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Loubnan ya Loubnan
Ce serait donc un coup d'État sans
prise du pouvoir
Nidal
10 mai 2008
Au moment de taper ces premières lignes, j’hésite encore à
l’idée de publier une réaction «à chaud» (billet commencé
vendredi, terminé samedi) Pas assez d'informations, trop de
tension et de passion et, surtout, le Liban n'est pas mon pays:
au final ça n'est pas moi qui paierai pour mes propres
élucubrations.
Avant tout, je voudrais donc témoigner de toute ma sympathie
pour les Libanais dans ces moments extrêmes. Ce que je peux
encore faire de mieux, finalement, c'est de vous dire toute ma
compassion.
Je m'excuse à l'avance pour mon habituel cynisme, alors que mes
amis libanais viennent de subir une nuit de terreur, de celles
qui traumatisent les enfants pour longtemps.
Voici quelques considérations en vrac. La presse française est
tout entière remplie de demi-vérité. Je voudrais en relever
quelques-unes, en prenant compte du fait que, évidemment, de
part cette partialité, il est particulièrement difficile depuis
la France de se faire une idée précise des événements.
– Avant tout, voici une version de la conférence de presse de
Hassan Nasrallah du 8 mai, traduite en anglais. Évidemment,
malgré l'importance accordée à cette conférence, aucun média
français n'a jugé intéressant de la diffuser avec soustitrage en
français.
http://www.youtube.com...
(Sur Aljazeera anglais, comme dans tout média occidental, quand
quelqu'un parle «trop longtemps», on a peur d'ennuyer le
spectateur, alors on raccourcit. Quand c'est «compliqué», une
andouille de journaliste croît nécessaire de couvrir la
déclaration d'origine pour faire de la paraphrase inutile. Si
vous trouvez une version sans ces travers, merci de la signaler
en forum.)
– Le déclenchement des événements remonte, pour l'ensemble de
nos médias, à la conférence de presse de Hassan Nasrallah.
Pourtant, on sait que la crise a démarré avec l'adoption de la
résolution 1559. L'enchaînement d'événements dramatiques ne
remonte évidemment pas à hier après-midi.
La «surprise» de nos médias masque pourtant difficilement le
fait qu'il était certain que la «grève générale» allait
dégénérer en affrontements armés.
Tout d'abord, il y a déjà eu une telle tentative de grève
générale l'année dernière (janvier 2007) : immédiatement Geagea
avait hurlé au « coup d'État », et les miliciens des Forces
libanaises, du PSP et de Hariri s'étaient attaqués aux
manifestants. J'avais abordé ces événements
dans ce blog.
Un jeune manifestant était mort et, si les événements n'avaient
pas plus dégénéré, c'était simplement parce que le Hezbollah et
ses alliés avaient immédiatement annulé leur mouvement.
On sait donc, depuis, qu'un vaste mouvement de grève général et
de désobéissance civile se traduit par le blocage des routes, et
l'intervention immédiate de milices gouvernementales.
Depuis l'année dernière, on sait également que tous les groupes
politiques ont accéléré le développement de leurs milices
armées. Aucun élément concret ne permettait de croire que les
événements de janvier 2007 n'allaient pas, mécaniquement, se
reproduire.
À cette évidence s'ajoutait la politisation parfaitement
transparente du mouvement, puisque le gouvernement avait annoncé
quelques jours auparavant vouloir « enquêter » sur le réseau de
communication du Hezbollah. La presse française a fait semblant
de ne pas comprendre (d'après
le Figaro, le Hezbollah «prétend» que ce réseau fait partie
de son système opérationnel dans sa «résistance» entre
guillemets):
«Le chef du Hezbollah fustige l'enquête lancée par le
gouvernement de Fouad Siniora sur un réseau de
télécommunications installé par le Hezbollah à travers le
pays. La formation chiite prétend que cette installation
fait partie de sa «résistance contre Israël» et que de ce
fait il est nécessaire pour des raisons de sécurité.»
Le Times britannique,
sous la plume de Nicholas Blanford, est pourtant
catégorique:
«Hezbollah has installed an elaborate fibre-optic telephone
system that it uses to maintain contact between its
headquarters in the southern suburbs of Beirut and its
cadres in south Lebanon and elsewhere. It enabled Hezbollah
to maintain communications during the month-long war with
Israel, defeating Israeli attempts to jam cellphone signals
and monitor the national telephone system.»
