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RPL France
Texte intégral: Audition du général Aoun à la commission des
affaires étrangères en France
Michel Aoun - Photo: tayyar.org
Mardi 23 novembre 2010
La séance est ouverte à neuf heures trente.
M. le président Axel Poniatowski. Nous avons le plaisir de
recevoir ce matin le général Michel Aoun, chef du Courant
patriotique libre.
Mon Général, je suis très heureux de vous accueillir à la
Commission des affaires étrangères. Nous suivons avec intérêt
l’évolution de la situation au Proche-Orient dans son ensemble
et au Liban en particulier. Nos collègues Élisabeth Guigou et
Jean-Jacques Guillet avaient eu l’occasion de s’entretenir avec
vous à Beyrouth, dans le cadre d’une mission d’information sur
la place de la Syrie dans la communauté internationale – dont le
rapport, présenté en juin dernier, accorde l’importance qui
convient aux relations entre ce pays et le vôtre. La Commission
a eu aussi l’honneur, il y a quelques mois, de recevoir le
cardinal Sfeir. Notre attention à ce qui se passe au Liban tient
à la fois aux liens profonds qui l’unissent à la France et à
l’extrême sensibilité de son équilibre politique et social,
auquel la stabilité régionale est directement liée.
Je ne rappellerai pas ici votre carrière militaire et votre vie
politique : vous êtes certainement l’une des personnalités
libanaises les plus connues en France, où vous avez vécu pendant
une quinzaine d’années.
Je ne vais pas non plus décrire le paysage politique libanais,
très complexe mais familier aux membres de la Commission. Le
Courant patriotique libre, dont vous êtes le chef, n’est pas
sorti parmi les vainqueurs des élections législatives de juin
2009, mais quatre de ses membres font néanmoins partie du
gouvernement de M. Saad Hariri. Un an après la constitution de
ce dernier, quel bilan dressez-vous de son action ? À quels
dossiers faut-il selon vous donner la priorité ?
La Commission va entendre tout à l’heure M. Joseph Maïla,
directeur de la prospective au ministère des affaires étrangères
et européennes, au sujet des chrétiens d’Orient. Vous qui êtes
l’un des représentants des chrétiens libanais, pouvez-vous nous
donner votre sentiment sur l’évolution de cette minorité dans
votre pays, et plus généralement au Proche-Orient ?
Le rapport de la mission d’information insistait déjà sur les
inquiétudes suscitées par la perspective de publication, par le
Tribunal spécial pour le Liban, d’actes d’accusation qui
viseraient des membres du Hezbollah. Rien de tel ne s’est encore
produit mais, étant entendu qu’il ne saurait être question
d’entraver le travail de ce tribunal, comment pensez-vous qu’il
conviendrait d’agir pour limiter les risques de déstabilisation
que de telles mises en accusation pourraient provoquer ?
Général Michel Aoun, chef du Courant patriotique libre. J’ai
passé en France non pas quinze, mais dix-huit ans. En 1958-1959,
j’étais à l’École d’application de l’artillerie à
Châlons-sur-Marne. Entre 1978 et 1980, j’ai été stagiaire à
l’École supérieure de guerre. Cela fait déjà trois années,
auxquelles s’ajoutent quinze ans d’exil, dont un an en
territoire français mais à l’ambassade, et quatorze ans entre
Marseille, La Haute-Maison et Paris. Le peuple français et la
vie politique française me sont donc familiers, et j’entretiens
avec les Français des liens d’amitié à la fois ancrés dans la
tradition et toujours renouvelés.
Le Liban traverse actuellement une crise assez complexe,
comportant des composantes intérieures et des composantes
extérieures. Je m’attarderai surtout sur les secondes car elles
vous concernent davantage.
Parmi les problèmes intérieurs, il y a tout d’abord l’état des
finances publiques : depuis 1993 jusqu’à maintenant, il y a eu
dilapidation, voire détournement de fonds publics. Pendant les
quatre premières années du gouvernement Rafic Hariri, de 1993 à
1996, près de 3,5 milliards de dollars ont été dépensés sans
justificatifs. Actuellement, nous sommes surendettés : 60
milliards de dollars, c’est beaucoup pour un pays qui compte
moins de 4 millions d’habitants – sur un territoire de 10 464
kilomètres carrés…
Autre source intérieure de crise : la formation à l’initiative
de l’administration, donc en contradiction avec les prérogatives
gouvernementales, d’unités de sécurité extra-légales qui, de ce
fait, fonctionnent en parallèle avec les forces de sécurité.
