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U Ribombu
La libre expression menacée
Gérard Dykstra -
Photo U Ribombu
Dimanche 29 mars 2009
Parce qu'elle connaît une liberté de ton à nulle autre égale,
parce qu'elle a le pouvoir de mettre en exergue des mécanismes
susceptibles de déstabiliser l'ordre établi, parce qu'elle n'est
dépendante que de sa propre conscience, l'information libre dans
sa diversité (presse écrite, audiovisuelle, radio, internet…)
subit ces derniers temps des attaques caractérisées. La sphère
financière comme le pouvoir politique se voient tentés d'en
prendre le contrôle voire de la réduire au silence. Récemment
les exemples ne manquent pas, de la main-mise du groupe
Lagardère sur la presse régionale française aux dénigrements et
menaces de plainte à l'encontre du site amnistia.net jusqu'à la
censure d'articles du site rinnovu.com sur ordres du juge
antiterroriste Gilbert Thiel. Dans ce domaine comme dans
d'autres la question nationale corse apparaît comme extrêmement
sensible et cristallise nombre de tentations liberticides. U
Ribombu Internaziunale qui a par le passé été victime d'un
acharnement judiciaire ayant conduit à un arrêt temporaire de sa
parution, entend bien continuer à s'inscrire dans un mouvement
de défense du droit à une information libre et apporte son
soutien à l'ensemble des médias faisant l'objet d'attaques et
d'ingérences de la part du pouvoir politique.
Rinnovu.com : Quand le juge Thiel entend régler ses comptes…
Gilbert Thiel digère visiblement mal les rappels à la réalité :
celle d'une justice d'exception qui en Corse est devenu monnaie
courante. Et lorsque le site Rinnovu.com dénonce cet état de
fait indigne d'une société prétendument démocratique en
établissant un parallèle avec d'autres régimes liberticides, la
pilule ne passe pas. Que le juge antiterroriste n'apprécie pas
d'être comparé à Augusto Pinochet, on peut le comprendre. Que
par le fait du prince, il puisse obtenir la censure d'un média
en l'absence de toute décision de justice préalable, nous ne
pouvons l'admettre. Comme l'a rappelé Félix Benedetti à la barre
du procès ridicule fait à Rinnovu.com le 9 janvier dernier, «
Thiel aurait été certainement moins vexé s'il avait été comparé
à Salvador Allende ». Actuellement, les inquiétantes dérives de
la justice « antiterroriste » rapprochent cependant davantage la
France du régime suivant et de l'ère Pinochet… Et Corsica Libera
de resituer les enjeux de ces poursuites en affirmant que « par
la censure du site faite par la police avant tout rendu
judiciaire et par ce procès du vendredi 9 janvier à Paris, la
liberté d'expression et le droit à l'impertinence contre les
puissants sont gravement atteints alors qu'ils sont nécessaires
à une société vraiment libre. Cette affaire d'exception, qu'il
faut resituer dans le cadre d'une répression tout-azimut
concernant la Corse, indique un glissement vers un totalitarisme
moderne.»
En évoquant entre autre une prétendue « apologie du terrorisme
», le Parquet a requis à l'encontre de Félix Benedetti, en sa
qualité de responsable du site Rinnovu.com, une peine
significative, c'est-àdire une amende substantielle, laissée à
l'appréciation du tribunal, au titre de la diffamation d'un
magistrat. Le jugement a été mis en délibéré au 13 février.
Gérard Dykstra, responsable du site Rinnovu.com a accepté de
répondre aux questions du Ribombu Internaziunale, il revient sur
cette affaire et aborde la question de la remise en cause des
libertés fondamentales.
U Ribombu Internaziunale : Gérard Dykstra, le site rinnovu.com a
été récemment porté devant les tribunaux par l'intermédiaire de
Félix Benedetti, quels faits sont précisément reprochés à votre
média militant ?
Gérard Dykstra : Il s'agit d'outrage à magistrat. Ce procès
opposait le Ministère de la justice (Rachida Dati) qui défendait
« l'honneur » de son magistrat Gilbert Thiel et Félix Benedetti
pour Rinnovu.com.
Au départ nous pensions que la fameuse photo de Pinochet qui
illustrait notre article en regard à celle du magistrat motivait
l'accusation d'outrage. Mais nous n'étions pas poursuivi pour
cette photo, cette question a été abandonnée par l'accusation
car elle semblait ne pas tenir. On nous reproche en fait le
contenu de la conférence de presse de Cuscenza Viva qui
dénonçait les méthodes d'interrogatoires de Thiel l'accusant de
« manipulation mentale » et de « pressions psychologiques graves
» sur un prisonnier nationaliste.
De nombreux médias l'ont relayée, cela va du Nouvel Observateur
au Ribombu en passant par d'autres sites corses. Alors
évidemment ce ciblage sur Rinnovu on s'y est habitués, il ne
nous a pas surpris. Mais il y a pire, nous pensons à ceux qui
sont incarcérés pour des faits de résistance.
U.R.I : Le juge Thiel dans son ouvrage «Solitude et
servitudes judiciaires » parle d' « incitations à la haine »
alors que visiblement les faits incriminés paraissent relever
d'un travail journalistique des plus anodins…
Gérard Dykstra : Je pense que la haine est du coté de nos
adversaires. Les militants corses se battent sans haine (et sans
salaires contrairement aux juges et aux policiers), pour qu'on
reconnaisse ses droits au peuple corse. Notre travail est plus
militant qu'anodin : nous avons volontiers relayé les
dénonciations de Cuscenza Viva car nous les partageons. Dans son
ouvrage le juge écrivain Thiel explique bien qu'il n'a pas
supporté cette conférence de presse et qu'il s'en est pris au
site Rinnovu, qu'il consulte, et c'est la police politique qui a
censuré cet article et tous les autres sur ce thème auprès de
notre hébergeur.