Dans la logique de l'opposition, il faut aussi indiquer quelques
points importants pour le timing:
- les survols du Liban par l'aviation israélienne ont
récemment augmenté de manière spectaculaire pour atteindre,
début avril, les 32 intrusions par jour;
- en mars 2008, les États-Unis envoient le navire de
guerre USS Cole au large du Liban;
- le rapport Winograd n'est pas lu comme une condamnation
de la guerre de juillet 2006, mais comme un mode d'emploi
pour corriger les erreurs techniques et stratégiques
commises alors; ces «erreurs» corrigées, les Israéliens
pourront espérer gagner une prochaine guerre au Liban; le
rapport Winograd, pour le Hezbollah, est en fait un «how
to» pour permettre au Israéliens de lancer une
nouvelle guerre;
- l'installation de groupuscules jihadistes au Liban est
considérée comme le déploiement de mercenaires sunnites
ultra-violentes au service du clan Hariri, prêts à attaquer
le Hezbollah «par l'arrière» (dans l'optique d'une nouvelle
agression israélienne).
Bref, pour l'opposition, une autre guerre israélienne contre le
Hezbollah n'est plus une possibilité, c'est une certitude à
court terme.
Le fait que le ministre des Télécommunications qui lance
l'attaque contre le réseau de communications du Hezbollah soit
Marwan Hamadé, homme de main de Walid Joumblatt et bête noire de
ceux qui dénoncent la résolution 1559, est à tout le moins un
symbole fort.
Que le Hezbollah ait tort ou raison, il était en tout cas
évident que ses militants considèrent fondamentalement que cela
relève de l'attaque contre les armes de la Résistance. Je me
demande même s'il se trouve des gens, au Liban, qui croient
réellement, comme l'a affirmé le gouvernement, que ce réseau de
communication visait à contourner le monopole d'État sur la
téléphonie mobile dans le but de détruire l'économie du pays.
En appelant à une grève générale, l'opposition savait
parfaitement qu'il y aurait, comme en janvier 2007, des
affrontements armés. En «attaquant» l'intégrité du système
opérationnel du Hezbollah alors que les Israéliens et les
Américains déploient leurs forces au Liban, le gouvernement
savait tout aussi bien qu'il provoquait à coup sûr de tels
affrontements. L'absence d'affrontements armés, au contraire,
aurait été une incroyable surprise.
– Qui s'est battu dans Beyrouth ? Cela est assez peu clair,
chaque groupe faisant des déclarations contradictoires.
Avant la déclaration de Hassan Nasrallah, les médias évoquaient
principalement un affrontement entre les miliciens d'Amal et les
miliciens de Hariri. Puis on a évoqué des hommes du Hezbollah.
Cette articulation, collaboration, répartition des tâches (je ne
sais comment l'appeler) entre le Hezbollah et Amal est
problématique et troublante. La milice d'Amal a une réputation
épouvantable, fort différente de celle du Hezbollah.
Je serais curieux d'avoir des précisions sur ce point. La milice
d'Amal est tout aussi dangereuse et détestable que les bandits
des Forces libanaises et du PSP. Le parti politique de Nabi
Berri n'est pas non plus l'allié le plus fiable que puisse
trouver le Hezbollah.
Ma grande crainte depuis un moment est que les jeunes crétins
des différentes milices prennent goût à la guérilla urbaine.
Goût qui se prend vite, dès lors qu'elle se solde au début par
des victoires rapides et qu'elle est légitimée par des
politiciens importants. Dès qu'un milicien commence à croire
qu'il peut obtenir des gains plus efficacement que par la
négociation, plus rien ne l'empêchera de poursuivre ses méfaits.
Alors que, les Libanais le savent parfaitement: personne ne peut
jamais gagner une guerre milicienne. On peut rêver d'une
certaine discipline et retenue des militants du Hezbollah (et
encore…), mais on peut être certain que les miliciens d'Amal
sont de ce point de vue, à coup sûr, extrêmement dangereux.
L'autre question troublante sur laquelle j'aimerais trouver des
informations: où sont passés les miliciens des Forces libanaises
de Geagea et du PSP de Joumblatt? L'année dernière elles étaient
aux premiers rangs. Ces derniers jours je ne trouve pas
d'articles les impliquant directement dans les affrontements.
