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Le président pakistanais
s’emporte contre ses critiques
K. Ratnayake
Le président Pervez Musharraf
7
janvier 2008
Le président pakistanais Pervez Moucharraf est
de plus en plus assiégé depuis l’assassinat de la
dirigeante de l’opposition Benazir Bhutto. La version officielle
de la mort de Bhutto est en miettes, soulevant encore plus la
question de l’implication de sections du régime dans le meurtre
et menaçant de faire exploser les manifestations de
l’opposition avant les élections nationales qui ont été
reportées au 18 février.
Des images vidéo montrent un tireur près de
la voiture de Bhutto, qui tire visiblement sur elle alors
qu’elle salue la foule par le toit ouvrant de la voiture.
Bhutto s’effondre dans la voiture et l’instant d’après
l’explosion de l’attentat suicide pulvérise la scène. Des témoins
oculaires et des représentants officiels de son parti, le Parti
du peuple du Pakistan (PPP), insistent sur le fait qu’elle a été
abattue. Cependant, l’enquête officielle prétend que la mort
de Bhutto ne peut être attribuée à des blessures dues à des
projectiles d’armes à feu, mais à des blessures qu’elle
aurait subies en se frappant la tête sur une poignée du toit
ouvrant de la voiture.
Ce scénario sert un objectif politique défini.
Même avant que l’enquête ne débute, le régime mettait
l’assassinat sur le compte de al-Qaïda, affirmant que ce n’était
qu’un autre attentat suicide dans la myriade des attentats
suicides menés par les groupes pro-talibans dirigés par
Baitullah Mehsud. La présence d’un tireur ne correspond pas à
ce scénario, et soulève des questions embarrassantes à propos
de son identité. L’assassinat s’est produit dans la ville
garnison de Rawalpindi, là où les quartiers généraux de
l’armée sont basés.
L’assassinat a été suivi par des jours de
manifestations et d’émeutes animées de la conviction largement
répandue que le gouvernement ou les militaires, sur qui
s’appuie Moucharraf, sont responsables et que l’enquête
officielle est une couverture. Mehsud a nié toute
implication. Le mari de Bhutto, Asif Ali Zadari a refusé de
donner l’autorisation pour une autopsie, disant à la presse
qu’il avait vécu « assez longtemps » au Pakistan
pour savoir comment cette procédure allait être menée.
Alors que la version officielle des faits
commençait à tomber en morceaux, Moucharraf a été forcé
d’accepter une offre d’assistance de Scotland Yard d’Angleterre
pour donner un semblant de crédibilité à l’enquête policière.
Il a continué de rejeter les demandes du PPP pour la tenue
d’une enquête internationale complète comme celle menée par
l’ONU pour le meurtre du premier ministre libanais, Rafik
al-Harari, en 2005.
Lors d’une conférence
de presse télévisée avec des journalistes de l’étranger
jeudi dernier, Moucharraf a reconnu pour la première fois qu’il
y avait des « problèmes » avec l’enquête et de
« l’incertitude… sur la cause exacte de la mort ».
Mais il s’est opposé à toute suggestion que les forces de sécurité
sont responsables de l’assassinat, que ce soit directement ou
indirectement à cause de mesures de sécurité déficientes.
Le président a déclaré
qu’il n’est pas entièrement satisfait de l’enquête, mais a
insisté sur le fait que le gouvernement n’avait pas « de
plans pour masquer la preuve ». Lorsqu’on lui a demandé
pourquoi la police avait nettoyé les lieux de l’assassinat, détruisant
ainsi les preuves qui auraient pu s’y trouver, Moucharraf a répondu
absurdement : « Pourquoi ne l’auraient-ils pas fait ?
Si vous voulez dire qu’ils l’ont fait intentionnellement, je
dirais que non. Ce n’est que de l’inefficacité, que des
personnes qui ont pensé qu’il fallait nettoyer la place; les
automobiles devaient circuler. »
Après avoir accusé les
groupes islamistes, Moucharraf a dit que c’était une « farce »
que de laisser entendre que l’armée et les agences du
renseignement pouvaient utiliser, pour leurs propres fins, les mêmes
personnes qui les attaquent. « Aucune organisation du
renseignement au Pakistan ne peut endoctriner un homme pour
qu’il se fasse exploser », a-t-il ajouté.
