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El-Watan
La
sultane qui n’avait pas peur des kamikazes
Mustapha Benfodil
Benazir Bhutto
29
décembre 2007 On la
surnommait « la sultane ». Et pour beaucoup, elle était
la « Lady Di » du Pakistan, voire de tout le monde
musulman. Elle avait été d’ailleurs
proche, dit-on, de l’ancienne reine des tabloïds anglais dont
la défunte Benazir Bhutto, elle-même, a fait quelques unes, de même
que celles d’autres magazines people. Sauf que le people, les
paillettes, Benazir — prénom qui signifie « l’Unique »
en ourdou —, n’étaient pas vraiment sa tasse de thé, et
l’on aurait bien tort de la réduire à une cliente médiatique
pour papier glacé. C’est peu dire qu’elle était une femme de
caractère, elle qui écrivait dans une tribune parue dans Le
Figaro du 24 octobre dernier : « Je n’ai pas vécu
jusqu’à mon âge pour me laisser intimider par des kamikazes. »
C’était quelques jours après le double attentat qui avait ciblé
le convoi qui fêtait son retour au pays après huit ans d’exil.
Décidément, son histoire se confond avec l’histoire
tumultueuse de tout un pays, et l’épisode tragique de
Rawalpindi résonne comme le dénouement fatal d’une saga
familiale toute shakespearienne. Il faut dire que Benazir a eu une
enfance de petite princesse. Issue d’une famille de la haute
bourgeoisie pakistanaise, de confession chiite, Benazir Bhutto est
née le 21 juin 1953. Sa jeunesse, elle la passe dans les plus
prestigieuses universités internationales. Harvard d’abord,
d’où elle sort avec un diplôme de politique comparée, avant
de s’inscrire à Oxford, en Angleterre, pour un diplôme en
philosophie, droit international et diplomatie. De retour au
bercail en 1977, son père, le Premier ministre Zulfikar Ali
Bhutto, est renversé par le général Zia Ul Haq, avant d’être
pendu deux ans plus tard. C’est la fin du conte de fées.
Benazir découvre brutalement le chaos pakistanais. Très vite, ce
drame va la projeter dans l’arène. C’est ainsi qu’après
moult péripéties où elle subit avec sa famille embastillement
et résidence surveillée, elle prend en main le parti laissé par
son père : le Parti du peuple pakistanais (PPP). Ses frères
Shahnawaz et Murtaza connaîtront tour à tour un destin terrible
avant leur grande sœur. Le premier sera retrouvé mort dans un
appartement à Cannes. On avait avancé alors la thèse de
l’empoisonnement. Quant au second, son nom sera à jamais associé
à une organisation secrète du nom de « Al Zulfikar »
comme son père, classée dangereuse par les services secrets
pakistanais. Pour échapper aux tenailles du régime de fer du général
Zia Ul Haq, Benazir Bhutto s’exile à Londres au début des années
1980. A peine rentrée, elle échappe à un premier attentat en
janvier 1987. Peu après, et comme pour narguer son sort, Benazir
se marie avec un richissime homme d’affaires pakistanais, Asif
Ali Zardari, dont elle aura trois enfants. C’est le printemps
dans la vie de la « princesse ». Zia meurt dans un
« accident » d’avion en 1988 et le PPP remporte les
législatives de novembre. La saga continue. C’est ainsi que
Benazir Bhutto devient, à la faveur de ces élections, et à
seulement 35 ans, la première femme Premier ministre du monde
musulman. A ce titre, elle vient en visite officielle à Alger en
1990. Mais l’éclaircie ne dure pas éternellement. En août
1990, la dame au foulard immaculé est destituée pour « corruption »
et « détournement de fonds publics ». Benazir Bhutto
s’érige en opposante attitrée au Premier ministre et éternel
rival Nawaz Sharif. En octobre 1993, nouvelle victoire aux législatives
pour le PPP. Benazir Bhutto est de nouveau « Prime minister ».
Son frère Murtaza devait se présenter à ces élections contre
le PPP, aggravant la discorde dans la famille. Mais il est arrêté
par la police le jour de son retour au Pakistan, après 16 ans
d’exil. Accusé de terrorisme au nom de l’organisation Al
Zulfikar, il est abattu à Karachi le 24 septembre 1996. Dans la
foulée, le deuxième gouvernement Bhutto est démis une nouvelle
fois pour « corruption et abus de pouvoir ». Asif
Zardari est arrêté. Il sera emprisonné huit ans durant, de 1996
à 2004. Il est soupçonné de pots-de-vin et blanchiment
d’argent avec la complicité de sa flamboyante épouse. Le
couple écope d’une condamnation. Cette affaire aurait
vraisemblablement poussé une nouvelle fois Benazir Bhutto à
l’exil. Elle se réfugie d’abord à Londres avant de s’établir
à Dubaï où son mari est installé encore. Le 18 octobre 2007,
et à la faveur d’une amnistie prononcée par le président
Musharaf, Benazir Bhutto revient au Pakistan avec la ferme
intention de rafler les suffrages aux législatives qui étaient
prévues le 8 janvier prochain. Le jour même de son come-back,
elle échappe à un double attentat contre son convoi qui fait 139
morts. Durant ces deux mois qui ont marqué son retour au pays, la
fougueuse icone n’a eu de cesse d’accabler ses ennemis intimes :
le président Musharaf et les extrémistes d’Al Qaïda à qui
elle assène dans cette même tribune aux airs de testament
politique parue dans Le Figaro : « On peut détourner
des avions, mais personne ne détournera le message de l’Islam. » Droits de reproduction et de diffusion réservés
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