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Corse
Intervention Jean-Guy Talamoni Ghjurnata Internaziunale 2010
Jean-Guy Talamoni - Photo Alta Frequenza
Lundi 9 août 2010
Tout d’abord, je voudrais à mon tour remercier chaleureusement
les délégations étrangères qui, cette année encore, nous ont
fait l’honneur et le plaisir de venir travailler avec nous dans
un esprit de solidarité et d’amitié.
Il nous faut également remercier les responsables des autres
formations corses, politiques, syndicales ou associatives, qui
ont participé à nos débats.
Enfin, nous adressons un salut fraternel à tous les prisonniers
et à ceux qui, même libérés, se voient imposer des conditions
inhumaines tel que l’exil, l’éloignement injustifiable de leur
famille et de leur terre.
Les relations internationales
Dans les semaines et les mois à venir, Corsica Libera
développera ses relations internationales à partir de deux
cercles de solidarité, qu’il ne convient pas, bien entendu, de
concevoir dans un ordre de priorité, mais bien de
complémentarité : celui de la Méditerranéité et celui des
résistances.
Le premier cercle de solidarité est celui de la Méditerranéité.
Comment, en effet, ne pas voir le déséquilibre terrible qui
marque l’évolution européenne, et la prédominance pesante du
Nord qui s’accentue au fil du temps. Déjà dénoncée il y a
plusieurs décennies par Valéry, par Camus et tant d’autres,
l’« Heure du Nord » semble avoir définitivement éclipsé la
« Pensée de Midi ». L’Europe, qui doit tant, qui doit tout, à ce
qui fut conçu il y a plus de deux millénaires sur nos rivages,
semble désormais tourner le dos à notre façon de participer au
monde. La Méditerranée, qui a pu être comparée à une « Machine à
fabriquer de la civilisation », serait devenue, à en croire nos
détracteurs, le lieu de toutes les dérives, de toutes les
nonchalances, de toutes les insuffisances, face à la
« rationalité » et à l’« efficacité » nordiques. Dans son
arrogance effrénée, le Nord a annexé jusqu’à la raison, oubliant
que c’est au Sud que naquit le logos…
Entendons nous bien, il ne s’agit pas pour nous d’attiser
les animosités ou de promouvoir un quelconque « nationalisme du
soleil » mais de dire, simplement, que l’Europe a été fondée sur
un équilibre entre le Sud et le Nord, et que celui-ci,
aujourd’hui, n’est pas seulement menacé mais nié et réduit à
néant.
D’autant qu’au moment même où ils jettent le discrédit sur nos
valeurs, notre façon de vivre et notre mentalité collective, les
mêmes s’emparent avec avidité de nos terres et de nos maisons.
Les barbares du XXIe siècle ne déferlent pas sur la Méditerranée
munis comme autrefois du fer et du feu comme seul argument, mais
armés d’un moyen tout aussi déstructurant, tout aussi
dévastateur pour nos sociétés méridionales : la puissance de
l’argent. Des localités entières des Baléares parlent allemand,
des hameaux provençaux parlent anglais. Quant à la Corse, la
lutte nationale a permis de limiter quelque peu les dégâts
jusqu’à présent. Mais à quel prix… Le problème n’est évidemment
pas l’origine de ces nouveaux occupants, mais précisément qu’ils
se comportent en occupants, le problème c’est la façon brutale,
méprisante et injuste, qu’ils ont de s’imposer chez nous par
leur puissance financière. À cette barbarie de « l’argent roi »
qui dévaste nos cultures multimillénaires, nous devons opposer
notre génie collectif, notre solidarité et notre détermination.
Pour nous Méditerranéens, il conviendra de faire l’impossible
afin de reprendre la place qui est naturellement la nôtre, sur
notre terre et dans le cours de l’histoire. Les démarches
institutionnelles dites du « Processus de Barcelone », de
l’« Union pour la Méditerranée », de l’« Arc latin », n’ont pour
l’instant donné que des résultats insuffisants. Il faudra
cependant y demeurer attentifs.
Corsica Libera
réaffirme également son engagement au sein de la « Conférence
des Nations sans Etat de la Méditerranée » impulsée par nos amis
catalans d’Estat
Català et d’Esquerra
Republicana.
La Corse, que l’un des principaux poètes et penseurs du
Mare Nostrum
a pu qualifier naguère de « Surméditerranée », la Corse, placée
par la grâce des dieux au centre de cette incontournable région
du monde, a certainement un rôle à jouer dans la réhabilitation
et l’affirmation politique du bassin méditerranéen, berceau de
la Civilisation européenne. Aux côtés d’autres peuples, dont
certains sont représentés à ces
Ghjurnate,
nous tiendrons notre place.
Le second cercle de solidarité est celui des résistances.
Le mot de « résistance » doit ici être pris au sens que lui a
notamment donné, il y a quelques années, le sous-Commandant
Marcos lorsqu’il appela à la création de « foyers de
résistance » à l’ordre voulu par les « Maîtres du monde », ceux
qui entendent décider pour tous mais dans l’intérêt de quelques
uns.
