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L’émissaire américain fait l’éloge
de la « vision démocratique » du dictateur
pakistanais
Keith Jones
John Negroponte - Photo AP
19 novembre 2007
Le secrétaire d’Etat adjoint américain,
John Negroponte, a terminé une visite de trois jours au Pakistan,
où la loi martiale règne de fait depuis deux semaines, par une
conférence de presse le 18 novembre. Il y a réitéré le soutien
actif de l’administration Bush pour le général Pervez
Musharraf et son régime militaire.
« Nous accordons une grande valeur à
notre association avec le gouvernement pakistanais dirigé par le
président Musharraf » a déclaré Negroponte, le
sous-chef du département d’Etat américain.
Dans un étalage de l’hostilité et du mépris
de l’administration Bush pour les droits démocratiques les plus
élémentaires du peuple pakistanais, Negroponte a fait précéder
cette approbation d’un éloge vibrant de la « vision »
du dictateur « d’un Pakistan modéré, prospère et démocratique ».
« Sous sa direction, a affirmé
Negroponte, le Pakistan a accompli de grands progrès sur la voie
de cette vision. Au cours de ces dernières années, le peuple
pakistanais a vu les médias se développer et devenir plus
libres, l’économie croître et se développer d’une façon
jamais vue et l’effet modérateur de lois et de programmes
scolaires tenant compte des genres. Le président Musharraf a été,
et il continue d’être une voix forte contre l’extrémisme ».
La semaine dernière, les médias américains
et la presse occidentale dans son ensemble avaient fait grand cas
de la visite prévue de Negroponte à Islamabad, affirmant qu’il
allait sermonner Musharraf. Celui-ci a fait, depuis qu’il a déclaré
l’état d’urgence le 3 novembre, emprisonner des milliers de
personnes, purgé l’appareil judiciaire, suspendu la liberté
d’expression, la liberté d’assemblée et la liberté de
mouvement et a donné aux tribunaux militaires le pouvoir de juger
des opposants de son gouvernement.
En réalité, et comme l’a bien illustré la
conférence de presse de Negroponte, sa visite avait pour but de
sauver le régime de Musharraf et avant tout de préserver
l’association, vieille de plusieurs décennies, entre l’impérialisme
américain et l’armée pakistanaise.
La décision d’envoyer Negroponte comme émissaire
du gouvernement américain à Islamabad avait, en elle-même, une
signification qui n’a pas dû échapper à Musharraf et à
l’armée pakistanaise. Même mesuré à l’aune de
l’administration Bush qui a à son actif deux guerres prédatrices,
des attaques drastiques sur les droits démocratiques du peuple américain
et la défense publique, bien que sous un autre nom, de la
torture, Negroponte se distingue par ses antécédents politiques
particulièrement sanglants et répugnants. En tant
qu’ambassadeur des Etats-Unis au Honduras il fournit les excuses
de la répression sauvage menée par le gouvernement du Honduras
contre la gauche, tout en aidant à organiser la guerre des
contras contre le gouvernement sandiniste au Nicaragua. Negroponte
fut ambassadeur des Etats-Unis à l’ONU dans la période qui a
précédé l’invasion de l’Irak et il servit ensuite, de juin
2004 à avril 2005, comme ambassadeur des Etats-Unis en Irak.
Dans sa conférence de presse, Negroponte a
tout juste consacré deux paragraphes à ce qu’on pourrait
faussement interpréter comme une critique du gouvernement
Musharraf. Issu d’un coup d’Etat militaire en 1999, ce régime
a brutalement réprimé toute opposition politique durant huit
ans, organisé diverses élections bidon, et poursuivi une
politique néolibérale qui a augmenté de façon draconienne
l’insécurité économique et l’inégalité sociale.
Des responsables du département d’Etat ont
dit que Negroponte demanderait à Musharraf de lever l’état
d’urgence avant la tenue d’élections législatives et
provinciales prévues pour le début du mois de janvier. Mais le général
a refusé, dans de récentes interviews et, d’après ses
collaborateurs, aussi lors de sa rencontre avec Negroponte, de
nommer une date de levée de l’état d’urgence ou d’accepter
de limiter celui-ci dans le temps. Musharraf a insisté au
contraire pour dire, prétextant la menace du terrorisme, que la
seule manière de garantir des « élections libres »
était de maintenir un régime anticonstitutionnel où tout
meeting politique et tout rassemblement est interdit et où chacun
peut être arrêté et même accusé de trahison pour avoir
critiqué son gouvernement.