Question similaire: et les FSI, la branche de l'armée conçue
comme une milice gouvernementale fidèle au clan Hariri? Autour
de Koreitem, le domicile des Hariri, outre le système de
protection privé en civil, c'est une véritable armada de FSI qui
stationne dans les parkings du quartier. Que sont-ils devenus,
alors qu'il paraît qu'une roquette aurait touché Koreitem et que
des combats ont eu lieu dans Hamra?
– Toute la presse française titre en ce moment: «Le Hezbollah a
pris le contrôle de Beyrouth» et indique en passant que tous les
points de contrôle ont été rétrocédés à l'armée libanaise (on
trouve même aujourd'hui une majorité d'articles,
tels celui du Parisien, de
L'Express, qui omettent même de signaler le fait que l'armée
se voyait rétrocéder les points pris juste après les combats).
Les médias du Hezbollah et de Michel Aoun, eux, mettent en avant
le fait que tous la ville a été confiée immédiatement à l'armée
après les affrontements.
L'impression n'est tout de même pas la même. Évidemment, je ne
veux surtout pas présumer de ce qu'ont pu ressentir les
habitants, alors que des miliciens armés ont fait crépiter les
Kalashnikov toute la nuit en bas de leur appartement. Cependant,
il y a une différence fondamentale entre le fait que Hezbollah
contrôle directement la ville (situation à la Gaza: le Hamas
prend directement le contrôle et Israël peut alors se déchaîner
contre les Palestiniens sans aucune réaction de la communauté
internationale) et le fait que l'armée a récupéré tous les
points stratégiques.
L'unanimité de la presse française à ne pas présenter l'opinion
de l'opposition (en gros, il s'est agit d'un «nettoyage» des
milices et mercenaires à Beyrouth, immédiatement suivis par une
rétrocession à l'armée – Michel Aoun a ainsi déclaré à la
télévision: «Ce qui s'est passé aujourd'hui est une victoire
pour le Liban et un retour à la constitution.») est pour le
moins inquiétante. En masquant le fait que l'armée contrôle
Beyrouth (et non les hommes du Hezbollah), ils favorisent un
certain calendrier politique (voir plus loin).
– Titres de la presse française: le Hezbollah a pris le contrôle
de médias pro-gouvernement. L'Orient-Le Jour défend la liberté
de la presse:
Mais le point noir de la journée d’hier a sans doute été
l’inqualifiable musellement de tous les médias du Courant du
futur et ceux qui lui sont proches.
C'est vrai et faux: le Hezbollah a pris le contrôle de tous les
symboles du pouvoir Hariri, mais pas de
tous les médias
pro-gouvernement, puisque seuls les médias de son groupe ont été
attaqués. Le Nahar et L'Orient-Le Jour ont été publiés
aujourd'hui, et LBC émet toujours. (Une très longue interview de
Ghassan Tueni, fondateur du Nahar et député proche de la
majorité, était rediffusée hier sur la télévision aouniste.)
Outre la contrôle totalitaire de la presse par des chiites
pro-iraniens (c'est ce que suggèrent nos médias), on peut
suggérer quelques autres pistes:
- Si, dans sa déclaration télévisée, Hassan Nasrallah a bien
pris soin de charger Joumblatt de tous les maux (prétendant même
que Saniora, qui pourtant fait toute sa carrière au service des
Hariri, n'était que le pion de Joumblatt) et de ne pas attaquer
nommément Saad Hariri, sur le terrain c'est bien directement à
une humiliation du camp Hariri qu'il s'est livré. Les forces de
Hariri ont été expulsées en une nuit, et ses médias ont été
«saisis» (puis livrés à l'armée).
- L'armée de mercenaires des Hariri se concentre naturellement
autour des médias et du domicile de Hariri. Vous aimez les grand
costauds en costards sombres dotés d'oreillettes qui se prennent
pour Will Smith dans Men in Black? On les trouve facilement: ils
encerclent les patés de maison du domicile de Hariri et de sa
station de télévision. Dans la logique affichée par l'opposition
(«nettoyer» la ville des miliciens de Hariri), s'attaquer à ces
endroits est assez incontournable.
- Les mêmes ne se sont pas élevés, ces deux dernières années,
contre le fait que les milices gouvernementales avaient
systématiquement saccagé ou incendié les bureaux de partis
politiques d'opposition à chaque fois qu'il y a eu des heurts,
principalement contre le PSNS (qui se trouve logiquement
suspecté aujourd'hui avoir incendié les locaux de Future TV,
manière de valider un lien de cause à effet sans que les médias
étrangers soient en mesure de comprendre pourquoi).