C’est une sorte de milice pour la présidence du Conseil. Il
résulte aussi de cette situation une crise au sein de la
justice, qu’il faut réformer.
Notre groupe parlementaire, créé en 2005, s’appelle le Bloc du
changement et de la réforme, et notre action est conforme à
notre nom : la commission parlementaire des Finances et du
Budget est désormais présidée par l’un des nôtres, et nous avons
constaté le détournement des fonds du Trésor public.
S’agissant des composantes extérieures de la crise, il faut
d’abord parler du Tribunal spécial pour le Liban.
Le 14 février 2005, l’ex-Premier ministre du Liban, Rafic
Hariri, était assassiné. Le soir même, le Conseil des ministres
saisissait notre Cour de justice, compétente pour les crimes qui
peuvent déstabiliser le pays. Au cours de l’enquête qui a suivi,
on a vu se développer l’idée de former un tribunal spécial pour
le Liban. J’ai été le premier à proposer la formation d’un
tribunal mixte – à la fin du mois d’août, je crois.
Malheureusement, avec le premier juge d’instruction, M. Mehlis,
le tribunal s’est trouvé médiatisé avant même d’avoir commencé à
travailler. Des soupçons se sont formés contre la Syrie puis
contre le Hezbollah. Le tribunal s’est ainsi trouvé exploité
politiquement au Liban, et sa crédibilité s’en est trouvée très
fragilisée.
Des crimes en série se sont produits, souvent par des attentats
à la voiture piégée. Plusieurs députés ont été tués, ainsi que
beaucoup de civils. Contrairement à ce qu’on pouvait attendre,
aucun de ces crimes n’a été élucidé. Aucun indice n’a été
trouvé. Certains en ont conclu ironiquement que ces crimes
parfaits ne pouvaient qu’avoir été commis par les juges chargés
de l’instruction… Le Liban compte au moins 23 services de
renseignement, nous sommes surveillés par plusieurs satellites
géostationnaires, toutes nos communications sont écoutées par
Israël et par des pays amis. Le fait que ces crimes restent
mystérieux n’a pu qu’entraîner des suspicions sur la façon de
mener l’enquête. Cela a beaucoup perturbé l’opinion publique.
Quatre généraux responsables de la sécurité ont été arrêtés à
Beyrouth : le chef du Deuxième Bureau, le directeur des Forces
de sécurité intérieure, le directeur de la Sûreté générale et le
commandant de la Garde présidentielle. Le Président de la
République libanaise lui-même a été accusé par la presse
internationale et locale. La vengeance politique l’a ainsi
emporté sur le souci de justice.
Les quatre généraux sont sortis de prison au bout de quatre ans,
en dénonçant l’existence de faux témoins. Il est normal que des
victimes de faux témoignages demandent justice, mais où ? La
justice libanaise ayant considéré qu’elle ne pouvait recevoir
leurs plaintes, ils se sont adressés au Tribunal spécial pour le
Liban. Celui-ci a déclaré son incompétence. Il y avait aussi des
Syriens parmi ces témoins, ce qui a conduit l’opinion publique à
accuser la Syrie. La justice syrienne a accepté les plaintes.
Le Tribunal spécial s’apprête à publier un acte d’accusation. On
prépare l’opinion publique à l’accusation du Hezbollah. Mais
tous les Libanais qui aspirent à la justice pensent qu’en
remontant la piste des faux témoins, on peut arriver au vrai
commanditaire du crime : il est impossible qu’un groupe de faux
témoins ne soit pas manipulé ou envoyé par quelqu’un. Qui ? On
parle de différentes personnalités libanaises, jusqu’au
Procureur général de la République, accusé par les victimes. En
négligeant cette piste, le Tribunal spécial paraît se concentrer
contre le Hezbollah – après avoir fait de même contre la Syrie.
La justice doit pourtant être égale pour tous.
Le Hezbollah réagit, en clamant son innocence. Cette situation
va dresser une grande partie de la population libanaise contre
le Tribunal spécial pour le Liban, créé par le Conseil de
sécurité, alors que tout le monde avait approuvé sa création.
Aujourd’hui, je le répète, on néglige une partie importante des
investigations. Nous essayons d’expliquer cela, afin que des «
bavures » ne viennent pas entraver la paix au Liban et nuire à
nos relations avec la France et la communauté internationale, et
même avec les pays avoisinants.
