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L’administration Bush n’atteint
pas ses « objectifs » en Irak
James Cogan
Photo RIA Novosti
28 mai 2007
Le président des
Etats-Unis George W. Bush, le vice-président Dick Cheney et la
secrétaire d’Etat Condoleezza Rice ont tous donné
personnellement l’avertissement au premier ministre irakien
Nouri al-Maliki que le temps commençait à manquer. Les échéances
sont déjà dépassées ou sur le point de l’être. Et
l’administration Bush est encore loin de la réalisation des
« objectifs » qu’elle avait demandés au
gouvernement irakien le 10 janvier et qui sont liés au succès de
son escalade militaire actuelle.
Les objectifs ont pour but
de faire pression sur le gouvernement irakien dominé par les
Chiites et les Kurdes pour qu’il accepte un nouveau partage des
pouvoirs. Les Etats-Unis veulent que des concessions importantes
soient faites aux élites arabes sunnites de l’ancien régime
baasiste de Saddam Hussein, espérant que des sections importantes
de l’insurrection sunnite mettent fin à leur résistance armée.
La marginalisation des baasistes et le rôle de premier plan donné
aux partis chiites et kurdes après l’invasion américaine ont
joué un rôle dans l’éruption de la guérilla anti-occupation
dans les régions sunnites ainsi que dans le développement subséquent
de la guerre civile confessionnelle.
La rénovation du
gouvernement marionnette de Bagdad était aussi une composante
essentielle de la stratégie de l’administration Bush pour la région
dans son ensemble. Alors qu’elle attise les tensions avec l’Iran,
la Maison-Blanche recherche le soutien des Etats dits sunnites
tels que l’Arabie saoudite et l’Egypte, qui sont hostiles à
la croissance de l’influence iranienne dans la région et
particulièrement sur le gouvernement irakien. En partie, les
« objectifs » américains visent à établir un régime
à Bagdad qui sera plus acceptable aux yeux des alliés régionaux
des Etats-Unis et qui appuiera toute action militaire américaine
contre l’Iran chiite.
Une des priorités de
Washington est l’adoption d’une loi irakienne sur le pétrole
qui ouvrira le pays aux compagnies américaines, mais la loi est
bloquée à cause d’intérêts antagonistes.
L’administration Bush a
demandé que le gouvernement irakien revoie la constitution
irakienne, écrite par les Etats-Unis en 2006, qui donnait le
contrôle sur la nouvelle production de pétrole aux provinces
dominées par les Kurdes au nord et les Chiites au sud, là où
l’on trouve les principaux gisements pétrolifères. A moins que
la constitution ne soit changée, le gouvernement irakien central
et les provinces à majorité sunnite de l’ouest et du centre du
pays, pauvres en ressources, verront la plus grande partie des
revenus provenant de l’exploitation du pétrole aller vers les
élites kurdes et chiites. L’establishment sunnite aliéné
n’a aucun avantage économique à retirer son appui à la lutte
armée anti-américaine.
Autre concession aux élites
sunnites, les Etats-Unis ont insisté pour que l’on mette fin à
la politique de « débaatisation » par laquelle les
membres seniors du Parti Baas sont exclus du gouvernement, de
l’administration de l’Etat et de l’armée. Bush veut aussi
que des élections provinciales aient lieu au cours de l’année,
ce qui permettrait aux partis sunnites, qui avaient boycotté le
précédent scrutin, de reprendre le contrôle des provinces
sunnites.
La Maison-Blanche a supposé
que les factions kurdes et chiites se rangeraient aux demandes américaines.
Sur le front politique, toutefois, l’escalade militaire a
clairement échoué.
Le comité sur la réforme
de la constitution irakienne, qui devait présenter ses
recommandations de changement de la constitution au parlement
avant le 22 mai, n’a pu s’entendre sur un document final. Les
partis nationalistes kurdes, alliés clés de l’occupation américaine
depuis le tout début, ont refusé d’accepter des changements
qui retireraient le contrôle des nouveaux puits de pétrole au
gouvernement semi-autonome régional kurde (KRG) qui administre
les trois provinces du nord, à majorité kurde.