Negroponte a concédé bien au début de sa
conférence de presse, que « l’état d’urgence est
incompatible avec des élections libres, justes et crédibles ».
Mais il a nuancé cette déclaration par la suite disant, en réponse
à la question d’un journaliste, que si le gouvernement ne
levait pas l’état d’urgence et ne libérait pas les membres
des partis d’opposition « il affaiblirait
certainement [sa] capacité à mener des élections satisfaisantes ».
Negroponte
tourne le dos à Bhutto
Juste avant la visite de Negroponte, le régime
militaire pakistanais avait levé l’assignation à résidence
frappant la présidente du PPP (Pakistan People’s Party) Benazir
Bhutto, ancienne premier ministre du Pakistan et celle d'Asma
Jahangir, ancien responsable de l’ONU et dirigeant de la
Commission autonome des droits de l’homme du Pakistan. Le régime
avait aussi permis à plusieurs chaînes de télévision privées
de reprendre leurs émissions, mais seulement après qu’elles
aient accepté de se conformer à un code de conduite draconien
qui menace ceux jugés trop critiques envers le gouvernement
d’amendes et de peines de prison.
Pour le reste, la répression a continué sans
rémission pendant le weekend, la police dispersant des
rassemblements de protestation, chargeant à la matraque et procédant
à des arrestations en masse. Musharraf avait annoncé la couleur.
« Quiconque enfreint la loi du pays retournera en prison ou
bien sera arrêté » avait-t-il dit avant la visite du
sous-secrétaire d’Etat. « Nous ne voulons
d’agitation de la part de personne et nous le dirons à
Negroponte… »
Agissant sous la pression d’Islamabad, le
gouvernement de Dubaï a forcé deux chaînes de télévision privées,
GEO TV et ARY, qui diffusaient par câble vers le Pakistan avant
l’état d’urgence et continuaient depuis d’avoir une large
audience dans la communauté pakistanaise expatriée des Etats du
Golfe persique, à interrompre leurs émissions.
Negroponte a téléphoné à Bhutto au début
de sa visite mais a refusé selon toute apparence de la rencontrer
après qu’elle ait rejeté son appel à se rallier à Musharraf.
Negroponte n’a rencontré aucun autre leader de l’opposition,
une manifestation de plus du soutien de Washington au gouvernement
pakistanais.
Durant les six derniers mois,
l’administration Bush avait investi beaucoup de temps et d’énergie
à essayer d’obtenir un rapprochement entre Bhutto et Musharraf.
On espérait que le PPP fournirait une feuille de vigne démocratique
au régime militaire de plus en plus isolé et impopulaire, en échange
d’une part significative de pouvoir politique.
Bhutto pour sa part a essayé de se qualifier
publiquement pour ce rôle, disant clairement que, si elle était
au gouvernement, elle serait plus accommodante encore que
l’actuel gouvernement vis-à-vis des vœux de Washington. Elle
permettrait par exemple aux troupes américaines de monter
ouvertement des opérations militaires dans les zones du Pakistan
qui bordent l’Afghanistan.
Après l’imposition de la loi martiale,
Bhutto avait louvoyé face aux déclarations politiques de
l’administration Bush et elle avait maintenu dans les coulisses
des contacts avec le gouvernement. Mais la semaine dernière, après
avoir été assignée à résidence à deux reprises et après que
le gouvernement ait arrêté des dizaines de supporters du PPP,
Bhutto a été forcée d’annoncer qu’elle ne pouvait pas faire
partie d’un gouvernement dont Musharraf serait le président et
elle a pressé les Etats-Unis de l’aider à faciliter la
« sortie » du général.
La veille de la visite de Negroponte, Bryan
Hunt, le consul général américain à Lahore rencontrait Bhutto,
alors assignée à résidence, pour essayer de la persuader de
reprendre les négociations avec Musharraf et l’armée. Selon
Associated Press, elle lui a dit que cela serait « très
difficile ». La crédibilité de Bhutto et le soutien dont
elle bénéficie ont fortement souffert parce qu’elle est prête
à négocier avec Musharraf et avec les Etats-Unis qui ont favorisé
plusieurs dictatures militaires successives au Pakistan et occupé
l’Afghanistan et l’Irak.