Deuxième sujet que je voudrais évoquer : la situation des
chrétiens au Liban et dans l’ensemble du Moyen-Orient.
Depuis l’entrée des Soviétiques en Afghanistan, époque à
laquelle j’étais stagiaire à l’École supérieure de guerre, on a
vu la création de la résistance islamique, aidée par les
Américains, par Anouar el-Sadate et par le roi Fahd d’Arabie
saoudite. Elle était constituée de groupes fanatisés dressés
contre le communisme. Je me souviens d’avoir terminé un exposé à
l’École en disant que l’islamisme pouvait être aussi bien
anticommuniste qu’anti-occidental mais que sur le plan
politique, il était parfois pro-occidental ou pro-soviétique et
qu’il fallait prendre garde d’encourager cette résistance. J’ai
pris à témoin un camarade de promotion tunisien ; il a confirmé
mon analyse. Je suis contre l’intégrisme islamiste, non parce
que je suis chrétien, mais parce que je ne peux pas concevoir
qu’au début du troisième millénaire, on s’oppose à la liberté de
conscience, à la liberté religieuse et politique. L’individu
doit pouvoir faire ses choix – y compris celui d’être athée.
Pour moi, le droit de chaque personne à la différence doit être
sacré, non pas seulement accepté. C’est là une attitude d’esprit
aux antipodes de l’islamisme. Je suis contre toute forme de
racisme et toute conception monodimensionnelle de la société.
Partout dans le monde, on va vers la diversité et le pluralisme.
Certaines puissances disent leur opposition au mouvement
islamiste mais l’instrumentalisent pour créer des troubles, donc
des espaces d’intervention, afin de défendre des intérêts non
déclarés mais aisés à deviner – le pétrole, le gaz, l’uranium,
bref les matières premières.
Sachant cela, j’ai essayé de m’occuper des Levantins, des
chrétiens du Levant – Machrek, première région à avoir été
convertie au christianisme, comprenant la Palestine, la
Jordanie, la Syrie, une grande partie de l’Irak et Antioche. La
Syrie encourage cette démarche, dont l’objectif est
l’épanouissement de la communauté chrétienne et son harmonie.
Nous ne recherchons pas la différence pour elle-même, mais
l’unité dans la différence : le débat est une source
d’enrichissement, tant il est vrai que penser tous la même
chose, c’est renoncer à penser.
Le travail qui est mené sur les vestiges chrétiens au Nord de la
Syrie va conduire à déclarer patrimoine universel une grande
partie de cette région, celle des premiers saints de l’Église
chrétienne. Nous espérons étendre cela à la Jordanie et à la
Palestine.
À Jérusalem, les chrétiens représentaient 55 % de la population
en 1948 ; actuellement, ils en représentent 2 %. À Bethléem, on
est passé de 82 % en 1948 à 12 % aujourd’hui. En Irak, je n’ai
pas les chiffres mais vous savez ce qu’il en est. Le Liban a été
très touché en 1983 ; beaucoup de Libanais ont émigré, notamment
vers la France, ainsi que vers le Canada et vers l’Australie. La
cause est toujours le conflit israélo-arabe, dont les chrétiens
font les frais.
Le premier problème qui se pose à nous est l’implantation des
Palestiniens – 500 000 personnes, soit 15 % de la population
libanaise. Imaginez qu’en France, vous ayez à intégrer et
naturaliser d’un seul coup 9 millions de personnes… C’est
impossible.
Malheureusement, l’opinion publique européenne est intoxiquée
par les médias. Une étude que j’ai présentée sur les relations
islamo-chrétiennes montre qu’il n’y a pas de problème religieux
si l’on s’en tient aux textes ; c’est l’interprétation de ces
textes qui sert de justification à beaucoup d’abus. Dans une
lettre rédigée à l’occasion du Synode des évêques d’Orient, j’ai
donc appelé les musulmans à revenir aux textes. Le Coran
reconnaît le christianisme, la foi du musulman comporte la
reconnaissance du Christ et de l’Évangile. Ce n’est donc pas de
conflit religieux qu’il s’agit, mais de conflit d’intérêts ainsi
que de manipulation. Les chrétiens eux-mêmes se sont fait la
guerre ; phénomène indépendant des croyances, la guerre est
causée par la volonté de suprématie et le désir de richesses.
C’est pourquoi il faut intervenir pour corriger un peu la marche
des choses.