Certains dirigeants chiites se sont aussi
opposés à tout affaiblissement des pouvoirs régionaux et
provinciaux reliés à l’industrie pétrolière. Le Conseil suprême
islamique en Irak (CSII), un autre allié crucial des Etats-Unis,
a exprimé le désir d’établir une région chiite au sud de
l’Irak qui contiendrait la majorité des champs pétrolifères
irakiens inexploités.
Les Etats-Unis ont participé à l’élaboration
d’une loi, acceptée par le cabinet de Maliki en avril, qui
retire aux régions le contrôle sur le pétrole. Le parlement
devrait voter la loi d’ici le 31 mai. Cette loi fait en sorte
que le contrôle de 93 pour cent des champs pétrolifères
inexploités de l’Irak passe à une compagnie pétrolière d’Etat,
qui serait responsable devant le gouvernement central et qui
accorderait des contrats à des sociétés étrangères. Les
revenus seraient amassés par le gouvernement national, qui les
distribuerait ensuite aux provinces selon la population et les
besoins.
Cependant, le fait de ne pas avoir réussi
à modifier la constitution rend inefficace la nouvelle loi sur le
pétrole. Le 27 avril, le KRG avait émis une déclaration
qualifiant le projet de loi d’« inconstitutionnel ».
Il avait déclaré que la loi « ne sera pas appuyée par le
KRG au parlement fédéral ». L’établissement d’une
compagnie pétrolière nationale, a soutenu le KRG, « transgresse
la constitution irakienne qui exige que le secteur pétrolier soit
développé par des investissements privés, que le contrôle de
nouveaux champs pétrolifères appartienne aux instances régionales
et que les champs actuels soient développés conjointement par
les régions et le gouvernement fédéral ».
La constitution originale définit aussi que
le KRG possède un droit de veto contre tout changement affectant
ses pouvoirs. La clause 126 (4) du document stipule :
« Des articles de la constitution ne peuvent être amendés
si de tels amendements retirent des pouvoirs aux régions qui ne
sont pas sous le contrôle exclusif des autorités fédérales, ou
sans l’approbation de l’autorité législative de la région
en question et l’approbation de la majorité de ses citoyens
dans un référendum général. »
Les partis kurdes se sont aussi opposés à
tout changement de la date, déterminée constitutionnellement, du
31 décembre 2007, qui verra la tenue d’un référendum dans la
province de Kirkouk pour déterminer si celle-ci fera partie de la
région kurde. Plus de 40 pour cent des champs pétrolifères
irakiens connus se trouvent dans la province de Kirkouk.
Le mouvement chiite dirigé par l’imam
Moqtada al-Sadr, deux partis sunnites et le front laïc dirigé
par l’ancien premier ministre par intérim Iyad Allawi ont déclaré
leur opposition au référendum. L’International Crisis Group a
averti dans un rapport publié en avril qu’il était probable
qu’une guerre civile totale éclate au nord de l’Irak si les
partis kurdes ne laissaient pas tomber leurs ambitions de
s’emparer de la province. Des représentants des communautés
arabes et turkmènes de Kirkouk ont menacé de recourir aux armes
afin d’empêcher le référendum — qui a été structuré pour
faire en sorte qu’une grande majorité des électeurs soient
kurdes.
Pendant que les nationalistes kurdes
bloquent la loi sur le pétrole et menacent de déstabiliser le
nord, les partis chiites du gouvernement font de l’obstruction
à tout relâchement dans la politique de « débaatisation ».
L’establishment clérical chiite, le CSII
et le mouvement sadriste se sont opposés à toute réhabilitation
importante des hauts dirigeants de l’ancien régime. Alors que
l’administration Bush considère que la « réconciliation
nationale » est un ingrédient essentiel pour convaincre les
insurgés sunnites à déposer les armes, les factions religieuses
chiites la perçoivent comme une menace à leur pouvoir et privilèges.
De plus, leurs partisans parmi la population chiite, victimes
d’une violente répression sous Saddam Hussein, s’opposent
vigoureusement à toute concession aux baasistes.
La semaine dernière, un législateur
sadriste, Falah Hassan Shansal, a déclaré au Washington Post :
« Si le prix à payer pour la réconciliation nationale est
le retour des assassins baasistes, nous nous opposerons à la réconciliation. »
Le gouvernement Maliki retarde la fixation
d’une date pour la tenue des élections provinciales. Le parti
Da’wa de Maliki et le SIIC craignent que le mouvement sadriste
gagne le contrôle de la plupart des provinces du sud à prédominance
chiite si les élections sont tenues.
