Cuba
L'empire et l'île indépendante
Fidel Castro
Photo CSP
14 août 2007
L’histoire de Cuba ces cent quarante dernières
années se confond avec sa lutte pour préserver son identité et
son indépendance, et avec l’évolution de l’Empire étasunien,
avec ses visées constantes de mainmise sur Cuba et avec les méthodes
épouvantables auxquelles il recourt aujourd’hui pour maintenir
sa domination sur le monde.
D’éminents historiens cubains ont abordé ces
questions en profondeur à différents moments, dans
d’excellents ouvrages qui méritent d’être mis à la portée
de nos compatriotes. Ces Réflexions s’adressent en particulier
aux nouvelles générations, afin qu’elles connaissent des faits
très important et décisifs dans les destinées de notre patrie.
PREMIÈRE PARTIE.
L’amendement Platt imposé en annexe de la Constitution néocoloniale
cubaine de 1901
La « doctrine du fruit mûr » remonte
à 1823, quand elle fut formulée par John Quincy Adams, alors
secrétaire d’Etat et ensuite président : compte tenu de
la loi de la gravité politique, les Etats-Unis s’empareraient
forcément de Cuba une fois rompue sa subordination coloniale à
l’Espagne.
Prenant prétexte de l’explosion du cuirassé Maine
dans la baie de La Havane – un événement qui reste encore à
élucider, mais qui fut utilisé pour déclarer la guerre à l’Espagne,
de même que l’incident du golfe du Tonkin fut préfabriqué,
comme cela a été prouvé, pour pouvoir attaquer le Vietnam du
Nord – le président William McKinley entérina la Joint
Resolution du Congrès du 20 avril 1898, qui signale « que
le peuple de l’île de Cuba est et doit être de droit libre et
indépendant », « que les Etats-Unis déclarent par la
présente n’avoir ni le souhait ni l’intention d’exercer
leur souveraineté, leur juridiction ou leur domination sur l’île,
si ce n’est à des fins de pacification, et affirment leur décision,
ceci fait, d’en laisser le gouvernement et la domination à son
peuple ». La Joint Resolution autorisait
le président à recourir à la force pour éliminer le
gouvernement espagnol de Cuba.
Le colonel Leonard Wood, chef principal du régiment
des Rough Riders, et Théodore Roosevelt chef
en second des volontaires expansionnistes qui avaient débarqué
sur les plages proches de Santiago de Cuba, après que l’escadre
espagnole, courageuse, mais mal utilisée, et ses marins eurent été
décimés par les cuirassés étasuniens, avaient réclamé
l’aide des insurgés cubains qui, au prix de sacrifices énormes,
avaient déjà épuisé et mis hors de combat l’armée coloniale
espagnole. Le régiment des Rough Riders avait
débarqué sans ses chevaux.
Une fois l’Espagne vaincue, les représentants
de la reine régente et du président des Etats-Unis signèrent le
10 décembre 1898 le Traité de Paris aux termes duquel, sans que
le peuple cubain soit partie prenante, l’Espagne renonçait à
tout droit de souveraineté et de propriété sur Cuba et
acceptait de l’évacuer. L’île serait occupée à titre
provisoire par les Etats-Unis.
Nommé gouverneur militaire au nom des USA et général
d’armée, Leonard Wood promulgua le 25 juillet 1900 le décret
301 portant organisation d’élections générales de délégués
à une Assemblée constituante qui devait se réunir à La Havane
le premier lundi de novembre, à midi, en vue de rédiger et
d’adopter une Constitution régissant le peuple cubain.
Les élections se déroulèrent le 15 septembre
1900 et portèrent à l’Assemblée trente et un délégués
issus du Parti national, du Parti républicain et de l’Union démocratique.
Et c’est le 5 novembre 1900 que l’Assemblée constituante se réunit
pour la première fois au théâtre Irijoa de La Havane, qui prit
ce jour-là le nom de Théâtre Martí.
Le général Wood, qui l’ouvrit en tant que représentant
du président des Etats-Unis, fit part aux constituants des visées
que nourrissait son gouvernement : « Quand vous aurez
formulé le genre de relations qui devront, de votre point de vue,
exister entre Cuba et les Etats-Unis, le gouvernement nord-américain
adoptera sans aucun doute les mesures qui conduiront pour sa part
à un accord final et autorisé entre les peuples des deux pays en
vue de promouvoir l’essor de leurs intérêts c0mmuns. »
La Constitution adoptée par les constituants le
21 février 1901 affirmait à son article 2 : « Le
territoire de la République est composé par l’île de Cuba,
ainsi que par les îles et cayes adjacentes qui se trouvaient sous
la souveraineté de l’Espagne jusqu’à la ratification du
Traité de Paris le 10 décembre 1898. »
Une fois la Constitution rédigée, il fallut définir
le genre de relations politiques que devaient nouer Cuba et les
Etats-Unis. L’Assemblée constituante avait, dès le 12 février
1901, nommé une commission de cinq membres qui devait se charger
de ce point.
Le 15 février, le gouverneur Wood invita cette
commission à une pêche en mer et lui offrit un banquet à
Batabanó, embarcadère principal pour l’île des Pins, comme on
la connaissait alors, elle aussi occupée par les troupes étasuniennes
qui étaient intervenues dans la guerre d’Indépendance cubaine.
Là, il leur fit connaître la teneur d’une lettre du secrétaire
à la Guerre, Elihu Root, qui contenait déjà les traits
fondamentaux du futur amendement Platt. Selon les instructions émanant
de Washington, les relations entre Cuba et les Etats-Unis devaient
être régies par différentes prescriptions. La cinquième
stipulait : « Qu’afin de pouvoir exécuter au mieux
les devoirs émanant des prescriptions ci-dessus et assurer leur
propre défense, les Etats-Unis pourront acquérir et posséder en
propriété des terrains afin d’établir et de maintenir des
bases navales à des points ou sites déterminés. »
Quand les constituants cubains apprirent ces
conditions, ils prirent position, dans un document daté du 27 février
1901, contre les visées du pouvoir exécutif étasunien,
supprimant entre autres le droit d’établissement de bases
navales.
