantissent pas au prix de la fuite d’un dictateur
et de quelques personnalités crapuleuses. Ils s’anéantissent au
prix d’une longue lutte et de nombreux combats.
Ismaël, vidéaste et écrivain
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