Une section significative de la population voit
le Da’Wa et le SIIC comme des marionnettes américaines. Par
opposition, les sadristes ont mené la lutte d’un bref soulèvement
contre les forces américaines en 2004. Bien qu’ils aient par la
suite adhéré à une coalition avec d’autres parties chiites et
le gouvernement, les sadristes ont renforcé leur base d’appui
en demandant à l’administration Bush d’établir un échéancier
pour le retrait de toutes les troupes américaines et étrangères.
En avril, alors que l’opposition populaire augmentait en réaction
à l’ « escalade » américaine, Sadr a donné
l’ordre à ses supporteurs de démissionner du conseil des
ministres de Maliki.
Les sadristes ont boycotté les élections
provinciales en 2005, mais croient qu’ils pourraient gagner
presque tout le sud dans une nouvelle élection. Dans une démonstration
de force politique, des centaines de milliers de personnes ont
pris part à un ralliement sadriste à Najaf le 9 avril pour
protester contre l’occupation américaine. Au cours des derniers
mois, des affrontements sanglants ont pris place entre l’Armée
du Mahdi sadriste et des milices chiites rivales à Basra, Najaf,
Nasriyah, et dans d’autres plus petites villes du sud, alors que
les rivalités locales s’intensifient.
Préoccupé par le fait que le mouvement
sadriste ne devienne un dangereux pôle d’attraction au
mouvement d’opposition à l’occupation américaine, les
militaires américains cherchent à affaiblir ou à détruire l’Armée
du Mahdi et à prendre le contrôle de son bastion dans la
banlieue de Sadr City à Bagdad. Cependant, les opérations
militaires américaines contre l’Armée du Mahdi n’ont que très
peu affaibli son influence.
Cherchant à élargir leur autorité, les
sadristes ont entrepris des pourparlers avec les tribus et les
organisations sunnites afin d’établir une alliance politique.
Certains partis sunnites partagent une base commune avec les
sadristes. Les deux proposent un gouvernement central fort contrôlant
les ressources pétrolières du pays et rejettent les prétentions
kurdes sur Kirkouk. Les deux font également appel à de
larges couches de la population profondément hostiles à
l’occupation américaine.
Associated Press,
citant un initié sadriste, rapportait le 23 mai que Sadr se préparait
pour le jour de la prise du pouvoir de son mouvement à Bagdad.
L’article de l’AP déclarait: « La stratégie d’al-Sadr
est en partie basée sur la croyance que Washington allait bientôt
commencer à retirer les troupes ou à les réduire
significativement, laissant derrière un énorme trou dans la
structure politique et sécuritaire en Irak, ont dit les associés
d’al-Sadr… Al-Sadr croit également, ont dit ses associés,
que le gouvernement du premier ministre chiite Nouri al-Maliki
n’allait plus durer longtemps, étant donné son échec en matière
de sécurité, de service et en matière économique. Un
effondrement gouvernemental sera certainement suivi d’un réalignement
politique dans lequel le mouvement sadriste a de bonnes chances
d’apparaître comme le joueur principal. »
L’incapacité du gouvernement Maliki
d’atteindre un seul des objectifs de Bush, combiné aux
divisions persistantes entre les différentes factions sectaires
et ethniques, pourraient bien inciter les Etats-Unis à suspendre
le parlement et à établir une forme de junte de « salut
national. » Il y a eu des rapports au cours de la dernière
année selon lesquels l’administration Bush soupèse la
possibilité d’installer un homme fort militaire pour simplement
imposer les demandes américaines au pays.
Il est clair, cependant, qu’un tel régime
fantoche n’aura aucune base sociale d’appui et que sa survie
sera totalement dépendante des militaires américains. Il sera
confronté à un nord kurde de plus en plus hostile, à une
insurrection continue dans les zones sunnites et à la perspective
d’un soulèvement dirigé par les sadristes impliquant des
millions de chiites à Bagdad et dans le sud de l’Irak.
(Article original paru le
28 mai 2007)
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