M. Jean-Marc Nesme. La commission des affaires étrangères va
bientôt examiner un projet de loi « autorisant l'approbation de
l'accord de coopération dans le domaine de la défense entre le
Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la
République libanaise ». Cet accord prévoit notamment « le
renforcement et la modernisation de l’appareil de défense » du
Liban, mais aussi « l’organisation et l’exécution d’activités de
formation spécialisée, d’entraînement et d’exercice commun ».
Que vous inspire-t-il ? Êtes-vous favorable au renforcement de
l’armée nationale libanaise, alors que le Hezbollah est
suréquipé et contrôle tout le Sud du Liban et la plaine de la
Bekaa, par où transiteraient des armes en provenance de la Syrie
et de l’Iran ?
Souhaitez-vous que le Hezbollah, comme les autres milices,
abandonne son armement, ainsi que le demande l’ONU, pour n’être
qu’un parti politique au sein d’un État de droit, dont l’une des
prérogatives régaliennes est la défense, avec une armée
nationale sous commandement gouvernemental ?
Quelle est votre position sur la présence de la FINUL à la
frontière entre le Liban et Israël ?
M. François Rochebloine. Mon Général, vous avez été pour
beaucoup le symbole de la résistance libanaise contre
l’occupation syrienne. Depuis votre retour au Liban, vous avez
fait certains choix politiques qui vous font apparaître comme
pro-syrien, voire pro-iranien. Qu’en est-il exactement ?
Vous vous étiez par ailleurs ardemment investi dans la lutte
contre la drogue. Où en est le Liban dans ce domaine ?
M. Gérard Bapt. En ce qui concerne l’affaire des faux témoins,
comment se fait-il que la justice libanaise n’arrive pas à
localiser celui au sujet duquel j’avais interrogé Mme Dati,
ministre de la justice, Mme Alliot-Marie, ministre de
l’intérieur et M. Kouchner, ministre des affaires étrangères,
qui avait quitté la France alors même qu’il faisait l’objet d’un
mandat Interpol ? Il est tout de même étonnant que l’on n’arrive
pas à interroger ce monsieur qui fait des déclarations ici ou là
à travers le monde…
Au sujet de l’intégrisme islamiste, considérez-vous qu’il y a
une différence de nature entre le chiisme et le sunnisme ? Il
est frappant que l’on voie toujours des synagogues et des
églises à Téhéran, alors qu’il n’y en a pas en Arabie saoudite.
M. Dominique Souchet. Vous avez évoqué les vagues d’émigration,
à partir de 1983, vers différents pays dont la France.
L’existence du gouvernement d’union nationale depuis un an
produit-elle des effets auprès de la diaspora ? Assiste-t-on à
un phénomène de retour de familles libanaises, notamment
maronites ? Le redémarrage de l’économie libanaise est-il
suffisant pour permettre de tels retours ?
M. André Schneider. Israël devrait décider aujourd’hui de
retirer ses troupes du village de Ghajar, en territoire
libanais, pour en remettre le contrôle à la FINUL. Cette
dernière serait basée à l’extérieur du village, pour maintenir
le Hezbollah à distance. Un tel retrait pourrait-il permettre
d’apaiser les relations entre l’État hébreu et le Liban ? Cet
accord pourrait-il convenir au Hezbollah ?
M. Jean-Michel Ferrand. Quelle est aujourd’hui la proportion de
chrétiens au Liban ? Quel est leur avenir ? Pourquoi les
différentes factions chrétiennes ont-elles de si grandes
difficultés à s’entendre ? Les Kataëb existent-ils toujours ?
M. Michel Terrot. Que reste-t-il de l’influence française au
Liban – dans le domaine intellectuel, notamment en matière
d’enseignement, mais aussi en termes de présence de nos
entreprises ?
M. Jacques Myard. Affreux terroristes pour les uns, patriotes
pour les autres : quel est votre propre sentiment au sujet du
Hezbollah ?
M. François Loncle. La tentative de MM. Barack Obama, Benyamin
Netanyahu et Mahmoud Abbas de résoudre à eux trois le conflit
israélo-palestinien a-t-elle selon vous des chances d’aboutir ?
M. Lionnel Luca. Y a-t-il un avenir pour les chrétiens au Liban
?
Comment analysez-vous le rôle d’Israël à l’égard de votre pays ?
M. Jean-Paul Dupré. Quelles seraient les conditions d’un
redressement de la situation des finances publiques au Liban ?
Quelles sont les activités économiques majeures dans votre pays
?
