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Bellaciao
Guevara,
le héros qui continue à naître
Gianni Mina
Ernesto Che Guevara
Sans le sacrifice de tous
les Che, n’aurait pas germé en Amérique Latine une conscience
de leurs propres droits comme celle qui a poussé ces dernières
années nombre de pays à refuser l’ALCA [en français ZLEA :
Zone de Libre Echange des Amériques,NdT], à repousser
l’arrogance du FMI et de la Banque Mondiale et à sortir de
l’impasse où ils avaient été coincés par les USA.
Quand, il y a deux ans, Evo Morales, un indigène
aymara, ancien leader des paysans cultivateurs de la feuille de
coca, les cocaleros, emporta avec le Mas (Mouvement au Socialisme)
les élections en Bolivie, j’écrivis pour Il Manifesto un
article intitulé Il Che non era un visionario [Le Che n’était
pas un visionnaire, NdT].
Parce que le fait que cette élection s’était
passée dans la terre où Ernesto Guevara s’était immolé, à
peine trente-huit ans auparavant, pour rester fidèle à ses idéaux
de justice sociale, avait sûrement une valeur symbolique.
Une terre qui, dans son histoire plus récente,
avait vécu la réalité grotesque et tragique de plus de cent
coups d’Etat, une terre qui avait souvent été gouvernée (façon
de parler) jusqu’aux années ’90, par des militaires imprésentables,
assassins et corrompus, presque tous instruits à la tristement célèbre
Escuela de las Americas, gérée par les Etats-Unis, auparavant à
Panama et à Fort Benning (Georgia) ensuite.
Après l’élection d’un aymara en Bolivie, que
maintenant nombreux lauréats du Prix Nobel ont indiqué digne de
cette reconnaissance en 2007, est venue, en Ecuador, celle d’un
quechua, Rafael Correa, un économiste formé à l’université
de Louvain, en Belgique, celle où pendant des années a enseigné
la sociologie François Houtart, le religieux, qui a maintenant 84
ans, qui a été parmi les fondateurs du Forum de Porto Alegre, le
laboratoire politique qui, à partir de l’année 2000, a sonné
l’heure des changements sociaux, progressistes en cours en Amérique
Latine.
Donc le continent au sud des Etats-Unis pouvait être
libéré, comme le rêvait le Che, ou au moins acheminé vers un
rachat, une réappropriation de ses ressources, si longtemps mises
à sac par les politiques de pillards des multinationales du nord
du monde.
Je crois que, quarante ans après son assassinat,
il faut reconnaître à Ernesto Guevara cette intuition et cette
foi. Beaucoup, surtout ceux que le sub-commandant Marcos a définis,
dans une récente intervention à l’ENAH (Ecole Nationale d’Anthropologie
de Mexico), comme « la gauche médiatique », celle à
la mode en somme, objecteront que la lutte armée n’était donc
pas nécessaire, comme le soutenait le Che. Mais ce « beautiful
people », comme l’appelait ironiquement Manolo Vazquez
Montalban, oublie, avec un cynisme absolu, les milliers et
milliers de victimes provoquées par la politique officielle, même
quand elle était qualifiée de démocratique.
Et surtout quand cette politique est devenue un véritable
« terrorisme d’Etat », comme ce fut le cas pour le génocide
autorisé par les Etats-Unis au Guatemala dans les années ’80.
Ou comme le massacre, justement en Bolivie en octobre 2003, que
l’ex président Sanchez de Losada n’ordonna que parce que les
indigènes (la majorité du pays, mais qu’ils ne gouvernaient
pas à l’époque) bloquaient les rues de la capitale La Paz
puisqu’ils s’opposaient à la liquidation du gaz naturel, la
dernière ressource d’un pays pillé.
Sans le sacrifices de tous les Che, qui « ressentaient
comme une plaie ouverte toute prépotence ou injustice commise au
détriment d’un être humain » n’aurait pas germé dans
un continent en otage comme l’Amérique Latine, en peu de temps,
une conscience de leurs propres droits comme celle qui a amené
ces dernières années le Venezuela, le Brésil, l’Argentine,
l’Uruguay, en plus de la Bolivie et de l’Ecuador, à refuser
l’ALCA (le traité de libre commerce voulu par les Etats-Unis),
à repousser l’arrogance d’organismes comme le Fond Monétaire
et la Banque Mondiale ou même à rêver de construire par le
MercoSur une communauté latino-américaine, autonome et indépendante.
Sans le sacrifice de tous les Che, des héros
silencieux et ignorés d’une guerre civile continentale, planifiée
par le Plan Condor voulu par Nixon et menée des années durant
contre de féroces dictatures militaires, des oligarchies obscènes,
des politiques corrompus, mais contournée ou manipulée par les médias,
même le Chili de la Concertation n’aurait peut-être pas trouvé
le courage d’intenter le procès à Pinochet et à son gang
familial et d’élire président, dans un pays machiste et
militariste, une femme, Michelle Bachelet, qui avait connu dans sa
propre chair les outrages de la dictature militaire.