Résistance, bien évidemment, à l’ordre colonial français, ordre
colonial qui n’est malheureusement pas de l’histoire ancienne :
nos frères de Kanaky, de Polynésie, de la Caraïbe et d’ailleurs,
peuvent en témoigner… La répression politique et syndicale
frappe tous ceux qui refusent de voir perpétuer chez eux les
schémas coloniaux… L’an dernier, avec nos amis du LKP, de
l’USTKE et d’autres, nous avons commencé à donner un cadre
structurel à notre solidarité, notamment sur le plan judiciaire
à travers un collectif d’avocat. Cette solidarité s’est exercée,
depuis, à l’occasion des procès contre les marins du STC, contre
les militants de l’USTKE… S’agissant de la Corse, rappelons que
ces derniers mois, le Président du syndicat agricole FDSEA a
comparu plusieurs fois devant la justice française, et ce pour
avoir dénoncé l’accaparement de nos terres par des intérêts
étrangers. Dans quelques semaines, comparaîtront à nouveau les
marins du « Paoli » qui, déjà condamnés par un tribunal
correctionnel, ont refusé de laisser de surcroît prélever leur
matériel ADN, estimant qu’un syndicaliste n’avait pas à être
fiché comme un violeur ou un tueur en série. En ce qui concerne
ces prélèvements ADN,
Corsica Libera
a engagé un bras de fer en demandant à ses militants de refuser
de s’y soumettre, ce qui nous a valu déjà une quinzaine de
procès qui se sont tous soldés par des relaxes, malgré
l’acharnement du Parquet… Mais aujourd’hui, en France même, des
voix s’élèvent pour contester cette pratique attentatoire aux
droits de la personne humaine, et nous sommes fiers d’avoir
ouvert le chemin à une juste contestation qui semble à présent
s’étendre bien au-delà des côtes de la Corse. Dans les mois qui
viennent, il sera nécessaire d’organiser ensemble la riposte à
ces fichages ADN, question qui n’est pas seulement l’affaire des
Corses.
D’une façon plus générale,
Corsica Libera
adresse son soutien à toutes les victimes d’une justice demeurée
résolument coloniale.
Corsica Libera
réaffirme par ailleurs son plein engagement dans la démarche
dite de la « Déclaration de Corti » des nations sans état sous
tutelle française.
Mais notre solidarité ne s’exerce pas seulement à l’égard de
ceux qui, comme nous, sont aux prises avec Paris. Cette année,
nous avons le plaisir d’accueillir, parmi de nombreux invités,
une délégation du Sinn Féin irlandais…
Après avoir mené une lutte exemplaire, dont la phase moderne a
été initiée par l’insurrection de Pâques 1916, après les combats
des années 1970, après le « Bloody Sunday », après les
sacrifices de Long Kesh, après, également, les succès militaires
de l’IRA, ce peuple, dont les poètes sont aussi des guerriers,
trouvait enfin le difficile chemin de l’apaisement avec l’accord
du Vendredi saint de 1998. Depuis, le nouveau défi est celui de
la construction de la paix. Aux prix de multiples difficultés,
les Irlandais tracent leur voie vers un avenir meilleur, pour
eux, mais également pour les autres peuples. Ainsi, le Sinn Féin
s’est grandement impliqué dans les tentatives de règlement de la
question basque, apportant son expérience que l’on a pu
qualifier d’« ingénierie de la paix ». Dans cette perspective,
la présence du parti irlandais aux journées de Corti n’est pas
anodine, au moment où la Corse cherche une issue à une crise si
ancienne… Nous tenons ici à remercier chaleureusement le Sinn
Féin, et en particulier Paul Flemming, pour leur contribution à
nos débats.
La situation corse
La situation de notre pays est aujourd’hui très différente de
celle qu’elle était lors des dernières
Ghjurnate
Internaziunale. Les dirigeants de la Collectivité
Territoriale de Corse ne sont plus les mêmes, le PADDUC, plan de
développement qui consistait à mettre la Corse en vente, a été
définitivement abandonné. Quant au mouvement
Corsica Libera,
dont certains observateurs se sont hasardés à prédire un grave
affaiblissement, il a démontré lors des élections de mars
dernier qu’il portait les espoirs d’un grand nombre de Corses.
Par ailleurs, le courant nationaliste dans son ensemble est
devenu la principale force au sein du paysage politique.
Doit-on pour autant être rassuré ? Il n’est qu’à observer la
situation dramatique de notre peuple, aux plans économique,
social, culturel et moral, pour nous rendre compte de la gravité
de la crise…
Il faut au plus tôt transformer le succès électoral de mars
dernier en victoire politique, si l’on ne veut pas avoir eu
raison trop tard… Chaque jour, notre langue recule, avec les
valeurs qu’elle porte en elle, chaque jour de nouveaux Corses
s’enfoncent dans la précarité, chaque jour, des parcelles de la
terre corse passent en des mains étrangères, chaque jour, la
mission que nous nous sommes assignés devient plus difficile à
réaliser : sauver notre peuple d’une disparition certaine et
tracer la voie d’un renouveau, celui de l’indépendance
nationale.