M. Jean-Louis Bianco. Quel rôle l’Iran joue-t-il au Liban ? Quel
est votre sentiment sur les liens entre l’Iran et le Hezbollah ?
Général Michel Aoun. La signature d’un accord en matière de
défense n’a rien de nouveau : ce n’est que le renouvellement de
ce qui se fait depuis très longtemps. Cela me paraît très
normal.
Le Hezbollah n’est pas une formation supra-militaire à
l’intérieur du pays. Il s’est constitué en réplique à l’invasion
israélienne de 1982, ce qui est conforme à la Charte des Nations
unies – tout peuple a le droit de libérer son territoire occupé.
Aujourd’hui, l’armée libanaise n’est pas en mesure de contrôler
la situation. Quant à Israël, il ne se montre pas disposé à
trouver un compromis permettant de diminuer la présence armée du
Hezbollah. Au contraire, il continue à faire des déclarations
agressives, ainsi que des manœuvres annuelles « contre le Liban,
la Syrie et l’Iran » donnant l’impression qu’il s’agit d’un
front uni – alors que l’Iran est à 3 000 kilomètres du Liban et
que les Iraniens parlent le persan, tandis que nous parlons
l’arabe… Je puis vous assurer que pendant la guerre de juillet
2006, il n’y avait aucun Iranien sur le territoire libanais, ni
aucun Syrien. Malheureusement, l’opinion publique internationale
a été intoxiquée par la presse à ce sujet ; je souhaite qu’une
enquête soit menée par une commission internationale. Quant à
l’arrivée d’armes, elle peut se faire par la mer. Des marchands
d’armes peuvent en apporter de Chine, de Russie ou d’autres
pays, directement ou indirectement. Dans le conflit avec Israël,
le problème à résoudre n’est pas celui des armes, mais celui de
l’occupation et du rejet de 500 000 Palestiniens sur le
territoire libanais – mais on essaie toujours d’escamoter les
vraies raisons du conflit.
L’Iran n’est pas politiquement présent au Liban. Il aide
ouvertement la résistance – cette guerre du pauvre contre le
riche, du faible contre le fort –, mais n’a pas d’influence
politique. Il a aussi apporté son aide pour restaurer les
églises, les écoles, les routes au Sud-Liban après la guerre, et
les Libanais ne l’oublient pas. C’est pour cette raison que le
président Ahmadinejad a été acclamé au Liban, et non pour ses
déclarations tonitruantes. Il profère beaucoup de menaces, mais
il n’a jamais fait de tort à personne. D’autres pays parlent de
la paix, mais ils ont commis des crimes contre l’humanité et
mené une guerre d’épuration en Palestine – Gaza est un prototype
en matière de massacres. Il ne faut pas confondre la réalité et
ce qui ressort d’une intoxication médiatique.
M. le président Axel Poniatowski. Considérez-vous la réélection
d’Ahmadinejad comme parfaitement légitime ?
Général Michel Aoun. Oui. Avant même l’élection, je savais qu’il
en serait ainsi. J’étais allé en Iran le 13 octobre 2008 et
j’avais interrogé des ministres et des membres du Parlement sur
son éventuelle candidature. On m’avait expliqué que la région de
Téhéran, ville dont il avait été maire, était avec ses 14
millions d’habitants son premier bastion électoral et
qu’ailleurs, il avait gagné la sympathie des Iraniens. Self-made
man, vivant simplement – aujourd’hui encore, il travaille au
palais présidentiel mais n’y habite pas –, il a réussi la
décentralisation, au profit du développement économique des
régions autres que celle de Téhéran et de leurs 56 millions
d’habitants. Il y a gagné en popularité, au point de pouvoir
sans aucun doute y réunir plus de 60 % des suffrages. À
l’inverse, dans la région de Téhéran, il est devenu minoritaire.
S’agissant des faux témoins, le procès a été refusé au Liban
parce que certaines personnalités, à commencer par le Procureur
général, étaient compromises – et ont été couvertes par le
Conseil des ministres. Que diriez-vous si le Président de la
République française, M. Sarkozy, refusait qu’un faux témoin
soit déféré à la justice, au motif que cela va diviser le pays ?
L’intégrisme ne peut pas être chiite : dans leur interprétation
du Coran, les chiites s’adaptent à l’évolution de la société.
Les sunnites, en revanche, se fondent sur des traditions
remontant au temps du Prophète, ce qui conduit à un monolithisme
totalement étranger à notre propre démarche.