Et peut-être sans l’exemple du Che, un
mouvement comme le mouvement Zapatiste n’aurait-il pas contraint
la politique mexicaine à récrire son planning en décrétant la
première défaite au bout de 80 ans du PRI, le parti-Etat, et
n’aurait pas obligé l’oligarchie de ce pays à faire recours
à l’énième fraude électorale pour empêcher qu’une
coalition de centre-gauche emporte pour la première fois les élections.
Chaque pays, évidemment, a choisi sa voie selon
les circonstances, l’autonomie et le courage de ses nouveaux
leaders mais sur tout le continent souffle un air nouveau, si même
au Paraguay est né un front progressiste dirigé par un évêque,
Fernando Lugo, qui s’est défroqué pour poursuivre un rêve
politique de justice et d’équité.
Mais, plusieurs le reconnaissent maintenant, tout
est né avec l’utopie présumée du Che et de la révolution
cubaine, un exemple incroyable, même avec tant de limites et de
contradictions, de « résistance et dignité » comme
l’a déclaré le Président brésilien Lula. Cet impardonnable
peuple Cubain, comme l’a récemment rappelé le sub-commandant
Marcos, qui a été aussi le dernier dans le continent à se
rendre indépendant mais le premier à se libérer.
C’est pourquoi parmi tant de livres sortis ces
jours-ci pour profiter de l’anniversaire de la mort d’Ernesto
Guevara nous restons perplexes du fait que même un diplomate
cultivé comme Ludovico Incisa di Camerana parle dans son livre
passionné « I ragazzi del Che » [Les enfants du Che,
NdT] d’une révolution manquée qui n’est pas arrivée à
changer un continent. Et que devrait-il encore arriver en Amérique
Latine, puisque les seuls qui suivent encore à la lettre la
politique qui convient aux Etats-Unis sont la Colombie, une terre
de paramilitaires sans loi, le Mexique, toujours aux bords d’une
explosion sociale, est – en partie – le Pérou de l’imprésentable
Alan Garcia ?
Mais il y en a aussi qui tentent, comme Dario
Fertilio, d’écrire un roman. « La via del Che » [La
voie du Che, NdT], situé dans un Cuba « inquièt et
spectral, au crépuscule du régime de Fidel Castro ». Un décor
qui semble franchement improbable. Je voudrais humblement rappeler
à Fertilio que Cuba a toujours été un pays joyeux et bailarino
même dans les moments les plus durs, comme ceux qui marquèrent
les années ‘90 quand le pays dut aussi affronter, en plus de
l’embargo américain, la fin des rapports économiques avec les
ex pays communistes de l’est européen.
Imaginons maintenant, avec une croissance annuelle
du PIB qui dépasse 9%, tout le nickel extrait qui est vendu à un
prix avantageux à la Chine et le problème énergétique résolu
avec l’aide du Venezuela de Chavez en échange d’un important
soutien au système de santé de ce pays. Hélas pour la crédibilité
de l’information, depuis 40 ans, le Che et Cuba sont presque
toujours racontés comme les Etats-Unis et tant de supporters de
leur politique voudraient qu’ils soient, et non comme ils ont été
dans la réalité.
Ainsi, tandis qu’en occident on essayait de
comprendre ce qu’aurait été la transition dans l’île après
l’infirmité qui a contraint Fidel Castro à quitter la
politique, Cuba est déjà entré dans son futur sans secousses ni
tensions. Et 40 ans après qu’un agent de la CIA, Felix
Rodriguez, sous le faux nom de Felix Ramos, capitaine des rangers
boliviens, lui tira le coup de grâce au cœur dans une école de
Las Higueras en Bolivie, le Che continue à être un protagoniste
de la communication de notre temps et, pour beaucoup, un point de
référence étique indiscutable.
Je me souviens toujours d’une réflexion d’Eduardo
Galeano : « Pour quelle raison le Che a-t-il cette
dangereuse habitude de continuer à naître ? Plus on l’insulte,
on le manipule, on le trahit, plus il naît. Il est le plus grand
naissant du monde. Ne serait-ce pas parce que le Che disait ce
qu’il pensait et faisait ce qu’il disait ? Ne serait-ce pas
pour cela qu’il continue à être si extraordinaire dans un
monde où les mots et les faits se rencontrent rarement et quand
ils se rencontrent ne se saluent pas parce qu’ils ne se
connaissent pas ? »
Traduit de l’italien par Karl & Rosa
g.mina@giannimina.it
http://www.ilmanifesto.it/Quotidian...
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