Musharraf a, de son côté, parlé de Bhutto de
façon de plus en plus de méprisante. Dans une interview donnée
vendredi au Washington Post il a écarté d’autres négociations
avec elle et l’a justifié cela en disant qu’elle recherchait
trop « la confrontation ». Il a promis de réduire à
néant le défi qu’elle a porté à son gouvernement. Selon le
journal Dawn il a fait entendre le même message à
Negroponte lors de leur rencontre.
Lors de sa conférence de presse, Negroponte a
dit qu’il avait « encouragé une réconciliation entre les
modérés politiques » (parlant de Musharraf et Bhutto)
« comme la voie la plus constructive ». Mais étant
donné qu’il n’a pas rencontré la dirigeante du PPP et
qu’il a fait l’éloge de Musharraf, son appel à « toutes
les parties » de poursuivre « l’engagement et le
dialogue et non pas la politique du pire et la confrontation »
était principalement adressé a Bhutto et non pas au général
responsable la loi martiale et de la répression.
Depuis que Musharraf a imposé la loi martiale,
les responsables de l’administration Bush ont affirmé qu’il y
avait des limites sérieuses à leur influence sur Islamabad et
que tout ce qu’ils pouvaient faire était de plaider avec
l’armée pakistanaise pour que celle-ci aille vers la démocratie.
De telles affirmations sont ridicules. Si les Etats-Unis voulaient
faire pression sur Islamabad, ils auraient, ainsi que les pays
occidentaux, une vaste panoplie d’instruments à leur
disposition qui leur permettrait d’exercer une pression tant économique
que politique sur le gouvernement pakistanais. L’armée
pakistanaise entretient une association de longue date avec le
Pentagone et a empoché la plus grande partie des 10 milliards de
dollars d’aide que Washington a, pour ce qui est connu, donné
au Pakistan durant les six dernières années.
Lorsqu’elle considérait que les intérêts
stratégiques vitaux des Etats Unis étaient en jeu,
l’administration n’avait eu aucun problème à menacer
Musharraf et l’armée pakistanaise. Musharraf affirme dans son
autobiographie que le prédécesseur de Negroponte, l’ancien
secrétaire d’Etat adjoint, Richard Armitage, avait dit en
septembre 2001 que les Etats-Unis bombarderaient le Pakistan et le
feraient retourner à l’âge de pierre s’il ne rompait pas ses
liens avec le régime des talibans et ne fournissait pas un
soutien logistique à une invasion américaine de l’Afghanistan.
La réalité est que l’administration Bush et
l’establishment américain dans son ensemble sont terrifiés
à l’idée qu’une lutte populaire contre le régime Musharraf
puisse entraîner un soulèvement social provoquant des fissures
dans l’armée pakistanaise et échappant au contrôle politique
du PPP et des autres partis bourgeois traditionnels.
Une telle évolution perturberait pour le moins
sérieusement la guerre des Etats-Unis en Afghanistan, près de la
moitié du pétrole et la plupart des autres fournitures utilisées
par les forces américaines passant par le Pakistan ; elle
perturberait aussi les préparatifs de guerre de Washington contre
l’Iran.
D’où le fait que l’administration Bush,
tout comme les démocrates, se soient ralliés à Musharraf et à
l’armée pakistanaise, les démocrates rouspétant quelque peu
sur la mauvaise gestion des affaires américaines par
l’administration
L’administration Bush explore toutefois
momentanément d’autres options au cas où l’opposition
populaire contre Musharraf augmenterait, c’est-à-dire des
moyens de remplacer celui-ci par un autre général, plus
acceptable. Selon certains articles de presse, Negroponte a
rencontré par trois fois lors de sa visite le général Ashfaq
Kiyani, l’homme désigné par Musharraf pour lui succéder comme
chef des forces armées. Le Washington Post, qui a fait état
de ces visites, a fait remarquer que « la rencontre de
Negroponte avec Kiyani était un signe que les Etats-Unis
cherchent à faire les yeux doux à d’autres leaders possibles
qui soient capables de maintenir la stabilité du pays et être
des associés dans sa lutte contre le terrorisme, dirent des
analystes ».
Quoiqu’il arrive, Washington est résolu à
faire obstacle aux aspirations démocratiques et sociales du
peuple pakistanais.
(Article anglais paru le 19
novembre 2007)
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Publié le 26 novembre 2007 avec l'aimable autorisation du WSWS
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