Certes, davantage de Corses en sont conscient qu’il y a quelques
années. Certes, beaucoup ont voté nationaliste en mars dernier
pour la première fois de leur vie. Certes, nos idées sont de
mieux en mieux accueillies par nos compatriotes… Mais il faut
aujourd’hui rassembler les énergies de tous les Corses qui
attachent de l’importance à l’existence de leur peuple. Il est
temps de mettre de côté les querelles entre ceux qui furent
qualifiés de « clanistes » et ce que l’on désigna sous le
vocable de « séparatistes ». Devant la situation que nous
rencontrons et l’incertitude que nous avons sur la pérennité de
la communauté corse en Corse, l’heure est à la réconciliation de
cette communauté avec elle-même, l’heure est à l’union de tous
les Corses qui veulent le demeurer - quel que soit leur
préférence politique -, l’heure est à l’édification d’un
nécessaire compromis historique, et ce sans la moindre
compromission, l’heure est la mise en synergie des forces
nationales, l’heure est à la création d’un front commun, l’heure
est à la constitution di u partitu di a Corsica.
Plus que jamais, ce compromis conduisant à une sortie de crise
semble à portée de main : les revendications qui sont les nôtres
semblent désormais largement partagées, y compris au sein de la
classe politique dite « traditionnelle » :
Sur la question du foncier, des Assises se tiendront dès
septembre, à la demande de Corsica Libera. Nous défendrons à
cette occasion notre proposition de citoyenneté fondée sur 10
ans de résidence, seule solution praticable s’il on veut arrêter
la hausse des prix de l’immobilier, qui est également une
position particulièrement ouverte et généreuse.
Sur la question de la langue corse, nous avons bien enregistré
la déclaration du Conseiller exécutif en charge du dossier, qui
s’est dit favorable à la co-officialité.
Concernant le problème des prisonniers, nous avons bien entendu
la réponse de Monsieur Giacobbi à notre interpellation et son
accord - total - affirmé publiquement à l’égard de nos
positions.
Sur ces trois questions primordiales, si l’on sent bien des
frémissements favorables à nos demandes, il faudra à présent
passer rapidement des paroles aux actes,
da u dì à u fà.
Pour notre part, nous sommes prêts à participer avec loyauté au
débat sur l’avenir de la Corse, qui devra nécessairement être
ouvert dans les mois à venir, ne serait-ce qu’en raison de la
réforme institutionnelle projetée par Paris et sur laquelle
l’Assemblée de Corse est appelée à se prononcer.
Nous sommes prêts à y participer avec la légitimité que nous ont
conférée les urnes, mais également avec celle que nous a donnée
un combat de plusieurs décennies et les nombreux sacrifices
consentis pour que vive le peuple corse.
Nous sommes prêts à travailler, loyalement, avec tous les
représentants de la société corse, en particulier sur les trois
points que nous venons d’évoquer et qui nous apparaissent comme
les conditions
sine qua non
de l’apaisement : règlement de la question foncière,
officialisation de la langue, prise en compte des prisonniers.
Nous le disons avec solennité : si du débat à venir naissait un
accord sur ces questions, un pacte susceptible de donner à notre
peuple des garanties quant à son avenir comme communauté vivante
et originale sur sa terre, alors nous pèserions de tout notre
poids pour que la crise soit derrière nous et que s’ouvre une
ère de paix, de construction et de prospérité.
Nous avons, aujourd’hui plus qu’hier encore, « l’optimisme de la
volonté » et la conviction au plus profond de nous-mêmes que
nous allons connaître un avenir serein et digne, dans une Corse
qui aura enfin accédé au bien-être – moral, mais également
matériel – que ses richesses lui promettent, une Corse entrée de
plain-pied dans la modernité sans toutefois renoncer à ce
qu’elle est : non pas une simple circonscription administrative
française - ce qu’elle n’a d’ailleurs jamais été -, mais un
pays, une nation, avec tout ce que le mot recèle aux plans
politique, matériel, culturel et moral. Si notre foi demeure
intacte, malgré les années et les épreuves, c’est parce que
notre idée de la Corse,
di a Corsica eterna,
est ce pont spirituel, ininterrompu, entre les générations
passées, celles d’aujourd’hui et celles à venir... Voilà ce dont
Corsica Libera
est porteuse, voilà pourquoi tant de Corses continuent et
continueront à nous faire confiance, démentant les sondages et
les prévisions des milieux dits « autorisés ». Si ces milliers
de Corses nous soutiennent, c’est bien parce que, au cœur même
de la nuit, nous étions cette voix qui leur parlait
inlassablement de dignité. Si dans chaque quartier, dans chaque
village de Corse, les militants de
Corsica Libera
sont écoutés, c’est parce que leur parole est claire et que leur
geste est ferme. Fidélité, constance, clarté, détermination, a
fede, l’amore di una terra : voilà donc, en quelques mots, la
clef des succès passés et des victoires à venir. Des victoires,
non pas au bénéfice d’une formation politique, mais au profit de
l’ensemble de notre peuple.
Eccu, in poche parole perchè avemu da vince.
Evviva a nazione !
Evviva a Corsica Libera !
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