Venezuela
Les véritables ennemis de la « liberté d’expression »
Antoine Casgrain
Mardi 29 mai 2007
Le 28 mai dernier, le couperet tombait sur la chaîne
de télévision Radio Caracas Télévision (RCTV). La décision du
gouvernement d’Hugo Chavez de refuser le renouvellement de la
licence de la chaîne d’opposition a suscité de vives critiques
à l’international. Les grands médias au Canada, comme ailleurs
dans les pays occidentaux, ont fortement dénoncé cette mesure
qualifiée de « censure ». Or, un examen attentif de
la réalité vénézuelienne démontre que les chaînes privées
d’information sont les vraies ennemies de la démocratie.
Le Censureur censuré
Le Venezuela compte quatre chaînes télévisées Globovisión,
Televen, Venevisión et RCTV - qui contrôlent
près de 90% du marché et disposent d’un monopole médiatique de
facto. Ces télédiffuseurs sont depuis longtemps en
opposition franche et ouverte contre le gouvernement en place,
n’hésitant pas à mener une véritable guerre de propagande. En
avril 2002, ces médias ont participé activement à la tentative
de coup d’État qui a renversé durant 48 heures le président
Chavez. Les réseaux privés ont diffusé volontairement de
fausses informations sur la répression de manifestants
anti-Chavez et ont relayé avec exultation la déclaration des
putchistes dissolvant la Constitution démocratique. De plus, les
chaînes privées ont encouragé activement la population à
participer à la grève générale de l’industrie pétrolière.
La participation de RCVT à la rupture
constitutionnelle d’avril 2002 avait été telle que son
responsable de production, Andrés Izarra, opposé au putsch,
avait aussitôt démissionné pour ne pas se rendre complice du
coup de force. Lors d’un témoignage à l’Assemblée
nationale, Izarra avait indiqué que le jour du coup d’Etat et
les jours suivants il avait reçu l’ordre formel de Granier de « ne
transmettre aucune information sur Chavez, ses partisans, ses
ministres ou n’importe quelle autre personne qui pourrait être
en relation avec lui » [1].
Mentionnons également que RCTV a refusé de diffuser les publicités
pro-Chavez durant le référendum révocatoire d’août 2004.
Malgré ce passé suspect, les défenseurs de la liberté de la
presse ont été peu nombreux à dénoncer ces pratiques abusives
à l’intérieur des conglomérats médiatiques.
Médias communautaires : l’autre regard de la liberté
de la presse
La télévision RCTV a cessé d’émettre sur les
ondes VHF, mais elle aura encore la permission de diffuser sur le
câble et par satellite. Son signal sera repris par TVES, une
nouvelle chaîne étatique qui viendra s’ajouter au Canal 8.
Contrairement à certaines informations véhiculées par les
grands médias – notamment au Téléjournal de Radio-Canada -,
RCTV n’était pas la dernière télévision d’opposition.
Trois grandes chaînes de télévisions d’opposition demeurent
en onde, sans compter la presse écrite dont la majorité est
anti-Chavez. On est loin du « pouvoir hégémonique
sur les moyens de communication » dénoncé par Reporter
sans Frontières.
Le panorama des médias au Venezuela ressemble peu
à celui d’une dictature. Depuis quelques années au Venezuela,
le nombre de stations de radios communautaires s’est fortement
accru. Ceci grâce à l’effort de plusieurs militants et
militantes qui ont cherché à produire une information atteignant
leur communauté. Alors qu’en 2002 il existait 13 stations de
radio communautaire agréées, elles étaient au nombre de 170 en
juin 2005. En plus, plus de 300 radios clandestines ont vu le
jour. L’État a favorisé la création de ces radios
communautaires par des subventions. Toutefois, ces dernières protègent
pour l’instant leur indépendance : en 2005, l’Association
des médias locaux, regroupant une grande partie des radios
associatives, a pris position contre un projet d’exploitation pétrolière
menaçant l’environnement. [2]
Il est inquiétant de voir les médias québécois
relayer sans aucune critique la campagne en faveur de RCTV. Le débat
sur la liberté d’expression ne devrait-il pas se faire chez
nous d’abord ? À Québec, il y à peine deux ans, le CRTC
a sanctionné la station CHOI-FM pour ses propos diffamatoires.
Sans vouloir atténuer les discours intolérants de CHOI, ses
animateurs n’ont jamais encouragé activement le reversement armé
du gouvernement, comme l’a fait la télévision au Venezuela. Et
que pensez de la décision des États-Unis de refuser l’octroi
d’une licence pour que Al-Jazeera soit diffusé sur le câble ?
Notes
[1]
Voir le texte Hugo Chávez et RCTV :
censure ou décision légitime ? sur RISAL.
[2]
Voir cet excellent article : L’essor du
mouvement des radios communautaires au Venezuela, toujours
sur RISAL.
|