L’administration étasunienne décida, en accord
avec Orville H. Platt, sénateur républicain du Connecticut, de
présenter un amendement au projet de loi sur le budget de l’armée
en vue de convertir en un fait établi les prescriptions
concernant l’établissement en sol cubain de bases navales étasuniennes.
L’amendement Platt, voté par le Sénat le 27 février
1901 et par la Chambre des représentants le 1er mars, puis entériné
le lendemain par le président McKinley, en tant qu’annexe
« au projet… fixant les crédits pour le maintien de
l’armée durant l’exercice fiscal venant à terme le 20 juin
1902 », incluait la prescription suivante sur les bases
navales :
Article VII. Que, afin que les
Etats-Unis soient en conditions de maintenir l’indépendance de
Cuba et de protéger son peuple, ainsi que pour assurer leur
propre défense, le gouvernement cubain leur vendra ou leur louera
les terres nécessaires à des bases charbonnières ou à des
stations navales à des endroits déterminés dont il sera décidé
en accord avec le président des Etats-Unis.
L’article VIII précisait :
Que… le gouvernement cubain
inscrira les dispositions ci-dessus dans un traité permanent avec
les Etats-Unis.
L’adoption rapide de l’amendement par le Congrès
des Etats-Unis s’explique par le fait que la législature était
sur le point de conclure et que le président McKinley était
assuré de la majorité dans les deux organes. Quand le président
inaugura son second mandat le 4 mars, l’amendement avait
d’ores et déjà force de loi.
Plusieurs constituants cubains défendirent la thèse
qu’ils n’étaient pas habilités à adopter l’amendement
imposé par les Etats-Unis, dans la mesure où il impliquait une
limitation de l’indépendance et de la souveraineté de la République
de Cuba. Le gouverneur militaire Wood s’empressa alors de
promulguer, le 12 mars 1901, un décret militaire en vertu duquel
il habilitait la Constituante à débattre des mesures dont la
constitutionnalité pourrait susciter des doutes.
D’autres constituants, tel Manuel Sanguily,
furent d’avis que l’Assemblée devait se dissoudre plutôt que
d’adopter des mesures qui blessaient d’une manière ou d’une
autre la dignité et la souveraineté du peuple cubain. La
Constituante avait d’ailleurs nommé, à sa séance du 7 mars
1901, une nouvelle commission chargée de rédiger une réponse au
gouverneur Wood, laquelle confia cette mission à Juan Gualberto Gómez,
qui recommanda, entre autres, de rejeter la clause relative à la
location de stations navales ou charbonnières et critiqua sévèrement
l’ensemble de l’amendement comme contraire aux principes du
Traité de Paris et à la Joint Resolution.
La Constituante se réunit le 1er avril pour
discuter de la communication de Gómez, mais interrompit le débat
le 13 et décida de dépêcher une commission aux Etats-Unis afin
de « connaître les vues et les objectifs du gouvernement
des Etats-Unis quant à tous les points ayant à voir avec l’établissement
du genre de relations définitif sur les plans politique et économique
entre Cuba et les Etats-Unis, et d’envisager avec ledit
gouvernement les bases d’un accord sur les points qui seront
soumis à la Constituante à des fins d’adoption finale ».
La commission élue pour se rendre aux USA –
Domingo Méndez Capote, Diego Tamayo, Pedro González Llorente,
Rafael Portuondo Tamayo et Pedro Betancourt – arriva à
Washington le 24 avril 1901, le gouvernement étasunien ayant
toutefois tenu à préciser auparavant qu’elle était là sans
invitation et à titre non officiel.
Elle fut reçue les 25 et 26 avril 1901 par Elihu
Root (et par Wood., qui avait regagné son pays dans ce but exprès).
Le secrétaire à la Guerre lui fit savoir d’une manière catégorique :
« Les Etats-Unis ont proclamé leur droit d’imposer les
clauses contestées durant trois quarts de siècle face au monde
américain et européen, et ils ne sont pas disposés à y
renoncer au point de mettre leur sécurité en danger. »
Selon les fonctionnaires étasuniens, aucune des
clauses de l’amendement Platt ne réduisait la souveraineté et
l’indépendance de Cuba ; au contraire, elle la préservait ;
et de préciser que l’intervention n’aurait lieu qu’en cas
de graves troubles dans le seul but de maintenir l’ordre et la
paix intérieurs.
De retour à La Havane, la commission fit rapport
au cours d’une séance secrète, le 7 mai 1901. De sérieuses
divergences se faisaient jour au sein de la Constituante.
Celle-ci discuta le 28 mai un rapport de la
Commission chargée d’émettre un avis sur l’amendement Platt,
rédigé par Villuendas, Tamayo et Quesada et recommandant
d’accepter l’amendement assorti de quelques éclaircissements
et de signer un traité de réciprocité commerciale. La
Constituante le vota par 15 voix contre 14.
Mais le gouvernement des Etats-Unis refusa ce
genre de solution et fit savoir sous forme d’ultimatum, par
l’intermédiaire du gouverneur Wood, que l’amendement devait
être accepté sans la moindre modification. En effet, « en
tant que mandat adopté par le pouvoir législatif des Etats-Unis,
le Président est obligé de l’exécuter tel quel. Il ne peut
rien y changer ni modifier, rien y ajouter ni retrancher.
L’action exécutive que réclame ce mandat est le retrait de
Cuba de l’armée des Etats-Unis. Or, ledit mandat n’autorise
cette action que lorsqu’un gouvernement aura été installé à
Cuba dans le cadre d’une Constitution qui contiendrait déjà
soit dans son texte même soit en annexe les dispositions catégoriques
signalées dans le mandat. […] Si le Président constate que ces
dispositions sont inscrites dans la Constitution, il sera autorisé
à retirer l’armée ; dans le cas contraire, il n’y est
pas autorisé. »
Le secrétaire à la Guerre adressa une lettre à
la Constituante cubaine pour lui faire savoir qu’elle devait
adopter l’amendement Platt dans sa totalité, sans le moindre éclaircissement,
tel qu’il apparaissait en tant qu’annexe à la loi du budget
de l’armée ; sinon, les forces militaires étasuniennes ne
se retireraient pas de Cuba.
