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Affaires à haut risque à Bagdad
Commencer avec l'Irak
Gilles Munier
Gilles Munier
Jeudi 2 avril 2009
Afrique Asie – avril 2009
Nicolas Sarkozy ne comprenait pas pourquoi les chefs
d’entreprise français rechignaient à se rendre à Bagdad… Il y
est allé en visite éclair, le 10 février, avec Bernard Kouchner
et Hervé Morin, à bord d’un avion sécurisé, pour dire au
président Jalal Talabani que la France était de retour et se
proposait d’aider l’Irak à former et à équiper ses forces de
police et de sécurité, et « aussi l'armée irakienne». Alors que
Robert Gates, secrétaire américain à la Défense, avait déclaré
fin janvier que les troupes américaines allaient « connaître des
jours difficiles », le président français demandait à Bernard
Kouchner de profiter de « l’amélioration » de la situation
sécuritaire pour organiser et diriger, en juin prochain, une
mission commerciale.
L’Irak dans le rouge
Des chefs d’entreprise y participeront, ne serait-ce que parce
qu’elles ont besoin de l’aide de l’Etat sur d’autres marchés.
Mais, retourner ensuite à Bagdad finaliser d’éventuels contrats
et participer à la reconstruction du pays, est une autre
histoire. Il leur suffit de consulter… le site « Conseils aux
voyageurs » du ministère des Affaires étrangères, pour avoir un
autre éclairage de ce qui les attendrait alors. Le son de cloche
est radicalement différent : les voyages en Irak sont «
fortement » déconseillés. Le Quai d’Orsay demande d’emprunter un
véhicule blindé, escorté de gardes armés, pour aller de
l’aéroport à la Zone verte hyper protégée, de se tenir à l’écart
des fenêtres ou derrière des rideaux pour éviter les éclats
d’explosions. En cas de déplacements, il enjoint de rester à
distance des convois militaires, car les soldats peuvent tirer à
titre préventif, prenant n’importe qui pour d’éventuels
attaquants.
Tous les sites spécialisés dans les « risques pays » situent
tous l’Irak dans le rouge. Sur une échelle de 7, l’OCDE place
l’Irak au niveau 6 pour les risques politiques, et au niveau C
pour les risques commerciaux, le maximum. L’ONDD, agence belge
de crédit à l’export, lui attribue le niveau 7 pour les risques
de guerre, et Aon France, filiale d’un des leaders mondiaux de
la gestion des risques, classe l’Irak dans les pays à risques «
très élevés » et signale la difficulté de souscrire des polices
d’assurance pour couvrir les risques encourus. La Coface,
assureur-crédit français, ne sera d’aucun secours. Elle a
annoncé un plan de crise pour 2009, et commencé par relever de
30% ses tarifs généraux, qui ne comprennent pas les surprimes
réclamées pour un pays comme l’Irak. Pas bon pour les affaires.
Si bien qu’encourager, aujourd’hui, un chef d’entreprise à aller
en Irak – sauf s’il a une parfaite connaissance des rouages de
l’économie irakienne et de ses pièges – tient de
l’irresponsabilité, voir de non assistance à personne en danger.
Kouchner, mauvaise carte
Autre handicap pour les entreprises qui participeraient à la
mission commerciale, à Bagdad, l’étoile des amis de Bernard
Kouchner est sur le déclin. Le président Jalal Talabani, son
principal soutien, a décidé de ne pas se représenter en 2010. A
75 ans, son état de santé est des plus préoccupant et il lui
faut reprendre en main l’Union Patriotique du Kurdistan (UPK)
qu’il dirige, en voie d’implosion. Reste le vice-président de la
République, Adel Abdel Mahdi, membre du Conseil suprême
islamique irakien, grand perdant aux dernières élections
régionales en raison de ses liens étroits avec l’Iran. Donc, il
n’est pas dit qu’il le demeurera. D’autant qu’on l’accuse par
ailleurs de corruption, et notamment… de l’achat d’un vignoble
dans le Bordelais ! En revanche, le départ probable de Kouchner
du Quai d’Orsay serait plutôt positif. Nouri al-Maliki, Premier
ministre, qui s’impose dans la perspective des élections
législatives prévues pour la fin de l’année, n’a pas encore
digéré qu’en août 2008, ce dernier ait demandé à Condoleezza
Rice son remplacement par Adel Abdel Mahdi. Mieux vaudrait, pour
les entreprises, que le voyage soit repoussé à des jours
meilleurs.
Ce n’est évidemment pas parce qu’un régime déplait qu’il faut
ostraciser le peuple d’un pays. A plus forte raison lorsqu’il
s’agit de l’Irak qui a subi deux guerres, treize ans d’embargo
criminel et, où l’occupation meurtrière du pays n’en finit pas.
Il n’y a aucune raison, non plus, de laisser les entreprises
anglo-saxonnes et iraniennes monopoliser le commerce extérieur
irakien. Mais, est-ce bien dans cet esprit qu’est organisé le
retour des entreprises françaises en Irak ? Il ne faut pas
confondre patriotisme économique et mercantilisme. Avec Bernard
Kouchner, on sait maintenant qu’il faut craindre le pire.
Commencer avec
l'Irak (2)
Publié le 7 avril 2009 avec l'aimable
autorisation de Gilles Munier
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