Les Libanais qui ont émigré à partir de 1983 ne sont pas encore
très nombreux à revenir. Beaucoup d’entre eux attendent que je
les appelle à le faire. Tant que le pays n’est pas stable, je
leur dis d’attendre. Je prépare les conditions de leur retour,
par l’élargissement de l’espace de sécurité du Liban – qui
s’étend sur tout le Moyen-Orient. Il faut aussi créer les
conditions économiques de ce retour ; le Liban n’est pas un pays
en faillite, mais depuis vingt ans il a été pillé – avec la
participation de personnes extérieures.
Quelle que soit la situation du village de Ghajar ou des fermes
de Chebaa, le problème restera la présence chez nous de 500 000
réfugiés palestiniens. Notre pays est surpeuplé : sa densité est
de 400 habitants par kilomètre carré. Nous manquons de
ressources. Pour un Libanais présent dans le pays, on en compte
trois ou quatre en dehors. Parmi les pays arabes, le nôtre est
le plus dense et le moins riche en ressources.
Les chrétiens, qui étaient majoritaires, ne représentent plus
maintenant que 38 % de la population. Les 62 % de musulmans se
partagent de manière égale entre chiites et sunnites.
La présence française est malheureusement en régression. La
culture française reste dominante, mais les Libanais étudient
l’anglais autant que le français et actuellement, il y a douze
universités américaines, contre trois qui enseignent en
français.
Le Hezbollah est un parti libanais, de résistance à l’occupation
israélienne. Ce n’est pas un parti terroriste, comme beaucoup le
disent, mais un parti patriote qui a essayé de libérer le
territoire libanais. À tous les ambassadeurs et diplomates venus
me dire qu’ils voulaient le combattre, j’ai toujours demandé de
me citer un seul acte terroriste qu’il aurait commis. Il y a sur
ce sujet une terrible intoxication, due aux Américains : c’est
sous l’influence du mouvement sioniste américain que l’on a
essayé de diaboliser le Hezbollah. Quant à moi, je peux vous
assurer que vous rencontrerez certainement beaucoup
d’intégristes islamistes en cravate, alors que chez les
personnes dont l’aspect vous dérange parfois, vous pourriez
découvrir des hommes religieux très tolérants.
Le problème palestinien est très difficile à résoudre car c’est
celui des réfugiés et de l’entité palestinienne, beaucoup plus
que du territoire. Ce que veut Israël pour les Palestiniens, ce
n’est pas une patrie, mais plutôt une réserve, comme pour les
Peaux-Rouges… En déclarant qu’il n’y aurait plus de retour de
Palestiniens, Israël a contredit la résolution 194 des Nations
Unies du 11 décembre 1948. Personne ne s’en est indigné, mais ce
n’est pas ainsi que l’on va avancer vers une solution.
Israël a joué au Liban un rôle très néfaste, notamment en
encourageant le conflit entre les chrétiens et les druzes. La
présence d’Israël au Liban a eu les mêmes résultats qu’à
Jérusalem et à Bethléem.
Pour redresser la situation des finances publiques, il faudrait
commencer par régulariser la comptabilité publique, puis
s’attaquer au redressement économique.
Quant aux chrétiens, il faut simplement les laisser exister. Il
n’y a pas de pays à majorité chrétienne, ni au Moyen-Orient ni
ailleurs dans le monde – il y a seulement des cultures
d’inspiration chrétienne. Le christianisme n’est pas un parti
politique. Nous avons surtout un rôle culturel, appuyé sur les
relations que nous avons nouées dès le seizième siècle avec
l’Occident, et d’abord avec l’Italie et avec la France ; nous
incarnons la synthèse de la pensée religieuse levantine et de la
pensée rationnelle occidentale. Le rôle des chrétiens est d’être
la porte d’entrée des autres cultures. Fort heureusement, nous
ne sommes pas monolithiques et nous sommes bien loin des
théocraties autocratiques.
L’Iran est une puissance régionale mais, je vous l’assure,
n’intervient pas dans nos affaires intérieures. Lors de
l’agression israélienne en 2006, l’Iran et la Syrie nous ont
aidés.
J’étais contre la présence syrienne au Liban, mais quand la
Syrie s’est retirée, j’ai respecté ce que j’avais affirmé
pendant mon engagement militaire contre elle : ce retrait étant
effectué, nous devons avoir les meilleures relations avec elle,
comme il convient entre pays voisins.
M. le président Axel Poniatowski. Il me reste, au nom de tous
mes collègues, à vous remercier d’être venu nous apporter votre
éclairage.
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