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Assawra
Pourquoi un tel soutien à un
gouvernement si contesté au Liban ?
Georges Corm
Georges Corm - Photo Cape
Voici maintenant plus de deux mois que la crise
libanaise s’aggrave sous le coup des interventions extérieures.
Depuis la période 1840-1860 qui a vu une première déstabilisation
du Liban sous le coup de la rivalité franco-anglaise qui secouait
alors le Proche-Orient, le pays n’a pas connu une telle intensité
d’interventions des pays occidentaux dans ses affaires intérieures.
Le nombre de déclarations quotidiennes des dirigeants américains
et européens constituent, en réalité, une ingérence certaine
dans les affaires internes du Liban, de même que le nombre de
visite de ces mêmes dirigeants à Beyrouth pour rencontrer et
soutenir le premier ministre, M. Fouad Saniora, l’organisation
de la Conférence d’aide au Liban, dite Paris III à la fin du
mois dernier, toujours pour soutenir ce même gouvernement :
c’est une activité débordante et inquiétante dont est
l’objet le Liban, enfoncé dans une crise ministérielle sans précédent,
visant à maintenir au pouvoir un gouvernement qui a perdu sa
constitutionnalité et sa légitimité.
Rappelons que cette crise a été déclenchée le 11 novembre 2006
par la démission des quatre ministres représentant la communauté
chiite au conseil des ministres, organe collégial du pouvoir exécutif
suivant la constitution libanaise, en sus de la démission de
l’un des deux ministres représentant la communauté chrétienne
orthodoxe. Depuis l’indépendance, aucun gouvernement libanais
n’a fonctionné sans que ne soit représenté l’une de ses
communautés historiques en son sein. De nombreux premiers
ministres, qui appartiennent de par la pratique constitutionnelle
à la communauté sunnite, ont démissionné dans le passé pour
des tensions ou des différents politiques d’envergure bien
moindre que ceux qui affectent le Liban aujourd’hui. De nombreux
gouvernements de par le monde démissionnent, soit parce que leur
base est devenue trop étroite, soit parce que des mouvements de
grève et d’opposition paralysent la vie du pays, ainsi que
l’a fait le gouvernement d’Alain Juppé en 1995 en France,
pour ne citer que cet exemple. Il est considéré normal aussi,
dans de telles circonstances, d’appeler à des élections
anticipées pour recomposer un paysage politique dépassé par des
évènements nouveaux.
Or au Liban, depuis quelques mois, toute l’intervention
occidentale massive consiste à empêcher le gouvernement libanais
actuel de démissionner, soit pour faire place à un gouvernement
d’union nationale où les partis de l’opposition (chrétienne
et musulmane) auraient une participation substantielle, soit pour
faire place à un gouvernement de transition qui organiserait de
nouvelles élections après adoption d’une loi électorale plus
juste que celle de 2005, d’où est issue l’actuelle chambre
des députés. Seule, l’une ou l’autre de ces options
permettrait de rendre la pays à une vie normale et de dissiper
les formidables tensions qui se sont fait jour depuis la fin de
l’attaque israélienne sur le Liban au cours de l’été
dernier. Il est d’ailleurs curieux de constater que les pays qui
prêchent le règne de la démocratie et de l’Etat de droit au
Proche-Orient, soient aussi peux soucieux de la laisser mettre en
pratique, sitôt qu’ils considèrent leurs intérêts stratégiques
menacés.
Mais qu’est-ce qui peut donc amener tant de pays démocratiques
à ne pas vouloir respecter les règles de l’Etat de droit au
Liban, enfonçant ainsi ce petit pays phare dans une crise majeure
de régime? La première hypothèse qui vient à l’esprit est
celle de la peur d’une prise de pouvoir du Hezbollah et, derrière
lui, de la communauté chiite et donc, aux yeux occidentaux, une
influence accrue de l’Iran sur le Liban. Mais si tel était le
cas, cela voudrait dire que les décideurs occidentaux ne tiennent
aucun compte du fait que la popularité et la force politique du
Hezbollah au Liban lui viennent moins de son rapport à l’Iran
que de l’admiration qu’il a gagnée pour sa libération, en
mai 2000, du sud du Liban après 22 ans d’occupation israélienne,
ainsi que du refus général libanais du comportement israélien
violent contre le Liban l’été dernier, comportement qui
s’inscrit dans une longue suite d’opérations militaires israéliennes
depuis 1968 et de violations constantes de la souveraineté
libanaise.
Sa force est aussi celle de ses alliés chrétiens (le très
populaire Mouvement patriotique du général Michel Aoun qui a
tant lutté pour faire sortir la Syrie du Liban) et sunnites
(anciens mouvements nassériens de Saïda et de Beyrouth,
mouvements salafistes de Tripoli), ainsi que celle de divers
autres petits partis. Va-t-on donc pousser le Liban dans la guerre
civile sur une idée fausse et une mauvaise connaissance de la
complexité politique et communautaire du terrain libanais où
jamais une communauté religieuse n’a pu s’emparer du pouvoir
et l’exercer au détriment des autres ? C’est ce qu’avaient
tenté le parti Phalangiste chrétiens en 1982 dans le sillage de
l’invasion israélienne cette année là et avec le plein
soutien des pays occidentaux ; il en est résulté à l’époque
une relance spectaculaire de la guerre interne libanaise. En
soutenant le premier ministre actuel contre vents et marée, les
pays occidentaux ne refont-ils pas la même erreur qu’en 1982 où
leurs soldats présents aussi au Liban à l’époque ont payé un
lourd tribut?
Une autre hypothèse, bien plus grave, que l’on peut formuler
est celle d’une politique occidentale encore plus agressive à
l’endroit du Liban qui consiste à pousser le pays dans un
processus « d’irakisation », opposant violemment entre eux
sunnites et chiites libanais. La réalisation d’un tel processus
permettrait d’affaiblir considérablement le Hezbollah et de
ternir son image, ce qui faciliterait une nouvelle opération israélienne
destinée à opérer le désarmement et l’éradication de ce
parti qui inquiète tant Israël et les Etats-Unis et à rétablir
le prestige fortement entamé de l’armée israélienne après la
guerre de l’été dernier.
Comme on le voit, les données constitutionnelles internes de la
crise libanaise ont été totalement kidnappées par les
puissances occidentales qui instrumentalisent de plus en plus le
Liban dans la lutte régionale qui oppose les Etats-Unis et Israël
à l’Iran, mais aussi dans la guerre américaine tout azimut au
terrorisme international qui inclut pour ces deux Etats le
Hezbollah libanais et le Hamas palestinien. Ne serait-il pas temps
que les pays de l’Union européenne prennent leur distance avec
de telles politiques qui jusqu’ici n’ont semé que le chaos et
la souffrance dans la région, en éloignant toujours plus des
perspectives de paix et de stabilité ?
( Paru dans le quotidien espagnol La Vanguardia du 14 février
2007 )
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