Opinion
Démocratie,
hypocrisie et des pelles pour tous
Anis B
Mardi 11 janvier 2011
Les Tunisiens forment un peuple rêvé pour tout homme
politique. Habitants d’un État moderne dont le modèle économique
est une référence pour la région, ils bénéficient d’une
politique centrée sur l’éducation et qui en fait une perle du
monde arabe et de l’Afrique… l’atout majeur de ce peuple est
qu’il vient livré avec l’option « Je te raconte toutes les
salades possibles et inimaginables… tu les goberas, et sans
discussions s’il te plaît ».
Selon le gouvernement tunisien, le peuple en Tunisie, est
éduqué, conscient mais en même temps il peut tout gober. Telle
est la stratégie de communication officielle en Tunisie, peu
importe ce que vous voyez sur les vidéos amateurs, ou sur les
télévisions étrangères, vous devez nous croire nous, et notre
télévision pourpre appelée Tunis7. A entendre Zine El Abidine
Ben Ali, ou ZABA pour faire court, les manifestations
quotidiennes en Tunisie ne sont pas du tout spontanées et ne
reflètent pas la situation économique et sociale du pays et
encore moins la frustration de tout un peuple.
Déjà dans son
premier discours, ZABA a joué la carte usée des éléments
étrangers jaloux des acquis de la Tunisie. Il a fustigé Al
Jazeera, brandi l’éventail des islamistes cachés derrière tout
ça et n’a pas manqué de menacer avec fermeté les manifestants.
Mais hier, lors de son
dernier discours, il a fait encore plus fort en traitant les
manifestants de bandes de terroristes cagoulés, de marginaux à
la solde « d’un groupuscule d’éléments hostiles qui s’offusquent
de la réussite de la Tunisie et qui sont remplis d’animosité et
de griefs”.
Sous la lumière de ce discours éclairant, Il est intéressant
de faire un parallèle avec l’Algérie qui a connu des troubles
similaires. En Algérie, les jeunes en colère à l’origine des
troubles n’ont pas hésité à recourir à la violence face à une
police souhaitant limiter les dégâts. Au contraire, en Tunisie,
les manifestations de rues étaient spontanées et pacifistes,
face à une police violente et répressive. Toutes les
manifestations, même celles des avocats et des syndicalistes,
ont été violemment réprimées, laissant plusieurs blessés, hommes
et femmes confondus.
Après les premières menaces de ZABA, la police a haussé le
ton, utilisant même des balles réelles en premier recours et
visant le haut du corps des manifestants. Soyons clairs, ils
tirent pour tuer. Face à un tel comportement inhumain et
irresponsable, la colère de la rue ne peut que monter. Les
foules sont exacerbées, leur président se moque d’eux, les
traite de terroristes, et la police leur tire dessus avec
impunité. Il leur promet de créer 50.000 emplois immédiatement
et puis 300.000 autres d’ici 2012. La bourse en
chute libre depuis quelques jours ne semble pas être
d’accord avec ces promesses. Elles sont d’autant plus difficiles
à réaliser dans une économie criblée par le clientélisme, la
corruption et le sentiment d’insécurité des entrepreneurs, comme
le
décrit si bien cet ancien député du parti au pouvoir, pris
de remords face aux récents événements sanglants.
Monsieur le président, Messieurs les policiers,
Vous devriez être fiers du comportement de la rue en Tunisie
et de la retenue qu’ont montré les manifestants. Les épisodes
violents ne sont que marginaux et sont souvent l’œuvre de la
provocation policière. Comme à Kasserine et Thala où les
policiers ont tiré sur des cortèges funèbres. A Kasserine, des
corps transpercés de balles ont été retrouvés dans l’oued et au
commissariat de la police où les policiers ont refusé de les
rendre à leurs familles… Des images et des
vidéos sanglantes pullulent sur les réseaux sociaux… et
malgré toute cette violence, la rue a refusé à plusieurs
reprises de répondre aux provocations de la police, comme
ici au centre ville de Tunis où les manifestants ont levé
les bras en l’air en signe de refus de violence.
Les forces armées déployées autour des villes connaissant des
incidents violents (centre ouest) ont dû s’interposer
entre les forces de police et les habitants pour éviter des
dégâts humains encore plus importants. Des vidéos amateurs
montrent la joie des habitants à la vue de l’armée en espérant
qu’elle les sauve de la barbarie des policiers.
Mr Frédéric Mitterrand, Ministre français de la culture et de
la communication , n’a probablement pas vu ces documents pour
oser
déclarer que la Tunisie n’est pas une « dictature
univoque ». Je suis d’ailleurs curieux de connaître la
définition de dictature univoque selon Mr Mitterrand. A ce que
je crois en comprendre, un régime policier, violent, corrompu
jusqu’à la moelle, refusant tout soupçon de liberté d’expression
et continuant à vivre dans des rêves pourpres ne correspond pas
à cette catégorie. Son collègue, Bruno Le Maire, semble être
d’accord avec lui puisqu’il refuse de
qualifier le régime Tunisien, et déclare que ZABA est
souvent mal compris.
Que dire ? L’hypocrisie du gouvernement français est
accablante, les membres du gouvernement de “la patrie des droits
de l’homme” font bien honneur à leur président dans ce domaine.
Mesdames et Messieurs les politiciens occidentaux,
A vous en croire, vous êtes imprégnés par la culture des
lumières, par la démocratie et le respect des institutions. Vous
êtes des humanistes, vous le criez haut et fort à chaque
occasion. Vous êtes par contre incapables de pointer du doigt un
assassin et sa mafia sanguinaire. En réalité, vous n’êtes que
des hypocrites, vous êtes complices de tous ces meurtres, vous
êtes les complices de Zinochet, vous êtes des néo-colonialistes
et vous devriez en avoir honte.
ZABA n’est pas un rempart contre l’islamisme, au contraire,
il l’attise par la marginalisation de toute une jeunesse
frustrée. Il n’est pas le fer de lance d’une économie saine au
Maghreb, au contraire, il a mis l’économie tunisienne à
genoux. Les entrepreneurs n’ont plus confiance en une économie
où ils sont la cible des rackets d’une mafia sans dieu ni maitre,
où la justice n’est pas libre et où le clientélisme et la
corruption sont les maîtres mots.
Non, les tunisiens ne sont pas des sauvages immatures
incapables de se gouverner. La rue vous l’a prouvé et continue à
vous le prouver malgré les intimidations continues… 2500 agents
quadrillent le centre ville de Tunis au moment où j’écris ces
quelques misérables lignes, ils
tabassent des manifestants pacifistes après les avoir isolés
dans des petites rues, artistes compris…
Ben Ali et ses hommes de main ont déjà étouffé des
soulèvements régionaux en 2008 et 2009… mais là c’est le pays
entier qui se lève… s’ils continuent sur ce modèle ce sera la
tragédie…
Vous serez tous responsables des morts qui vont suivre, mais
ce n’est pas grave, votre attitude vient sûrement livrée avec
l’option “autruche”. Il vous suffit d’acheter une bonne pelle,
elle pourra vous servir pour vous enfuir la tête sur les belles
plages de sable fin d’Hammamet, pendant que les Tunisiens eux
fredonnent… This morning I woke up in a curfew… Oh god, I was a
prisoner, too… Could not recognize the faces standing over me…
They were all dressed in uniforms of brutality…
A.
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