C'est du jamais vu comme l'ont souligné nos avocats Maître
Mariaggi et Mondoloni. En France maintenant c'est la police qui
censure avant les juges. Comme l'a dit Félix au procès on est
plus du côté de Pinochet, toute chose égale par ailleurs, que
d'« Allende » !
U.R.I : U Rinnovu, désormais partie intégrante de Corsica
Libera a été confronté ces derniers mois à une situation
répressive à l'instigation de Gilbert Thiel, considérez-vous le
procès contre le site rinnovu.com comme un procès politique dans
le droit fil de cette confrontation ?
Gérard Dykstra : C'était un procès politique. Mais Gilbert
Thiel personnage pourtant médiatique s'est dérobé en n'étant pas
partie civile et en privant les juges et les observateurs d'un
débat sur le fond quant à cette défenestration et à ces méthodes
de la justice spéciale.
Il s'est contenté dans son livre de parler de « brûlot » pour
qualifier notre article. C'est un peu court comme explication.
U.R.I : A l'heure où le monde de l'information se caractérise
par l'irruption des milieux politiques d'une part et du pouvoir
financier de l'autre, pensez-vous que les médias libres aient un
avenir en Corse et au-delà ?
Gérard Dykstra : Le monde de l'information connaît en effet
un resserrage général dans toutes les sociétés occidentales. Le
fric est libre, c'est le libéralisme économique. Mais pour la
pensée, les pouvoirs tentent de la mettre en condition. Les
médias vraiment libres de tout pouvoir économique sont rares.
Ils diffusent la peur aux différents JT (la météo, les
catastrophes, les guerres, les maladies...) et incitent à
consommer avec la pub pour que les gens compensent cette peur.
Les médias libres ont un avenir, en particulier les médias qui
véhiculent des courants de pensée. On les croyait obsolètes, il
n'en est rien.
De plus, l'information internet par sa rapidité et sa
multiplicité est un espace de liberté : chaque citoyen peut
confronter ses sources et être son propre PPDA avec un minimum
de perspicacité. Le pluralisme dans la presse écrite en Corse
est aussi une nécessité, c'est encore trop monolithique.
Amnistia.net : la pinède de la discorde
L'occupation de la villa de Christian Clavier par des militants
de Corsica Libera le 30 août 2008 aura permis de populariser le
débat sur le Plan d'Aménagement et de Développement Durable de
la Corse (PADDUC) qui avant cette date était promis à un examen
en catimini devant la seule Assemblée de Corse. A la suite de
cette action symbolique qui a aura eu - du fait de la gestion
grandguignolesque de l'affaire par le gouvernement français - un
retentissement international, le débat a donc quitté la seule
sphère institutionnelle pour concerner peu à peu l'ensemble de
la société corse. Les médias se sont également fait abondamment
l'écho des problématiques inhérentes à ce projet de plan
d'aménagement. Dès le 4 septembre, la société de presse
indépendante Amnistia.net publie sur son site internet diverses
chroniques sur ce dossier et s'intéresse de près aux
surprenantes collusions entre l'élaboration du dit document par
un certain nombre d'élus territoriaux UMP et le « déclassement »
de propriétés leur appartenant, jusque-là considérées comme
espaces remarquables.
Amnistia a notamment publié une enquête complète sur
l'affectation nouvelle de terrains situés dans la pinède ce
Calvi dont le propriétaire n'est autre que le président de
l'exécutif de la Collectivité Territoriale de Corse, Ange
Santini et qui, si le PADDUC était adopté en l'état,
deviendraient constructibles dans l'intérêt de la SCI U Serenu -
du même Ange Santini - qui n'a pour autre objet social que « la
construction, puis la vente d'immeubles ». C'est ce qu'affirme
Enrico Porsia pour Amnistia. Santini qui n'apporte selon la
société de presse, aucun élément contredisant ces allégations,
dénonce leur caractère mensonger et diffamatoire.
Ce dernier bien embarrassé devant ces révélations n'hésite pas à
faire appel à ses collègues territoriaux qui dans un généreux
élan de solidarité décident d'adopter une motion en réponse aux
« affirmations calomnieuses d'un obscur organe de presse au
contenu sulfureux et racoleur ».
Seuls les élus indépendantistes par la voix de Jean-Guy Talamoni
refuseront de délivrer un « brevet d'honnêteté et d'intégrité »
à l'exécutif territorial tout en continuant à dénoncer un
étrange mélange des genres entre des intérêts immobiliers
éminemment personnels et la conception du PADDUC, sensé incarner
l'intérêt général. Ange Santini menace par ailleurs depuis
plusieurs semaines de porter plainte contre Amnistia.net… Bien
qu'étant parfois en désaccord avec les articles d'Enrico Porsia
et d'Amnistia concernant la Corse, nous ne pouvons cependant
tolérer ce genre de dénigrement et de pressions, par ailleurs
largement relayés par la grande majorité des médias corses, à
l'encontre d'un organe d'information.
© U Ribombu
Internaziunale — 2008
Publié le 29 mars
2009 avec l'aimable autorisation d'U Ribombu
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