Le 12 juin 1901, au cours d’une autre séance
secrète, la Constituante vota par 16 voix contre 11
l’incorporation de l’amendement Platt à la Constitution de la
République à titre d’annexe. Bravo Correoso, Robau, Gener et
Rius Rivera ne participèrent pas à la séance pour ne pas avoir
à voter.
Le pire de l’amendement Platt a été
l’hypocrisie, la tromperie, le machiavélisme et le cynisme dont
firent preuve les Etats-Unis pour s’emparer de Cuba, au point de
recourir publiquement aux arguments avancés en 1823 par John
Quincy Adams au sujet de la pomme qui finirait forcement par
tomber du fait de la loi de la gravité. La pomme tomba en effet,
mais elle était pourrie, comme l’avaient prévu durant presque
un demi-siècle de nombreux penseurs cubains, depuis José Martí
dans les années 80 du XIXe siècle jusqu’à Julio Antonio Mella,
assassiné en janvier 1929.
Personne ne pouvait mieux décrire ce que
l’amendement Platt signifiait pour Cuba que Leonard Wood en
personne, dans une correspondance privée du 28 octobre 1901 à
son compagnon d’aventures Theodore Roosevelt. En voici deux
extraits :
« Bien entendu,
l’amendement Platt ne laisse guère d’indépendance à Cuba,
si tant est qu’elle lui en laisse, et la seule chose à faire
maintenant est de chercher l’annexion. Ceci exigera toutefois
quelque temps, et il est très souhaitable, tout le temps que Cuba
disposera d’un gouvernement à soi, qu’il le conduise sur la
voie du progrès et de l’amélioration. Il ne peut signer
certains traités sans notre assentiment, ni emprunter au-delà de
certaines limites, et il doit préserver les conditions sanitaires
qu’on lui a indiquées, de sorte qu’il est tout à fait entre
nos mains. Je ne crois pas qu’un seul gouvernement européen le
considère, fût-ce un moment, pour autre chose que ce qu’il est :
une véritable dépendance des Etats-Unis et redevable à ce titre
de notre attention. »
« Grâce à ce contrôle qui se convertira
sous peu, sans aucun doute, en une possession, nous dominerons
bientôt pratiquement tout le commerce mondial du sucre. L’île
s’américanisera peu à peu et nous aurons, le temps venu,
l’une des plus riches et des plus désirables possessions qui
existent au monde… »
DEUXIÈME PARTIE.
L’application de l’amendement Platt et l’établissement de
la base navale de Guantánamo, cadre des relations entre Cuba et
les Etats-Unis
C’est fin 1901 que débuta la campagne électorale
au terme de laquelle Tomás Estrada Palma fut élu président sans
opposant par 47 p. 100 des électeurs. Mais le nouveau président
n’était pas là : il vivait aux Etats-Unis d’où il
partit le 17 avril 1902 pour arriver à Cuba trois jours plus
tard. La passation de pouvoir se déroula le 20 mai 1902 à midi.
Le Congrès de la République avait déjà été constitué.
Leonard Wood, lui, rembarqua pour son pays à bord du cuirassé Brooklyn.
En 1902, peu avant la proclamation de la République,
l’administration étasunienne avait fait savoir au président de
l’île frais élu qu’elle avait jeté son dévolu sur quatre
endroits destinés à abriter les bases navales prévues dans
l’amendement Platt : Cienfuegos ; Bahía Honda, Guantánamo
et Nipe. Elle avait même envisagé rien moins que le port de La
Havane comme « l’endroit le plus avantageux pour la quatrième
station navale ».
Malgré son origine bâtarde, le gouvernement
cubain auquel participaient nombre de ceux qui avaient lutté pour
l’indépendance, s’opposa d’entrée à la concession de
quatre bases navales, deux étant plus que suffisantes de son
point de vue. La situation se tendit encore plus quand il durcit
ses positions et réclama l’élaboration finale du Traité
permanent de relations, en vue de « déterminer en une seule
fois, et non par parties, tous les points ayant fait l’objet de
l’amendement Platt et de fixer la portée de leurs préceptes ».
Le président McKinley étant décédé le 14
septembre 1901 des suites des coups de feu qu’il avait essuyés
le 6, c’est son vice-président Theodore Roosevelt qui était
maintenant à la tête du pays au terme d’une carrière
politique météorique. Or, Roosevelt n’avait justement aucun
intérêt à ce moment-là à préciser la portée de
l’amendement Platt et à retarder d’autant l’installation
d’une base militaire dans la baie de Guantánamo que son
administration jugeait importante pour la défense du canal de
Panama – engagé puis abandonné par la France – que le vorace
Empire était bien décidé à conclure coûte que coûte. Il ne
souhaitait pas plus avoir à définir le statut légal de l’île
des Pins. Aussi décida-t-il soudainement de réduire la quantité
de bases navales en discussion, de ne plus suggérer le port de La
Havane, si bien que l’accord se fit sur deux bases : Guantánamo
et Bahía Honda.
C’est le 16 et le 23 février 1903
respectivement qu’en conformité avec l’article VII de
l’annexe imposé à la Constitution, l’Accord de bail des
stations navales fut signé par le président cubain et le président
étasunien :
« Article I. Par le présent
accord, la République de Cuba donne à bail aux Etats-Unis, aussi
longtemps qu’ils en auraient besoin et en vue d’y établir des
stations charbonnières ou navales, les étendues de terre et
d’eau situées sur l’île de Cuba qui sont décrites ci-après :
1) « A Guantánamo… » (Suit une
description complète de la baie et du territoire adjacent.)
2) « A Bahía Honda… » (Idem.)
« Article III. Bien que les Etats-Unis
reconnaissent que la République de Cuba continue d’exercer sa
souveraineté définitive sur les étendues de terre et d’eau décrites
ci-dessus, celle-ci consent pour sa part à ce que, durant la période
où ils occuperaient lesdites étendues conformément aux
stipulations du présent accord, les Etats-Unis y exercent complètement
leur juridiction et leur domination, et auront le droit d’acquérir…
à des fins d’utilité publique tout terrain ou tout bien qui y
serait situé par achat ou par expropriation forcée, après
indemnisations totale de ses propriétaires. »
Les travaux d’arpentage visant à établir les
limites de la station navale de Guantánamo commencèrent le 28
mai 1903.
