|
Nouvelles d'Irak
Qui menace
le tombeau d'Ezechiel ?
Gilles Munier
Gilles Munier
Lundi 15 février 2010
Propagande israélienne :
L’affaire du tombeau d’Ezéchiel
Une campagne de propagande menée par Shlomo Alfassa, directeur
de l’association étatsunienne « Justice pour les Juifs des
pays arabes », relayée par la presse israélienne et le site
du Crif (Conseil des représentatif des institutions juives
de France), affirme que le Premier ministre irakien Nouri
al-Maliki a l’intention de transformer le tombeau d’Ezéchiel en
mosquée «et d’en effacer toutes les marques de judaïsme »…
sous la pression d’intégristes sunnites.
Ce prophète biblique, déporté du royaume de Juda en Babylonie en
597 av. JC par Nabuchodonosor II, enterré à Kiffle près de
Nadjaf, est connu pour ses visions apocalyptiques et ses prêches
appelant les Juifs à retourner à Jérusalem, tout en
reconnaissant qu’ils ne le méritaient pas. La « grosse
nuée » qu’il aperçut dans les cieux, répandant « de
tous côtés une lumière éclatante, au centre de laquelle brillait
comme de l'airain poli », fait également de lui le premier
homme ayant vu une soucoupe volante !
Les prophéties d’Ezéchiel inspirent encore les extrémistes
israéliens et les chrétiens sionistes étatsuniens. Celle dite de
Gog et Magog - particulièrement obscure (1) –
a été utilisée, sous Ronald Reagan, pour mobiliser les
évangélistes contre l’Union soviétique et le communisme. Sous W.
Bush, la même prophétie justifiait la guerre contre l’Axe du Mal
et l’invasion de l’Irak. Début 2003, le président américain
l’avait citée à Jacques Chirac pour le convaincre de partir en
guerre combattre l’Antéchrist !
Le calife Ali s’y est recueilli
J’ai visité le tombeau d’Ezéchiel à trois reprises, entre 1998
et 2002 (2). J’avais eu du mal à savoir où il se
trouvait, jusqu’à ce qu’un ami me dise de demander où est
enterré Dhou-l-Kiffle, le nom qui lui est donné dans le
Coran. Le lendemain, j’étais en route pour Kiffle, gros village
situé entre Babylone et Nadjaf. La coupole du tombeau, de style
bouyide, est visible de loin. J’ai traversé un magnifique souk,
charpenté en bois, dont les échoppes étaient jadis occupées par
des commerçants juifs. Il appartenait à la richissime famille
Sassoun, que les Irakiens comparent aux Rothschild d’Europe
(3). Les Juifs de Kiffle – comme la majorité des
120 000 vivant en Irak - ont quitté le pays après la
création d’Israël, sous la monarchie pro britannique, appâtés
par les promesses d’une vie meilleure, inquiets de la tournure
prise par certaines manifestations pro palestiniennes, mais
surtout terrorisés par les attentats organisés par le Mossad
pour les pousser à immigrer dans le cadre de l’Opération
Ezra et Néhémie. La preuve en a été apportée depuis.
J’ai pénétré ensuite sur une esplanade en partie recouverte par
les ruines d’une mosquée abbasside. Un magnifique
minaret s’y élève toujours, décoré de briques sculptées et de
calligraphies en style coufique. A l’époque, il était déjà
question de tout reconstruire. Près de la porte du tombeau
d’Ezéchiel, l’entrée d’un souterrain sur lequel courent des
légendes extraordinaires, est condamnée. Le sanctuaire comprend
trois salles attenantes. La première est une ancienne synagogue
aux murs peints, par endroits, d’extraits en hébreu de la Thora.
La seconde est réservée au monument funéraire érigé pour le
prophète, devant lequel le calife Ali, gendre du Prophète
Muhammad, qui résidait non loin à Koufa, se serait recueilli. Le
dôme du tombeau est recouvert de motifs floraux. Avant d’entrer
dans la dernière pièce, un espace est aménagé pour la prière. Le
gardien de l’époque me dit qu’Al-Khidr - l’imam Vert -
personnage symbolique mentionné dans le Coran, y est apparu.
Passé la porte, il me montre cinq tombes alignées, recouvertes
de draps verts. Ce sont, me dit-il, celles de disciples
d’Ezéchiel, emprisonnés avec lui en 597 av. JC, après le second
Exode. Le mausolée aurait été construit sur l’emplacement de
leur prison.
La réhabilitation en question
Beaucoup de musulmans ne font pas le lien entre le Dhou-l-Kiffle
du Coran, et Ezéchiel. Ibn Kathir, exégète du Livre
saint, affirmait au 14ème siècle que le tombeau de
Kifle était celui du fils du prophète Ayoub (Job).
Selon d’autres, Ezéchiel aurait été enseveli près de Bagdad aux
côtés de Sem (fils de Noé) et Arphaxad (fils de Sem)
et font remarquer qu’un autre tombeau d’Ezéchiel existe à
Dezfoul, au sud de l’Iran (Arabistan).
A part les wahhabites hostiles à l’érection de monuments
religieux, personne en Irak n’a l’intention de raser le tombeau
d’Ezéchiel, pas plus que ceux des autres prophètes juifs
enterrés dans le pays : Ezra, Nahoum, Jonas et Daniel. Leurs
sanctuaires seront réhabilités. Le seul problème, c’est qu’en
Irak réhabilitation rime avec béton. Plusieurs mosquées – y
compris celles de Compagnons du Prophète - des églises, et
même la maison d’Ali à Koufa, ont fait les frais de cette
technique d’embellissement, pourtant bien intentionnée.
Les Israéliens qui font campagne pour "sauvegarder le
tombeau d’Ezéchiel" étant connus pour être de grands
destructeurs des vestiges antiques et islamiques
dérangeant leurs convictions idéologiques, sont mal placés pour
donner des leçons de protection du patrimoine de l'humanité.
Notes :
(1)
Pour info :
http://www.bibleenligne.com/Commentaire_biblique/Commentaire_intermediaire/AT/Ezechiel/Ez38.htm
(2)
Source : Guide de l’Irak, par Gilles Munier
(Ed. Picollec – 2000)
(3)
Sassoun Ezéchiel, premier ministre des
Finances du premier gouvernement irakien, sous le roi Fayçal 1er,
est enterré avec son épouse près du tombeau d’Ezéchiel, dans une
maison aujourd’hui en ruine.
© G. Munier/X.Jardez
Publié le 6 février 2010 avec l'aimable
autorisation de Gilles Munier
Le dossier
Irak
|