Le fait même que
Moucharraf soit obligé de faire de telles déclarations est une
indication que très peu de personnes le croient. L’armée
pakistanaise et sa puissante agence du renseignement, l’ISI (Inter-Services
Intelligence), ont une longue association avec les organisations
islamistes, qui remontent à l’époque de la dictature du général
Zia-ul Haq. L’ISI a joué un rôle central dans le djihad
anti-soviétique parrainé par la CIA en Afghanistan dans les années
1980, duquel sont nées des organisations comme al-Qaïda et
d’autres milices islamistes. Il est très probable que des éléments
du gouvernement et/ou de l’armée ont collaboré avec des
groupes liés à al-Qaïda pour éliminer un ennemi commun.
Après la première
tentative d’assassinat dirigée contre elle en octobre dernier,
Bhutto avait envoyé une lettre au président qui identifiait
quatre personnalités de son régime, y compris Chaudhry Pervez
Elahi, un ancien ministre important de la province du Punjab,
comme des ennemis voulant la tuer. On a officiellement interdit à
l’équipe de Scotland Yard sur les lieux d’interroger ces
quatre individus. Au moins à la conférence de presse de jeudi,
Moucharraf a défendu sa décision, disant que « Je ne
laisserai personne monter une chasse aux sorcières et commencer
à faire du grabuge. »
Avant son retour au
Pakistan en octobre, l’administration Bush avait fait pression
pendant des mois pour que Bhutto et Moucharraf arrivent à
s’entendre sur un partage du pouvoir, ce qui aurait contribué
à renforcer le régime militaire impopulaire. La possibilité que
le PPP puisse gagner l’élection et que Bhutto devienne première
ministre suscitait la ferme opposition du parti dirigeant, la
Ligue arabe-Q du Pakistan, qui risquait de perdre ses privilèges
et le pouvoir, ce qui donnerait une raison aux dirigeants de cette
organisation de vouloir la mort de Bhutto.
Moucharraf a accusé
Bhutto elle-même parce qu’elle aurait ignoré les
avertissements sur sa sécurité. « Qui faut-il blâmer pour
son geste consistant à sortir du véhicule et à se tenir debout
à cet endroit ? Qui faut-il blâmer ? Les agences qui
font respecter l’ordre ? » a-t-il demandé. La
porte-parole du PPP, Sherry Rehman a dit que les commentaires étaient
« absurdes » et une insulte contre Bhutto et les
autres qui sont morts pour avoir exercé leur droit garanti par la
constitution d’assister à un rassemblement public. Rehman a
accusé le régime de n’avoir pas répondu aux requêtes de
Bhutto pour une meilleure sécurité. Elle a dit qu’un seul véhicule
de la police se trouvait sur les lieux et « toute la journée,
je n’ai pratiquement pas vu de policiers ».
L’appui
américain
Le fait que Moucharraf ait été mis sur la
défensive lors de la conférence de presse de la semaine dernière
souligne la crise politique de son régime. Ce dernier dépend
fortement de l’appui politique et financier de
l’administration Bush, qui exige du Pakistan qu’il intensifie
la guerre contre les milices islamiques dans les régions tribales
le long des frontières afghanes. Le soutien de Moucharraf à la
soi-disant « guerre au terrorisme » de Washington a
alimenté un large sentiment antiaméricain et a aliéné
certaines sections de l’armée.
Le président Bush a de nouveau offert son
plein appui à l’homme fort pakistanais, s’adressant à
Reuters jeudi : « J’ai toujours été un partisan du
président Moucharraf. Je crois qu’il est solide dans la guerre
contre le terrorisme. Il connaît très bien les risques liés aux
extrémistes et aux terroristes. Après tout, ils ont essayé de
le tuer. » Samedi, lors de son discours radiophonique
hebdomadaire, Bush a insisté que les Etats-Unis et le Pakistan
devaient utiliser « chaque outil nécessaire dans les
domaines du renseignement, de la police, de la diplomatie, de la
finance et du pouvoir militaire afin de traduire en justice nos
ennemis communs ».
Le New York Times a révélé
dimanche que de hauts représentants de la Maison-Blanche, dont le
vice-président Dick Cheney, s’étaient rencontrés vendredi
pour discuter d’opérations secrètes américaines beaucoup plus
agressives à l’intérieur du Pakistan (voir en anglais : “Secret
White House meeting plans US military escalation in Pakistan”).