Et c’est le 2 juillet 1903 que fut signé le
« Règlement relatif au bail des stations navales et
charbonnières » :
« Article I. Les Etats-Unis
d’Amérique accordent et stipulent de payer à la République de
Cuba la somme annuelle de deux mille pesos en monnaie d’or des
Etats-Unis tout le temps que ceux-ci occuperont et utiliseront
lesdites étendues de terre en vertu de l’Accord susmentionné.
« Tous les terrains propriété de
particuliers et d’autres biens immeubles compris dans lesdites
étendues seront acquis sans délai par la République de Cuba.
Les Etats-Unis d’Amérique conviennent de fournir à la République
de Cuba les sommes nécessaires à l’achat desdits terrains et
biens propriété de particuliers, et la République de Cuba
acceptera lesdites sommes à titre de paiement anticipé du bail dû
aux termes dudit accord.
Ce Règlement fut signé à La Havane par les représentants
des présidents cubain et étasunien, adopté par le Sénat cubain
le 16 juillet 1903, ratifié par le président cubain un mois plus
tard, le 16 août et par le président étasunien le 2 octobre,
les ratifications ayant été échangées à Washington le 6
octobre. Il fut publié le 13 au Journal officiel de Cuba.
On apprenait le 14 décembre 1903 que les
Etats-Unis étaient entrés en possession quatre jours plus tôt,
le 10, des étendues de terre et d’eau nécessaires à l’établissement
d’une station navale à Guantánamo.
La cession d’une partie du territoire de la plus
grande des Antilles fut un motif de réjouissance pour le
gouvernement et la marine des Etats-Unis qui entendirent la fêter
par l’envoi de bâtiments de l’escadre des Caraïbes et de
quelques cuirassés de la flotte de l’Atlantique Nord.
Le gouvernement cubain désigna le chef des
travaux publics de Santiago de Cuba pour remettre aux Etats-Unis
cette partie du territoire sur laquelle il exerçait en théorie
sa souveraineté : ce fut le seul Cubain à avoir participé
à cette cérémonie du 10 décembre, jour choisi par les
Etats-Unis, et encore pour très peu de temps, puisque, sa mission
remplie, il se retira sans toast ni serrement de main dans le
village voisin de Caimanera. Il était venu à bord du cuirassé Kearsage,
le vaisseau où se trouvait le contre-amiral Barker. A midi, une
salve de vingt et un coups de canon accompagna, aux accents de
l’hymne national, la descente du drapeau cubain sur ce bâtiment,
tandis qu’une autre salve rythma ensuite le lever du pavillon étasunien
à un point de terre appelé Playa del Este. La cession était
consommée.
Aux termes du Règlement accompagnant l’Accord,
les Etats-Unis ne devait utiliser les terrains cédés qu’à des
fins d’utilité publique, interdiction leur étant faite d’y
installer des magasins ou des industries d’aucune sorte.
Les autorités étasuniennes sur ce territoire et
les autorités cubaines s’engageaient mutuellement à livrer les
fuyards de la justice pour des crimes ou des délits sujets aux
lois en cours dans chaque nation, à condition que les autorités
correspondantes en fassent la requête.
Les biens de toutes sortes importés dans lesdites
stations navales à des fins d’usage et de consommation
exclusives entreraient hors taxes ou droits de douane.
Le bail desdites stations navales incluait le
droit d’utiliser et d’occuper les eaux adjacentes à ces étendues
de terre et d’eau, d’améliorer et d’approfondir leurs entrées
et leurs mouillages, et de faire tout ce qui s’avérerait nécessaire
aux fins exclusives auxquelles elles étaient consacrées.
Quoique les Etats-Unis aient reconnu que Cuba
continuait d’exercer sa souveraineté définitive sur ces étendues
de terre et d’eau, ils allaient, avec l’assentiment de
celle-ci, y exercer complètement leur juridiction et leur
domination durant la période où ils les occuperaient conformément
aux stipulations de l’accord.
Le « Traité permanent déterminant les
relations entre la République de Cuba et les Etats-Unis »,
signé le 22 mai 1903, avait riveté, aux dires de Manuel Márquez
Sterling, « le joug insupportable de l’amendement Platt ».
Il fut approuvé par le Sénat des Etats-Unis le
22 mars 1904 et par le Sénat de Cuba le 8 juin, les ratifications
ayant été échangées à Washington le 1er juillet 1904. Ainsi
donc, l’amendement Platt était à la fois un amendement à une
loi étasunienne, un annexe à la Constitution de Cuba de 1901 et
un traité permanent entre les deux pays.
Les expériences acquises par les USA sur la base
navale de Guantánamo leur servirent à appliquer des mesures
similaires ou pires sur leurs bases du canal de Panama.
La méthode consistant à introduire des
amendements à une loi absolument indispensable par sa teneur et
son importance est utilisée couramment au Congrès des Etats-Unis
pour faire adopter des points qui, présentés seuls,
susciteraient des divergences entre les législateurs. Elle a
permis bien souvent de violer la souveraineté pour laquelle notre
peuple lutte inlassablement.
En 1912, le secrétaire d’Etat cubain, Manuel
Sanguily, négocia avec son homologue étasunien un nouveau traité
aux termes duquel les Etats-Unis renonçaient à leur droit sur
Bahía Honda en échange d’un agrandissement des limites de
Guantánamo.
Cette même année, au moment du soulèvement du
Parti des indépendants de couleur que le gouvernement de José
Miguel Gómez, du Parti libéral, réprima sauvagement, des
troupes sortirent de la base de Guantánamo et envahirent différentes
localités de l’ancienne province d’Oriente, proches de Guantánamo
et de Santiago de Cuba, sous prétexte de « protéger des
vies et des biens de ressortissants étasuniens ».
En 1917, lors du soulèvement du Parti libéral en
Oriente, connu comme la chambelona, pour protester contre les
fraudes qui avaient conduit à la réélection du président Mario
García Menocal, du Parti conservateur, des détachements yankees
provenant de la base de Guantánamo se dirigèrent vers différents
points de cette province sous prétexte, cette fois-ci, de
« protéger l’approvisionnement en eau de la base ».
