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Affaires Stratégiques

Le Pakistan, un an après l'assassinat de Benazir Bhutto :
état des lieux et perspectives
Olivier Guillard

1er décembre 2008

Il y a onze mois déjà, à quelques hectomètres de l’épicentre du pouvoir politique (Rawalpindi, banlieue d’Islamabad), tombait Benazir Bhutto, l’icône (contestée) de la démocratie, sous les balles d’éléments radicaux – dont on attend toujours de connaître l’identité et les commanditaires — hostiles à son retour annoncé aux affaires. Depuis lors, le Pakistan n’a pas connu la moindre minute de répit, a vu les événements alternant le soucieux et le critique se succéder, les « dossiers » — déjà si nombreux et alambiqués – se multiplier. L’occasion de faire le point en une poignée de questions sur la situation actuelle de ce pays fragile et d’ébaucher une pointe de perspectives, par nature incertaines…

 

A un mois de la commémoration de la disparition brutale de B. Bhutto, dans quel état se trouve le Pakistan ?

 

Plus que jamais, le Pakistan, cet Etat charnière entre l’Asie centrale et le sous-continent indien, ce géant démographique (165 millions d’habitants) aux pieds d’argile se conçoit dans une logique de fragilité, de gestion de crise permanente. Voyez plutôt l’actualité du 24 novembre, révélatrice à maints égards … sans rien avoir d’exceptionnel (hélas) : affrontements violents dans le Baloutchistan entre séparatistes baloutches et forces de l’ordre, combats frontaux entre forces régulières et militants islamistes radicaux dans la vallée de Swat et dans les zones tribales, tension entre communauté sunnite (majoritaire) et chiite à Dera Ismael Khan, atmosphère interconfessionnelle préoccupante dans la mégalopole méridionale Karachi, poursuite de l’aventurisme militaire américain — via ses drones armés et depuis le territoire afghan – dans les austères zones tribales ; et l’on en passe. Le Pakistan, ce jeune sexagénaire au cours troublé depuis sa naissance, demeure donc dans un état qu’un euphémisme commode qualifiera de ténu.

Parmi ce que l’on devine être une kyrielle, quels sont les 1ers défis à la stabilité de l’Etat ?

 

Il y a l’embarras du choix, ce qui en soi n’est guère bon signe : toutefois, il est une série critique requérant des 1ers soins à administrer sans tarder, avec une posologie au besoin surdosée :

 

- de la vallée de Swat au sud-Waziristan, en passant par la NWFP et sa capitale Peshawar, l’expansion de la gangrène islamiste radicale empruntant à l’obscurantisme taliban afghan doit par tous moyens conjugués (dialogue, diplomatie, développement, menaces puis répression) être stoppée, cette poussée fondamentaliste aux relents terroristes (cas de joint-ventures nombreux avec la nébuleuse Al Qaïda) inversée ; en sachant par avance que cette entreprise délicate va avoir un coup (humain ; politique) significatif ;

 

- restaurer l’autorité de l’Etat sur l’ensemble du territoire – une situation qui ne prévaut guère aujourd’hui (cf. zones tribales ; Baloutchistan ; quartiers de Karachi) – en fédérant les autorités, les moyens, en mutualisant les énergies autour d’un projet commun : celui du renforcement de l’Etat, de sa stabilité mise à l’épreuve, sous peine de se rapprocher davantage du précipice ;

 

- rééquilibrer les différents pôles de pouvoir (Présidence ; Armée ; 1er ministre ; Assemblée Nationale ; chief ministers et assemblées provinciales) et définir une matrice claire, officielle, où ces diverses autorités œuvreraient de concert et chacune à son niveau, dans une démarche collective, au profit de la nation et non plus des seuls intérêts « corporatistes » ou personnels ;

 

- cantonner l’armée dans ses casernes et l’exercice de son (vrai) métier, la défense du pays ; lui faire accepter l’idée que le militaire doit être subordonné au civil et non l’inverse ;

 