– Le mot le plus entendu dans les médias libanais en ce moment:
la fitna. C'est l'indécrottable Saad Hariri qui l'a sorti dans
sa déclaration d'avant hier, après que Nasrallah a annoncé que
l'affrontement était purement politique. La fitna, c'est la
guerre civile entre musulmans. Le camp Hariri agite depuis
longtemps le confessionnalisme pour se justifier une légitimité
sunnite, il n'y a donc rien d'étonnant à cela. Les «arabes
modérés» représentés par la dictature wahabite pro-américaine,
sponsor du haririsme politique, agitent depuis des années la
menace du «croissant chiite», rien de nouveau donc.
L'extrême-droite chrétienne fantasme sur le choc des
civilisations depuis des décennies et rêve qu'un étripage entre
chiites et sunnites lui redonne du pouvoir, il n'est donc pas
étonnant que L'Orient-Le Jour soit aujourd'hui spécialiste de la
fitna (et donc de la théologie islamique).
Les médias du Hezbollah et de Aoun reprennent ce terme
aujourd'hui mais, cela doit être souligné, pour le réfuter. Il
est toujours aussi paradoxal, surtout vu depuis la France, de
constater que le Hezbollah et le courant aouniste sont les
partis (pourtant confessionnels par leur composition ou leur
idéologie) qui martèlent un discours «laïque» au Liban.
Est-ce pour cela que les médias de l'opposition semblent avoir
pris l'habitude de nommer Saad Hariri de son prénom complet «Saadedine»,
qui signifie «le bonheur de la religion»? Histoire de souligner
que «Saadedine» n'est pas plus laïc que «Nasrallah» (la victoire
de Dieu).
– Quelques amis libanais se demandent s'il ne s'agit pas d'un
piège. La logique est la suivante.
Tout le monde savait qu'il y aurait des affrontements armés. Le
gouvernement le savait parfaitement. Pourtant, le Hezbollah a
pris la ville en quasiment une nuit. Pour une guérilla urbaine,
c'est du jamais vu. Certains n'y voient qu'une preuve de la
supériorité militaire des soldats du Hezbollah; cependant,
l'expérience a Beyrouth a toujours montré que déloger des
miliciens qui s'«enterrent» dans des positions urbaines est
long, pénible et quasiment sans issu.
On n'a pas vu de réelle résistance des miliciens du PSP, des
Forces libanaises et du courant du Futur. Les FSI n'ont pas
bougé. Amateurisme?
La logique de la théorie du «piège» serait la suivante: le
Hezbollah prend «facilement» la ville. La communauté
internationale, assistée de tous les éditorialistes de la
«presse libre» (retour par exemple de
l'insupportable Antoine Basbous; dans les moments
stratégiques, on peut aussi
compter sur un papier détestable de Robert Fisk), hurlent au
coup d'État; les «autorités légitimes» appellent à
l'intervention étrangère pour sauver leur belle démocratie, et
les troupes étrangères (déjà pré-positionnées) entrent au Liban.
Cette thèse du «piège» vient d'ailleurs apparaître en une du
site du mouvement aouniste
en France:
Les Etats-Unis œuvrent à une résolution de l'ONU pour une
intervention contre le Hezbollah mais plusieurs pays ne
suivraient pas pour deux raisons essentielles :
- l'armée libanaise prend le contrôle de la capitale et donc on
ne peut pas parler d'occupation de Beyrouth par le Hezbollah;
- la FINUL serait fortement exposée et s'il y a le moindre
incident, les opinions publiques se retourneraient contre leurs
gouvernants.
Selon L'Orient-Le Jour de ce matin:
En soirée, un porte-parole de la Maison-Blanche a indiqué que
Washington allait initier des contacts urgents au niveau du
Conseil de Sécurité afin de prendre des «mesures» à l’encontre
du Hezbollah et ceux qui se tiennent derrière lui. Il est d’ores
et déjà question dans certains milieux à New York de l’envoi
d’une force arabo-musulmane à Beyrouth.
–
Excellent commentaire de Pierre, habitué des forums d'Alain
Gresh:
Il en résulte que le Hezbollah aurait fait un coup d’état en
complicité avec l’armée régulière, contre un gouvernement
défendu par des milices illégales.
Ajout(s)
– Intéressant (malgré tout) article dans L'Orient-Le Jour
aujourd'hui, signé
Scarlett Haddad, reproduit sur le site du RPL France
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