TROISIÈME PARTIE :
L’amendement Platt est formellement abrogée, mais la base
navale de Guantánamo reste
L’arrivée à la Maison-Blanche, en 1933, de
l’administration démocrate de Franklin Delano Roosevelt fraya
la voie à un réajustement nécessaire des rapports de domination
que les Etats-Unis avaient avec Cuba. La chute de la tyrannie de
Gerardo Machado sous la pression d’un puissant mouvement
populaire et l’installation postérieure d’un gouvernement
provisoire présidé par Ramón Grau San Martín, un professeur de
physiologie de l’Université de La Havane, constituèrent un sérieux
obstacle à la mise en œuvre du programme que réclamait le
peuple.
Le président Roosevelt émit, le 24 novembre
1933, une déclaration officielle qui stimula la conspiration de
son ambassadeur à La Havane, Sumner Welles, et de Batista contre
le gouvernement Grau : il offrait de signer un nouveau traité
de commerce et de déroger l’amendement Platt. Roosevelt
expliquait : « Tout gouvernement provisoire auquel le
peuple cubain ferait confiance serait le bienvenu à Cuba. »
L’administration étasunienne était d’autant plus anxieuse de
se débarrasser du gouvernement Grau que, depuis la mi-novembre,
l’influence du jeune ministre anti-impérialiste Antonio
Guiteras, qui prendrait dans les semaines suivantes nombre de ses
mesures les plus radicales, ne cessait d’y croître. Il fallait
donc le renverser au plus vite.
L’ambassadeur Sumner Welles rentra définitivement
à Washington le 13 décembre 1933 et fut remplacé cinq jours
plus tard par Jefferson Caffery.
Les 13 et 14 janvier 1934, Batista convoqua et présida
à Columbia une réunion de militaires auxquels il proposa de
destituer Grau et de nommer à sa place le colonel Carlos Mendieta
y Montefur, ce qui fut accepté par ce qu’on appela la Junte
militaire de Columbia. Grau San Martín démissionna le 15 janvier
1934 au petit matin et prit le chemin de l’exil mexicain le 20.
Mendieta, lui, fut installé au pouvoir par un coup d’Etat, le
18 janvier 1934. Il fut reconnu par Washington le 23, mais ce sont
en fait l’ambassadeur Caffery et Batista qui régissaient les
destinées du pays.
Le renversement, en janvier 1934, du gouvernement
provisoire de Grau San Martín sous l’effet de ses
contradictions internes et de la série de pressions, de manœuvres
et d’agressions dont il fut victime de la part de l’impérialisme
et de ses alliés locaux, signifia un premier pas indispensable
pour pouvoir imposer une issue oligarchique et impérialiste à la
crise nationale.
Le gouvernement Mendieta aurait pour mission de réajuster
les rapports de dépendance néocoloniale du pays.
En effet, ni l’oligarchie remise ainsi en selle
ni Washington ne pouvait négliger l’état d’esprit du peuple
cubain vis-à-vis du néocolonialisme et de ses instruments. Les
Etats-Unis n’ignoraient pas non plus que le soutien des
gouvernements latino-américains – dont celui de Cuba – lui était
indispensable face à la confrontation désormais prévisible avec
d’autres puissances impérialistes émergentes comme l’Allemagne
et le Japon.
Washington se devait donc, dans ces nouvelles
circonstances, de recourir à des formules qui lui garantiraient
le fonctionnement rénové du système néocolonial. La politique
rooseveltienne de « bon voisinage », qui prit très au
sérieux l’opposition de l’Amérique latine à
l’interventionnisme déclaré que Washington avait pratiqué
jusque-là dans le sous-continent, visait à donner une nouvelle
image aux relations avec celui-ci.
L’une de ces mesures de réajustement fut précisément
la signature, le 29 mai 1934, d’un nouveau Traité de relations
entre la République de Cuba et les Etats-Unis d’Amérique, en
substitution de celui qui était en vigueur depuis le 22 mai 1903
et qui avait été souscrit par un autre Roosevelt, peut-être un
lointain parent, celui des « Rudes Cavaliers », qui
avait, lui, bel et bien débarqué à Cuba.
Deux jours avant, le 27 mai, à dix heures trente
du matin, alors qu’il s’apprêtait comme chaque jour à
abandonner sa résidence des Alturas de Almendares,
l’ambassadeur étasunien Jefferson Caffery essuya trois coups de
feu de la part d’individus en voiture. Le lendemain, 28 mai,
alors qu’elle roulait sur la 5e avenue, dans le quartier de
Miramar, après avoir déposé le premier secrétaire H. Freeman
Matthews à l’ambassade étasunienne, la voiture de ce
fonctionnaire fut attaquée par plusieurs individus armés de
mitraillettes et eux aussi en voiture ; l’un d’eux,
s’adressant au chauffeur, l’informa que Matthews avait une
semaine pour abandonner le pays, puis il rompit le pare-brise pour
disparaître à toute allure avec ses complices.
Ces actions révélaient un état d’hostilité généralisée
contre les Etats-Unis, ce qui peut avoir hâter la signature de ce
nouveau Traité de relations.
Celui-ci mettait fin à l’impopulaire amendement
Platt, et donc au droit d’intervention des Etats-Unis à Cuba.
Il précisait :
« La République de Cuba et
les Etats-Unis d’Amérique, animés du désir de renforcer les
liens d’amitié entre les deux pays et de modifier dans ce but
les relations nouées entre eux par le biais du Traité des
relations signé à La Havane le 22 mai 1903 […] ont convenu des
articles suivants :
[…]
« Article III. Tant que les deux Parties
contractantes ne tomberont pas d’accord pour modifier ou abroger
les clauses de l’Accord signé par le président de la République
de Cuba le 16 février 1903 et par le président des Etats-Unis
d’Amérique le 23 février 1903, et relatif à la location à
bail par les Etats-Unis d’Amérique de terrains à Cuba destinés
à des stations charbonnières ou navales, lesdites
clauses resteront en vigueur en ce qui concerne la station navale
de Guantánamo. De même, le Règlement relatif à la
location des stations navales et charbonnières, souscrit par les
deux gouvernements le 2 juillet 1903 restera en vigueur dans les mêmes
formes et conditions en ce qui concerne ladite station navale.