- dans une optique de gestion de crise régionale collective, participer sincèrement, en étroite collaboration et en bonne intelligence avec Kaboul, l’OTAN et Washington aux efforts complexes de reconstruction en Afghanistan, en mettant de côté toute velléité d’interférence ;

 

- éviter que les rapports avec New Delhi ne viennent à se (re)dégrader, alors que le Jammu et Cachemire (Inde) connaît depuis un semestre une détérioration préoccupante ;

 

- enfin, se soucier toutes affaires cessantes de l’état préoccupant de l’économie nationale (en quasi-faillite sans assistance financière internationale immédiate), de la paupérisation avancée des classes les plus exposées et de l’impact mécanique de cette situation sur la radicalisation des jeunes déshérités (chômage ; pauvreté ; pertes de repères ; vulnérabilité exacerbée).

Comment juger le 1er bilan du Président et veuf de B. Bhutto, l’atypique A.A. Zardari ?

 

On n’attendait guère de miracles de ce Président inéligible en d’autres circonstances et dont le curriculum vitae, les travers et les limites notoires incitaient – pour demeurer convenable – à la plus grande retenue. Or, force est de reconnaître qu’un trimestre après son entrée en fonction, dans un contexte interne et régional que l’on ne souhaiterait à aucun chef de l’Etat et alors que l’on n’eut point été surpris du pire, son 1er bilan se révèle relativement convenable, compte tenu de l’ensemble des éléments évoqués ci-dessus. Certes, la quasi-totalité des grands dossiers sensibles (insécurité ; relations interconfessionnelles ; gouvernance ; terrorisme ; « talibanisation » ; économie ; dommages collatéraux de la crise afghane ; etc.) demeurent cerclés de rouge écarlate, et il n’est guère de domaines qui en réalité ne se soit significativement amélioré. Mais – tout est dans la nuance et dans le recul —, la détérioration que l’on redoutait… n’a pas eu lieu, le pays n’a pas implosé sous l’inaptitude (présupposée) de l’administration Zardari, la communauté internationale ne s’est pas détournée de cette dernière (bien au contraire), ses voisins les plus sceptiques (Kaboul ; New Delhi) se montrent relativement encouragés par les propositions courageuses – d’aucuns diront intrépides – du Président Zardari (Cachemire ; relations avec l’Inde et l’Afghanistan ; projet d’Asie du Sud exempte d’armes nucléaires ; etc.). Certes, il reste beaucoup à faire et le personnage, pour tout chef de l’Etat d’une nation sur le fil du rasoir qu’il est et des efforts consentis, n’a pas encore conquis l’estime de tous ses pairs…

Enfin, comment interpréter la dissolution soudaine de « l’aile politique » de l’ISI ?

 

A compter que cette information inédite (l’autodissolution par les services secrets eux-mêmes de leur branche dédiée aux ingérences – pour faire court – dans les affaires politiques internes) soit confirmée puis avérée dans les faits, que l’armée et cet « Etat dans l’Etat » que constitue l’Inter Services Intelligence (ISI) aient réellement convenu de l’intérêt pour le pays, pour le pouvoir et la société (pour l’armée ?) de dissoudre ce côté obscur de la force (militaire), — cela fait déjà beaucoup de conditionnel …- on devrait alors interpréter favorablement cette décision. Plus qu’un geste, un tournant (trop tôt pour le dire ?) qui doit à l’évidence beaucoup à la détermination de celui qui succéda il y a un an tout juste (28.XI.07) au général Pervez Musharraf à la tête des armées, le général A.P. Kayani. Un homme tout puissant qui il est vrai, s’est jusqu’alors montré (à Bruxelles récemment) aussi habile que discret ; une marque de fabrique qui, au Pakistan, ne trompe pas.

 

Olivier Guillard, directeur de recherche à l’IRIS

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Publié le 1er décembre avec l'aimable autorisation de l'IRIS.



Source : Affaires Stratégiques
http://www.affaires-strategiques.info/...


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