Toute action en ce sens ne servira qu’à déstabiliser davantage
les régions tribales et alimenter encore plus l’opposition
antiaméricaine, aggravant ainsi les difficultés politiques
auxquelles fait face le régime pakistanais.
Reflétant les préoccupations des milieux
dirigeants européens, l’International Crisis Group (ICG) basé
à Bruxelles a émis le 2 janvier un communiqué demandant à
Washington de cesser d’appuyer Moucharraf. Il est clair que
l’on craint que les flagrantes méthodes antidémocratiques du
président pakistanais, y compris l’imposition de l’état
d’urgence et la création de tribunaux favorables au régime, créent
les conditions pour une explosion sociale et politique au pays.
« Il est temps pour la communauté
internationale, et particulièrement les Etats-Unis, de reconsidérer
son soutien à la dictature au Pakistan et d’admettre que la démocratie,
et non pas un général artificiellement maintenu au pouvoir, défroqué
et largement détesté, est le meilleur moyen d’apporter la
stabilité et d’annuler les gains des extrémistes islamiques »,
affirme le rapport. Le tout nouvel intérêt de l’ICG pour la démocratie
pakistanaise pourrait indiquer un tournant de l’Union européenne
vers une implication plus concertée dans le pays.
Le document de l’ICG a
été accueilli par des réactions furieuses à Islamabad. Un
porte-parole gouvernemental a dénoncé l’appel à mettre fin au
règne de Moucharraf comme étant biaisé et frisant « l’encouragement
à la sédition ». Il a dénoncé l’ICG pour n’avoir
aucune crédibilité et pour ne « représenter personne,
particulièrement dans les affaires intérieures du Pakistan ».
Même si le régime pakistanais n’est pas dans une position pour
réprimander l’ICG, le terme « sédition » a été
choisi pour intimider les dirigeants de l’opposition et les médias.
Même s’il a formellement retiré l’état
d’urgence imposé en novembre, Moucharraf a continué de réprimer
l’opposition politique. Dimanche, le journal pakistanais News
a cité un fonctionnaire de haut rang qui disait que le
gouvernement avait pris des mesures répressives contre les
activistes du PPP impliqués dans les émeutes qui suivirent
l’assassinat de Bhutto. Il estimait que « les chiffres
pourraient aller jusqu’à 10 000 » et a déclaré
qu’il « n’y aurait pas de clémence pour ceux qui
causent des dommages coûtant des milliards de roupies ».
Des plaintes formelles ont été portées
contre des milliers de gens dans différentes villes et des
« enquêtes préliminaires » sont déjà en train de débuter.
Le responsable a affirmé que le gouvernement a donné des
directions strictes aux autorités de la province de Sindh — le
château fort de Bhutto — afin de mettre au pas de « hauts
fonctionnaires et sous-fonctionnaires de l’État qui ont
montré de la négligence ou qui ont simplement abandonné leurs
fonctions durant la manifestation ».
Un article dans le New York Times de
samedi détaillait les efforts du régime pour museler et
intimider les avocats qui avaient mené le mouvement
d’opposition contre les purges de Moucharraf envers la Cour.
Aitzaz Ahsan demeure en résidence surveillée à Lahore et il lui
est interdit de parler à des étrangers, incluant les
ambassadeurs américains et britanniques au Pakistan qui ont récemment
tenté de le visiter à son domicile. Son ami et collaborateur,
Muneer Malik, était en mesure de parler à la presse, mais était
physiquement faible après trois semaines en prison où il est
presque mort en raison de la déshydratation, de la malnutrition
et de la présence de toxines inconnues, selon les docteurs de
Malik.
Hier, plus de 250 personnes, incluant des
avocats et d’autres activistes, ont protesté près de la maison
de Ahsan, demandant le retour des juges chassés dans les purges
du mois dernier. Mais, les grandes manifestations semblent s’être
temporairement dissipées, en grande partie en raison de l’appui
du PPP et des autres partis de l’opposition pour la décision de
retarder les élections et d’éviter toute confrontation
politique avec le régime.
Cependant, le fait que Moucharraf ait été mis
sur la défensive face aux critiques, particulièrement concernant
l’enquête sur l’assassinat de Bhutto, démontre que la crise
de son régime ébranlé est loin d’être terminée.
(Article original paru le
7 janvier 2008)
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Publié le 8 janvier 2008 avec l'aimable autorisation du WSWS
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