Tant que les Etats-Unis d’Amérique n’abandonneront pas ladite
station navale ou tant que les deux gouvernements ne tomberont pas
d’accord sur une modification de ses limites actuelles, elle
continuera d’avoir l’étendue territoriale qu’elle occupe
actuellement dans les limites qui sont les siennes à la date de
la signature du présent Traité. »
Le Sénat étasunien ratifia le nouveau Traité de
relations le 31 mai 1934 et par Cuba le 4 juin, les instruments de
ratification ayant été échangés à Washington cinq jours après,
le 9 juin. L’Amendement Platt avait
formellement disparu, mais pas la base navale de Guantánamo.
Le nouveau Traité légalisa la situation de fait
dans laquelle se trouvait la station navale de Guantánamo, résiliant
la partie des accords des 16 et 23 février et du 2 juillet 1903
entre les deux pays relative aux terrains et aux eaux de Bahía
Honda et agrandissant les étendues de terre et d’eau de la
station navale de Guantánamo.
Les Etats-Unis conservèrent cette dernière en
tant que site de vigilance et de contrôle stratégique qui leur
permettrait de garantir leur domination politique et économique
sur les Antilles et l’Amérique centrale et de défendre le
canal de Panama.
QUATRIÈME PARTIE. La base
navale de Guantánamo depuis l’abrogation formelle de
l’amendement Platt jusqu’à la victoire de la Révolution
Une fois signé le nouveau Traité de relations de
1934, les USA aménagèrent et fortifièrent peu à peu le
territoire de la « station navale » de sorte que
celle-ci fut finalement établi au printemps 1941 comme base
navale d’opérations structurée comme suit : station
navale, station aéronavale et base de l’infanterie de marine,
plus des entrepôts.
Le Sénat des Etats-Unis avait adopté le 6 juin
1934 une loi par laquelle le secrétariat à la Marine était
autorisé à signer un contrat à long terme avec une entreprise
qui se chargerait de l’approvisionnement en eau de la base
navale, quoiqu’il ait existé auparavant des plans visant à la
construction d’un aqueduc qui lui apporterait l’eau du Yateras.
Les travaux d’agrandissement se poursuivirent.
Vers 1943, l’entreprise Frederick Snare Co. embaucha environ
neuf mille ouvriers civils, dont beaucoup étaient Cubains, pour y
construire d’autres installations.
De gros travaux d’agrandissement des
installations militaires et civiles de la Base eurent aussi lieu
durant toute l’année 1951. En 1952, le secrétariat étasunien
à la Marine décida de changer son nom : de U.S.
Naval Operating Base, elle devint U.S. Naval Base. A cette époque,
sa structure comprenait un centre d’entraînement.
La Constitution de 1940, la lutte
révolutionnaire et la base navale de Guantánamo jusqu’à décembre
1958
La période située entre fin 1937 et 1940 se
caractérisa, du point de vue politique, par l’adoption de
mesures de démocratisation qui entraînèrent des élections à
une assemblée constituante et la formation de cette dernière. Si
Batista prit de telles mesures, c’est parce qu’il avait intérêt
à mettre en place des formules qui lui permettent de continuer de
contrôler les décisions politiques et de renforcer son pouvoir
dans le cadre de cette nouvelle structure. Batista et son opposant
Grau San Martín convinrent, début 1938, de la convocation
d’une assemblée constituante, qui ouvrit finalement ses travaux
le 9 février 1940 et les conclut le 8 juin.
La nouvelle Constitution fut adoptée le 1er
juillet 1940 et promulguée le 5 juillet. Elle stipulait, entre
autres : « Le territoire de la République est constitué
de l’île de Cuba, de l’île des Pins et des autres îles et
cayes adjacentes qui furent soumises à la souveraineté de l’Espagne
jusqu’à la ratification du Traité de Paris, le 10 décembre
1898. / La République de Cuba ne concertera ni ne ratifiera de
pactes ou de traités qui limiteraient ou diminueraient sous
quelque forme que ce soit la souveraineté nationale ou l’intégrité
du territoire. »
L’oligarchie s’efforça d’empêcher la concrétisation
des principes les plus avancés de cette Constitution ou, du
moins, d’en restreindre au maximum l’application.
CINQUIÈME PARTIE. La base
navale de Guantánamo depuis la victoire de la Révolution
Le Gouvernement révolutionnaire n’a cessé de dénoncer
l’occupation illégale de cette partie du territoire cubain.
De leur côté, les Etats-Unis ont, dès le 1er
janvier 1959, converti ce territoire usurpé par la base navale de
Guantánamo en un foyer permanent de menaces, de provocations et
de violations de la souveraineté nationale, et ce en vue de
causer des difficultés à la Révolution victorieuse. Cette Base
a toujours fait partie des plans et des opérations conçus par
Washington afin de renverser le Gouvernement révolutionnaire.
Elle a servi à toutes sortes d’agressions :
- Largage de matières inflammables par des avions
en provenant.
- Provocation de soldats, dont des insultes, des
jets de pierre et de récipients contenant des matières
inflammables, et des tirs de pistolets et d’armes automatiques.
- Violation des eaux juridictionnelles et du
territoire de Cuba par des navires et des avions militaires en
provenant.
- Mise au point d’auto-agressions en vue de
provoquer un conflit armé de grandes proportions entre les deux
pays.
- Inscription des fréquences radios utilisées
par la Base dans l’espace correspondant à Cuba sur le Registre
des fréquences international.
Le 12 janvier 1961, des soldats yankees y torturèrent
sauvagement Manuel Prieto Gómez, un ouvrier qui travaillait là
depuis plus de trois ans. Son « crime » ? Etre révolutionnaire.
Le 15 octobre 1961, l’ouvrier Rubén López
Sabariego y fut torturé puis assassiné.
Le 24 juin 1962, les soldats y assassinèrent
Rodolfo Rosell Salas, pêcheur de Caimanera.
Par ailleurs, la fabrication de toutes pièces
d’une provocation qui permettrait de déployer des troupes étasuniennes
dont l’invasion de Cuba, à titre punitif, serait dès lors
« justifiée », eut toujours la base de Guantánamo
comme mélange détonant. Ainsi, l’une des actions de l’Opération
Mangouste prévoyait, le 3 septembre 1962, que des soldats de la
base tirent des coups de feu sur les sentinelles cubaines.
Durant la crise des Missiles, la base fut renforcée
en matériel militaire et en effectifs, au point de dépasser
seize mille marines. Lorsque le Premier ministre soviétique
Nikita Khrouchtchev décida ensuite de retirer les ogives nucléaires
déployées à Cuba, sans consulter ni informer au préalable le
Gouvernement révolutionnaire, celui-ci fixa clairement sa
position dans ce qui est connu aujourd’hui comme les « Cinq
Points », dont le cinquième exigeait le retrait de la base
navale de Guantánamo. Nous fûmes à deux doigts d’une guerre
thermonucléaire dont nous aurions été la première cible par
suite de la volonté de l’Empire de s’emparer de Cuba.
Le 11 février 1964, le président Lyndon B.
Johnson réduisit le personnel cubain travaillant dans la Base
d’environ sept cents personnes. Les USA saisirent aussi les
fonds de retraite accumulés par les centaines d’ouvriers
cubains ayant travaillé sur la Base et interrompirent illégalement
le versement des pensions à ceux qui étaient déjà retraités.
Le 19 juillet 1964, en un acte de franche
provocation, les sentinelles de la Base tirèrent sur leurs
homologues cubains, tuant un soldat d’à peine dix-sept ans, Ramón
López Peña, qui montait alors la garde à son poste.
En 1966, le soldat Luis Ramírez fut tué dans des
circonstances similaires.
En plus des forces et des moyens qui y sont déployés
d’une manière permanente, la Base a été renforcée à différents
moments sous prétexte de manœuvres militaires. Ainsi, en mai
1980, plus de 80 000 hommes, 24 bâtiments et environ 350 avions
de combat participèrent pendant trois semaines aux manœuvres
Solid Shield 80 qui inclurent le débarquement de 2 000 marines
dans la Base et l’envoi de 1 200 autres soldats.
En octobre 1991, en plein Quatrième Congrès du
Parti communiste à Santiago de Cuba, des avions et des hélicoptères
provenant de la Base violèrent l’espace aérien de la ville.
En 1994, la Base fut utilisée comme point
d’appui à l’invasion d’Haïti, des avions militaires y
ayant décollé. Par ailleurs, plus de 45 000 émigrés haïtiens
y furent concentrés jusqu’en la mi-1995.
L’année 1994 a aussi été celle de la crise
migratoire ayant découlé de la recrudescence du blocus et des
dures années de la Période spéciale, du fait que les Etats-Unis
avaient considérablement réduit la quantité de visas qu’ils
devaient délivrer conformément à l’accord migratoire signé
en 1984 entre les deux pays et de leur encouragement à l’émigration
illégale dans le cadre de la Loi d’ajustement cubain.
Durant cette crise, à la suite à une déclaration
du président Clinton du 19 août 1994, la Base navale de Guantánamo
fut transformée en un camp de concentration pour environ 30 000 balseros
cubains.
Le 9 septembre 1994, l’administration Clinton et
le gouvernement cubain signèrent un Communiqué conjoint, aux
termes duquel les USA s’engagèrent à empêcher l’entrée sur
leur territoire des émigrants illégaux interceptés et à délivrer
au moins 20 000 visas par an.
Quelques mois plus tard, le 2 mai 1995, toujours
dans le cadre des négociations migratoires, les gouvernements
cubain et étasunien fixèrent dans une Déclaration conjointe les
procédés concernant le renvoi à Cuba de toutes les personnes
qui seraient interceptées par les garde-côtes étasuniens au
cours de tentatives d’émigration illégale. Or, la présence
aujourd’hui même dans la base navale de Guantánamo de
soixante-sept émigrants illégaux cubains interceptés en haute
mer par les garde-côtes étasuniens et maintenus là en vue de
les envoyer dans des pays tiers, constitue une violation de cette
Déclaration conjointe.
On a enregistré de 1962 à 1996 un total de 8 288
violations principales à partir de la Base navale de Guantánamo,
à savoir 6 345 violations aériennes, 1 333 violations maritimes
et 619 violations territoriales, 7 755 ayant eu lieu entre 1962 et
1971.
Les chefs militaires de deux parties engagèrent
des rencontres régulières à compter d’octobre 1994. Une bande
de terrain minée était parfois inondée par suite de tempêtes
tropicales et de crues, et nos sapeurs ont bien des fois risqué
leur vie pour sauver des personnes qui traversaient, y compris
avec des enfants, cette zone militaire à accès restreint, tant
de jour que de nuit.
La Base navale de Guantánamo à
partir de la promulgation de la loi Helms-Burton
Cette loi, signée par le président William
Clinton le 12 mars 1996, dont le Titre II est intitulé :
« Aide à Cuba libre et indépendante », et dont la
section 201 traite de « la politique envers un gouvernement
de transition élu démocratiquement à Cuba », stipule à
son paragraphe 12 que « les Etats-Unis doivent être prêts
à négocier avec un gouvernement élu démocratiquement à Cuba
la restitution de la Base navale des Etats-Unis à Guantánamo ou
à renégocier l’accord en vigueur dans des termes mutuellement
avantageux ». Nous aurions là quelque chose de pire que le
gouverneur militaire Leonard Wood : un annexionniste
d’origine cubaine gérant Cuba !
La guerre du Kosovo (1999) entraîna une grande
quantité de réfugiés kosovars. L’administration Clinton,
impliquée au premier chef dans cette guerre de l’OTAN contre la
Serbie, décida d’utiliser la base de Guantánamo pour en héberger
un certain nombre et, contrairement aux normes habituelles, le fit
savoir au gouvernement cubain sans aucune consultation préalable.
Notre réponse fut constructive. Bien qu’hostiles à cette
guerre injuste et illégale, nous n’avions pas de raisons de
nous opposer à l’aide humanitaire dont pourraient avoir besoin
les réfugiés kosovars. Nous offrîmes même notre coopération
en matière médicale ou autre, le cas échéant. En fin de
compte, les réfugiés kosovars ne furent pas envoyés à la base
de Guantánamo.
Le « Serment de Baraguá » adopté le
19 février 2000 affirmait : « En temps voulu, car cela
ne constitue pas un objectif prioritaire pour le moment, bien
qu’il s’agisse d’un droit absolument juste et
imprescriptible de notre peuple, le territoire de Guantánamo illégalement
occupé doit être rendu à Cuba ! » Nous étions alors
lancés dans la bataille pour faire revenir le petit enfant séquestré
aux Etats-Unis et pour contrecarrer les conséquences économiques
du brutal blocus.
La Base navale de Guantánamo à
compter du 11 septembre 2001
C’est le 18 septembre 2001 qu’en réponse aux
attentats du 11, le président Bush signa la loi du Congrès
l’autorisant à recourir à la force et en vertu de laquelle il
signa le 13 novembre un ordre militaire jetant les fondements
juridiques, dans le cadre de la « guerre contre le
terrorisme », de l’arrestation d’étrangers et de leur
jugement par des cours martiales.
Les Etats-Unis informèrent officiellement Cuba,
le 8 janvier 2002, qu’ils utiliseraient la Base navale de Guantánamo
comme centre de détention de personnes faites prisonnières
durant la guerre d’Afghanistan.
Les vingt premiers détenus y arrivèrent quelques
jours plus tard à peine, le 11 janvier 2002. Ils finiraient par
se monter à 776, en provenance de 48 pays. Bien entendu, aucune
de ces données ne se connaissait alors. Le gouvernement cubain émit
ce même jour une déclaration publique pour faite état de sa
disposition à coopérer en fournissant les services médicaux
requis, les programmes d’assainissement et de lutte contre des
vecteurs et des épidémies dans les zones sous son contrôle
autour de la base, ou à aider de n’importe quelle autre manière
utile, constructive et humaine. Nous étions loin de penser alors
que le gouvernement des Etats-Unis se préparait à créer dans
cette Base un horrible camp de tortures !
Notre Constitution socialiste promulguée le 24 février
1976 stipulait à son article 11 c) : « La République
de Cuba rejette et considère nuls et non avenus les traités,
pactes ou concessions signés dans des conditions d’inégalité
ou qui méconnaîtraient ou diminueraient sa souveraineté et
l’intégrité territoriale. »
Ripostant à l’ingérence et aux déclarations
offensantes du président des Etats-Unis, le peuple cubain
ratifia, le 10 juin 2002, au cours d’un plébiscite massif sans
précédent, la teneur socialiste de la Constitution de 1976 et
demanda à l’Assemblée nationale du pouvoir populaire de la
reformuler afin qu’elle contienne expressément, entre autres
points, le principe devant régir les relations économiques,
diplomatiques et politiques de notre pays avec d’autres Etats.
Ce qui fut fait par l’ajout à ce même article 11 c) du précepte
suivant : « Les relations économiques, diplomatiques
et politiques avec tout autre Etat ne pourront jamais être négociées
sous l’effet de l’agression, de la menace ou de la coercition
d’une puissance étrangère. »
Une fois connue ma « Communication au peuple
cubain », du 31 juillet 2006, les autorités étasuniennes
ont déclaré qu’elles ne souhaitaient pas une crise migratoire,
mais qu’elles se préparaient à y faire face à titre préventif,
envisageant d’utiliser la Base navale de Guantánamo en tant que
camp de concentration des émigrés illégaux qui seraient
interceptés en mer. Elles informaient aussi que des
agrandissements d’ouvrages civils y étaient en cours en vue
d’augmenter les capacités d’accueil.
Cuba a pris pour sa part toutes les mesures
possibles pour éviter des incidents entre les forces militaires
des deux pays et a déclaré qu’elle s’en tenait aux
engagements contenus dans la Déclaration conjointe sur les
questions migratoires signée avec l’administration Clinton. A
quoi bon, donc, tant de verbiage et de tapage ?
Le paiement symbolique du bail de la station
navale de Guantánamo a été de 3 386 dollars et 25 centimes par
an jusqu’en 1972, où la partie étasunienne l’éleva à 3 676
dollars puis, en 1973, après nouvel ajustement de la valeur de
l’ancien dollar d’or, à 4 085 dollars.
Le chèque annuel est émis par le département du
Trésor sur le compte de la marine des Etats-Unis, responsable opérationnelle
de la Base navale, et est adressé par voie diplomatique au
« Trésorier général de la République de Cuba »,
une institution et un fonctionnaire qui ont cessé depuis bien
longtemps d’exister dans la structure du gouvernement cubain. Il
n’a été encaissé qu’en 1959, par erreur et non délibérément.
Depuis, et jusqu’à ce jour, il ne l’a plus jamais été !
Il reste le témoignage d’un bail imposé pendant plus d’un siècle.
J’imagine au bas mot qu’il coûte dix fois moins cher au
gouvernement étasunien, chaque année, qu’un instituteur public !
A quoi pouvaient donc servir l’amendement Platt
et la Base navale de Guantánamo ? L’histoire prouve que
les Etats-Unis n’ont eu besoin ni de celui-là ni de celle-ci
dans un grand nombre de pays du sous-continent, où aucune révolution
n’a eu lieu, pour dominer ces territoires gouvernés par les
transnationales et les oligarchies. La publicité se chargeait de
leur population mal préparée et pauvre en majorité en y semant
des réflexes conditionnés.
Du point de vue militaire, un porte-avions nucléaire
emportant de rapides chasseurs-bombardiers et accompagné de son
escorte, faisant fond sur la technologie de pointe et sur les
satellites, est plusieurs fois plus puissant qu’une base et peut
se rendre n’importe où dans le monde au gré de l’Empire.
En fait, la Base navale de Guantánamo n’est là
que pour humilier et pouvoir y faire les choses épouvantables que
l’on sait.
S’il faut attendre la chute du système, soit,
nous attendrons ! Les souffrances et les périls seront
grands pour toute l’humanité, au moins autant que la crise
actuelle de la bourse des valeurs, comme le pronostiquent toujours
plus de gens. L’attente de Cuba, elle, se fera toujours en état
d’alerte.
Fidel Castro Ruz
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